Category: Economie numérique

Métavers, utopie ultime ou transformation des plateformes

  METAVERSEL’annonce de Mark Zuckerberg en fin d’année dernière n’a pas véritablement surpris les spécialistes. En renommant son entreprise « Meta » et en transformant les différents services numériques en un ‘métavers’, le patron de Facebook ne fait que suivre une tendance que d’autres acteurs du numérique ont déjà anticipée, notamment dans le monde des jeux en ligne. Qu’est-ce donc que cet univers où tout un chacun pourraient s’adonner à ses activités (échanger, consommer, se distraire) sur un mode virtuel et sous la forme d’un avatar ?

A la faveur du confinement dû à la pandémie, un certain nombre d’activités et d’événements étaient passé sur la scène virtuelle et de nombreuses plateformes proposaient de transformer leurs services. Jusqu’à Jean-Luc Mélenchon qui s’est représenté par son hologramme dans un meeting, puis aujourd’hui avec des vidéos immersives et olfactives !

Outre les jeux en ligne (Fortnite d’Epic Games, Animal crossing, GTA), le télé-enseignement et le télétravail ouvraient des classes et des salles de réunion virtuelles, où parents et enfants se partageaient la bande passante !

Le métavers va-t-il renouer avec l’utopie humaniste des débuts de l’internet ou n’est-il qu’une transformation plus profonde des plateformes numériques en leur permettant de continuer leurs activités économiques habituelles sur un mode virtuel ?

Définitions et premières expériences du métavers

« Un métavers (de l’anglais metaverse, contraction de meta universe, c’est-à-dire méta-univers) est un monde virtuel fictif. Le terme est régulièrement utilisé pour décrire une future version d’Internet où des espaces virtuels, persistants et partagés sont accessibles via interaction 3D.

Une définition différente considère « le métavers » comme l’ensemble des mondes virtuels connectés à Internet, lesquels sont perçus en réalité augmentée. » (Wikipedia)

Le métavers est donc une sorte de copie du monde réel en immersion en trois dimensions qui devrait prendre la suite d’internet, où les utilisateurs évoluent dans des environnements fictifs sous forme de personnages numériques (avatars). Il est accessible par des moyens informatiques (ordinateur, smartphone, équipement de réalité visuelle). Il est persistant, c’est-à-dire qu’il existe de façon continue, comme le monde réel. Si un utilisateur se déconnecte, le métavers continue à ‘vivre’ et à se développer sans lui.

Ce concept se retrouve dans de nombreuses œuvres de science fiction, mais a surtout été développé par l’écrivain Neal Stephenson dans son roman « Le Samouraï virtuel » (Snow Crash) en 1992. Un informaticien hacker et livreur de pizzas qui vit misérablement dans l’Amérique de la ‘gig-economy, passe ses meilleurs moments dans le monde virtuel qu’il a contribué à créer. A cette époque, la technologie n’était pas encore mûre pour implémenter un tel univers virtuel, mais cet ouvrage a été considéré comme le ‘cahier des charge’ du métavers. De nombreux aspects de cet univers se retrouvent aujourd’hui dans les réalisations possibles des métavers : aspects économiques et financiers avec les investissements du monde réel dans le monde virtuel, le code informatique comme loi, le mode d’accès à l’aide de lunettes ou d’une interface bio-intégrée (les casques de réalité virtuelle) etc.

Premières expériences

En 1997, Canal + Multimedia et Cryo lancent le Deuxième monde : cette reconstitution de Paris en 3D permet aux membres de cette communauté de se rencontrer à travers des avatars. J’ai personnellement testé ce logiciel, mais je n’en ai pas gardé un souvenir inoubliable ! Mon avatar, plutôt ridicule, avait suscité des réflexions ironiques de la part d’autres membres … Cette expérience s’est arrêtée en 2001.

Second Life, créé par Linden Lab en 2003, est à la fois un jeu et un réseau social, il permet à ses utilisateurs d’incarner des personnages virtuels dans un monde créé par les résidents eux-mêmes. Les utilisateurs peuvent concevoir le contenu du jeu : vêtements, bâtiments, objets, animations et sons, etc., ainsi qu’acquérir des parcelles de terrain dont ils obtiennent la jouissance en utilisant une monnaie virtuelle. Ayant connu un pic d’utilisateurs entre 2007 et 2009 – tous les candidats à la présidentielle de 2007 y avaient ouverts des bureaux virtuels, plus de 88000 connexions en 2009 – la plateforme connaît un déclin à partir de 2012. La crise des subprimes de 2008 et la création de Facebook, plus facile à utiliser, pourraient expliquer cette désaffection. Malgré son acquisition par une autre compagnie, la plateforme n’a pas disparu et a connu une légère augmentation de connexions en 2020, pendant le confinement. Certains utilisateurs pensent même lui redonner une seconde jeunesse en misant sur les NFT, comme le signale Amandine Joniaux dans le Journal du Geek, citant le fondateur du jeu, Philip Rosendale. 1461016-facebook-workrooms-est-un-embryon-de-metavers-permettant-aux-salaries-d-une-entreprises-d-echanger-a-distance-de-facon-plus-naturelle

 

Les métavers aujourd’hui

Comme on l’a vu Mark Zuckerberg n’a pas inventé le concept de métavers et d’autres sociétés ont développé des plateformes logicielles qui se déploient aussi dans une dimension virtuelle.Comme le prédit Frédéric Charles dans ZDNet, « Finalement on commence à entrevoir une multitude de Métavers, et non un univers unifié par ses standards comme Internet s’est construit. On découvre chaque jour de nouveaux bourgeons sur cette branche de l’Internet, que certains appellent déjà le Web3. »

Les autres GAFAMs, bien sûr, Amazon avec le jeu vidéo New World depuis 2020, Apple a un projet pour 2022 avec un casque de réalité virtuelle. Microsoft, enfin, qui est en train de transformer son logiciel de communication professionnelle Team en Mesh, univers de télétravail et surtout qui a l’intention d’acquérir pour près de 70 milliards de dollars l’éditeur de jeux Activision Blizzard. Cette transaction servira de base à la création de Microsoft Gaming, une nouvelle division qui englobera l’ensemble des marques de jeux pour PC, consoles et smartphones du fabricant de Windows, ainsi qu’un autre projet très important, peut-être même plus important encore : son projet d’entrer dans le « metaverse », comme le souligne Michael Gariffo dans ZDNet.

D’autres acteurs venus des jeux en ligne multijoueurs, comme Roblox ou Epic Game (Fornite), misent aussi sur le développement des métavers. A la faveur du confinement, en avril 2020 le rappeur Travis Scott a réuni plusieurs millions de spectateurs pour une série de concert en ligne sur Fortnite et Décentraland prépare pour mars 2022 sa première semaine de mode avec des défilés de grands couturiers comme Gucci, Dolce & Gabbana ou Ralph Lorenz, annonce Anne-Lise Klein dans Cointribune.

Baidu, en Chine et Zepeto en Corée du Sud ont mis en œuvre chacune leur propre univers virtuel. Disponible uniquement en Chine depuis le 27 décembre 2021, XiRang, (Terre d’espoir) l’application de réalité virtuelle accessible sur téléphone portable, ordinateur ou casque de réalité virtuelle permet à ses utilisateurs sous la forme de de personnages numériques (avatars) d’interagir dans un monde en 3D. Ils peuvent se rendre dans une exposition (virtuelle) ou une reproduction du temple de Shaolin ou encore se baigner dans une piscine numérique … Toujours en Chine, d’autres géants du numérique comme ByteDance (TikTok), Tencent ou Alibaba réfléchissent aux diverses opportunités offertes par le métavers comme l’indique Le Monde.

 La plateforme Zepeto a été créée en 2018 et compte déjà 250 millions d’utilisateurs. Elle vient d’être valorisée à un milliard de dollars et est populaire aussi bien en Corée du Sud qu’en Chine, au Japon et en Indonésie. L’univers de Zepeto rappelle celui de Second Life « Un autre moi dans un autre univers » « retrouver des amis du monde entier à l’endroit où vous voulez ». Les avatars peuvent se croiser, se parler, mais aussi acheter des vêtements, construire des maisons, créer des cartes. Mais surtout, les utilisateurs sont surtout des utilisatrices : 70% sont des femmes, la plupart entre 13 et 24 ans. C’est souvent le premier réseau social qu’elles utilisent. Car en plus de maîtriser leur apparence, elles évitent la pression des autres réseaux sociaux. Comme l’évoque Aurore Gayte dans Numérama, « les utilisatrices expliquent pouvoir mieux échapper aux regards des autres sur Zepeto et aux mauvaises influences ». Toujours en Corée du Sud, le projet ‘Metaverse Seoul’ du gouvernement coréen devrait faire de la capitale du pays la première ville dans le métavers. Les résidents de la ville pourront se promener dans les rues, assister à des festivals, acheter des objets virtuels dans les commerces, faire des démarches administratives, etc.

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Le Metavers comme espace économique et financier

Si les métavers proviennent souvent du monde des jeux et se présentent comme des plateformes gratuites, la plupart des projets proposent des activités commerciales et financières et disposent souvent de leur propre monnaie, virtuelle mais convertible dans des devises bien réelles !

Déjà Second Life au pic de sa popularité avec des centaines de milliers de résidents déclarait un produit intérieur brut de 500 milliards de dollars, comme le souligne Andrew R. Chow dans Time. Pendant les dix ans qui ont suivi son lancement, les utilisateurs de Second Life ont dépensé 3,2 milliards de vrai argent dans différentes transactions !

Ce n’est pas pour rien que Facebook compte investir 50 milliards de dollars dans Meta et embaucher 10 000 ingénieurs en Europe !

Outre la vente d’objets virtuels dans les boutiques qui ouvrent dans les artères du monde virtuel, le métavers connaît une importante activité foncière. Tout un chacun veut acheter un terrain et faire construire près de la demeure d’une star. Un anonyme vient de payer 450 000 dollars une parcelle dans the Sandbox, tandis qu’en décembre, Republic Realms a acheté une propriété toujours dans le même métavers pour la somme de 4. 300 000 de dollars, comme l’indique Les Echos du 11 janvier.

Les différentes activités et secteurs économiques du metavers Le-metavers-saffirme-comme-lieu-dexperimentation-a-la-rencontre-des-consommateurs

Doublure du monde réel, le métavers compte de nombreuses activités qui impliquent des transactions économiques. Nous avons déjà évoqué l’importance du foncier et des commerces qui fleurissent dans l’univers virtuel. Souvent liés aux jeux en ligne, les achats servent à améliorer l’aspect et l’environnement des avatars.

Des événements comme les concerts ou les défilés de mode peuvent aussi présenter un aspect économique, avec la création de NFT comme les marques de luxe l’ont réalisé sur la plateforme MANA de Décentraland, voir larticle de Anne-Lise Klein sur Cointribune.

Les réunions de travail qui se sont multipliées grâce à Zoom ou Meet pourraient se développer avec des applications 3D comme le projet Mesh de Microsoft qui se propose de déployer son appli Teams.

L’enseignement à distance pourrait aussi avoir sa version metavers comme Winkyverse, une application ludo-éducative en 3D, développée par des ingénieurs et des chercheurs de l’école Polytechnique. Un projet qui a déjà récolté 20 millions d’euros.

Les métiers du métavers

Les utilisateurs de ce monde ne sont pas seulement des consommateurs, il existe plusieurs activités rémunérées qui permettent de gagner sa vie en travaillant dans le multivers comme :

  • créateur de mode pour avatars
  • architecte de maisons virtuelles
  • créateur de NFT (Non Fungible Token) illustration-du-metaverse-degrade-23-2149252227
  • créateur de jeux ou d’applications
  • formateur en ligne

Et bien sûr l’activité de banque et de cryptomonnaie qui permet de réaliser toutes ces transactions virtuelles et surtout de les transformer en revenus dans le monde réel…

« En novembre, la société de gestion d’actifs numériques Grayscale a estimé que le métaverse a le potentiel de devenir une source importante de revenus allant jusqu’à 1000 milliards de dollars »  indique Anne-Lise Klein dans Cointribune.

Les NFT et les cryptomonnaies

Les ‘jetons non fongibles’ (Non Fongible Tokens NFT) «  sont des titres de propriété rattachés à une œuvre. Ces jetons établissent un lien indéfectible entre un objet et une adresse sur une blockchain. Ils permettent de monétiser, d’échanger et de spéculer sur tous les actifs imaginables, aussi bien dans le monde réel que virtuel. Ce marché connaît un engouement spéculatif mondial depuis 2020. « les ventes de « jetons non fongibles » ou NFT sur la plateforme leader OpenSea dépassent déjà les 2 milliards de dollars cette année, contre 22 milliards sur l’ensemble de l’année 2021. » comme le note Nissim Ait-Kassimi dans les Echos.

Les cryptomonnaies : comme on l’a vu, les premiers métavers disposaient déjà de leur propre monnaie au début des années 2000, une opportunité pour les cryptomonnaies comme le bitcoin ou l’Etherum qui développe d’ailleurs sa propre plateforme.

 

Quelles technologies pour les métavers : infrastructures et équipements

 Dans-le-metavers-de-Facebook-la-publicite-sannonce-encore-plusAu dernier salon CES à Las Vegas, les objets du métavers tenaient le haut du pavé d’après l’article de Meta-Media: casques de réalité virtuelle, vêtements à sensation haptique (toucher), micros, cartouches olfactives, etc.

Mais ces équipements, bien qu’indispensable à une pratique virtuelle sont secondaires par rapport aux infrastructures des plateformes et surtout des relations entre elles comme l’interopérabilité.

« Pour rendre le monde virtuel crédible, il faudrait une puissance de calcul 1000 fois plus puissante que celle dont on bénéficie aujourd’hui » c’est le constat d’un cadre d’Intel, cité par Corentin Béchade de Numérama. Pour rendre les avatars convaicants, on doit disposer de capteurs détectant les objets en 3D dans le monde réel (les gestes, les sons), et ce multiplié par des centaines de millions d’utilisateurs simultanément. « Notre infrastructure de stockage et de mise en réseau actuel n’est tout simplement pas suffisante pour permettre cette vision » selon Roja Koduré d’Intel. Le temps de latence (temps de réaction) doit aussi être réduit pour ne pas ‘lagger’ (traîner) sur le métavers !

Aujourd’hui seuls les pays les plus riches peuvent se doter de l’infrastructure et de moyens économiques suffisants pour créer un monde virtuel.

Le coût écologique est aussi très important. Dans l’empreinte carbone du numérique, 70% concerne les terminaux (casques VR, objets connectés).

L’interopérabilité

Un des défaut des jeux vidéo est le manque d’interopérabilité entre les différentes applications et supports ; chacun est sensé rester sur la même plateforme ou la même console. Avec l’interopérabilité, on pourra acheter des vêtements sur Roblox et assister à un film sur Fortnite. a2f7e86d1662a65781848f9b27e6c29c

 

Les enjeux éthiques et politiques induits par les métavers

Les métavers semblent se constituer à partir de considérations essentiellement marchandes. Pourtant, les politiques devraient se soucier aussi de ce qui se passe dans ces mondes virtuels. Comme le souligne Matthias Hauser dans l‘article du portail-ie « Mais dans cette effervescence, il est nécessaire d’évoquer une question cruciale que peu de gens évoquent : celle du rapport de force qui opposera les Etats aux entreprises privées dans ce nouvel écosystème de républiques numériques. »

Alors que jusqu’en 2020 la frontière restait très claire entre le monde réel et le monde virtuel, essentiellement dédié aux jeux. Depuis la crise sanitaire et les confinements, les entreprises du monde réel y voient un moyen d’asseoir la puissance qu’ils ne peuvent plus exercer dans un monde sous confinement. Elles ont organisé des événements comme les concerts sur Fortnite ou les défilés de mode sur Decentraland. Des entreprises sont prêtes à débourser des centaines de milliers de dollars pour des encarts publicitaires virtuels, des terrains virtuels ou des objets virtuels.

L’addiction

Le passage du monde réel à un monde virtuel passe par la liberté apportée par l’utilisation des mondes virtuels, qui va parfois jusqu’à une désinhibition totale et même provoquer une addiction, concept compliqué qui ne peut se comprendre en restant au niveau du virtuel. Gregory Maubon se demande dans Augmented Reality « Serons-nous plus attiré par un Metaverse “idéal” si le monde réel devient plus angoissant, moins capable de nous satisfaire ? « Comme le dit le psychologue Michael Stora “Nous ne sommes pas tous égaux dans notre capacité à aimer le réel” et la génération Z semble avoir plus de désillusions. Est-ce un bon modèle économique de proposer du bonheur en ligne ? Cela peut-il nous amener à des conséquences dramatiques pour les utilisateurs ? ».

Le métavers n’est pas un monde meilleur, c’est toujours le monde capitaliste mondialisé, un univers marchand, coordonné et régi par les multinationales du numérique. Les innovations techniques ne sont pas destinées à développer la productivité, mais à assurer des rentes aux multinationales ! Comme l’analyse Romaric Godin dans Médiapart «  on n’est pas loin de l’idée d’enclosure qui a tant contribué à la constitution du capitalisme ». Le journaliste évoque La Société du spectacle de Guy Debord « Le ‘spectacle’ est précisément cette forme que prend le capital réduit à trouver de la valeur hors du monde réeL « La marchandisation se contemple elle-même dans le monde qu’elle a créé. C’est un ‘leurre qui produit une ‘fausse conscience du désir dans le seul intérêt de la marchandise ».

Matthias Hauser insiste aussi sur ce point « le pouvoir déjà acquis par les GAFAM dans la version actuelle du web leur donne un temps d’avance considérable dans la course au métaverse. » Ces entreprises « sont des quasi-Etats, elles en ont la puissance économique qui commence à s’étendre aux sphères politiques, financières et sociétales ». Avec le métavers, les GAFAM pourront prendre le contrôle sur nos données professionnelles, sociales, financières et de notre vie privée …

Données personnelles

 tendances-tech-2020Si le recueil de données personnelles est déjà important sur le web, il va devenir explosif sur le métavers. Grâce aux différents capteurs, le moindre mouvement de nos avatars sera examiné et suivi … Mouvements des yeux, expressions du visage, allure, etc. Selon Edward Back de Futura « Le Financial Times a passé en revue des centaines de demandes de brevets déposés par Meta aux États-Unis au cours de l’année écoulée, dont beaucoup ont été accordés, pour mieux comprendre la vision d’avenir de la firme. » Beaucoup de ces brevets portent sur des systèmes de capteurs qui ont pour objectif « de créer des copies 3D des personnes et objets tellement réalistes qu’ils sont impossibles à distinguer de l’original. Le système a été décrit comme « un programme de clonage humain ».

C’est aussi ce que craint Régis Chatellier du LINC-Cnil : « Le – ou les – métavers restent néanmoins des dispositifs numériques où l’extension du domaine de la collecte des données pourrait s’avérer problématique si leur développement n’est pas maîtrisé. ». Dans cet ‘internet augmenté’, « une transformation des interfaces ne va pas sans la transformation des modalités de la collecte des données ». Même si Facebook a promis de réduire la quantité de données utilisées et de respecter la vie privée des utilisateurs en leur octroyant la transparence et le contrôle de leurs données, « d’un point de vue de la protection des données et des libertés, la véritable question à se poser réside dans les risques d’augmentation associée – et potentiellement exponentielle – de collecte des données, et d’un usage toujours plus massif de celles-ci. ». Car le métavers réduit la capacité individuelle d’échapper à la collecte de données, garantie aussi bien par le RGPD que le règlement ‘vie privée et communications électroniques’- e-Privacy. Les ‘conditions générales d’utilisation’ du système deviennent la loi. « Faudra-t-il redéfinir une ‘sphère privée virtuelle’ dans le métavers lui-meme et la protéger des intérêts commerciaux et régaliens ? »

Plus dramatiquement, c’est la souveraineté des États qui est remise en cause. Dans la situation ou tout ou partie de l’activité humaine se passait dans le métavers, « l’Etat se trouverait dépossédé de la plupart de ses prérogatives : police, justice, émission de la monnaie, taxes, etc. Il disparaîtrait presque totalement face à des entreprises privées ». En effet, que pourrait faire la puissance publique face à des citoyens qui convertissent les euros qu’ils gagnent dans le monde réel en cryptomonnaie pour les dépenser dans le métavers ? Si 30% de la population achète des vacances virtuelles ou des appartements virtuels en payant des taxes virtuelles ?

