Une bibliothèque sans livres … C’est possible !

Non, nous ne sommes pas en pleine science fiction … Et cela ne veut pas dire pour autant que nous entrons en décadence !

Le développement des supports numériques et celui du nomadisme rendent désormais possible cette quasi aberration sinon cet oxymore …
La première bibliothèque sans aucun livre (papier) va ouvrir à l’automne prochain à Toronto. BiblioThech , c’est son nom, prêtera des liseuses pour deux semaines à ses lecteurs : pas de politique BYOD (Bring Your Own Device : en français AVEC : Apportez Votre Équipement Personnel de Communication) dans ce lieu, et, bien sûr, il y aura des ordinateurs …
Cette stratégie devrait aussi permettre de rendre ce service aux déficients visuels : des associations sont en train de faire pression sur les constructeurs de liseuses ou tablettes pour mieux adapter ces outils aux personnes en situation de handicap visuel (braille, synthèse vocale, etc.). Malheureusement, les verrous numériques des DRM bloquent encore ces développements ;-( En effet pour transformer certains ouvrages déjà numérisés, il faudrait toucher à la loi sur le copyright et cela se heurte aux puissants lobbies des éditeurs et distributeurs : Amazon a déjà supprimé les fonctionnalités audio de ses liseuses… Aux Etats-Unis, seul 1% des ouvrages est disponible dans un format adapté …

En France, on n’est pas encore arrivé à ce point, mais un certain nombre d’expériences ont lieu dans des bibliothèques publiques, comme la « Pirate Box » à Aulnay-Sous-Bois. Comme l’explique le bibliothécaire Thomas Fourmeux, il s’agit d’un dispositif permettant de télécharger des œuvres appartenant au domaine public ou libres de droit. Aucun piratage donc dans cette expérience qui est complètement légale … ;-) Mais à la différence de la BiblioThech canadienne, il faut apporter son matériel (liseuse, tablette, smartphone, etc..). Une expérimentation pour le prêt de liseuse a aussi eu lieu, de même que des ateliers avec iPads avec les enfants pour les initier à la lecture numérique. En fait, si les livres ‘objets’ disparaissent progressivement des bibliothèques, ce n’est pas le cas des bibliothécaires, qui deviennent de plus en plus indispensables pour accompagner les lecteurs dans cette mutation, c’est ce qu’on appelle la médiation numérique. Si la plupart des jeunes viennent à la bibliothèque pour profiter du réseau wifi, de nombreux utilisateurs ignorent encore qu’il faut se connecter au wifi pour télécharger des documents …
Ce dispositif simplifie aussi le travail des bibliothécaires : plus besoin d’acquérir les classiques en plusieurs exemplaires (surtout pour les scolaires). Et en ce qui concerne les livres relevant du domaine public, on n’a plus à se préoccuper des livres perdus ou en prêt !
Pour les e-books encore sous droit d’auteur, les bibliothécaires de Toronto les rendront illisibles au bout des deux semaines de prêt.

Quant aux ‘accros’ au papier, des distributeurs automatiques de livres (de poche), semblables aux distributeurs de boissons, existent déjà en Chine et … Dans une librairie à Toronto !

Mais, s’il n’y a plus de livres dans les salles de bibliothèque, que faire avec tous ces espaces ?
C’est là qu’intervient la notion de « troisième lieu ». Le troisième lieu est un espace consacré à la vie sociale, qui se positionne après le foyer (1er lieu) et le travail (2eme lieu). C’est le rôle qu’ont joué le forum ou la place de marché, puis l’église et aujourd’hui le café/pub. Le sociologue Ray Oldenburg a conceptualisé cette notion dans son livre « The Great, Good Place ». S’il n’a pas nommément cité les bibliothèques dans ces espaces du « vivre ensemble », c’est la multiplication de services comme l’aide à la formation, l’accès au numérique, l’ouverture vers l’art et l’organisation d’évènements qui en font un lieu de rencontres convivial. Mais il faudra opérer des aménagements entre les espaces calmes consacrés à la lecture (numérique ou pas) et au travail individuel et les espaces plus sociaux où se tiennent des activités ou animations culturelles ou de loisir (jeux vidéos ou FabLabs).
Si ce modèle s’est développé dans les pays du Nord et anglo-saxons (Hollande, Grande-Bretagne, Etats-Unis, Canada anglophone), les bibliothécaires (et les publics ?) francophones et latins (France, Québec) sont beaucoup plus réticents. Nous ne sommes pas prêts à rompre avec le « temple du savoir » pour « concurrencer l’industrie des loisirs et des produits culturels » comme le fait remarquer Mathilde Servet dans son mémoire d’ENSSIB. La controverse demeure, mais si les bibliothécaires veulent regagner leur(s) public(s) et les réconcilier avec la lecture ou d’autres pratiques culturelles, il faut envisager toutes les hypothèses …

Gaudio, Anne-Gaelle. – Le numérique en bibliothèque part.6 : de nouveaux services. – INSET Montpellier 22-24 mai 2013. – Le CNFPT Slideshare, 27/05/13

Chaimbeault, Thomas. – La bibliothèque dans ton mobile. – ENSSIB, avril 2013. – Slideshare

Thomas Fourmeux : « La Piratebox, c’est surtout l’occasion pour nos lecteurs d’accéder à la connaissance ». – Lettres numériques, 03/05/13

Piratebox : Bilan d’étape. – Biblio Numericus, 07/01/13

Taillandier, Florent. – A quand des ebooks vraiment adaptés aux déficients visuels ?CNet France, 28/05/13

Busacca, Aurélie. – Bibliothèque et médiathèque troisième lieu. – Monde du livre – Hypothèse.org, 18/03/13

Les bibliothèques publiques face au défi du « vivre ensemble ». – Novo Ideo, 26/03/13

Martel, Marie D. – La bibliothèque publique : le modèle québecois. – Bibliomancienne, 30/04/10

Servet, Mathilde. – Les bibliothèques troisième lieu. – Mémoire d’étude ENSSIB, 2009

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