France vs Union européenne : Quelle évolution pour le droit d’auteur ?

llc_droit_d_auteurLa Commission européenne avait lancé début 2014 une consultation sur la modernisation du droit d’auteur (cf Prospectibles). Parmi les propositions qui serviront de base à la nouvelle directive se trouve le rapport au Parlement européen de la jeune eurodéputée allemande du Parti Pirate (apparenté écologiste) Julia Réda.

Ce rapport qui sera soumis au vote fin mai a été présenté au Sénat le 3 avril par Julia Reda elle-même. Un des principaux objectifs de ce rapport est l’harmonisation du droit d’auteur au sein de l’Union européenne et aussi une mise à jour de ce droit dans le contexte de la société numérique, la dernière directive datant de 2001 (avant Facebook et YouTube) …

Cet « aggiornamento » voudrait pouvoir accorder plus de choix aux utilisateurs sans pour autant réduire les prérogatives des auteurs.

En effet, si la directive 2001 s’applique à l’ensemble des membres de l’UE, chaque pays dispose d’exceptions différentes. Par exemple, dans le cas de l’entrée dans le domaine public : « Le petit prince » d’Antoine de Saint-Exupéry, disparu en 1944, devrait être partout dans le domaine public (70 ans après la disparition de l’auteur) … Sauf en France, où Saint-Exupéry, héro de guerre, dispose de 30 ans de plus … !

Le rapport fait déjà l’objet de 550 amendements et d’un intense lobbying, notamment de la part d’organismes français, soutenus par la Ministre de la Culture Fleur Pellerin. « La position de la France devrait être simple à établir : ne pas accepter le principe de la réouverture de cette directive tant que la nécessité réelle des solutions existantes n’a pas été démontrée » : c’est la conclusion du rapport du juriste Pierre Sirinelli, présenté le 18 novembre au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique.

On comprend que les ayants-droit s’inquiètent de cette réforme : le Commissaire européen au numérique Günther Oettinger, ayant déclaré le sujet prioritaire et sa volonté de « libérer la créativité » et briser les barrières nationales, confortant sur ce point le projet de ‘marché unique numérique’ du Président de la Commission Jean-Claude Juncker.copyright

Si l’on comprend bien les préoccupations des syndicats d’auteurs et de créateurs qui ne désirent pas un ‘nivellement par le bas’ de la diversité culturelle européenne où l’on favorise les « tuyaux » au détriment des contenus (JM Cavada), il faut reconnaître qu’avec l’internet le consommateur culturel est devenu transfrontalier. Il peine à comprendre pourquoi il peut avoir accès à certains contenus (presse, revues, réseaux sociaux) partout, (ou du moins dans les pays où la censure ne sévit pas) et pas à d’autres (films, séries, programmes TV) en fonction de réglementations spécifiques de chaque pays …

Les propositions du Projet de Rapport Reda

  • Reconnaissance de la nécessité d’une protection juridique pour les auteurs et créateurs et interprètes et aussi pour les producteurs et éditeurs dans la commercialisation des œuvres. Amélioration de la position contractuelle des auteurs par rapport aux intermédiaires.
  • Introduction d’un titre européen unique du droit d’auteur qui s’appliquerait directement et uniformément dans l’ensemble de l’UE pour pallier le manque d’harmonisation de la directive 2001/29 CE
  • Poursuite de la suppression des obstacles à la réutilisation des informations du secteur public en exemptant les œuvres du secteur public de la protection du droit d’auteur.
  • Protection des œuvres du domaine public, par définition non soumises au droit d’auteur et qui devraient pouvoir être utilisées et réutilisées sans obstacles techniques ou contractuels.
  • Harmonisation de la durée de protection du droit d’auteur qui ne dépasse pas les normes internationales fixées dans la Convention de Berne (50 ans après le décès de l’auteur).
  • Exceptions et limitations : harmonisation des exceptions ; rendre obligatoires les exceptions facultatives (droit à la citation, copie privée) ; création de nouvelles exceptions : représentation (photos ou vidéos) d’œuvres d’arts ou de monuments sur internet ; prêt numérique (e-books) pour les bibliothèques ; extension du droit de citation (vidéo). Suppression des limitations territoriales (audiovisuel ; chronologie des médias). Les droits se négocieraient au niveau européen plutôt qu’au niveau national.

Rien de très révolutionnaire dans ces propositions, si ce n’est la volonté d’étendre à l’ensemble de l’Union des lois qui existent pour certains Etats-membres. Comme l’explique Julia Reda sur son blog « Nous devons promouvoir la diversité culturelle. Mais la diversité culturelle n’est pas la même chose qu’une diversité de lois. »

Une des principales critiques contre ce projet est que la suppression des limites territoriales serait une porte ouverte pour les GAFA et autres multinationales américaines comme Netflix qui profiteraient d’un copyright unique européen pour imposer leurs conditions aux créateurs et éditeurs. Ces entreprises sont déjà bien installées sur le web européen et profitent plus de la manne publicitaires que les acteurs traditionnels (médias, éditeurs). C’est cette part grandissante des « intermédiaires techniques » qui ne soutiendraient pas assez la création que dénonce le rapport Sirinelli, commandé par le Ministère de la culture pour défendre le point de vue français dans cette réforme du droit d’auteur. Ce rapport voudrait pouvoir surtout renforcer le droit d’auteur et réduire les exceptions. Il s’oppose également au « fair use » à l’américaine qui serait une ‘liste ouverte d’exceptons’. En revanche, l’exception de copie privée devrait être rendue obligatoire pour le paiement de la redevance dans les pays qui y sont encore opposés. Le rapport demande aussi un réexamen de la directive sur le commerce électronique.droitsdauteurs2

En effet, pour ses détracteurs, le projet Reda ne s’attaque pas assez au problème du piratage et de la contrefaçon … Et le fait que la rapporteure est membre du Parti Pirate n’arrange pas les choses !