Les mondes virtuels où vivront nos enfants seront-ils encore sous le contrôle d’un État ? « Ou bien sous le contrôle de quelques entreprises qui émettront leur monnaie virtuelle, choisiront leurs taux d’intérêt virtuel et feront de leurs ‘Terms of Service’ le nouveau Code Civil, qui nommeront une police virtuelle pour exclure de ce monde (et du monde) les utilisateurs problématiques. »

A cet question Régis Chatellier essaie d’apporter un peu d’espoir dans son post sur LINC-CNIL « Ce nouvel internet immersif, s’il offre des perspectives alléchantes pour certains autant qu’inquiétantes pour les libertés pourrait aussi permettre le développement de modèles alternatifs et variés afin que le gagnant ne soit pas celui qui remporte l’ensemble du marché (Winners take all) ». Comme dans les forums de discussion des années 2000 où dans certaines communautés de Seconde Life, on pourrait « réguler ces espaces afin que les utilisateurs puissent naviguer et se mouvoir dans des univers interopérables respectueux et transparents ». 34cbff18785b037fb8c5bf4adaf5b0f6

 Pour aller plus loin

Charles, Frédéric. – Le métavers s’emballe déjà. – ZDNet, 22/01/2022

Facebook : le métavers pourrait revendre des données sur nos expressions faciales à des fins publicitaires. – 20 minutes, 20/01/2022

Gariffo, Michael. – Le paris géant de Microsoft sur Activision Blizzard ? Son billet pour le métaverse. - ZDNet, 20/01/2022

Fillioux, Frédéric. – Roblox, porte d’entrée des enfants vers le métavers. – L’Express, 19/01/2022

Moirand, Emmanuel. – Pourquoi aller dans le métaverse sans attendre ? - Journal du Net, 18/01/2022

Aït-Kacimi, Nessim. – Les NFT restent le segment le plus dynamique du marché des cryptos.Les Echos, 18/01/2022

Carriat, Julie. - Jean-Luc Mélenchon marque les esprits par son meeting immersif.Le Monde, 17/01/2022

Sample, Ian. – ‘Virtual reality is genuine reality’ so embrace it, says philosopher. - The Guardian, 17/01/2022

Fievet, Cyril. – Crypto, métaverse, intelligence artificielle, robotique : quelles sont les grandes tendances techno en 2022 ? Clubic, 16/01/2022

Jonniaux, Amandine. – 20 ans plus tard, Second Life veut devenir le premeir Métaverse.Journal du Geek, 16/01/2022

Bremme, Kati. - CES 2022 : la tech se rue sur le métavers. – Meta-Média, 15/01/2022

Dicharry, Elsa. – Métavers : l’immobilier virtuel fait des premiers pas retentissants. – Les Echos, 11/01/2022

Breton, Olivier. – Méta, métavers, la fin de nos libertés. - CBNews, 06/01/2022

Hauser, Mathias. – Le métaverse, enjeu de souveraineté (2/2). – Portail de l’IE, 07/01/2022

Hauser, Mathias. – Le métaverse, enjeu de souveraineté (1/2). - Portail de L’IE, 05/01/2022

Stocker-Walker, Chris. - The metaverse : What it is, will it work, and does anyone want it?New Scientist, 05/01/2022

Klein, Anne-Lise. – Métaverse : Decentraland (MANA) lance sa première semaine de mode. - Cointribune, 28/12/2021

Fagot, Vincent. - Le métavers, prochaine génération d’internet, pourrait rabattre les cartes du numérique. – Le Monde, maj 27/12/2021

Métavers : Baidu lance son application de monde parallèle virtuel.Le Monde, 27/12/2021

Gayte, Aurore. – Zepeto, un métaverse que vous ne connaissez pas et qui a des centaines de milliers d’utilisatrices. – Numérama, 24/12/2021

Béchade, Corentin. – Pour faire tourner le métaverse, il faudra changer l' »infrastructure entière de l’internet ». – Numérama, 17/12/2021

Godin, Romaric. – La marchandisation du virtuel : la fuite en avant du système économique. – Médiapart, 08/12/2021

Crète, David. – Le Métavers de Facebook, prison ou révolution ? - The Conversation, 30/11/2021

Chow, Andrew R. – 6 lessons on the future of Metaverse from the creator of Second Life. – Time, 26/11/2021

Josué, Frédéric. – Métavers, internet liquide, média organique ou comment prendre des décisions dans la complexité du métavers.Méta-média, 13/11/2021

Chatellier, Régis. – Métavers : Réalités virtuelles ou collectes augmentées. – LINC, 05/11/2021

Roach, John. – Mesh for Microsoft Teams aims to make collaboration in the metaverse personnal and fun. Microsoft - Innovation Stories, 02/11/2021

Maubon, Grégory. – Le métaverse sera-t-il un monde idéal ou un cauchemar agréable ? Discussion avec Michael Stora. - Augmented reality, 20/09/2021

Fievet, Cyril. – Métaverse : de la science-fiction au projet tangible, histoire d’une idée folle devenue incontournable.Clubic, 29/09/2021

Maillé, Pablo. – ‘Metavers’ : Quand Zuckerberg rêve d’un monde 100% FacebookUsbek & Rica, 30/07/2021

Stephenson, Neal ; Abadia, Guy (trad). – Le Samourai virtuel. – Livre de Poche, 2017 (collection imaginaire)

 

 

Qui a peur de la 5G ? Débats et controverses sur la dernière génération de téléphonie mobile

5g-antennes-vignette-dossierLe 1er octobre, le gouvernement a récolté 2,786 milliards d’euros suite aux enchères autorisant le déploiement sur le territoire français de la technologie de 5e génération de téléphonie mobile. Que représente cette technologie ? Est-elle réellement disruptive ? Que va-t-elle changer dans nos usages ? A voir s’enflammer les débats autour de son adoption, on croit assister à une véritable guerre des anciens contre les modernes …

A cela s’ajoutent des enjeux géopolitiques et géoéconomiques, la Chine dominant pour le moment le marché mondial de la 5G et les Etats-Unis n’ayant pas encore déployé cette technologie comme l’explique Evgeny Morosov dans le Monde Diplomatique. L’Europe a ainsi une opportunité de participer avec ses deux constructeurs Ericsson et Nokia … Comme le dit Philippe Escande dans son éditorial du Monde « Il est temps que s’ouvre enfin une réflexion apaisée et argumentée, aussi bien sur ses avantages que sur ses inconvénients ». Début septembre, 70 élus de gauche et écologistes demandaient un moratoire sur le déploiement de cette technologie, en accord avec les préconisations de la Convention citoyenne pour le climat. « Ces élus proposent une suspension du déploiement de la technologie « au moins jusqu’à l’été 2021 », ainsi que la « tenue d’un débat démocratique décentralisé sur la 5G et sur les usages numériques », la priorité serait pour eux plutôt la réduction de la ‘fracture numérique’ « à travers le développement de la fibre en zone rurale et en finalisant le déploiement de la 4G ». (Le Parisien). Les élus insistaient sur le fait que cette technologie augmenterait la consommation électrique et comporterait des risques en matière de santé.

La technologie 5G

« En télécommunications, la 5G est la cinquième génération des standards pour la téléphonie mobile. Succédant à la quatrième génération, appelée 4G, elle prolonge l’exploitation technologique LTE (Long Term Evolution : norme de réseau de téléphonie mobile 4G)

La technologie 5G donnera accès à des débits dépassant de 2 ordres de grandeur la 4G, avec des temps de latence (délais de transmission dans les communications informatiques) très courts et une haute fiabilité, tout en augmentant le nombre de connexions simultanées par surface couverte. Elle vise à supporter jusqu’à un million de mobiles au kilomètre carré (dix fois plus que la 4G). Une fois déployée, elle doit permettre des débits de télécommunications mobiles de plusieurs gigabits de données par seconde, soit jusqu’à 1 000 fois plus que les réseaux mobiles employés en 2010 jusqu’à 100 fois plus rapides que la 4G initiale » (Wikipedia)

Les avantages de la 5G

  • ict-expert-luxembourg-visu-5g-applis-prometteusesAccélération de la transmission des données et temps de latence raccourcis : 10 à 100 fois plus rapide que la 4G. Mais comme le fait remarquer Xavier Lagrange dans l’article de The Conversation, « Il ne s’agit pas d’une rupture technologique majeure, mais plutôt d’améliorations […] la technologie repose sur les mêmes principes que la 4G, c’est la même forme d’onde qui sera utilisée, le même principe de transmission ».

« A-t-on besoin d’aller plus vite ? Pour certaines applications, dans certains champs professionnels, oui. Pour d’autres, … bien au contraire. » remarque Olivier Ertzschied dans son post d’Affordance.info

  • Baisse de la consommation d’énergie : « La 5G permet une meilleure gestion des faisceaux de communication avec deux avantages immédiats : une baisse de la consommation énergétique car la dispersion des ondes radio est limitée ; une amélioration de la qualité d’utilisation des ondes radio, puisque les interférences sont évitées » (Parti Pirate). Mais la baisse de la consommation énergétique peut mener à une augmentation des échanges de communications, donc à consommer plus … Comme le soutient Jean Soubiron, dans sa tribune sur Libération « Dans les faits, les technologies plus efficientes permettent à l’économie de produire davantage, entraînant inévitablement un accroissement des consommations de matières et d’énergie. » De plus, « L’utilisation de nouvelles fréquences ne peut, que conduire à la consommation électrique des opérateurs » (The Conversation).
  • Un réseau plus flexible : le réseau déployé sera configurable. A terme, il fera beaucoup plus appel à des technologies informatiques de virtualisation. « L’opérateur pourra faire démarrer des machines virtuelles pour, par exemple, s’adapter à une demande accrue d’utilisateurs dans certaines zones ou à certains moments et au contraire ; diminuer les capacités si peu de personnes sont présentes » (The Conversation).
  • Diminution des coûts : Plutôt pour les opérateurs que pour les consommateurs.
  • De nouvelles applications : Avec la 5G, on va connaître l’expansion de l’Internet des objets (IOT : Internet Of Things) avec la voiture autonome et la « ville connectée » (Smart city). Elle encouragera aussi le développement de la télé-médecine et l’automatisation de l’industrie « Pour les industriels, nous pouvons penser aux usines connectées et automatisées dans lesquelles un grand nombre de machines devront pouvoir communiquer entre elles et avec le réseau global ». Pour les consommateurs, l’augmentation de la vitesse du réseau permettra le téléchargement plus rapide de toutes sortes de fichiers (vidéos en direct ou en streaming, jeux vidéo, etc.).

Ces nouvelles fonctionnalités s’adressent en fait plus à l’industrie et aux services plus qu’au grand public. Là encore, Olivier Ertzschied, pose la question « Le déploiement de cet internet des objets est-il nécessaire et utile à la société et aux individus qui la composent ? » Si l’on considère par exemple le cas des voitures connectées, « si le risque est présent, ce n’est pas parce que les choses (programmes, algorithmes, capteurs) vont trop lentement, c’est justement parce qu’ils vont (déjà) trop vite dans leurs boucle de rétroaction […] un accident de la route impliquant une voiture autonome peut également advenir et n’être pas évitable ou évité, soit du fait de la vitesse de l’échange des informations et données nécessaires à la prise de décision, soit du fait de la décorrélation entre la vitesse  de prise de décision des véhicules ‘autonomes’ et celle des véhicules ‘non-autonomes ».

Les risques pour l’environnement et la santé images_ville

Depuis le début de l’année, des associations alertent les pouvoirs publics sur les risques de cette technologie pour la santé et l’environnement. Agir pour la santé et PRIARTEM ont déposé plusieurs recours devant le Conseil d’Etat visant à geler le déploiement de la 5G. Ces associations ont souligné les incertitudes qui accompagnent les émissions d’ondes et demandent l’application du principe de précaution. « On sait que ces ondes ont un impact sur notre cerveau, que des personnes manifestent des troubles d’électro-sensibilité » a déclaré Sophie Pelletier de PRIARTEM, cité par Pierre Manière dans La Tribune. A cela s’ajoutent des risques de cancérogénicité.

L’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) ne se prononce pas en raison du manque de données scientifiques sur les effets sur la santé de certaines fréquences d’ondes électromagnétiques utilisées pour la 5G. Cela concerne surtout la bande de fréquences de 3,5 GHz qui doit être attribuée aux opérateurs. L’ANSES a davantage de données sur les fréquences de 26 GHz, dites ‘millimétriques’ qui seront attribuées plus tard. C’est aussi ce que répondent les Décodeurs du Monde dans leur rubrique de questions sur la 5G. Aucun effet significatif des ondes sur la santé n’a été observé. Les antennes 5G, peu nombreuses au début, n’émettront leur signal que quand elles seront sollicitées par un terminal ; les antennes 4G le font en permanence …

Pour le spécialiste Olivier Merkel, il n’y a pas de « réponse tranchée » ; la source la plus préoccupante pour la santé est plutôt le téléphone portable en contact avec le corps. On n’a pas plus de résultats sur l’effet cancérigène : il n’y a pas de lien concret entre l’exposition aux ondes et un cancer. On constate un ADN endommagé sur certains animaux, mais on ne peut rien en déduire. Le rapport de l’ANSES sur la 5G est prévu pour début 2021.

Environnement et consommation numérique

 Comme on l’a vu plus haut, la 5G est beaucoup moins énergivore que la 4G, mais la facture énergétique dépendra beaucoup des usages qui ont tendance à se multiplier, c’est ce qu’on appelle l’’effet rebond’. « La hausse considérable de la demande de données pourrait contrebalancer les gains d’efficacité énergétique ».

La 5G va aussi entrainer un renouvellement des téléphones mobiles : déjà existante pour les précédentes technologies, l’’obsolescence programmée’ va encore s’imposer. Certains modèles vendus aujourd’hui sont déjà compatibles avec cette nouvelle norme !

Comme le constate le Parti Pirate dans son post « Le renouvellement du parc mobile nécessite effectivement une quantité importante de ressources, notamment de terres rares, et va nous contraindre à produire une certaine quantité de gaz à effet de serre. Ici encore, cela n’est pas inhérent à la 5G, mais plutôt aux choix politiques et économiques que nous faisons. ». Contre l’effet rebond qui permettra à l’utilisateur moyen, d’après Ericsson, de consommer 200 GO de données en 2025, contre 6,5 GO actuellement, Paul Camicas et Stephen Demange de La Tribune, prônent la ‘sobriété numérique’ « Le débat qui s’ouvre ne doit pas nous amener à repousser purement et simplement la 5G, mais plutôt à interroger notre rapport au numérique et à trouver les moyens d’optimiser la consommation de données, pour viser collectivement la sobriété numérique. ».

E-sécurité : espionnage et surveillance securite-informatique1

La 5G représente un saut vers l’hyperconnectivité et risque de poser un problème dans la récolte des données comme le fait remarquer Sébstien Soriano, Président de l’ARCEP. Il y a des risques d’espionnage par des entreprises étrangères, d’où les restrictions des opérateurs français vis-à-vis de Huawei. Bouygues Telecom a promis de démonter toutes les antennes du constructeur chinois installées dans les zones peuplées !

Mais, paradoxalement, les services secrets craignent que la 5G les empêchent d’espionner en toute sécurité ! Comme l’indique Emmanuel Paquette dans l’Express « Dans la plus grande discrétion, les agents secrets ont fait part de leurs craintes auprès de certains élus : ils redoutent en effet qu’elle rende inopérant un matériel de surveillance indispensable, appelé Imsi-catcher. ». Ils ne pourraient plus ainsi géolocaliser et capter les informations circulant sur le réseau …

Mais comme le fait remarquer Stéphane Bortzmeyer dans son post « beaucoup d’arguments entendus contre la 5G n’ont en fait rien de spécifique à la 5G : les risques pour la vie privée ne changent pas […] les caméras de surveillance existent déjà sans avoir besoin de la 5G, les objets connectés qui envoient massivement à leur fabricant des données personnelles sur les utilisateurs, existent également depuis un certain temps, la 5G ne va pas les multiplier. […] Mais peut-être un changement quantitatif (performances supérieures, même si elles ne le seront pas autant que ce que raconte le marketing) va-t-il déclencher un changement qualitatif en rendant trivial et/ou facile ce qui était difficile avant ? Peut-être. »

C’est aussi ce que craint Olivier Ertzschied « Littéralement autant que métaphoriquement la 5G est une « accélération propre » qui provoquera nécessairement des contraintes et des déformations non pas seulement sur des objets techniques mais sur l’ensemble du corps social et l’organisation politique de nos communautés. ».

Bortzmeyer souligne aussi une implication importante de la 5G, qui n’a pratiquement pas été soulevée dans le débat : « le ‘network slicing’ qui permet d’offrir plusieurs réseaux virtuels sur un accès physique. […] Ses conséquences peuvent être sérieuses, notamment parce qu’il peut faciliter des violations de la neutralité de l’Internet, avec une offre de base, vraiment minimale, et des offres « améliorées » mais plus chères. ». Donc, un internet à plusieurs vitesses …

La controverse sur le progrès : ‘Amish’ vs ‘Start-up nation’

Les enchères de la 5G ont provoqué une polémique où l’on a vu les tenants du ‘progrès’, avec à leur tête le Président de la République, s’opposer aux défenseurs de l’environnement et des libertés publiques !

Devons-nous soutenir toute nouvelle technologie, quel qu’en soit le prix comme le dénonce Bruno Latour dans sa tribune au Monde ? « Le train du progrès a-t-il des aiguillages ? Apparemment, pour notre président, il s’agit d’une voie unique. Si vous n’allez pas tout droit, vous ne pouvez que « revenir en arrière », ce qui veut dire « régresser », et, comme il l’a récemment affirmé, s’éclairer à « la lampe à huile » [il réagissait à la demande de moratoire sur le déploiement de la 5G de 70 élus de gauche et écologistes]. Que cet argument soit encore considéré comme imparable, au moment même où le monde brûle parce que le « train du progrès » nous a menés au désastre, a quelque chose de désespérant. ».

C’est aussi ce qu’exprime l’architecte Jean Soubiron dans Libération en dénonçant le ‘solutionnisme’ du gouvernement : « D’un côté, le gouvernement voit en cette «innovation» la promesse d’une gouvernance plus efficace de nos flux de matières quand, de l’autre, il n’a pas jugé utile de mesurer le risque que font peser ces nouvelles technologies sur nos ressources et nos écosystèmes ».

Alors que pour certains, « La 5G est la clé de l’industrie 4.0 » et permettra de sortir de la crise comme le préconise John Harris dans sa tribune de Forbes France « Aussi nombreux que variés, ils bénéficieront à un vaste éventail de secteurs. L’usine intelligente et la production constituent deux gagnants évidents de la nette amélioration de l’automation et des efficacités due à la connectivité de l’IoT. […] Tout laisse à penser que le déploiement de réseaux 5G à travers l’Europe présage de formidables opportunités pour le monde professionnel. ».

Mais les positions ne sont pas toutes aussi tranchées, à commencer par celle de Sébastien Soriano, président de l’ARCEP, qui précise dans son interview dans Reporterre « Mais une chose est sûre, et c’est une ambition que nous partageons avec beaucoup de critiques de la 5G, pour nous prémunir de tous les méfaits que la technologie peut convoquer, nous devons en reprendre le contrôle. Non pas à travers un retour de balancier qui rendrait aux États la supervision des communications. Mais par un contrôle citoyen ».

Ce contrôle citoyen passe aussi par un débat qui représente un des enjeux du moratoire réclamé par les élus de gauche et EELV. Comme le rappelle Philippe Escande dans le Monde  « Il est au contraire légitime de s’interroger sur l’impact économique, écologique et sécuritaire de la 5G. Dans un contexte de défiance grandissante des citoyens envers les institutions scientifiques et politiques, il est inimaginable de pouvoir faire l’impasse sur ce débat. Le degré d’acceptation de la technologie, le contrôle de ses applications et l’efficacité de son utilisation en dépendent. ».

Un débat, c’est ce réclame aussi le Parti Pirate, tout en avançant des propositions concrètes pour répondre aussi bien à l’obsolescence programmée qu’à la multiplication et à l’accélération des usages « Ce que nous devons craindre, c’est notre société qui nous pousse à consommer toujours plus, toujours plus d’objets connectés, toujours plus de gadgets à la mode, toujours plus de tout. […] Autrement dit, ces débats sont légitimes en tant que tels, et ce n’est qu’en les considérant en tant que tels que nous serons en mesure d’y répondre, plutôt qu’en nous opposant, par principe, à la 5G. ».

La conclusion d’Olivier Ertzschied va dans le même sens « Déployons la 5G si nous sommes capables d’organiser ce déploiement en contrepoint d’une réorganisation massive de notre rapport à la vitesse, à la latence, et à la connectivité. Déployons si nous sommes capables de ralentir quand il n’est pas nécessaire d’accélérer autrement que par la potentialité qui rend l’accélération possible. […] Déployons la 5G si nous sommes capables à tout moment d’en limiter à la fois l’échelle, le cadre et l’envie.