Mais les acteurs français ne sont pas tous contre la réforme du droit d’auteur. Les bibliothécaires et les chercheurs soutiennent l’idée d’un ‘fair copyright’ qui permet les exceptions pédagogiques et le prêt numérique. Contrairement à ce que soutenait Lionel Maurel au lendemain du Congrès de l’IFLA dans son blog S.I.Lex, les professionnels de l’information ne se limitent pas à défendre les exceptions. L’Interassociation Archives Bibliothèques Documentation (IABD) soutient le London Manifesto des bibliothécaires britanniques en affirmant : « Une législation sur le droit d’auteur équilibrée (fair copyright) à travers l’Europe sont des droits essentiels.  Sans eux, nous ne parviendrions pas à soutenir efficacement la recherche, l’innovation et la croissance et nous entraverions l’ambition d’un marché unique du numérique. ».

Les préconisations des bibliothécaires français et britanniques sont assez proches du rapport Reda : harmonisation des exceptions, normes ouvertes, droit de prêt numérique, harmonisation de la durée de protection, droit d’acquérir une licence d’utilisation, droit d’explorer (fouille de textes) : analyse informatique des ouvrages pour les bibliothèques, droits pour les personnes handicapées : ratification du Traité de Marrakech, droits d’usages transnationaux, numérisation de masse, etc.

On retrouve ces préoccupations chez les chercheurs, comme dans la présentation d’Eric Verdeil à l’Ecole doctorale SHS de Lyon « Publications scientifiques en sciences humaines et sociales à l’ère du numérique : enjeux pour les chercheurs » : valorisation du ‘fair use’, copyleft et Creative Commons.

On est encore loin d’avoir épuisé les domaines d’application du droit d’auteur : les impressions 3D font partie des prochains défis : les sénateurs viennent finalement de décider que les imprimantes 3D ne seraient pas soumises à la redevance pour copie privée … ! En revanche, les tracteurs ‘connectés’ (cf le dernier post d’Affordance) vont devoir embarquer des DRM dans les codes informatiques qui les font fonctionner et empêcher les utilisateurs de ‘bidouiller’ pour les dépanner !

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IFLA 2014 : les bibliothèques et le piège des exceptions. – S.I.Lex, 29/09/14

Günter Oettinger promet une réforme du droit d’auteur d’ici deux ans.Euractiv, 30/09/14

Rapport de la mission sur la révision de la directive 2001/29/CE sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information/Pierre Sirinelli – Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, octobre 2014

Mon rapport sur le droit d’auteur dans l’UE. - Julia Reda, 16/12/14

Rees, Marc. – Fleur Pellerin aiguise ses armes pour défendre les ayants droits à Bruxelles. – NextInpact, 13/01/15

Projet de rapport sur la mise en œuvre de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information/Julia Reda – Parlement européen ; Commission des affaires juridiques, 15/01/2015

Un rapport parlementaire plaide pour le détricotage du droit d’auteur. – Euractiv, 20/01/15

Rees, Marc. – Rapport Reda : la commission ITRE veut concilier anciens et modernes. – NextInpact, 03/03/15

La mobilisation sur le droit d’auteur devrait étendre le champ de la réforme en cours. – Euractiv, 13/03/15

Gary, Nicolas. – Auteurs et éditeurs : les relations empirent en France. – Actualitté, 20/03/15

The London Manifesto : Time for reform ? – 1709 Blog, 01/03/15

La culture européenne n’est pas confinée aux frontières nationales – n’utilisons pas le droit d’auteur pour la forcer à l’être (discours au Sénat). – Julia Reda, 04/04/15

L’IABD soutient le London Manifesto qui prône une réforme européenne du droit d’auteur favorable aux bibliothèques, aux archives et aux services de documentation. – IABD, 04/94/15

Gary, Nicolas. - IABD : pour une législation équilibrée du droit d’auteur, le fair copyright. – Actualitté, 06/04/15

Langlais, Pierre-Carl. – Le droit d’auteur ne fait vivre qu’une minorité d’artistes. – L’Obs, 08/04/15

Verdiel, Eric. – Publications scientifiques en sciences humaines et sociales à l’heure du numérique : enjeux pour les chercheurs. – Lyon, Ecole doctorale SHS, session 2015 [Slideshare]

Rees, Marc. – Pas de taxe copie privée pour les imprimantes 3D. – NextInpact, 27/04/15

Du Digital labor au copytalisme. – Affordance.info, 28/04/15

 

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