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Maurice, Stéphanie. – Martine Aubry contre la 5G : conviction politique ou « greenwashing » anti-Macron ? – Libération, 11/10/20

Landeau-Barreau, Pauline. – 5G : la mairie de Paris veut consulter les citoyens avant le déploiement. – CNews, 05/10/20 MAJ 11/10

Usul ; Lietchi, Rémi. – 5G : un débit en débat. – Médiapart, 05/10/20

Paquette, Emmanuel. – Les espions aussi s’inquiètent de la 5G. – L’Express, 04/10/20

Pétillon, Catherine. – 5G : des émissions pour comprendre ce qui fait débat. – France Culture, 04/10/20

Fagot, Vincent. – Enchères 5G en France : l’Etat récolte récolte près de 3 milliards d’euros. – Le Monde, 02/10/20

5G : définition, fonctionnement, usages et déploiement du réseau en France, tout ce qu’il faut savoir. – CNET France, 02/10/20

Morozov, Evgeny. – Bataille géopolitique autour de la 5G. – Le Monde diplomatique, Octobre 2020

Questions-réponses : Six questions sur le lancement de la 5G. – Vie publique, 01/10/20

La question de la 5G mérite-t-elle autant de passions ? - Blog Stéphane Bortzmeyer, 01/10/20

Millon, Louise. – La Chine dépasse les 100 millions d’abonnés 5G … et la technologie consomme beaucoup. – Presse-citron, 01/10/20

Escande, Philippe. – 5G : un débat qui reste à mener. – Le Monde, MAJ 30/09/20

Equy, Laure ; Belaïch, Charlotte. – Le progrès, casse-tête de la gauche. – Libération, 28/09/20

Foucart, Stéphane. – Débat sur la 5G : « Des Amish aux Shadoks ». – Le Monde, MAJ 27/09/20

Souviron, Jean. – 5G : Sortir d’un débat caricatural entre technophobes et technophiles. – Libération, 26/09/20

La 5G, qu’est-ce que c’est ? Comment ça marche ? – The Conversation, 25/09/20

Damgé, Mathilde. – Sur la 5G, ce qui est vrai, ce qui est faux et ce que l’on ne sait pas encore. – Le Monde, 24/09/20

Latour, Bruno. - « Si le déconfinement a eu un effet, c’est de nous déconfiner de cette idée d’une voie unique vers le progrès ». – Le Monde, 24/09/20

Tesquet, Olivier. – Avec la 5G, la France au bord de l’excès de vitesse. – Télérama, 22/09/20

Tableaux de bord des expérimentations 5G en France. – ARCEP, 22/09/20

Charles, Frédéric. – 5G en France : obstacle à mi-chemin. – ZDNet, 22/09/20

Ertzscheid, Olivier. – La 5 (re)G : nous sommes tous des enfants connectés. – Affordance.info, 21/09/20

5G : Elevons le débat. – Parti pirate, 21/09/20

Téléphonie mobile : 70 élus de gauche demandent un moratoire sur la 5G. – Le Parisien, 13/09/20

Camicas, Paul ; Demange, Stephen. – 5G, l’arbre qui cache la forêt. – La Tribune, 18/08/20

Popovski, Petar ; Björnson, Emil ; Boccardi, Federico. – Communication technology through the new decade. – IEEE ComSoc Young Professionals, 18/08/20

Soriano, Sébastien (Arcep). – « Favorables à la 5G, nous souhaitons tout de même un contrôle citoyen ». – Reporterre, 12/06/20

Harris, John. – La 5G sera-t-elle la clé de l’industrie 4.0 ? - Forbes France, 13/03/20

Après le confinement, quel avenir pour le télétravail ?

cd580e_d6dfa6cd9d734264ad77a1151bb30499~mv2Pendant le confinement dû à la pandémie de coronavirus, un grand nombre de salariés et de travailleurs indépendants ont été obligés de travailler à distance, en général depuis leur domicile. Fin avril, la Ministre du travail avançait le chiffre de 5 millions de télétravailleurs depuis la mi-mars, soit près d’un quart des salariés français. La plupart avaient peu ou pas d’expérience de ce mode de travail, comme les enseignants du primaire ou les employés peu qualifiés. Sans oublier que pour beaucoup, leurs enfants étaient aussi confinés à la maison et qu’ils devaient partager avec eux les lieux et les outils (ordinateurs, connexion) nécessaires à leurs activités et souvent les aider dans leurs apprentissages ! (voir Prospectibles sur l’enseignement à distance).

Comment se dessineront le marché et l’organisation du travail après le confinement ? Quel part y occupera le télétravail ?

L’engouement pour le télétravail

D’après Wikipedia « Le télétravail est une activité professionnelle effectuée en tout ou partie à distance du lieu où le résultat du travail est attendu. Il s’oppose au travail sur site, à savoir le travail effectué dans les locaux de son employeur. Le télétravail peut s’effectuer depuis le domicile, un télécentre, un bureau satellite ou de manière nomade ».

Paradoxalement, cette activité à domicile, que certains avaient découvert pendant les grèves des transports de décembre 2019 et janvier 2020, a été plébicitée par 62% des Français si l’on en croit le sondage de l’étude Deskeo d’avril 2020. Bien sûr, l’élimination du temps de trajet domicile-travail y est pour beaucoup. C’est plutôt surprenant, car si le développement du travail à distance est évoqué depuis près de 20 ans, cette pratique a concerné très peu de personnes depuis en France. Selon une publication de la Dares, citée par Christophe Bys dans l’Usine Nouvelle, seuls 3% des salariés le pratiquent régulièrement, au moins une fois par semaine

Thierry Pech, directeur du think tank Terra Nova, interviewé par Philippe Minard dans la Dépêche, décrit ainsi la typologie des télétravailleurs « Ce sont plutôt des cadres, des professions intellectuelles supérieures (ingénieurs, professeurs etc.) qui vivent dans des métropoles et singulièrement en Ile-de-France. Ils travaillent majoritairement dans des grandes entreprises. Déjà avant la crise, la sociologie des télétravailleurs correspondait à des formations et des revenus plus élevés que la moyenne. ». On comprend que ces salariés ont de meilleures conditions à leur domicile qui leur facilitent leur activité à distance. De plus, ce sont en général des personnes plus autonomes qui organisent eux-mêmes leur travail. Ceux qui le pratiquaient avant le confinement n’y consacraient en général que 20% de leur temps de travail : une journée, deux jours au maximum par semaine … teletravail-sieste-travail-a-domicile-repos

En revanche, d’autres ont ressenti beaucoup plus de pénibilité. Ils concernent à 18%, des emplois moins qualifiés. Parmi les insatisfaits, on trouve des femmes de moins de 50 ans, chargées de famille, avec des enfants de moins de 12 ans et des ‘novices’, mal préparés et moins bien équipés. Comme le rapporte Amandine Caillol dans Libération, citant une personne répondant à l’enquête ‘Montravailadistancejenparle’ : « le télétravail ‘concon’ (confiné, contraint) est-il vraiment du télétravail ?». Dans ce cas le télétravail a été imposé à des salariés pas toujours habitués, formés ou volontaires pour ce type d’activité. Ils en ressentent plutôt les effets négatifs. Alors que le télétravail représente un gain de temps, la liberté d’organisation pour les uns, c’est l’isolement, l’empiètement sur la vie de famille pour les autres …

La sociologue Danièle Linhart analyse ces aspects négatif dans son interview dans Libération. « L’isolement des salariés en télétravail peut favoriser un climat anxiogène et nuire à la créativité stimulée par le collectif ». Avant la pandémie, les managers voulaient que les salariés soient ‘heureux au travail’ avec la création de ‘Chief Happiness officers’, mais aussi avec des contraintes et des contrôles à travers des ‘process’, des normes et des protocoles. Avec la personnalisation des objectifs des salariés, on a voulu invisibiliser les liens de subordination. Pendant la crise sanitaire, on a dit aux travailleurs de rester chez eux pour protéger leur santé, mais en même temps, on a développé la surveillance en ligne et la traçabilité numérique.

Le travail est déconnecté de sa finalité sociale : l’activité atomisée ne fait pas partie d’un tout. On a beaucoup évoqué l’autonomie du salarié en télétravail, mais pour le salarié non-cadre, le mécanisme du contrôle perdure. Il a du mal à influer sur une décision, c’est plus difficile pour lui de peser collectivement à distance.

C’est aussi ce que constate Christophe Degryse, chercheur à l’Institut syndical européen, dans sa tribune au Monde en soulignant les effets pernicieux et les conséquences sociales de la prétendue ‘libération des contraintes du télétravail. « En s’installant dans la durée, les nouvelles pratiques de télétravail commencent à révéler quelques signes d’un impact social plus profond que celui attribué à un déplacement du lieu de fourniture du travail. ». C’est le bien-être au travail qui est remis en cause. L’enquête britannique IES Working at Home Wellbeing d’avril 2020 recense une augmentation des douleurs musculo-squelettiques, une activité physique en baisse, des horaires de travails trop longs et irréguliers, mais surtout un manque d’interactions sociales, un déséquilibre entre vie professionnelle  et vie privée, un sentiment d’isolement. « Comme le note Neil Greenberg, spécialiste de la santé mentale au travail, les gens commencent à se demander s’ils travaillent à la maison ou s’ils dorment au bureau. ». photo-teletravail-e1489502939462-654x327

La souffrance au travail apparaît aussi dans l’article d’Anne Rodier dans Le Monde : « Pour beaucoup de salariés, le télétravail est devenu synonyme de tensions, de stress, de burn-out. Au bout de deux mois, il y a déjà un phénomène d’usure. » qui cite Eric Goata, directeur général du cabinet Eléas, spécialisé dans la prévention des risque psycho-sociaux : « Les salariés parlent d’abandon, de solitude, de surcharge cognitive liée au trop grand nombre d’informations à traiter, de surcharge de travail, d’un sentiment d’être surveillé à l’excès par les managers, des difficultés à coopérer avec les collègues et de l’impossibilité de concilier vie privée-vie professionnelle ».

Inégalités entre travailleurs : repenser l’organisation du travail

On l’a vu pendant le confinement, il y avait ceux qui pouvaient se mettre en télétravail et ceux qui ne le pouvaient pas. Un certain nombre de personnes ont continué de travailler sur site à leur poste de travail ou ont été mis en chômage partiel ou total : les soignants et les emplois essentiels, bien sûr, mais aussi d’autres professions. Comme le souligne Thierry Pech, « ll y a certainement une France qui rêve de télétravailler mais qui n’a pas accès à cette organisation. Dans notre échantillon, il y a peu d’ouvriers et d’employés et peu de petite classe moyenne. » C’est aussi ce qu’affirme François-Xavier de Vaujany, professeur de management dans sa tribune au Monde : « il ne faut pas oublier que plus de 90 % des travailleurs français sont des salariés (de plus en plus souvent en CDD) » A terme, ces catégories professionnelles pourraient y être inclues : la saisie de commandes, par exemple, pourrait aussi bien se faire à domicile.

Mais entre-temps, le confinement aurait mis 1,1 million de Français au chômage, comme le signale Maxime Vaudano dans Le Monde. Même s’il s’agit essentiellement de ‘reclassement’ de précaires en activité réduite, on constate néanmoins très peu de retour à l’emploi … Et  selon Cyprien Batut cité par Lomig Guillo dans Capital, 10% des emplois qualifiés pourraient être délocalisés ! Cela concernerait surtout des hommes et des jeunes : paradoxalement, ce sont les professions les plus intellectuelles qui sont menacées ! La Commission européenne prévoit néanmoins un taux de chômage supérieur à 10% pour la France pour fin 2020 …

teletravail_1Cela implique de repenser toute l’organisation du travail. La disparition du temps de transport domicile-travail représente un triple bénéfice écologique et économique, pour le salarié bien sûr, mais surtout pour l’entreprise et les collectivités locales. La perte de productivité du travail à distance n’a pas dépassé les 1% pendant le confinement. La généralisation du télétravail permettrait de désencombrer les villes et les entreprises auraient besoin de moins d’espaces de bureaux. PSA a déjà prévu que ses salariés du tertiaire, les commerciaux et la recherche-développement ne passeraient qu’une journée et demie par semaine sur le site.

Garder pratiquement la même productivité en travail à distance ? Pas si sûr, car sans contacts humains les relations manager-collaborateurs se dégradent. Le télétravail devrait pouvoir accélérer la mutation entre le management hiérarchique, vertical et contrôleur vers un management plus mature. Pendant le confinement, ce n’était pas vraiment du télétravail, plutôt une poursuite de l’activité à distance. Il n’y a pas eu de projets organisés et pilotés. La recherche sur le télétravail indique que l’on peut travailler deux ou trois jours au maximum à distance pour éviter l’isolement et maintenir la cohésion au sein des équipes. index-teletrPC

Le management à distance exige des compétences spécifiques. On ne peut pas reproduire à distance la même organisation qu’à proximité, le même nombre de réunions, les mêmes lignes de reporting… Comme le soulignent les deux managers Gauthier Franceus et Nicolas Saydé dans Le Monde, « le confinement est un excellent baromètre pour évaluer la manière dont circule l’information dans les équipes. Comment trouver un équilibre entre une surabondance d’informations pas toujours utiles et un manque de communication qui empêche l’équipe d’avancer ? ». Ils se posent aussi la question de la confiance dans le travail à distance « Pour certains managers, cela peut se traduire par un besoin de plus de contrôle […] D’autres managers en profitent au contraire pour lâcher prise, pour donner encore plus d’autonomie à leurs collaborateurs ».

Le rapport au temps et à l’espace de travail de même que les manières de travaille sont à repenser. Si la présence sur le lieu de travail est remise en question, c’est tout le référentiel de travail qui est à réinventer. Comme le rappelle Christophe Degryse, l’organisation industrielle du travail au 18e siècle emprunte les principes du théâtre classique : unité de lieu, de temps et d’action « Le travail humain se « fixe » dans un lieu précis (l’atelier, plus tard l’usine, les bureaux), pour une durée déterminée (la journée de travail), dans le cadre d’une unité d’action (les travailleurs sont collectivement impliqués dans un seul processus de production). ». Ces trois unités vont structurer le modèle social des pays industrialisés : amélioration des lieux de travail (santé, sécurité), encadrement du temps de travail, développement d’un esprit collectif (culture d’entreprise, négociations collectives).

C’est toute cette construction qui pourrait être remise en jeu « Avec le travail à distance s’érodent le lieu et les horaires de travail, les interactions sociales, voire l’esprit collectif. Les conséquences en seraient que toutes les protections liées à ces unités s’éroderaient elles aussi ». Il faut donc inventer de nouvelles unités structurantes pour un modèle social et numérique.

Mise en place de nouveaux « lieux de travail » virtuels où les télétravailleurs pourraient se réunir et partager leurs expériences ; des unités de temps compatibles avec la vie privée : droit à la déconnexion ; des unités d’action à réinventer : organisation du travail en équipe et organisation de la représentation collective …

Comme l’énonce Fanny Léderlin dans Libération, le télétravail devient « l’enfer sans les autres » ! « En évitant les ‘dérangements’ de la vie de bureau – les bavardages, les pauses café ou clope, les demandes de coup de main sur d’autres dossiers – le télétravail permettrait d’être plus performant ». […] « Libéré de toute entrave, le sujet performant n’écoute que lui-même ». Le télétravailleur s’expose ainsi, non pas à la tyrannie des managers, mais à la sienne propre !

C’est contre cette dérive que les syndicats s’élèvent sur France Inter « Le télétravail ne doit pas rester une zone de non-droit ». Pour la CGT les employeurs doivent prendre en charge les frais professionnels ; la CFDT, l’UNSA et la CFTC ont publié une liste de propositions communes : L’entreprise doit fournir les outils, respecter le droit à la déconnexion et 100% de télétravail n’est pas souhaitable. Le travail en équipe reste important pour éviter l’isolement pour FO. « Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, imagine, lui des espaces de coworking en bout de ligne RER. Le télétravail mérite en tout cas qu’on ouvre une discussion, en faisant attention, dit-il, à l’intérieur des entreprises, à ne pas opposer les cols bleus et les cols blancs. ». Même, Geoffroy Roux de Bézieux, le président du MEDEF, cité dans Le Parisien, estime que le télétravail ne devrait pas devenir la norme car « cette « solution » a  amené beaucoup de satisfaction pour certains salariés mais aussi des contraintes, des burn-outs, des problèmes de management au sein des entreprises ».

Une réflexion sur la mise en place du revenu universel s’impose aussi dans cette période de crise économique et sociale. L’Espagne l’a déjà adopté et l’idée progresse d’autres pays européens dont la France, comme l’indique France 24. Antoine Dulin, qui préside la Commission Insertion et jeunesse du Conseil économique social et environnemental (CESE) réclame par ailleurs l’extension du CSA aux moins de 25 ans « Les jeunes sont les outsiders du marché de l’emploi. Quand ce marché se contracte, ils en deviennent les variables d’ajustement. » interview par Laure Bretton dans Libération. securite-informatique1

Sécurité des outils et surveillance électronique

Comme pour l’enseignement à distance, la question de la sécurité des outils de communication se pose pour le télétravail.

Le service de visioconférence Zoom qui avait été critiqué pour ses failles de confidentialité et de sécurité a sorti une version chiffrée mais payante de son logiciel. Eric Yuan, Le PDG de cette société, cité dans Le Monde, justifie cette décision pour ne pas permettre à des criminels de passer à travers les mailles de la police … !

Philippine Kauffmann explique dans Libération « Depuis le confinement, de nombreuses entreprises ont fait installer à leurs salariés le logiciel américain Hubstaff, qui calcule leur «temps effectif» en enregistrant leurs mouvements de souris. Un exemple parmi d’autres du contrôle et des pressions subis par certains travailleurs à domicile. Une jeune analyste s’émeut du fait qu’elle n’ose plus lire un article ou aller sur twitter ; elle se demande si cette surveillance ne va pas continuer quand elle reprendra son travail au bureau … ». Gwendal Legrand, secrétaire adjoint de la CNIL reconnait dans une interview à Libération, « que les systèmes de ‘Keyloggers’ ces logiciels qui permettent d’enregistrer à distance toutes les actions accomplies sur un ordinateur sont en général hors limites ». Christophe Degryse le souligne aussi dans sa tribune « Si l’employeur accepte le travail à distance, c’est aussi parfois parce que les possibilités de contrôle de l’employé sont désormais infinies : surveillance non détectable de l’activité du clavier, de l’utilisation des applications, captures d’écran, activation de la webcam… La nouvelle normalité du télétravail, ici plutôt dystopique, peut aussi être celle d’un capitalisme de surveillance. »images-teletr

Serries, Guillaume. – Pour le Medef, le télétravail, ce n’est pas normal.ZDNet, 05/06/20

Dulin, Antoine ; Bretton, Laure. – Chômage « Pendant les crises, les jeunes sont les variables d’ajustement »: entretien. – Libération, 04/06/20

Kauffmann, Philippine. – Télétravaillez vous êtes fliqués. - Libération, 02/06/20

Bordet, Marie. – « Mon patron a piqué une gueulante et exigé le retour des salariés au bureau ». Le Point, 01/06/20

Cramer, Maria ; Zaveri, Mihir. – Working From Home Has Benefits Some Don’t Want to Lose. – The New York Times, 05/05/20 updated 31/05/20

Pech, Thierry ; Minard, Philippe. – « Le télétravail pointe la vétusté des relations professionnelles ». – La Dépêche, 30/05/20

Franceus, Gauthier ; Saydé, Nicolas. - Télétravail : les vices cachés de l’organisation. – Le Monde, 29/05/20

Degryse, Christophe. – « Les gens commencent à se demander s’ils travaillent à la maison ou s’ils dorment au bureau ». – Le Monde, 29/05/20

Jean, Aurélie ; Mouton, Robert. – « La numérisation professionnelle doit s’accompagner d’une régulation sociale ». - Le Monde, 29/05/20

Vaujany, François-Xavier de. – « Hommage au travail ‘ordinaire' ». – Le Monde, 29/05/20

Vaudano, Maxime. – Le confinement a-t-il vraiment mis 1,1 million de Français au chômage. – Le Monde, 29/05/20

Funes, Julia de. – « Le télétravail modifie notre rapport au travail. Il lui redonne sa juste place ». – FranceInfo (vidéo), 29/05/20

Lachaise, Alice. – Télétravail : mise en place, droits, obligations. – Juritravail, 25/05/20

Demas, Juliette. – Le télétravail à vie pourrait transformer Dublin. – Ouest-France, 24/05/20

Rodier, Anne. – « Je ne veux plus télétravailler », « Franchement, j’en ai ma dose » : les dégats du télétravail. – Le Monde, 23/05/20

Gérard, Aline. - Quand le télétravail bouscule les managers. – Ouest France, 23/05/20

Souffi, Emmanuelle. – L’économiste Gilbert Cette « L’essor du télétravail recèle des potentiels économiques énormes ». – Le Journal du Dimanche, 23/05/20

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Calignon, Guillaume de. – Sondage exclusif : les Français séduits par le télétravail. – Les Echos, 19/05/20

Chartier, Mathieu. – La Silicon Valley étudie la généralisation du télétravail pour le « monde d’après ». – Les numériques, 18/05/20

Caulier, Sophy. – Coronavirus : le télétravail met en danger la confidentialité des entreprises.Le Monde, 18/05/20

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Garric, Audrey ; Lemarrié, Alexandre. – Autonomie sanitaire, revenu universel, télétravail : les propositions citoyennes pour ‘le jour d’après’. – Le Monde, 13/05/20

Afshar, Vala. – Télétravail : la perte de productivité moyenne est de 1%. – ZDNet, 13/05/20

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Cailhol, Amandine. – Télétravail : le boulot compresseur. – Libération, 29/04/20

Linhart, Danièle ; Mouillard, Sylvain. – Télétravail : « L’activité se trouve déconnectée de sa finalité sociale » : entretien. – Libération, 29/04/20

Plantey, Yvan ; Pétillon, Catherine. – Avec le Covid-19, un « télétravail forcé et dégradé ». – France Culture Hashtag, 17/04/20

62% de Français voudront faire plus de télétravail après le confinement. – Deskeo, 14/04/20

Bergeron, Patrice. – Le télétravail génère du stress chez les employés de l’Etat. – La Presse (Québec), 31/03/20

Bys, Christophe. – Le 100% télétravail en période crise, une organisation qui nécessite des process. – L’Usine digitale, 19/03/20

Bouthier, Baptiste. - Le télétravail, un truc de cadres parisiens ?Libération, 11/12/19

 

La reconnaissance faciale : un pas biométrique vers la société de la surveillance ?

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Les dispositifs biométriques d’identification et de surveillance sont en train de s’imposer progressivement dans nos sociétés. La reconnaissance faciale, que l’on croyait réservée à des sociétés illibérales comme la Chine, s’invite de plus en plus dans nos pays, comme en Royaume-Uni, bien sûr, mais aussi en France. La CNIL vient de rendre un avis où elle s’oppose à la mise en œuvre de la reconnaissance faciale dans deux lycées de la région Sud (Nice et Marseille) où des tests avaient commencé en début d’année. Ces dispositifs s’avèrent illégaux au regard du droit européen sur les données personnelles. D’autres expérimentations sont en cours, que ce soit au niveau privé, local ou public, comme l’application d’authentification en ligne Alicem.

Alicem : l’authentification certifiée par reconnaissance faciale

La France va être le premier pays européen  à mettre en œuvre un outil d’authentification basé sur la reconnaissance faciale. Alicem (Authentification en ligne certifié sur mobile) en test depuis juin 2019, devrait être opérationnelle dès le mois de novembre. Cette application pour smartphone, développée par le ministère de l’intérieur et l’Agence nationale des titres sécurisés doit permettre d’accéder à plus de 500 services publics en ligne (via France Connect) de façon sécurisée en s’identifiant grâce à une technologie de reconnaissance faciale. Pour atteindre le niveau ‘élevé’ de l’identification électronique de eIDAS (règlement européen), Alicem va se baser sur les informations contenues dans la puce électronique d’un titre biométrique (passeport ou titre de séjour). Lors de la création du compte, Alicem vérifie par reconnaissance faciale que la personne qui utilise le smartphone est bien le détenteur du titre. » C’est un moyen de lutter contre l’usurpation d’identité. ». L’administration désire créer ainsi « une identité numérique régalienne sécurisée ». Alicem-la-premiere-solution-d-identite-numerique-regalienne-securisee_largeur_760-1

Malgré les assurances données par l’administration sur le respect des données personnelles (les informations restent sur l’appareil de l’utilisateur, elles ne sont partagées que par les services en ligne), le RGPD (Règlement général sur la protection des données) UE exige le consentement de la personne pour l’utilisation de données biométriques : la CNIL reproche donc au ministère de l’intérieur de ne pas recourir à des ‘dispositifs alternatifs de vérification ». La Quadrature du Net a aussi déposé un recours contre le décret de création d’Alicem devant le Conseil d’Etat. Pour l’association, » Alicem viole le RGPD car il ne peut exister de consentement libre si l’administré n’a pas d’autre choix que d’utiliser la biométrie pour accéder aux services en ligne ».

Alors que des chercheurs et des juristes comme Felix Tréguier et Martin Drago s’inquiètent dans une tribune au Monde de la  ‘banalisation’ de cette technologie, l’authentification biométrique aurait pour conséquence « un contrôle permanent et généralisé » au nom du ‘solutionnisme technologique », les députés Didier Bachère (LREM) et Stéphane Séjourné (Renew Europe), appellent eux à un ‘usage éthique’ de cette technologie. « Entre rejet en bloc de la reconnaissance faciale et usage débridé, il y a un chemin à définir dont la responsabilité incombe à la puissance publique ». Après avoir reconnu l’existence de biais dans cette « technologie qui n’est pas entièrement fiable sur le plan technique, son efficacité diffère selon les conditions d’utilisation mais également selon les populations (sexes, ethnies) », les élus appellent à une consultation citoyenne et à la création d’un comité d’éthique sur la question.  Ils reconnaissent néanmoins « les opportunités commerciales multiples de cette technologie et le fait que les utilisateurs de smartphones récents en font déjà usage » … Les opportunités commerciales retiennent aussi l’attention de F.Tréguier et M. Drago comme ils l’expriment  dans leur article : « permettre à des industriel comme Thales ou Idemia [entreprise de sécurité numérique] de se positionner face à la concurrence chinoise, américaine ou israélienne ». « Depuis des années, des entreprises développent ou testent ces technologies grâce à l’accompagnement de L’État et l’argent du contribuable ». Et si le Secrétaire D’État au numérique Cédric O, propose de créer une instance de supervision en coordination avec la CNIL sur la reconnaissance faciale, il reconnaît aussi que « Expérimenter est nécessaire pour que nos industriels progressent ».

Le CREOGN (Centre de recherche de l’Ecole des officiers de la gendarmerie nationale) a une position assez semblable : dans une note de septembre 2019, le Colonel Dominique Schoener examine « l’enjeu de l’’acceptabilité’ de la reconnaissance faciale et des contrôles préventifs sur la voie publique ». Il reconnaît que si cette technologie est banalisée dans ses usages commerciaux, la population française n’est pas prête à en accepter l’exploitation par les forces de l’ordre dans n’importe quelles conditions. « Traumatisée par le régime de Vichy et son système d’enregistrement de l’identité, la société française conserve dans son ADN collectif des marqueurs de rejet du fichage étatique ». Comme la reconnaissance faciale ne peut pas être ‘désinventée’, il préconise « le consentement préalable du citoyen, et pas seulement son information, comme préalable à son usage légitime et légal sur la voie publique ». Pour cela, une technologie fiable et sûre doit pouvoir s’appuyer sur un cadre juridique consolidé avec un contrôle éthique et scientifique. Mais » la peur ou le principe de précaution ne doivent pas empêcher l’expérimentation qui seule permet de se rendre compte des biais et des apports d’une innovation ». Et d’évoquer la dernière expérimentation de la société chinoise Watrix : un logiciel de reconnaissance de la démarche, permettant d’identifier une personne de dos ou dissimulant son visage … reconnaissance-faciale

Or, c’est contre la privatisation de la sécurité que Mireille Delmas-Marty s’insurge dans une tribune au Monde contre la ‘société de vigilance’ appelée de ses vœux par le Président de la République. « Au motif de combattre le terrorisme, le gouvernement risque de donner un coup d’accélérateur au glissement de l’Etat de droit à l’Etat de surveillance ». Dans son article, la juriste évoque ses craintes de « l’extension de la répression à la prévention, puis à une prédiction de plus en plus précoce. » Ce programme appellerait une autre dérive, « la privatisation de l’ordre public », « le glissement de l’Etat de surveillance à la surveillance sans Etat. ». Des entreprises comme Thales sont effet associées à des mairies (Nice) pour exploiter les ‘signaux faibles » à partir de données personnelles au sein d’un « centre d’hypervision et de commandement ».

Cet état de « vigilance sous surveillance » alerte aussi Simon Blin dans Libération. Car « cultiver, comme principe de société, la vigilance pour tout un chacun et à tout moment, c’est le contraire du sentiment de sécurité ». Citant la philosophe et psychanalyste Hélène Lhuilliet « Plus fort encore que la surveillance, la vigilance est une sensation de danger presqu’artificielle ». La vigilance ne s’inscrit pas dans la continuité, elle est un état précaire. « Il y a dans l’idée de ‘société de vigilance’, celle d’une justice prédictive. Or il est impossible de tout prévoir ». Quant à la question des repérages de ‘signaux faibles’ (par ex. dans les cas de radicalisation), autant « elle est légitime dans les institutions chargées de la sécurité publique (police, armée, prison), elle n’a pas grand sens dès lors qu’on l’élargit à l’ensemble de la société ». Le risque est de créer une « armée de faux positifs » sur la base du ressentiment personnel ou de l’interprétation de chacun du concept de laïcité, comme l’évoque le sociologue Gérald Bronner.

De nombreuses autres utilisations et expérimentations de la reconnaissance faciale sont en cours en France, comme l’explique Martin Untersinger dans son article du Monde : à Nice sur la voie publique, aux Aéroports de Paris, Valérie Pecresse voudrait aussi l’expérimenter dans les transports d’Ile de France. Air France compte bientôt remplacer les cartes d’embarquement par un dispositif de reconnaissance faciale. Sans oublier les fichiers de police pour retrouver un suspect à partir d’une photo ou des caméras de surveillance …

Bilans mitigés

chappatte_surveillance_internetMais si en France, on en est encore dans l’enthousiasme de l’expérimentation, dans d’autres pays les bilans sont plutôt négatifs. Aux Etats-Unis, L’État de Californie, San Francisco et plusieurs villes ont interdit la reconnaissance faciale et à New York, la police a triché avec cette technologie pour arrêter des suspects … Et le candidat Bernie Sanders promet l’interdiction de cette technologie sur tout le territoire. En Angleterre une expérience de vidéosurveillance « intelligente » lors du carnaval de Notting Hill à Londres en 2017 a abouti à 35 cas de ‘faux positifs’ et à l’arrestation d’un innocent !

Aux États-Unis le groupe de chercheurs AINow, comprenant des employés de Google et de Microsoft appellent dans leur rapport 2018 à la réglementation de la technologie « oppressive » de reconnaissance faciale. Ce groupe de recherche de la New York University a pour objectif de surveiller l’application sure de cette technologie. « La reconnaissance faciale et la reconnaissance des émotions (comme la détection des traits de personnalité) nécessite une réglementation très stricte pour protéger l’intérêt public ». Malheureusement, les GAFAM ne sont pas de cet avis : Amazon avait la possibilité de refuser de vendre sa technologie de reconnaissance faciale aux autorités policières et gouvernementales, mais ses actionnaires ont rejeté cette proposition. Quant à Google, Bloomberg News relate que des employés de la compagnie l’accusent de les espionner à travers une extension du navigateur Chrome utilisé au sein de l’intranet de l’entreprise. L’outil signalerait automatiquement tout évènement programmé dans l’agenda qui concernerait plus de 10 bureaux ou 100 employés, d’après le rapport des salariés. La société se défend en invoquant un souci de limiter le spam dans les agendas, et soutient ne pas recueillir de données personnelles des employés. Cet épisode traduit les tensions existant dans la multinationale depuis que certains salariés veulent implanter un syndicat dans la société. 1536505721

Au Royaume Uni, le thinktank Doteveryone vient de publier un rapport sur la question de la reconnaissance faciale, cité par Hubert Guillaud dans InternetActu. Il demande au Conseil consultatif de la biométrie britannique d’organiser un débat public sur le sujet et exige « une interdiction tant que les individus exposés à cette technologie n’ont pas la capacité à ne pas être soumis à ces techniques et tant que les conditions de réparations n’ont pas été décidées ».

Sommes-nous parvenus au « capitalisme de surveillance », la dystopie cauchemardesque décrite dans l’ouvrage de l’universitaire américaine Shoshana Zuboff, analysé dans l’article de Frédéric Joignot ? Pour la psychologue sociale, « les GAFAM veulent notre âme, nous avons signé avec eux un contrat faustien ». Ces entreprises « ne se contentent pas de collecter des données d’usages et de services, elles intègrent dans les pages en réseaux et les machines intelligentes des dispositifs d’espionnage invisible. Ils repèrent ainsi, grâce aux algorithmes, nos habitudes les plus intimes. Ils reconnaissent nos voix et nos visages, décryptent nos émotions et étudient leur diffusion grâce à l’’affecting computing’ afin de capter la « totalité de l’expérience humaine comme matière première gratuite ». Pour Evgeni Morozov, S. Zuboff insiste trop sur la surveillance et pas assez sur le capitalisme : « En considérant le capitalisme de surveillance comme notre nouveau Léviathan invisible, elle rate la manière dont le pouvoir fonctionne depuis plusieurs siècles : le Léviathan invisible est avec nous depuis longtemps. ». Mais la chercheuse ne perd pas espoir : si elle applaudit au RGPD et défend les moteurs de recherche cryptés comme Tor, la résistance viendra des usagers et travailleurs du numérique qui feront comme les classes pauvres du 19e siècle qui se sont organisés en syndicats et association pour combattre le capitalisme industriel pour imposer des lois sociales et exiger un système démocratique et représentatif. Verrons-nous un jour cette révolution 3.0 ?

Untersinger, Martin. – Marseille, Nice, Saint-Etienne : les semonces de la CNIL face à de nouveaux projets sécuritaires. – Le Monde, 29/10/19

Lycées Nice Marseille : première victoire contre la reconnaissance faciale.La Quadrature du Net, 28/10/19

Tréguier, Félix ; Drago, Martin. – La reconnaissance faciale s’avère inéfficace pour enrayer la violence. – Le Monde, 24/10/19

Bachère, Didier ; Séjourné, Stéphane. – Pour une reconnaissance faciale éthique.  – Le Monde, 24/10/19

Delmas-Marty, Mireille. – La ‘société de la vigilance’ risque de faire oublier la devise républicaine. – Le Monde, 24/10/19

Gallagher, Ryan. – Google accused of creating spy tool to squelch worker dissent. – Bloomberg News, 24/10/19

Blin, Simon. – La ‘vigilance sous surveillance. – Libération, 22/10/19

Untersinger, Martin. - La reconnaissance faciale progresse, sous la pression des industriels et des forces de l’ordre. – Le Monde, 14/10/19

O, Cédric ; Untersinger, Martin. – « Expérimenter la reconnaissance faciale est nécessaire pour que nos industriels progressent : entretien. – Le Monde, 14/10/19

Ministère de l’intérieur. – Alicem, la première solution d’identité numérique régalienne sécurisée. – L’actu du ministère – Interieur.gouv.fr, 30/07/19

Schoenner, Dominique. – Reconnaissance faciale et contrôles préventifs sur la voie publique : l’enjeu de l’acceptabilité. – Notes du CREOGN, septembre 2019

Joignot, Frédéric. – La surveillance, stade suprême du capitalisme. – Le Monde, 14/06/10

Ohrvik-Scott, Jacob ; Miller, Catherine. – Responsible facial recognition technologies. – Doteveryone perspective, June 2019

Cimino, Valentin. – Les actionnaires d’Amazon décident de ne pas limiter la reconnaissance faciale. – Siècle digital, 26/05/19

Guillaud, Hubert. – La généralisation de la reconnaissance faciale est-elle inévitable ? – InternetActu.net, 13/03/19

AINow report 2018 – AINow Institute – New York University, Dec. 2018

 

Entre l’automatisation du travail et la fin annoncée du salariat, les mutations de l’emploi

L’automatisation, l’intelligence artificielle et la mondialisation sont en train de transformer rapidement  la structure du travail et de l’emploi. Depuis les années 1980, on assiste à la fin du plein emploi et l’ascenseur social est en panne. Face à la disparition prochaine d’un grand nombre d’emplois dans l’industrie et les services, l’anxiété des classes populaires se traduit par une défiance vis-à-vis de la classe politique et l’inquiétude de ne plus pouvoir conserver dignement leur train de vie.applications

L’économie des plateformes (la’gig economy’) qui substitue progressivement le statut d’auto-entrepreneur à celui de salarié commence à être remise en question en France et ailleurs dans le monde. L' »Amendement Taché » et l’arrêt « Take it Easy » ont mis un coup de frein à l’ubérisation en instaurant des chartes de régulation pour ces systèmes et en requalifiant des travailleurs indépendants en salariés. Ce sujet a déjà été traité dans Prospectibles.

Certains trouvent de nouvelles formes de revenus dans les ‘microtâches’ que les plateformes proposent pour alimenter les algorithmes des systèmes d’intelligence artificielles. Ces « ouvriers du clic » n’ont aucune reconnaissance officielle et bouclent leurs fins de mois pour quelques centaines d’euros sans aucune protection sociale.

Si, comme le constate Hubert Guillaud dans son post « Fuck Work ! … Et puis ?», « la rémunération devient (presque) inversement proportionnelle à l’utilité sociale » ou que « le capital soit depuis longtemps infiniment plus rémunérateur que le travail, force est de constater que le lien entre travail et revenu est de plus en plus ténu» . LMS3

La polarisation des emplois

D’après le dernier rapport de l’OCDE, 50% des emplois pourraient disparaître (14%) ou être radicalement transformés (32%) du fait de l’automatisation d’ici 15 ou 20 ans. Stefano Scarpetta, responsable de l’emploi à l’OCDE enjoint les gouvernements à agir rapidement contre les effets de cette mutation au risque d’affronter d’importantes dégradations dans les relations économiques et sociales. « Le rythme de ce changement s’annonce époustouflant : les filets de sécurité et les systèmes de formations, construits depuis des décennies pour protéger les travailleurs ont du mal à résister aux grandes tendances qui changent la nature du travail. Alors que quelques uns bénéficieront de l’ouverture des nouvelles technologies aux nouveaux marchés, d’autres travailleurs, peu qualifiés, subiront les conséquences de la ‘gig economy’ (ubérisation). « De profonds et rapides changements structurels apparaissent à l’horizon, apportant avec eux de nouvelles opportunités, mais aussi une plus grande incertitude pour ceux qui ne sont pas équipés pour s’en saisir ».  L’organisation souligne l’écrasement des classes moyennes, les pertes d’emplois en raison des avancées technologiques et l’extension du mécontentement dans les pays riches. Ces changements vont toucher certains travailleurs plus que d’autres, particulièrement les jeunes sans formations et les femmes, souvent sous-payées et sous-employées.  Bruno Palier arrive aux mêmes conclusions dans un article de Cogito, en soulignant la polarisation des emplois entraînée par l’automatisation et l’informatisation des activités. Cette polarisation se traduit, non seulement par des inégalités de revenus croissantes, mais elle débouche aussi sur une révolte politique des classes sociales intermédiaires ». On a longtemps cru que les nouvelles technologies n’affecteraient que les emplois les moins qualifiés, or depuis quelques années, ce sont les emplois intermédiaires qui disparaissent du fait de l’automatisation, et ce, aussi bien dans l’industrie que dans les services (automates bancaires, caisses automatiques dans les supermarchés). Dans le même temps des emplois très faiblement rémunérés et précaires se développent dans les secteurs des transports, de l’hôtellerie, des services aux personnes, etc. « La polarisation des emplois menace ainsi une partie de la société qui a longtemps bénéficié de la croissance économique et des perspectives de mobilité ascendantes, à savoir une partie des classes moyennes ». Si les perspectives de disparition des emplois restent encore lointaines, on voit déjà l’angoisse que cela génère chez les classes menacées avec la multiplication des partis extrémistes et anti-système dans les démocraties avancées. On assiste à une révolte politique de ces celles-ci face à ces menaces de déclassement.

La reprise en main des « ubérisés »

Le système de l’économie des plateformes a d’abord séduit une partie de jeunes travailleurs pour la liberté et la applicationssouplesse d’organisation que ces applications permettaient. Au début, ils étaient plutôt satisfaits de leur rémunération. Comme l’évoquent des intervenants à un colloque sur le sujet à Paris Dauphine, cité par Dominique Méda dans sa chronique au Monde « Les chauffeurs Uber apprécieraient l’autonomie permise par leur statut et n’ambitionneraient en aucune manière de rejoindre la condition salariale, synonyme de subordination ». C’est aussi le sentiment de Yacine, ‘juicer’ (chargeur de trottinettes électriques) à Paris « Ce job permet de travailler dehors, d’être libre de son temps, de ne pas avoir de patron ». Yacine n’a pas de patron, si ce n’est l’algorithme de l’application Lime sur son smartphone. « C’est l’appli qui donne la marche à suivre : où trouver les trottinettes, où les replacer, combien elles rapportent. C’est elle aussi qui lui attribue une note de satisfaction dont dépend le nombre maximal de trottinettes qu’il est autorisé à recharger chaque jour ».  Mais il déchante quand le prix baisse « Sept euros, c’était honnête ; Cinq euros, c’est juste, je pense chercher autre chose ». Comme le constate Grégoire Leclerc, coordinateur de l’observatoire de l’ubérisation cité dans l’article, « Cette activité ne me choque pas tant qu’elle reste un job d’étudiant. Le problème c’est quand on le propose à des gens qui cherchent un revenu décent. Là, on les piège. ». Pas de mutuelle, pas de chômage, pas de congés payés, pas de salaire minimum, pas de couverture maladie ou accident du travail : « Toutes les sécurités consécutives au droit du travail n’existent pas pour ces gens-là » renchérit Karim Amellal, auteur de la Révolution de la servitude.

Face à cette situation, deux solutions ont été proposées : des chartes reconnaissant le statut hybride de ces travailleurs. La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel tend à faire converger le statut de salarié et de travailleur indépendant. Jean-Emmanuel Ray, Professeur de droit à Paris1-Panthéon-Sorbonne, défend cette approche dans son article du Monde. « L’enjeu est de protéger les coursiers de cette plateforme, ces ‘tâcherons 3.0’, corvéables à merci. Mais aussi d’éviter une concurrence déloyale, avec le risque d’une contagion à la baisse pesant sur les conditions de travail ». Pour ce juriste, l’opposition entre heureux salarié et travailleur indépendant honteusement exploité est un peu courte : « Restée sur le modèle militaro-industriel des ‘Trente glorieuses’, cette approche est mal adaptée à la « Révolution de l’immatériel ». En cas de dépôt de bilan de plateformes, que deviendront les dizaines de cyclistes Deliveroo et autres chauffeurs Uber, souvent discriminés à l’embauche, et pour lesquels il est plus facile de trouver des clients qu’un employeur ? « Ces travailleurs chercheraient donc moins un patron que le très protecteur régime général de la Sécurité sociale, lié à l’existence d’un contrat de travail. ».

La loi du 5 septembre 2018 cherche à faire converger les statuts et vise à « sécuriser les mobilités en allant vers plus de sécurisation sur les personnes, non sur les statuts ».Avec, à terme, une protection sociale universelle, facilitant les transitions dans une économie de l’innovation où le travailleur passe d’un statut à l’autre.

L’article 20 du projet de loi d’Orientation des Mobilités introduit la possibilité pour les plateformes numériques mettant en rapport clients et travailleurs indépendants prestataires de services d’adopter une ‘Charte sociale’ octroyant aux prestataires différents types de prestations sociales. Le projet de loi entend mettre fin au flou juridique qui a abouti ces derniers mois à plusieurs cas de requalification par les tribunaux des contrats liant plateformes et indépendants en contrats de travail salarié. Mais l’article 20 a suscité une vive polémique et a été finalement été supprimé au Sénat.

« Les plateformes numériques de travail se construisent sur un modèle économique qui contourne les règles du droit social. L’employeur se fait intermédiaire, le salarié devient un prestataire. La désactivation est une rupture contractuelle euphémisée. Cette torsion de la réalité favorise la multiplication des pratiques déloyales, le dumping social à grande échelle. Si Uber est une société de transport et Deliveroo une société de livraison de repas, elles ont besoin de travailleurs qui réalisent l’activité qu’elles développent. Elles les paient à la tâche, sans leur offrir la moindre protection sociale, sans leur reconnaître le moindre droit. Bien plus qu’une charte, il faut une réelle présomption de travail du salarié. » Fabien Gay, sénateur de Seine Saint-Denis :  discussion de l’art. 20.

Dans une tribune au  Monde, le Conseil national du numérique, présidé par Salwa Toko s’oppose à la mise en place des chartes unilatérales de responsabilité sociale des plateformes prévues par la loi d’orientation des mobilités. Le principe de l’adoption d’une charte inscrit la relation qui lie les travailleurs à leur plateforme en droit commercial et non en droit du travail. « Souhaite-t-on aujourd’hui déléguer à des entreprises britanniques (Deliveroo) ou américaines (Uber) le soin de déterminer de quelle protection sociale doivent bénéficier des travailleurs français ? ».

Pour Karim Amellal, enseignant à Sciences Po, dans son interview au Monde « Derrière le discours des plateformes, la réalité s’apparente bien souvent à une régression sociale, un retour au monde d’avant. Le capitalisme technologique fait voler en éclat tous les acquis sociaux obtenus depuis la fin du 19e siècle. On se retrouve avec des conditions de travail dignes des canuts ou des ouvriers de Germinal ». Malgré l’impression de liberté qu’elles suggèrent, la plupart des plateformes ont un fonctionnement ‘top-down’ très classique, où les règles sont entièrement décidées au sommet de la pyramide. De plus, le modèle économique de ces géants du numérique est fragile. Les plateformes ne sont pas toujours rentables malgré leur valorisation qui se chiffrent en dizaines de milliards de dollars. Les décisions de justice qui ont récemment donné gain de cause aux travailleurs indépendants (arrêt ‘Take it Easy’, contrat de travail pour chauffeur Uber), bousculent le modèle économique des plateformes qui repose sur un coût du travail le plus faible possible, et vont forcer les plus prédatrices à s’adapter.

reseauxLes « ouvriers du clic » : la main d’œuvre humaine derrière les algorithmes

En France, près de 260 000 ‘travailleurs du clic’ effectueraient des microtâches sur leur ordinateur payées quelques centimes d’euro d’après le Rapport sur le microtravail, publié par Antonio Casilli et Paola Tabaro.

« Identifier des objets sur une image, étiqueter des contenus, enregistrer sa voix, traduire des petits bouts de texte. Ces activités, faiblement rémunérées – de quelques centimes à quelques euros la tâche – ne supposent pas de qualifications particulières. Elles sont proposées par des plateformes spécialisées qui font d’office d’intermédiaire entre les microtravailleurs et les entreprises pour lesquelles ces opérations sont exécutées ».

« Deux centimes d’euro pour cliquer sur le Figaro, 18c pour installer un logiciel permettant de lire des fichiers PDF, 36 pour inscrire ses coordonnées dans une demande de devis pour ‘Speedy’ » Sarah, microtravailleuse, témoigne dans le Monde.

On distingue deux types de plateformes de microtravail

Le ‘machine learning’ n’est possible que si on fournit à la machine suffisamment de données qu’elle sait utiliser. Pour qu’un assistant vocal comme Alexa d’Amazon puisse comprendre les demandes qu’on lui adresse, il faut une grande masse de langage naturel humain, avec une pluralité d’accent dans toutes les langues où l’outil va être utilisé. Ces opérations facilitent l’apprentissage des intelligences artificielles qui seront nourries avec ces données nettoyées et annotées.

  • Les plateformes pour les sites marchands : Loonea, Moolineo ou Ba-Click pour répondre à des sondages, s’inscrire sur des sites marchands, remplir des demandes de devis. L’objectif des marques qui ont recours à ces services est de recruter de nouveaux clients, aussi bien des lecteurs, abonnés aux newsletters que des consommateurs pour leurs produits. Les plateformes rémunèrent les microtravailleurs pour grossir les rangs des clients sans que les marques soient conscientes du procédé. La plupart des ‘missions’ consistent moins à produire un bien ou un service, qu’à vendre ses données personnelles ! Souvent les microtravailleurs se retrouvent submergés de mails et d’appels des marques qui souhaitent les transformer en acheteurs … Ils doivent déployer des trésors de stratégie pour hésiter et refuser l’offre du démarcheur et ne doivent en aucun cas avouer être rémunéré !

Ces travailleurs sont en général des femmes de 25 à 45 ans, souvent mères de famille vivant en zone rurale. Souvent plus diplômées que la moyenne, ces femmes vivent dans une grande précarité et 22% sont en dessous du seuil de pauvreté. Les microtravailleurs ne connaissent en général pas l’entreprise pour laquelle ils effectuent ces tâches, ni le projet dans lequel elle s’inscrit. Les plateformes généralistes cèdent de plus en plus la place à des structures en couches encore plus opaques. « Une plateforme s’occupe de la contractualisation, une autre de la relation avec le client, une troisième gère le paiement, et c’est sur une autre encore que s’effectuent les tâches. D’où une dilution complète du lien de subordination. Le microtravail a la particularité d’être invisible, effectué à la maison, ce qui rend toute valorisation et toute organisation collective très difficile.

Le développement du microtravail est loin d’être temporaire car il est lié à l’intelligence artificielle et à l’automatisation, notamment avec la voiture autonome. « Derrière la voiture autonome se cache une armée de microtravailleurs qui fournissent à l’IA des décryptages d’images au pixel près ». Loin de supprimer des emplois peu qualifiés, l’automatisation a besoin bien sûr, d’ingénieurs et d’informaticiens, mais aussi de microtravailleurs.

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Les outils d’automatisation et d’intelligence artificielle permettent une surveillance accrue des activités des travailleurs. On a vu l’importance de la localisation chez les livreurs et les chauffeurs VTC : à tout moment la plateforme doit savoir exactement où se trouvent les prestataires. Impossible pour eux de désactiver le GPS.

On retrouve cette utilisation des outils ‘intelligents’ pour gérer le personnel chez Amazon, comme le relate Julie Bort dans Business Insider. Dans ses entrepôts, Amazon utilise un système qui permet, non seulement de tracer la productivité des employés, mais peut aussi générer automatiquement la documentation nécessaire à leur licenciement si après des avertissements, la personne n’a pas atteint ses objectifs ! Et ce, sans l’intervention d’un superviseur humain …

Nous n’avons examiné ici que l’impact négatif du numérique sur le travail et l’emploi à partir du filtre de l’économie des plateformes qui s’est étendu sur de larges pans du secteur des services. Il existe aussi d’autres expériences où les travailleurs arrivent à se réapproprier ces outils. Ces initiatives passent souvent par l’intermédiaire de structures collectives (coopératives, collectifs, co-working) où le numérique, loin d’asservir et d’aliéner, libère la créativité et la coopération entre les acteurs. Ces expériences feront l’objet d’un prochain post.

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Kristanadjaja, Gurvan. – Accidents, agressions … Livreurs laissés sur le bord de la route. – Libération, 03/06/19

Casilli, Antonio. – De la classe virtuelle aux ouvriers du clic : la servicialisation du travail à l’heure des plateformes numériques.Revue Esprit, mai 2019

Salwa Toko : « Souhaite-t-on créer une société à trois vitesses, constituée de salariés, d’indépendants et de travailleurs au statut hybride ? »/Conseil National du Numérique : Tribune. – Le Monde, 27/04/19

Cailloce, Laure. – Ces microtravailleurs de l’ombre. – CNRS Le Journal, 24/04/19

Le Micro-travail en France. Derrière l’automatisation de nouvelles précarités au travail ?. Rapport Final Projet DiPLab « Digital Platform Labor »/Antonio A. Casilli ; Paola Tabaro, Clément Le Ludec et al. – Paris, IRES, 2019

The future of work could bring more more inequality, social tensions. – Quartz, 25/04/19

Bort, Julie. – Amazon can automatically fire warehouse workers for ‘time off task’. – Business Insider, 25/04/19

Motet, Laura. – Sarah, « travailleuse du clic » : « la nuit, je remplis des demandes de devis qui me rapportent plusieurs euros d’un coup ». – Le Monde, 25/04/19

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Palier, Bruno. – Les conséquences politiques des changements technologiques. – Cogito, 13/04/19

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Orientation des mobilités (procédure accélérée – suite) : discussion des articles. – Sénat, 26/03/19

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Transformations numériques au travail : chiffres et tendances. – Laboratoire d’analyse et de décryptage du numérique, 06/03/19

Méda, Dominique. – « Heureux comme un chauffeur de VTC ? » - Le Monde, 15/02/19

Numérisation des emplois : « Il existe un lien fort avec le sentiment d’insécurité économique et les comportements politiques »/Collectif : Zhen Im, Nonna Meyer, Bruno Palier, Jan Rovny, Chercheurs Sciences Po. – Le Monde, 15/02/19

LOI n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel (1). – Légifrance, 05/09/18 (version en vigueur au 1er juin 2019)

Ray, Jean-Emmanuel. – Quelle protection pour les travailleurs des plates-formes ?- Le Monde, 05/12/18

Guillaud, Hubert. – « Fuck work … Et puis ? ». – Internet Actu, 02/05/18

Flichy, Patrice. – Les nouvelles frontières du travail à l’ère numérique. – Paris : Seuil, cop. 2017. – via Google Livres

 

Défiance du public, concurrence des réseaux sociaux et fin du modèle économique : quel avenir pour le journalisme ?

kisspng-freedom-of-the-press-journalism-news-media-freedom-5af8ca43afa019.5199593915262541477194Alors qu’en France les médias sont attaqués de toutes part, aussi bien par les partis extrêmes et le mouvement des « Gilets Jaunes » que par le Président de la République sans parler du scandale de la « Ligue du LOL », au Royaume Uni, un rapport commandé par le gouvernement, s’inquiète de l’avenir de ce secteur et préconise un certain nombre de mesures « pour un futur durable du journalisme ».

Si elle se révèle aujourd’hui de façon criante, la crise de cette profession existe depuis plusieurs années. En 2004, nous avions réalisé à la Bibliothèque de Sciences Po un dossier documentaire sur ce sujet, présentant déjà des préoccupations semblables : éthique et déontologie, émergence de nouveaux médias, fragilisation du modèle économique. « Manipulateur-manipulé, le journaliste dispose-t-il encore du pouvoir dont on le crédite ? Participe-t-il à cette fabrique de l’opinion où tous les sujets sont passés au tamis du système médiatique ? […] Comme dans d’autres secteurs, celui des médias subit une restructuration qui fragilise l’emploi et se traduit par une précarisation de la profession. L’évolution technologique touche au cœur même du métier ».

L’impact de l’internet et la fin du modèle économique des médias traditionnels

Le rapport Cairncross, du nom de la journaliste chercheure chargée de sa réalisation, souligne l’impact de l’arrivée d’internet sur le modèle économique de la presse en Grande-Bretagne : « Avec la baisse drastique des revenus publicitaires sur format papier, elle a encore du mal à compenser les pertes sur le numérique. Les revenus publicitaires étant principalement captés par les géants du web, elle a dû faire des économies. C’est-à-dire au détriment des investissements qu’elle aurait pu faire pour accompagner sa transformation digitale ou encore en rognant sur les coûts de l’information (- 6000 journalistes depuis 2007 au Royaume Uni). » (Alexandre Bouniol dans Meta-Media). Les deux types de journalisme les plus touchés sont le journalisme d’investigation (trop cher) et la presse locale. On constate une contraction des contenus locaux, donc une baisse d’implication dans la vie politique et sociétale … L ’arrivée du smartphone s’accompagne d’une baisse drastique de la distribution des quotidiens nationaux qui passent de 11, 5 millions d’exemplaires en 2008 à 5,9 millions en 2018. Le nombre de quotidiens locaux passe de 1303 à 982 entre 2007 et 2017. réseaux-sociaux-et-journalisme

L’émergence des ‘pure players’ comme Buzzfeed ou le Huffpost de même que le passage par des plateformes d’information comme Google News, Apple News et Facebook, changent complètement le comportement des lecteurs pour accéder à l’information. En passant par ces plateformes, le lecteur n’a plus accès à un ‘panorama’ de l’information comme dans un journal. L’accès se fait article par article suivant un algorithme construit à partir des données de l’utilisateur. « Les informations d’intérêt public sont celles qui émergent le moins sur les plateformes. Les algorithmes ne sélectionnent pas la pertinence d’un contenu mais récompensent les contenus qui se partagent le plus. ». Cette ‘désagrégation de l’information’ « fait que les adultes britanniques passent de moins en moins de temps à s’informer et se sentent submergés par le flot de l’information ».

En France aussi, la presse et les médias traditionnels intéressent de moins en moins le grand public. Le dernier Baromêtre de la Croix le confirme. Dans cette enquête, les Français montrent une vraie défiance envers les médias. La télévision recule de 10 points (38%), la radio de 6 points (50%) et la presse écrite de 8 points (44%%). Quant à internet, il est jugé fiable par 25% des sondés… Comme le souligne Thierry Wojciak de Cbnews, « l’étude met au jour un paradoxe « les médias auxquels les Français accordent le moins de confiance sont ceux qu’ils utilisent le plus pour s’informer. » La télévision reste en tête (46% des sondés) devant internet (29%). Mais ce qui est inquiétant c’est que moins de la moitié des jeunes 18-24 ans prêtent intérêt aux nouvelles, alors que près des trois quarts des plus de 65 ans (74%) s’y intéressent encore. L’enquête a aussi étudié la perception du traitement médiatique du mouvement des Gilets jaunes. Moins d’un tiers du panel (32%) se disent satisfaits de la couverture médiatique du mouvement, alors que 51% la jugent mauvaise. Il leur est reproche d’avoir « dramatisé les évènements » (67%), trop laissé s’exprimer un point de vue extrême (52%), ne pas avoir permis de « bien comprendre » (54%). La violence envers les journalistes est justifiée pour 23% des personnes interrogés, tandis que 32% la condamnent et 39% ne la jugent pas « vraiment justifiée ».

Par ailleurs, pour nombre de « Gilets jaunes », seuls deux médias, en dehors de leurs cercles sur les réseaux sociaux, ont grâce à leur yeux, RT, la chaîne d’information d’influence russe, et Brut, une chaine vidéo aux commentaires très ‘factuels’.

Lutte contre les infox et déontologie de l’information MédiasNePasAvalerDésinfoBON

Le rapport Cairncross dénonce aussi le manque de clarté pour distinguer les informations vérifiées des infox. Pour remédier à cela le rapport propose plusieurs solutions : rendre responsables juridiquement les plateformes, que la rapporteuse trouve elle-même assez délicat ; introduire dans l’algorithme un quota d’informations de bien public afin que tout le monde ait accès à ce genre de contenus ; mettre en place une instance de régulation qui rendrait compte de la qualité d’information diffusée sur ces plateformes.

On retrouve cette préoccupation en France, où le Président Macron voudrait introduire un contrôle des médias, comme le rapporte Claude Askolovitch dans Slate. Le Président voudrait « s’assurer de la neutralité et vérifier l’information dans les médias, en créant des structures financées par l’Etat qui contrôleraient médias publics et privés, structures nantis de journalistes qui seraient les ‘garants’ de l’affaire ». Claude Askolovitch continue en ironisant « Notre Président veut mettre le journalisme sous tutelle, telle une classe sociale assistée […] La liberté s’épanouira sous la contrainte ? Son organe de vérification s’imposera-t-il à la presse ? Les journalistes qui lui seront affrétés deviendront-ils nos supérieurs et nos gardiens, nos censeurs, les auxiliaires du pouvoir, de l’Etat ? ». Cela risque, comme pour la loi sur les Fake news, de remettre en cause de la liberté d’expression en introduisant une dose de censure et surtout se pose la question « qui va contrôler les contrôleurs ? ».  images

Plus concrètement, des syndicats de journalistes ainsi que d’autres instances de l’édition, notamment l’Observatoire de la déontologie de l’information préconisent la création d’un  Conseil de presse. Ce projet, qui réunirait aussi bien des journalistes, des éditeurs et des représentants du public, aurait comme objectif de gérer et instruire les plaintes mais aussi de proposer des orientations en matière de déontologie. Il  pourrait s’appuyer sur le rapport, « Autorégulation de l’information : comment incarner la déontologie ? », réalisé en 2014 par Marie Sirinelli et le Ministère de la Culture. Cette idée est encore controversée dans le milieu journalistique et les médias, mais est soutenu par une personnalité comme Jean-Luc Mélenchon qui déplore qu’on ne dispose que de la justice pour « faire appliquer une sanction pour dissuader de recommencer ».

Or, ce sont souvent les rédactions qui s’opposent à la mise en œuvre d’une telle instance, c’est ce que soulignent les intervenants  de l’émission « Faut-il noter les journalistes ? » (Du grain à moudreFrance Culture) alors que souvent il existe déjà une charte déontologique dans les organes de presse (Les Echos, Radio France). « C’est à chaque rédaction de prendre son destin en main […] il faut que tous les rédacteurs soient capables de se défendre des pressions des actionnaires » soutient François Ernenwein, rédacteur en chef de La Croix, « Il faut donner aux rédactions les moyens de se défendre contre certaines pressions (loi Bloche, Secret des affaires) pour Leila de Cormamond, journaliste sociale aux Echos

charte-580x445Regagner la confiance du public et construire un journalisme de qualité

La crise des Gilets jaunes a révélé en France la défiance d’une importante partie du public vis-à-vis des médias et des journalistes. Certains se sont lancé dans une autocritique de leurs pratiques comme les rédacteurs réunis dans le dossier de Libération. Dans ce dossier, les journalistes se soumettent à un « examen de confiance ». Les 25 professionnels de l’information se demandent « s’ils ne méritent pas une partie de la méfiance qu’ils inspirent et que la terrible pression qui plombe le secteur des médias et contraint la bonne pratique du métier, ne sert pas d’argument refuge à tous les reproches ». Les journalistes ont conscience de leur uniformité sociale et culturelle, et que, hormis les pigistes et les CDD, il font plutôt partie de la couche moyenne-supérieure de la société (la fameuse ‘élite’ intellectuelle, honnie par le ‘peuple’). Cet ‘entre-soi’ pourrait aussi expliquer le succès de groupes comme la Ligue du LOL, où de brillants journalistes (blancs, males et très parisiens) harcèlent leurs consœurs sur les réseaux sociaux. Les journalistes reconnaissent qu’ils ne ‘s’adressent pas à la masse des gens’. Comme l’exprime Jean-Emmanuel Decoin, rédacteur en chef de l’Humanité «La presse écrite ne raconte pas la vraie vie des gens et on le prend en pleine gueule aujourd’hui. […] Où raconte-t-on la souffrance, la vie derrière les murs des entreprises ? ». De plus, la majorité des journalistes résident dans la région parisienne (20 000 des 35 000 cartes de presse). « Hors de Paris, la presse nationale se donne de moins en moins les moyens d’enquêter. dit Sylvain Morvan, de Médiacités. La presse régionale aussi ferme des antennes locales. Des villes petites et moyennes deviennent des déserts médiatiques. L’actualité locale est moins bien traitée, les journaux perdent en qualité. Il est probable que cela joue sur la défiance ».

Expliquer comment on travaille et on débat comme le suggère Amaelle Guitton de Libération, c’est aussi l’objectif de Pierre Ganz de l’ODI. « Beaucoup de gens ne savent pas comment on fabrique l’information. Les choix éditoriaux sont libres et différents de problèmes de déontologie. ». Car s’il existe un besoin de représentation et d’explication dans le public, il existe aussi un besoin d’interpellation.  « Le désir de noter les journalistes vient de personnes qui estiment que les journalistes traitent trop peu souvent de leurs vies, de leurs combats. Il a fallu que les Gilets jaunes descendent dans la rue pour qu’on parle d’eux. Il faudrait pas laisser le soufflé tomber » souligne Pierre Ganz. Le public identifie l’ensemble des journalistes à quelques personnalités : il faut diversifier la formation des journalistes et par exemple développer le journalisme scientifique comme le préconise Olivier Dessibourg dans Meta-média. « Beaucoup de journalistes considèrent que leur rôle est de dire le bien et le mal, comment il faut penser » remarque Natacha Polony, directrice de Marianne. C’est aussi l’avis de Brice Couturier, chroniqueur à France Culture « Avant, nous avions le monopole de l’information. Désormais, l’information nous devance sur les réseaux sociaux. Nous avons réagi en idéologisant à mort, en devenant des directeurs de conscience. Mais en réalité, un journaliste a peu de compétences, il est généraliste, car on n’approfondit pas les sujets en école de journalisme ».

Une des nouvelles pistes possibles est le ‘journalisme de données’. L’analyse qualitative de données est encore peu courante dans le journalisme, comme le constate Bruno Breton dans Les Échos. A l’exception de quelques initiatives pionnières comme « les Panama Papers ou les Paradise Papers à l’occasion desquelles  l’ICIJ (consortium international des journalistes d’investigation) a agrégé des millions de données pour épingler certains paradis fiscaux, la presse reste frileuse. ». L’utilisation des données publiques, issues par exemple, des réseaux sociaux pourrait être un atout éditorial puissant dans le travail des journalistes, surtout si elles ont été traitées avec des outils adéquats. Cet argument est aussi avancé dans l’émission Soft Power de Frédéric Martel sur France Culture. « Avec la généralisation d’internet, l’accumulation exponentielle des données et la puissance inédite des réseaux sociaux, on assiste à une démultiplication des sources numériques disponibles. Les journalistes s’en emparent : ce sont de nouveaux outils de recherche ; de nouveaux terrains d’enquêtes ; de nouveaux types d’enquêtes et d’écritures. »

 « Il faut en revenir aux faits » comme le soutien Géraldine Mulhmann dans une interview sur Rue89 « Il ne s’agit pas d’invoquer un idéal d’’objectivité’ sans précaution ni doutes.[…] Il s’agit juste de dire que le ‘je’ d’un reporter entre en compte d’une manière toute à fait différente, dans son reportage, que le ‘je’ d’un éditorialiste ». Cela ne signifie par autre chose que l’impératif pour le journalisme, de « faire du journalisme et de le faire bien ». Retrouver le rapport tangible aux faits au lieu de se contenter d’un rapport souvent ‘virtuel’.  « Il est important que le public comprenne qu’il y a une différence entre un lieu de pure expression ou d’opinion et un lieu qui veut donner de l’information. […] Faire voir à quel point il y a un monde entre une rumeur même très puissante sur internet et une enquête minutieuse et soigneusement racontée ».

On retrouve ce manque d’analyse sérieuse dans les menées de la « Ligue du Lol ». Comme le souligne la linguiste Laélia Véron dans la table-ronde d’Arrêt sur images « Ces gens qui sont censés maîtriser la langue ne les ont jamais attaqués sur le fond. Il n’y a jamais eu de débat d’idées ».

Les journalistes pourraient aussi s’inspirer du succès de Rémy Busine, le créateur de Brut, très populaire auprès des Médias-1Gilets jaunes, comme le fait remarquer Nicolas Bequet du quotidien Belge l’Echo « Proximité, écoute, humilité et simplicité, voilà ce qui caractérise son attitude face aux manifestants. L’exercice du ‘live’ façon Brut est une forme de retour aux sources, une interprétation des nombreuses missions dévolues aux journalistes : regarder, s’étonner et restituer. Le tout à hauteur d’homme. Une approche à l’antithèse de la perception qu’ont les classes populaires des médias dits traditionnels ».

Nouveau terrains, nouvelles pratiques pour le journalisme. – Soft PowerFrance Culture, 03/03/19

Faut-il noter les journalistes ?Du grain à moudre- France Culture, 28/02/18

Bouniol, Alexandre. – Les principales leçons du rapport britannique sur l’avenir du journalisme. – Méta-Média, 22/02/19

Doctor, Ken. - The New York Times’Mark Thompson on how he’d run a local newspaper: « Where can we stand and fight?NiemanLab.org, 22/02/19

Ganz, Pierre. – Un débat citoyen sur les médias. – Observatoire de la Déontologie de l’Information, 20/02/19

« Il ne faut pas jeter le LOL avec l’eau du bain ». – Arrêt sur image, 15/02/19

The Caincross Review: a sustainable future for journalism/Department for Digital, Culture, Media & Sport. – Gov.UK, 12/02/19

Lamy, Corentin. – Journalistes, réseaux sociaux et harcèlement : comprendre l’affaire de la Ligue du LOL. – Le Monde, 10/02/19

Askolovitch, Claude. – Emmanuel Macron, le journalisme de cour et le contrôle des médias. – Slate, 03/02/19

Littau, Jeremy. – The Crisis Facing American Journalism did not start with the Internet. – Slate, 26/01/19

Carasco, Aude. – Baromètre médias, les journalistes sommés de se remettre en cause. – La Croix, ma 25/01/19

Ferney, Jeanne. – Actualité : entre jeunes et séniors, le grand écart. – La Croix, 24/01/19

Wojciak, Thierry. – La confiance des Français dans les médias: la TV, la radio et la presse écrite pointées. – CBNews, 23/01/19

Ce que pourrait être un Conseil de presse : les propositions de l’ODI. – Observatoire de la Déontologie de l’Information, 23/01/19

Autocritique des médias : l’examen de confiance. – Libération, 19/01/19

Lefilliâtre, Jérôme. – De la critique des médias à la passion de l’immédiat. – Libération, 04/01/19

Bellanger, Anthony. – Un projet controversé de Conseil de presse en France. – Le Monde diplomatique, décembre 2018

Cahier de tendance Automne-Hiver : bientôt l’ère des post-news ?Meta-Media, 17/12/18

Dessibourg, Olivier. – Pourquoi il faut miser sur le journalisme scientifique. – Meta-Media, 17/12/18

Géraldine Mühlmann : « Revenir aux fondements du journalisme moderne ». – Rue89, 16/11/18

Breton, Bruno. – Le data journalisme, une chance pour la presse. – Les Échos, 24/05/18

Autorégulation de l’information : comment incarner la déontologie/Marie Sirinelli ; Ministère de la culture et de la communication. – Rapports publics – La Documentation française, février 2014

Quel avenir pour le journalisme ? Crise structurelle ou évolution de la profession. – Dossier documentaire. – Sciences Po – La Bibliothèque, Juin 2004

 

Affaire Cambridge Analytica : qui a peur des réseaux sociaux ?

Relation-client-online-reseaux-sociaux-plus-performants-que-mail-FDepuis près de trois mois, le scandale Facebook Cambridge Analytica défraie la chronique : tous les médias, la ‘blogosphère’ et les réseaux sociaux résonnent de commentaires et d’analyses sur ce ‘cambriolage’ d’identités numériques 3.0 …

Facebook a reconnu le mois dernier que le réseau avait ‘partagé’ les données personnelles de 87 millions d’utilisateurs avec une entreprise britannique, Cambridge Analytica, qui, sous prétexte de recherche socio-linguistique, vendait ces informations aussi bien à des firmes publicitaires qu’à des groupes politiques. L’élection de Donald Trump aussi bien que le referendum sur le Brexit auraient bénéficié de ces manipulations numériques. Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook, est allé personnellement faire amende honorable devant le Congrès des Etats-Unis.

Que sont ces réseaux sociaux et comment ont-ils pris autant d’importance dans notre vie quotidienne ? Partis d’une idée de partage et d’échange de ‘pair à pair’, ils sont devenus en moins d’une quinzaine d’années les ‘géants du net’, des entreprises multinationales qui comptent des milliards d’usagers ! Or, comme l’explique dans son post Thierry Crouzet, « nous avons négligé une loi mécanique des réseaux décentralisés : le ‘winner-take-all’, (le gagnant rafle tout) autrement dit des nœuds deviennent plus gros que tous les autres, concentrant un nombre faramineux de connexions, et de fait ils recentralisent le réseau, donc limitent l’intelligence collective. » amour-amitie-solidarite-les-petits-miracles-des-reseaux-sociaux

Certains psychologues reprochent aux réseaux sociaux de s’éloigner d’une ‘sociabilité originaire’ (où l’on se retrouve pour des ‘rencontre en dur’) comme Jean Twenge, professeure de psychologie citée dans Slate : les jeunes adolescents ne sortent plus et passent leur vie penchés sur leurs smartphones : « La patinoire, le terrain de basket, le bassin de baignade de la ville, le spot de pêche du coin –ils ont tous été remplacés par des espaces virtuels accessibles par les applications et le web.».

Doit-on donc « effacer Facebook » et les autres médias sociaux de notre vie numérique, ou est-il encore possible d’en tirer des effets bénéfiques ou positifs ? Ces médias sont, d’autre part, devenus indispensables aux enseignants-chercheurs et aux professionnels de l’information et de la communication qui peuvent exploiter leur potentiel pour s’informer et échanger avec leurs pairs.

Transfert de donnesLes socionautes 

Kamel Lefafta, consultant en marketing digital dresse le portrait-robot du socionaute français en 2018. En France, 60% des femmes et 59% des hommes utilisent les réseaux sociaux ; les 12-39 forment la masse critique des usagers avec un taux d’utilisation de 87% mais l’écart générationnel se réduit et les plus de 60 s’y retrouvent de plus en plus. 65% des personnes habitant l’agglomération parisienne les utilisent contre 57% résidant dans une commune rurale ; 70% de cadres et presque autant d’employés (68%) et d’ouvriers (67%), mais seulement 29% de sans diplômes. Les socionautes passent en moyenne 82 minutes par jour sur les réseaux et utilisent essentiellement trois plateformes : Facebook, YouTube et Twitter. Contrairement aux Américains, qui, comme le souligne le site BBCNews, restent ‘loyaux’ à Facebook malgré le scandale Cambridge Analytica, les usagers français sont de plus en plus méfiants vis-à-vis des réseaux sociaux. Comme le résume Kamel Lefafta : « A la fois accro et méfiant, le socionaute français vit une relation paradoxale avec ses réseaux sociaux préférés. Il s’y rend principalement pour échanger, garder le lien avec ses proches, s’informer et se divertir. »

Il est évident que les activités diffèrent en fonction du type de réseaux employé : Facebook, WhatsAppp et Instagram pour les échanges avec la famille et les amis ; YouTube pour se divertir ; LinKedin pour les relations professionnelles, Twitter pour suivre l’actualité et la recherche, Meetic ou Tinder pour les rencontres. Mais il arrive aussi que la frontière se brouille entre le privé et le professionnel. C’est ce que souligne Mathilde Saliou dans son article de Numérama.  « Vous voyez bien que vos collègues likent ». C’est la réflexion d’une chef de service lors d’une réunion, s’étonnant que certains membres de l’équipe n’ont pas partagé ou ‘liké’ un post de l’entreprise sur Facebook … Une autre personne ne sait quoi répondre à un supérieur qui lui demande d’être ami sur Facebook … Pour pouvoir accéder à une association « Je n’aime pas du tout mélanger le professionnel et le personnel, donc ça m’a gênée ». Certain.e.s, dont le travail tournent autour de la communication, sont obligé.e.s de se créer un deuxième profil, complètement professionnel. De plus en plus, les entreprises se dotent d’une charte informatique pour définir et organiser les rapports numériques au sein des entreprises. D’après une juriste spécialisée « « Légalement, aucun employeur n’a de contrôle sur les éléments personnels de l’employé, sauf à ce que ceci ne fasse partie intégrante du contrat. Mais dans ce cas, ils n’ont de pouvoir que dans la limite de la transparence et de la proportionnalité. »

Les usages professionnels des réseaux sociaux

images_resocComme on l’a vu, les réseaux sociaux sont utilisés par les marques commerciales pour entretenir l’intérêt et toucher de nouveaux usagers. Les « Community managers »(CM) sont censé.e.s animer les pages de l’entreprise et aussi répondre aux questions des socionautes. Ces communicant.e.s sont beaucoup plus efficaces pour résoudre un problème que les services clients des organisations. En exposant un contentieux sur une page lue par un large public, on risque de ternir l’image de la firme : on vous propose tout de suite de passer en message privé pour traiter le problème ! Certaines entreprises ont quasiment remplacé leur service clients par un CM sur Facebook !

Mais les médias sociaux peuvent être aussi des ressources précieuses pour les enseignants, les chercheurs et les professionnels de l’information. Comme l’explique Pierre Levy, professeur de communication à l’Université d’Ottawa « Dans mes cours, je demande à mes étudiants de participer à un groupe Facebook fermé, de s’enregistrer sur Twitter, d’ouvrir un blog s’ils n’en n’ont pas déjà un et d’utiliser une plateforme de curation collaborative de données comme Scoop.it, Diigo ou Pocket. » Les étudiants sont ainsi plongés dans le flux de ces outils de communication et comprennent mieux leur fonctionnement. Ils apprennent aussi l’importance de l’indexation avec les tags qui permettent de classer et de catégoriser les informations. Les plateformes de curation permettent d’organiser une veille collaborative, indispensable aux futurs chercheurs. La participation et le travail collaboratif sur les réseaux sociaux est d’ailleurs quasiment obligatoire dans les MOOCs.

Organiser et partager sa veille avec des collègues et des lecteurs est aussi un des objectifs des bibliothécaires sur les réseaux sociaux. Cela fait partie d’un programme plus vaste de médiation numérique qui aboutit à l’éditorialisation de contenus, à travers des blogs, par exemple. Comme l’explique les diapositives Les réseaux sociaux en bibliothèque : « La Bibliothèque dissémine ses contenus pour mieux les réintégrer dans ses propres dispositifs ». Mais comme les entreprises ou les collectivités locales, les bibliothèques doivent animer leurs communautés d’usagers sur les réseaux.

La structure des réseaux et la connectivité

Un réseau est « un ensemble d’individus reliés entre eux par des liens créés lors d’interactions sociales » Thomas Laigle, Le Réseau pensant. Cette définition semble induire que les individus ont librement décidé d’interagir socialement et que la communauté ainsi créée ne dépend que de leur seule volonté. Or, quand on analyse la participation des socionautes sur les réseaux, l’activité développée est plutôt réduite. La courbe de participation se traduit par la distribution 90/9/1 : 90% de simple lecteurs, 9% de contributeurs occasionnels et 1% de contributeurs actifs. On est loin de la l’utopie des pionniers d’internet qui voulaient édifier un réseau décentralisé où chacun collabore !

Thierry Crouzet rappelle cette espérance dans son post : « Lors de l’avènement d’Internet, nous avons été quelques utopistes à croire et à prédire que la complexité toujours croissante ainsi que les possibilités technologiques nous aideraient à créer des réseaux toujours plus décentralisés, avec ce rêve que les hiérarchies seraient toujours moins présentes, donc les étoiles toujours plus petites. »  Contrairement à Rezonance, réseau social citoyen limité à la Suisse romande, les réseaux sociaux sont tombés dans le trou noir du ‘winner-take-all’, « L’information circule alors à sens unique. Elle irrigue les hubs et elle assèche les nœuds périphériques. » On a choisi la facilité en allant tous au même endroit au même moment. Plutôt que de réguler l’internet en limitant les connexions, on a fait confiance aux mêmes distributeurs, les GAFAM … mentions-legales-réseaux-sociaux

Les plateformes et le capitalisme de surveillance

Sur l’internet recentralisé, les plateformes deviennent les intermédiaires obligées pour les transactions économiques (acheter, vendre). Elles ont gagné la bataille de la distribution et sont devenues plus performantes. La publicité sur Facebook est un des leviers incontournables pour les entreprises. Le modèle économique de Google et Facebook repose essentiellement sur la revente des données personnelles à des ‘data brokers’, comme le développe Benjamin Sontag dans l’émission de France Inter Comme un bruit qui court. Si Facebook se présente comme une plateforme communautaire (ce qu’il est), il ne faut pas oublier les 30 millions d’utilisateurs actifs en France métropolitaine ! « Un atout indéniable pour l’ensemble des secteurs industriels tous confondus qui pourront utiliser les nombreuses données récoltées et segmentées pour un ciblage Facebook efficient auprès des bonnes personnes. » comme le souligne Arnaud Verchère dans son article du Siècle digital.

La Quadrature du Net, qui mène en ce moment une action de groupe contre les GAFAM en application de la nouvelle loi européenne (RGPD) explique comment Facebook arrive à récolter des informations grâce à ses techniques de traçage, même pour des personnes qui n’ont pas de compte Facebook. En plus des contenus publics, message privés, liste d’amis, de pages, de groupes, likes, commentaires et réactions diverses, les informations sur l’appareil qu’on utilise et de la localisation GPS, le réseau social utilise des cookies, des pixels invisibles (images transparentes qui transmettent des informations de connexions) le login de Facebook que certains sites ou applications utilisent comme outil d’authentification des utilisateurs … Les personnes ciblées sont rarement informées et leur consentement n’est pas sollicité … On peut néanmoins les détecter en installant des traceurs sur le navigateur comme UBlock ou Privacy Badger. GDR

« De l’analyse de toutes ces données résulte un nouveau jeu d’informations, qui sont les plus importantes pour Facebook et au sujet desquelles l’entreprise ne nous laisse aucun contrôle : l’ensemble des caractéristiques sociales, économiques et comportementales que le réseau associe à chaque utilisateur afin de mieux le cibler. » A partir d’un test de personnalité et des seuls ‘j’aime’ d’un échantillon de 58 000 utilisateurs, l’université de Cambridge a réalisé une étude en 2013 qui lui a permis d’estimer « leur couleur de peau (avec 95 % de certitude), leurs orientations politique (85 %) et sexuelle (80 %), leur confession religieuse (82 %), s’ils fumaient (73 %), buvaient (70 %) ou consommaient de la drogue (65 %). » « Au bout de 100 clics, on peut connaître quelqu’un mieux que sa famille » (Benjamin Sontag). Et ce n’est même pas la puissance publique, l’Etat, ce ‘big brother’ qui nous espionne à tous les instants, ce sont des sociétés privées multinationales, ce que la Quadrature net appelle le ‘capitalisme de surveillance’. reseauxsociaux

Les manipulations cognitives des notifications : l’écologie de l’attention

Depuis quelques mois on a vu des cadres des GAFAM venir dénoncer les pratiques des géants du numérique. « Depuis Chamath Palihapitiya et Sean Parker (respectivement cadre et ancien président de Facebook) à Loren Brichter (ancien codeur de Twitter), en passant par Tristan Harris (ex salarié de Google auteur du virulent manifeste « Comment la technologie pirate l’esprit des gens »), tous ces repentis du digital pointent du doigt les manipulations cognitives que leur ex employeurs n’ont cessé d’utiliser et de perfectionner depuis des années, dans le but de captiver l’attention de leurs utilisateurs et de s’accaparer leur « temps de cerveau disponible ». Hervé Monier analyse dans son post, comment la captologie, cette nouvelle discipline théorisée par le psychologue américain Brian J. Foggs maintient « les niveaux d’attention et d’engagement des internautes au plus haut degré d’excitation possible » grâce à une combinaison « des enseignements de la psychologie et des neurosciences avec les dernières avancées de l’informatique ». Les plateformes utilisent cinq biais cognitifs pour capter notre attention. A commencer par les notifications, ces signaux auditifs ou visuels qui apparaissent sur nos écrans pour nous signaler la nécessité d’une mise a jour ou d’une mention sur nos réseaux sociaux favoris, puis les gratifications représentées par les ‘likes’ et les retweets qui déclenchent le ‘circuit de la récompense’ avec l’activation de la dopamine, le fameux  neurotransmetteur, sans oublier les interactions sociales dont notre cerveau est si friand !

Mais si les socionautes sont hantés par les ‘informations à ne pas manquer’ (FOMO : Fear of Missing Out), ils ne sont pas pour autant ‘accros’ aux écrans et aux applis … « Pour les addictologues Joël Billieux (professeur à l’université du Luxembourg) ou bien Michel Lejoyeux (chef du service de psychiatrie et d’addictologie à l’hôpital Bichat), l’addiction aux écrans et aux réseaux sociaux par exemple est en elle-même plutôt marginale. » Certains symptômes (manque ou habituation) ne s’appliquent pas vraiment, internet représente davantage un moyen supplémentaire de satisfaire une addiction existante (pornographie, jeu d’argent ou jeu vidéo). De même, aucune étude scientifique n’a vraiment constaté des dégâts cognitifs permanents chez les plus jeunes, liés à un usage excessif des réseaux ou des plateformes … De même, comme le souligne Antonio Casilli dans une émission de France Culture, la sociabilité ‘intermédiée’ qui fonde les réseaux sociaux n’est pas apparue avec les technologies de l’information, mais a toujours existé : on retrouve cette dimension symbolique autant dans les œuvres de fiction (romans, théâtre, poésie) que dans la presse écrite ou les récits oraux (rapsodes).

Plutôt que de prôner la déconnexion et l’abstinence dans l’usage des réseaux sociaux et services en ligne qui constituent malgré tout de formidables outils de socialisation et d’apprentissage, ces experts mettent en garde contre la perte de contrôle face à la technologie. Là encore, on retrouve le problème de la gouvernance de l’internet et de la régulation des plateformes.

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Données personnelles : gare aux GAFAM/Giv Anquetil, Antoine Chao, Charlotte Perry. – Comme un bruit qui court – France Inter, 12/05/18

Verchère, Arnaud. – Le ciblage Facebook, c’est bien plus que des centres d’intérêt. – Le Siècle digital, 11/05/18

Frenkel, Sheera. – Scholars Have Data on Millions of Facebook Users. Who’s Guarding It. – The New York Times, 06/05/18

Calimaq. – L’anti-protection sociale de Facebook et le « providentialisme de plateforme ». – S.I.Lex, 06/05/18

Monier, Hervé. – Réseaux sociaux et plateformes : après des années de manipulations cognitive, vers une écologie de l’attention. – Le blog des marques et du branding, 06/05/18

Facebook privacy: Survey suggest continuing US loyalty. – BBC New, 06/05/18

Casilli, Antonio ; Tisseron, Serge. - Splendeurs et misères des réseaux sociaux. – Matières à penser – France Culture, 27/04/18

Audureau, William. – Comment les réseaux sociaux accentuent l’enfermement dans ses idées. – Le Monde, 24/04/18

Ertzscheid, Olivier. – Pourquoi je ne quitte pas (encore) Facebook ?Libération, 24/04/18

Brunfaut, Simon. – Antoinette Rouvroy : « A mon sens,Zuckerberg est dépassé. – L’écho, 23/04/18

Pourquoi attaquer Facebook ?La Quadrature du Net, 19/04/18

Le premier réseau social a 20 ans. – Thierry Crouzet, 19/03/18

Saliou, Mathilde. – « Vous voyez bien que vos collègues likent » : les profils perso au service du boulot, une fatalité ?Numérama, 19/03/18

Alberti, Xavier. – Twitter, Facebook et les « braves gens ». – Xavier Alberti, 26/02/18

Levy, Pierre. - Comment j’utilise les médias sociaux dans mes cours à l’université. – Red.Hypothèse.org, 22/02/18

Réseaux sociaux : portrait robot du socionaute en 2018. – LK Conseil, 113/02/18

Gaudion, Anne-Gaëlle. – Réseaux sociaux en bibliothèque : support de la formation donnée les 7 et 8 septembre 2017. Bibliothèque départementale de la Mayenne. – Slideshare.net, 11/09/17

Audouart, Marie-Françoise ; Rimaut, Mathilde ; Wiart, Louis. - Des tweets et des likes en bibliothèques. – Paris ; Editions de la Bibliothèque publique d’information, 2017. – Coll. Etudes et recherche. – OpenEdition Books, 11/12/17

Panfill, Robin – Les smartphones ont-ils détruit la génération « iGen » ? – Slate.fr, 04/08/17

 

 

Au-delà du développement des cryptomonnaies : la blockchain, le nouveau paradigme numérique ?

1 yMaDxLYR19wbYrB-nji2rgLe bitcoin va bientôt fêter ses dix ans et les cryptomonnaies se retrouvent au centre de plusieurs controverses. Outre la bulle qui était sur le point d’éclater en décembre dernier, les critiques pleuvent sur ce nouveau mode d’échange. Bill Gates, le co-fondateur de Microsoft, vient de déclarer que cette technologie « a causé des morts d’une manière assez directe » comme le rapporte Mathilde Loire dans son article de Numerama. Pour le milliardaire philanthrope, c’est l’anonymat des transactions qui est responsable de ces méfaits en permettant aux organisations criminelles d’échapper à la police. Néanmoins, Bill Gates ne met pas en cause le mécanisme fonctionnant derrière les cryptomonnaies : la blockchain.

Ce mécanisme devrait bouleverser complètement de nombreux secteurs économiques basés sur des transactions sécurisées. De la finance à l’industrie agro-alimentaire, en passant par l’assurance, la santé, le droit d’auteur, la distribution/consommation d’énergie, le droit (les ‘smart contrats’), les objets connectés seraient concernés. La Commission européenne vient de lancer un observatoire-forum des chaînes de blocs dans l’UE et  en France, l’Assemblée nationale lance deux missions d’information : la première est directement centrée sur les technologies blockchains ; la seconde sera centrée sur les cryptomonnaies, ou cryptoactifs. Au niveau international, le Center for Global Economics a publié une étude sur la blockchain et le développement économique, identifiant quatre défis pour le développement : faciliter les payements internationaux, pourvoir une infrastructure sécurisée de vérification de l’identité numérique,assurer les droits de propriété et enfin rendre l’aide plus sûre et transparente.

Si certains écologistes se réjouissent du fait que cette technologie simplifiera la certification de la production participative d’énergies renouvelables, d’autres s’inquiètent des « gouffres énergétiques » représentés par la consommation d’énergie des ‘mineurs’ pour effectuer les transactions.

La blockchain blockchain-31-638

« Une blockchain, ou chaîne de blocs, est la mise en œuvre d’une technologie de stockage et de transmission d’informations sans organe de contrôle. Techniquement, il s’agit d’une base de données distribuée dont les informations, envoyées par les utilisateurs, sont vérifiées et groupées à intervalles de temps réguliers en blocs, liés et sécurisés grâce à l’utilisation de la cryptographie, et formant ainsi une chaîne1. Par extension, une chaîne de blocs est une base de données distribuée qui gère une liste d’enregistrements protégés contre la falsification ou la modification par les nœuds de stockage. Une blockchain est donc un registre distribué et sécurisé de toutes les transactions effectuées depuis le démarrage du système réparti. » Wikipedia.

Comme on le voit dans cette définition, la principale originalité de la blockchain est l’absence d’organe de contrôle. Comme le protocole Internet, le mécanisme informatique est complètement décentralisé : il n’y a pas de responsable ou de ‘tiers de confiance’. La confiance s’instaure entre les différents agents du système qui sécurisent chaque transaction grâce à la cryptographie. Cela pose problème d’ailleurs pour l’application du nouveau Règlement général de la protection des données (RGPD) que l’Union européenne validera en mai 2018. Comme le souligne Charlie Perreau dans le Journal du Net, si le consentement clair des utilisateurs et la ‘privacy by design’ à l’œuvre dans la blockchain sont compatibles avec le règlement, l’absence de responsable « la personne physique ou morale, l’autorité publique, le service ou un autre organisme qui, seul ou conjointement avec d’autres, détermine les finalités et les moyens du traitement » est incompatible avec le RGPD, car personne n’a la responsabilité juridique du traitement des données. Incompatibles aussi, le droit à l’oubli ou à l’effacement des données, impossible actuellement dans la blockchain, de même que la conservation limitée des données, « celles-ci étant conservées à l’infini … (sauf en cas de dysfonctionnement). »

Le fonctionnement de la chaine de blocs diffère en fonction des produits. Alors que pour le bitcoin, elle est basée sur la « preuve de travail » (proof-of-work) où les utilisateurs ‘mineurs’ doivent exécuter plusieurs algorithmes pour valider la transaction, d’autres cryptomonnaies sont basées sur la « preuve d’enjeu » (proof-of-stake) prouvant leur participation au système (possession d’une certaine quantité de cryptomonnaie). Cependant, cette solution favoriserait les membres les plus riches et éliminerait ceux qui y entrent et ne possèdent encore rien en jeu (nothing at stake) : d’où l’introduction de plusieurs méthodes de pondération (en fonction de la vélocité ou des votes). Ces méthodes consomment beaucoup moins d’énergie que la ‘preuve de travail’ mais sont beaucoup moins sécurisées …

shutterstock-blockchainLa blockchain et l’énergie

Alors que la technologie blockchain a été très vite adoptée pour la production et la certification des énergies renouvelables, elle a aussi été accusée de consommer d’énormes quantités d’énergie, notamment dans le ‘minage’ (production) de bitcoins. Fabrice Flipo et Michel Berne citent dans un article du Nouvel Obs, une étude de 2014 montrant « que la consommation du réseau destiné au bitcoin était probablement de l’ordre de grandeur de la consommation électrique d’un pays comme l’Irlande. ».  A quoi Benjamin Allouche répond dans un post de Bitcoin.fr que si « Le bitcoin est objectivement une technologie qui a besoin d’une quantité monstrueuse d’énergie pour fonctionner. Ceci est malheureusement la vérité. », le problème principal est non la quantité d’énergie consommée (de l’ordre de la consommation annuelle de la Bulgarie en 2017), mais la source et le mode de production de l’énergie. La plupart des mineurs se trouvent en Chine et utilisent de l’électricité produite à partir du charbon. De plus les mineurs sont en concurrence pour valider les transactions et fonctionnent surtout avec des proof-of-work, et le premier qui valide est récompensé en bitcoins ! Cette course explique la consommation folle car la puissance demandée est très importante. En utilisant plutôt des énergies renouvelables, les dommages environnementaux seront bien moindres, en effet « consommer 1 TWh produit grâce à de l’énergie solaire aura un impact moins négatif sur l’environnement qu’1 KWh produit au charbon. ». Les Islandais fonctionnent déjà à l’énergie verte. Le problème se situe plutôt du côté technique de la blockchain. Le proof-of-work est le seul consensus à garantir la sécurité absolue du protocole. Le proof-of-stake, utilisé par d’autres cryptomonnaies, bientôt adopté par ether, est moins gourmand en énergie, mais moins sécurisé.

Unicef, LGBT token, ‘smart contracts’, tourisme, traçabilité agro-alimentaire : les différents chantiers de la blockchain

Les cryptomonnaies

Le bitcoin est loin d’être la seule cryptomonnaie, on en dénombre des milliers aujourd’hui, mais c’est la plus importante et la plus cotée.  Comme on l’a vu, c’est aussi celle qui utilise le protocole le plus sécurisé : lorsque deux utilisateurs échangent de la monnaie, ils sont les seuls à avoir accès à la transaction. Les banques commencent à prendre en compte ce phénomène, la puissante Bank of America vient de reconnaître dans un rapport avec la SEC que les cryptomonnaies représentaient une menace pour leur modèle économique …

L’ether est la deuxième cryptomonnaie qui s’impose. Créée par un jeune Canadien d’origine russe, Vitali Buterin, elle ne se limite pas à la production monétaire, mais utilise sa plateforme décentralisée Etherum pour réaliser des ‘contrats intelligents’ (smart contracts). Toujours basée sur la technologie blockchain : les applications fonctionnent exactement comme elles ont été programmées : sans immobilisation ni censure et sans l’interférence d’un tiers. Comme le souligne l’article de CNews « La blockchain d’Ethereum pourrait ni plus ni moins remplacer les notaires, avocats ou autres en jouant le rôle de «tiers de confiance» lors d’une transaction, et en mettant en quelques secondes en place des contrats sans failles, de manière bien plus efficace qu’un humain. ».

L’Unicef vient de lancer de lancer un projet pilote qui propose aux jeunes ‘gamers’ d’utiliser leurs ordinateurs pour ‘miner’ des ethers au bénéfice des enfants de Syrie. Peter Beaumont dans son article du Guardian indique que cette levée d’argent, qui permet de réduire de 30% les budgets d’aide des Nations Unies (perdus dans la corruption) n’est pas la seule application de la plateforme Etherum : le Programme alimentaire mondial (PAM) l’a aussi utilisée pour distribuer des bons d’alimentation dans un camp de réfugiés syriens en Jordanie à l’aide d’un fichier biométrique d’identification basé sur la reconnaissance des iris.

Une autre cryptomonnaie originale est le ‘LGBT token’. L’entrepreneur américain Christof Wittig, fondateur du chat gay Hornet, veut, en lançant ce ‘jeton rose’ mettre « le pouvoir de la blockchain au service de l’égalité des droits ». Comme l’indique Corentin Durand dans Numerama, ce système ne se limite pas à la production de monnaie, il sert aussi à l’identification sécurisée des membres de la communauté et à la création d’outils et de fonds pour soutenir des initiatives militantes. Wittig veut « faire prendre conscience à toutes les entreprises l’importance économique de ses membres. Afin de marquer les esprits, l’entrepreneur met en avant que l’économie rose représenterait la quatrième économie mondiale si elle se classait comme un pays. ». KryptoMoney.com-Blockchain-news

Outre la production de cryptomonnaies, le protocole blockchain se retrouve à l’œuvre dans de multiples projets économiques, juridiques et alternatifs. Certains, comme l’évoque Irénée Régnauld de Mais Où va le Web, avancent même que la blockchain pourrait signer la fin du capitalisme… En effet, « certaines caractéristiques propres à la Blockchain (architecture distribuée, autonomie, transparence et ouverture) semblent heurter les fondements même du système capitaliste solidement ancré sur les notions de propriété privée, de concurrence, de salariat et de séparation entre capital et travail. ». II reconnaît néanmoins que « l’aplatissement des rapports hiérarchiques ne signent ni la fin du salariat, ni celle du capitalisme ». Néanmoins la blockchain ouvre le champ des possibles avec les Organisations Décentralisés autonomes (DAO), programmes « auto-exécutoires » qui ne nécessitent pas d’autorités centralisatrices, comme Le Bon Coin ou Facebook … On retrouve d’ailleurs cette philosophie libertarienne dans l’interview de Vitali Buterin, le patron d’Etherum, au Monde, où il se définit politiquement comme ‘cuckservatist’ (conservateur contaminé par des idées libérales).

Le système fonctionne déjà, comme on l’a vu pour la certification dans la production et la vente d’électricité, surtout issue d’énergies renouvelables.

Un de chantiers importants qui s’ouvre à cette technologie est la traçabilité des produits agro-alimentaires. Grâce à la blockchain, les différents acteurs économiques de ce secteur sont représentés dans chaque chaînon et chaque transaction est transparente. A tout moment du processus, de la ferme au consommateur, il sera possible de tracer le produit. Comme l’explique Larry Miler dans Forbes, alors que ce sont les consommateurs et les détaillants qui profitent le plus de la transparence, ce sont souvent les agriculteurs qui doivent supporter le fardeau de la traçabilité. Avec le système blockchain, tous les acteurs se retrouvent sur la même page et tracent les produits de façon plus rentable. Le projet de traçabilité TE-Food, basé sur la blockchain, a été implémenté avec succès au Vietnam à Ho-Chi-Minh Ville. En France, le CEA et la start-up Connecting Food ont signé un partenariat de trois ans pour développer de nouveaux outils basés sur la technologie blockchain, améliorant le suivi et les contrôles des produits de l’industrie alimentaire.

Blockchain-graphics_networksLe tourisme avec des réservations sans agences, les industries culturelles avec le droit d’auteur, la santé avec le livret médical sécurisé, la gestion des identités numériques sont les prochains défis que les administrations et les entreprises devront relever avec des protocoles blockchain s’ils ne veulent pas être dépassés par d’autres collectifs …

Ray, Shaan. – How blockchains will enable privacy. – Towards Data Science, 03/03/18

Keane, Jonhatan. – This startup is creating the cultural cryptocurrency for museums and institutions.The Next Web, 02/03/18

Loire, Mathilde. – Bill Gates estime que les cryptomonnaies causent des morts. – Numerama, 28/02/18

Jackson, Reuben. – Op Ed: Why Millenial Migrate to Blockchain Technology and Cryptocurrency in Droves. – Bitcoin Insider, 28/02/18

Rins, Robin. – Blockchain : quel impact sur le secteur industriel ?Blog Kostango, 26/02/18

L’Assemblée nationale s’empare du sujet blockchain. – Blockchain France, 26/02/18

Clark, Bryan. – Bank of America admits cryptocurrency is threatening its business model.TheNext Web, 24/02/18

CEA et Connecting food développent une solution blockchain pour renforcer la confiance dans la filière alimentaire. – CEA – Communiqué de Presse, 23/02/18

Keane, Jonhatan. – The blockchain-based start-up will cut out the middlemen in travel booking. – The Next Web, 22/02/18

Durand, Corentin. – La « quatrième économie mondiale » lance sa blockchain : le LGBT Token. – Numerama, 20/02/18

Boulestin, Rénald. – Microsoft veut croiser l’identité numérique avec la blockchain. – Silicon, 16/02/18

Myler, Larry. – Farm-to-table: How Blockchain Will Change the Way You Eat. – Forbes, 16/02/18

Eudes, Yves. – Le jeune geek qui concurrence le bitcoin. – Le Monde, 15/02/18

La blockchain au service de la charité et de l’environnement. – Cryptoast, 09/02/18

Perreau, Charlie. – La blockchain est-elle compatible avec le RGPD ?Journal du Net, 09/02/18

Beaumont, Peter. – Unicef recruits gamers to mine Etherum in aid of Syrian children. – The Guardian, 06/02/18

Commission européenne. – La Commission européenne lance l’observatoire-forum des chaînes de blocs de l’UE. – Commission européenne – Communiqué de presse, 02/02/18

Biseul, Xavier. – Comment mettre en œuvre un projet de blockchain en cinq étapes.Journal du Net, 02/02/18

Allouche, Benjamin. – Le bitcoin et l’environnement : entre vérité, mensonge et perspectives. – Bitcoin.fr, 04/01/18

Les blockchains, un moyen pour mieux gérer l’électricité ?Engie, 21/11/17

Jeffries, Daniel. – What will bitcoin look like in twenty years?Hacker Noon, 31/10/17

Certification des énergies renouvelables : la première mise en oeuvre de la blockchain en France ? - Avis d’expert – Actu-environnement, 09/10/17

Pisa, Michael ; Juden, Matt. – Blockchain and Economic Development: Hype versus Reality. – CDG Policy Paper 107, July 2017. – Center for Global Development. pdf.- Cgdev.org, 20/07/17

Pialot, Dominique. – Le monde de l’énergie à l’heure de la blockchain. - La Tribune, 09/01/17

Flipo, Fabrice ; Berne, Michel. – Le bitcoin et la blockchain : des gouffres énergétiques ? - Nouvel Obs, 20/07/16

La blockchain signera-t-elle la fin du capitalisme ?Mais où va le web ?,21/07/16

 

Big data, open data, protection des données personnelles : où en sont la science et l’utilisation des données ?

Cloud hackingLes données sont partout, aussi bien dans la vie quotidienne que dans la recherche. Une nouvelle discipline, la science des données, mobilise des experts en mathématique et informatique pour analyser et traiter ce ‘pétrole’ du 21e siècle à coup d’algorithmes et de logiciels d’intelligence artificielle. Tout au long de la journée, des ‘bots’ (petits logiciels d’IA) et des objets connectés les recueillent grâce à des capteurs. On y accède librement, grâce aux dispositifs d’open data, que ce soit dans la ville intelligente (smart city) ou au niveau de la ‘science ouverte’. Les GAFA et autres géants du net se disputent nos données personnelles en investissant des milliards pour les exploiter. Quel droit et quelles réglementations doit-on mettre en place pour protéger ces données tout en profitant de ces nouvelles ressources ?

La science des données

La science des données (en anglais data science) est une nouvelle discipline qui s’appuie sur des outils mathématiques, de statistiques, d’informatique (cette science est principalement une « science des données numériques »4) et de visualisation des données. Le premier objectif du « data scientist » est de produire des méthodes (automatisées, autant que possible) de tri et d’analyse de données de masse et de sources plus ou moins complexes ou disjointes de données, afin d’en extraire des informations utiles ou potentiellement utiles. Pour cela, le « scientifique des données » s’appuie sur la fouille de données, les statistiques, le traitement du signal, diverses méthodes de référencement, l’apprentissage automatique et la visualisation de données. Il s’intéresse donc à la classification, au nettoyage, à l’exploration, à l’analyse et à la protection de bases de données plus ou moins interopérables. (Wikipedia).

Comme l’énonce Stéphane Mallat, dans sa leçon inaugurale pour la création d’une chaire Science des données au Collège de France, « cette discipline s’inscrit au cœur de la problématique scientifique : extraire de la connaissance des données empiriques qui se trouvent à la base de toutes les sciences. On est dans une évolution extraordinairement rapide qui inclut toutes les sciences qui viennent avec leurs propres données. »

Les deux principaux traitements sont la modélisation et la prédiction. L’enjeu en est la généralisation. Dans ce domaine, l’informatique a une avance considérable sur les mathématiques. Elle permet à partir d’un exemple qu’on connaît, d’extrapoler pour les exemples qu’on ne connaît pas. Elle s’appuie sur un très grand nombre de variables (ex : millions de pixels dans une image). 800x-1

En ce qui concerne la gestion des données scientifiques, les professionnels de l’information, dans les bibliothèques de recherche par exemple, peuvent être de précieux collaborateurs pour les chercheurs. Comme le soulignent Ayoung Yoon et Theresa Schulz dans leur article du College & Research Libraries « les bibliothèques universitaires se sont activement impliquées dans les services des données de la recherche : des services qui portent sur l’ensemble du cycle de vie des données comprenant le plan de gestion, la curation numérique (sélection, conservation, maintenance et archivage), la création de métadonnées et la conversion. ». Un nouveau service, le TDM ‘Text and Data Mining’ (fouille automatique de texte et de données) a pu être récemment être ajouté grâce à une série d’amendements au droit d’auteur en France, mais aussi au Royaume Uni.

Les données numériques et la « ville intelligente »

Dans la ‘smart city’, le recueil et le traitement des données devraient permettre aux citoyens de bénéficier de services sur mesure. A Toronto, une filiale de Google est en train d’édifier une métropole futuriste dans un quartier défavorisé au bord du lac Ontario. Comme le rappelle Ian Austen dans le New York Times fin décembre « le Premier ministre canadien, Justin Trudeau a promis que ce projet créerait ‘des technologies qui nous aideraient à construire des communautés plus intelligentes, plus vertes et plus inclusives ». Mais pour certains résidents cet enthousiasme doit être tempéré surtout quand il s’agit d’une entreprise connue pour sa collecte et analyse des données. Le projet Quayside sera chargé de capteurs et de caméras de surveillance qui traqueront tous ceux qui habitent, travaillent ou simplement passent dans le quartier. La masse de données recueillie permettra de mieux organiser et définir les besoins de la future ville, que la société appelle d’ailleurs une ‘plateforme’. L’électricité sera fournie par des mini-réseaux de voisinage, basés sur des énergies renouvelables. D’immenses auvents protègeront de la pluie et du soleil d’été et des allées chauffées feront fondre la neige l’hiver ! 271607011737Bigdata

Mais les capteurs dans les bâtiments pourront mesurer le bruit dans les appartements tandis que les caméras et les capteurs extérieurs surveilleront aussi bien la pollution de l’air que le mouvement des personnes et des véhicules dans les carrefours … Comme le fait remarquer Pamela Robinson, professeur de planification urbaine à l’université Ryerson de Toronto « les données vont être recueillies par une entreprise privée et non par une collectivité administrative. Pour le moment rien n’a été annoncé sur qui en aura la propriété ni qui y aura accès. » De même, si Quayside promet des logements à tous les niveaux de revenus, pour le moment la seule entreprise qui a prévu de s’y installer est Google Canada, donc plutôt des jeunes cadres bien payés … D’après cette chercheuse, les données collectées pourraient être utilisées pour limiter ou décourager l’usage, par ailleurs légitime, des espaces publics par des sans-logis, des jeunes ou d’autres groupes …

Bernard Stiegler qui intervenait dans la Cité du Futur, conférence de Maddyness, déclarait « Pour faire des villes intelligentes, essayons d’être intelligent. La nouvelle urbanité, c’est la ville désautomatisée, car la ville automatisée détruit les relations de voisinage ». Citant l’expérience de Plaine Commune (Communauté de 9 communes de Seine Saint-Denis) où il est personnellement impliqué mais aussi des entreprises comme Vinci, Orange et la Caisse des Dépôts, le philosophe a expliqué que cela implique de savoir utiliser ces technologies innovantes avec la population de Seine Saint-Denis pour qu’elle y prenne part, notamment à travers un programme d’économie contributive.

images_villeC’est aussi le point de vue de Florence Durand-Tornare, fondatrice et déléguée générale de l’association Villes Internet dans l’article de Martine Courgnaud-Del Ry dans la Gazette des communes : « Plus de trente « Villes Internet » (hors métropoles) décrivent, parfois depuis longtemps, des dispositifs de mise à disposition de données informatives, techniques, juridiques ou statistiques. Ce qui me paraît significatif, c’est qu’elles ouvrent avant tout des données utiles au citoyen, et pas uniquement celles qui sont attendues par les grands opérateurs dans les zones hyper-urbaines — essentiellement relatives au transport ou à la gestion de l’énergie… Nous remarquons aussi que l’ouverture des données est l’occasion d’organiser des dispositifs participatifs avec les citoyens, qui contribuent parfois activement à choisir les applications utiles aux résidents que la donnée permet de produire. »

L’adoption du RGPD et la polémique sur la ‘patrimonialisation’ des données personnelles

L’Assemblée nationale examine en ce moment le projet de loi sur la protection des données personnelles « qui adapte notre droit au nouveau cadre juridique européen, composé d’une part, du règlement général de la protection des données (RGPD) et d’autre part de la directive sur les fichiers de police et de justice, qui entreront tous deux en vigueur en mai 2018. ». Ce règlement fixe de nouvelles obligations à toute entreprise exploitant des données : droit de portabilité d’un opérateur à l’autre, droit d’effacement et surtout, consentement explicite.

Une controverse vient de se développer dans la presse après une interview Gaspard Koenig dans Les Echos évoquant le Rapport du mouvement Génération libre vantant les mérites de la commercialisation des données personnelles. Pour G. Koenig « si la data est bien cet « or noir » du 21ème siècle, il n’y a pas de raison de ne pas payer les producteurs – nous – sans laisser aux raffineurs (les agrégateurs et les plates-formes) l’intégralité des revenus liés à l’exploitation des data. » Pour ce philosophe libéral, il y a trois options pour gérer l’accès aux données : mettre en place une « sorte d’agence nationale chargée de mettre des data encryptées à la disposition des entreprises », créer, comme la CNIL et la Commission européenne, des « droits pour les citoyens et des obligations pour les entreprises, avec le risque de judiciarisation excessive de l’économie digitale et d’étouffer l’innovation ». La troisième option qu’il privilégie et « qui peut s’articuler à la précédente, est la patrimonialité des données pour permettre aux entreprises de se les approprier après avoir justement rémunéré les citoyens. ». Cette transaction se ferait à travers « un système de ‘nanopaiements’ qui viendraient créditer ou débiter en continu un compte digital personnel ». Ceux qui refuseraient de céder leurs données seraient obligés de payer les services numériques. Cette idée a été reprise dans une tribune du Monde prônant la ‘monétisation de nos données’, signée par plusieurs personnalités (Bruno Bonnell, Laurence Parisot, Alexandre Jardin, Gaspard Koenig). claire-sambuc-juriste-tariq

Cette « fausse bonne idée » comme la définissent Serge Abiteboul et Gilles Dowek dans une tribune dans le Monde, a été immédiatement attaquée par un grand nombre de chercheurs et de juristes dans la presse et sur les réseaux sociaux. Pour ces deux chercheurs « Le cas des données numériques est cependant un peu plus complexe que celle de des champs d’orge ou de blé, car qui cultive les données ? Ceux qui les produisent (vous et moi, les géants du Web, les hôtels…), ou ceux qui les entassent et les analysent pour en tirer du profit (ni vous et moi) ? ». Et même une fois la propriété établie, comment les internautes seront-ils assurés que le contrat ne soit pas léonin (accès au service contre ‘open bar’ pour les géants du Net) ? De plus, il n’est pas sûr que ces entreprises soient vraiment intéressées par nos données personnelles, vu qu’à travers le ‘crowdsourcing’, un grand nombre d’internautes produisent déjà du travail sur les données pour une très faibles rémunération. Mais surtout les données personnelles sont avant tout sociales : elles résultent des interactions des internautes entre eux ou avec des entreprises ou  institutions (mails, commentaires, profils, etc.). Tristan Nitot dans son post sur Standblog, reprenant la comparaison avec la vente d’un rein, rappelle que déjà le CNNum estimait que « l’introduction d’un système patrimonial pour les données personnelles est une proposition dangereuse ». Comme il est interdit de faire commerce de ses organes (‘indisponibilité’ ou ‘non patrimonialité’ du corps humain), on ne peut séparer  l’individu de ses données personnelles, ça serait en faire un objet qu’on peut commercialiser « permettre la patrimonialisation c’est — métaphoriquement — permettre de revendre par appartements son moi numérique, c’est faire commerce de son corps numérique, en quelque sorte, ce qui est interdit en France pour son corps physique, au nom de la dignité humaine. ». De plus, il sera très difficile à un individu de se faire payer vu les difficultés qu’a le fisc à faire payer les GAFA … Le rapport de force ne sera pas du tout en sa faveur …

indexUne autre position est celle développée par l’essayiste Evgeni Morozov dans l’émission Soft Power citée par Calimaq dans son post fin octobre. Plutôt que la défense individuelle de la vie privée, Morozov propose de faire des données personnelles un ‘bien public’ et de les faire relever du ‘domaine public’. Il ne pense pas « qu’on puisse régler tous les problèmes que posent les géants du net en utilisant les outils traditionnels de régulation du marché, c’est-à-dire en leur faisant payer des taxes et en mettant en place des lois anti-trust ». Il préconise même d’accélérer le processus d’automatisation et d’analyse des données, car tout n’est pas négatif. Si les cancers pourront bientôt être dépistés grâce aux données, cela ne devrait pas se faire en donnant autant de pouvoir à des entreprises de la Silicon Valley ! Un système dans lequel les données appartiennent à la communauté permet à tout un chacun de se saisir de ces données pour en faire quelque chose, même au niveau local. E. Morozov préconise « un système hybride empruntant à la fois des éléments à la domanialité publique et à la propriété intellectuelle, tout en s’inspirant de certains mécanismes des licences libres ».

Cette hybridation entre protection personnelle et usage collectif se retrouve dans le point de vue du sociologue Antonio Casilli qui défend dans un article du Monde avec Paola Tubaro, l’idée que « la défense de nos informations personnelles ne doit pas exclure celle des travailleurs de la donnée ». Pour ces chercheurs « Nos informations ne sont plus ” chez nous “. Elles sont disséminées sur les profils Facebook de nos amis, dans les bases de données des commerçants qui tracent nos transactions, dans les boîtes noires algorithmiques qui captent le trafic Internet pour les services de renseignement. Il n’y a rien de plus collectif qu’une donnée personnelle. La question est donc moins de la protéger de l’action d’intrus qui cherchent à en pénétrer la profondeur que d’harmoniser une pluralité d’acteurs sociaux qui veulent y avoir accès. ». C’est pourquoi plutôt que la protection individuelle des données, Casilli et Tubaro défendent une négociation collective contre des services. Lionel Maurel et Laura Aufère développent cette approche dans un post très détaillé de S.I.Lex.  Ces chercheurs prônent une protection sociale au sens large du terme, car « si les données sont produites dans le cadre d’activités assimilables à de nouvelles formes de travail, alors ce sont des mécanismes de protection sociale enracinés dans le droit social qu’il convient de déployer pour garantir les droits des personnes. ». Ils préconisent de se doter de moyens adéquats pour engager ces négociations dont les termes restent encore dictés par le cadre imposé par les plateformes. Dans cet article, repris d’ailleurs par Libération, les chercheurs dessinent les contours de ce nouveau droit social du 21e s. Jusqu’à présent, la protection des données était restreinte au niveau individuel. Comme le soulignent la juriste Antoinette Rouvroy et Valérie Peugeot de l’association Vecam, que ce soit pour l’obligation de consentement que pour la portabilité des données, aussi bien la CNIL que le RGPD se concentrent trop sur le niveau individuel. D’où l’importance de « mobiliser un nouvel imaginaire pour construire un cadre de négociation collectives sur les données ». th-300x1000-rgpd.jpg

Rochfeld, Judith ; Farchy, Joëlle ; Forteza, Paula ; Peugeot, Valérie. - « Les internautes réclament un usage moins opaque et une maîtrise de leurs données personnelles ». Tribune. – Le Monde, 07/02/18

Loi données personnelles : dans l’apathie des débats, une envolée néo-libérale absurde ! - La Quadrature du Net, 07/02/18

Courgnaud-Del Ry, Martine. – Des services numériques communs émergent enfin sur tout le territoire. – Gazette des communes, 07/02/18

Guillaud, Hubert. – Pourquoi mes données personnelles ne peuvent pas être à vendre ! – Internet Actu, 06/02/18

Données personnelles : le projet de loi qui va mieux nous protéger. – La Dépêche, 06/02/18

Assemblée nationale. – Société : protection des données personnelles – Projet de loi déposé le 13 décembre 2017- discussion 06-08/02/18/Paula Forteza, Rapporteure.

Wiggleworth, Robert (FT). – Big data : les données numériques peuvent-elles révolutionner l’action politique ? – Nouvel Economiste, 06/02/18

Collectif. – Nos « données personnelles » nous appartiennent : monétisons-les ! - Le Monde, 05/02/18

Casilli, Antonio ; Jeanticou, Romain.  – La domination des géants du numérique est-elle un nouveau colonialisme ? Entretien. – Télérama, 05/02/18

Abiteboul, Serge ; Dowek, Gilles. – « La propriété des données est une fausse bonne idée ». – Le Monde, 05/02/18

Maurel, Lionel ; Aufrère, Laura. – Pour une protection sociale des données personnelles. – S.I.Lex, 05/02/18

Nitot, Tristan. – Données personnelles et droit de vendre des organes humains. – Standblog, 02/02/18

Lévêque, Rémy. – « Facebook nous prend en otage ». – Usbek & Rica, 02/02/18

Parapadapis, George. – RGPD, de l’incertitude aux solutions pratiques. – Informatique News, 31/01/18

Revendre ses données « personnelles », la fausse bonne idée. – Mais où va le web ?, 29/01/18

Ertzscheid, Olivier. – Faut pas prendre les usagers des GAFAM pour des datas sauvages. – Affordance.info, 28/01/18

Pour une patrimonialité des données : Rapport. – Mes data sont à moi/Collectif data. – Génération libre.eu, 25/01/18

Naughton, John. – Who’s doing Google and Facebook dirty work?- The Guardian, 24/01/18

Casilli, Antonio ; Tubaro, Paola. – La vie privée des travailleurs de la donnée (Le Monde, 22/01/18) – Antonio A. Casilli

Mallat, Stéphane. – Sciences des données : leçon inaugurale (vidéo). – Collège de France, 11/01/18

Schmitt, Fabienne ; Madelaine, Nicolas. – Gaspard Koenig : « Chaque citoyen doit pouvoir vendre ses données personnelles ». – Les Echos, 07/01/18

Rey, Olivier ; Rouvroy, Antoinette. – Données, savoir et pouvoir (Table ronde). – PhiloInfo, décembre 2017 (vidéo).

Austen, Ian. – City of the Future? Humans, not technology, are the challenge in Toronto. – The New York Times, 29/12/17

Calimaq (Lionel Maurel). – Evgeni Morozov et le « domaine public » des données personnelles. – S.I.Lex, 29/10/17

 

Intelligence artificielle : quels impacts sur l’économie et la société ?

IALes progrès de la recherche en intelligence artificielle en ont fait un sujet incontournable des tendances de la décennie actuelle. Annoncées depuis les années 1960, les avancées dans cette discipline complexe se sont confirmées depuis les années 2000, grâce, notamment, au ‘machine learning’ (apprentissage automatique : les machines ‘apprennent’ à partir des jeux de données qui leur sont proposés) et à son dernier développement le ‘deep learning’ qui s’appuie sur les ‘réseaux de neurones’ : des algorithmes de machine learning sont utilisés pour entraîner les couches profondes de réseaux de neurones. Plutôt que de modéliser de vastes quantités d’information (ex : calculer tous les coups possibles dans une partie d’échec), les réseaux de neurones apprennent tout seuls en digérant des millions de données (Maddyness). Combinés avec des mégadonnées (big data), ces intelligences artificielles réalisent des opérations et des actions qui dépassent en rapidité et en pertinence les actions humaines. Cela explique le succès de ces technologies cognitives au Web Summit de Lisbonne en novembre dernier où robots et véhicules autonomes ont joué les vedettes.

Les exemples des récents succès de l’automatisation et de l’IA se multiplient : les taxis autonomes, comme Lyft à Boston ; la prévention des suicides grâce à leur détection sur les messages Facebook, la prédiction (réussie) de la personne de l’année au magazine Time, la découverte de nouvelles exoplanètes dans un partenariat Google-NASA, etc. Comme le souligne Olivier Ezratty dans son post, l’intelligence artificielle n’est pas un produit. Il n’y a pas de logiciels d’intelligence artificielle mais des solutions d’intelligence artificielle très variées qui s’appuient sur plusieurs dizaines de briques logicielles différentes qui vont de la captation des sens, notamment audio et visuels, à l’interprétation des informations, au traitement du langage et à l’exploitation de grandes bases de données et de connaissances structurées ou non structurées.

Combinée avec une voix de synthèse, Chaï, une application d’intelligence artificielle permet d’écouter sur son téléphone mobile la suite d’un livre papier à l’endroit exact où l’on s’est arrêté. Cette application convient plus à un documentaire qu’à un ouvrage de fiction. Idéal pour réviser ses cours dans les transports en commun ! Les fichiers audios comportent des dictionnaires qui enrichissent le texte, en transformant par exemple les sigles et acronymes en termes développés. Et comme le confirme Alexis Botaya, qui présentait ce produit au salon HumainxMachines, aucun problème de droit d’auteur en raison d’un accord avec les éditeurs : le traitement s’effectuant à partir du fichier de l’ouvrage avant son impression et le client doit avoir acheté le livre papier.

Au Japon, l’entreprise Tasei se propose de lutter contre le surmenage de ses employés en leur envoyant des drones bourdonner autour d’eux et leur jouer « Auld Lang Syne », la chanson écossaise qui signale au Japon la fermeture des magasins … Comme l’explique Nelly Lesage dans Numérama, les Japonais peuvent effectuer plus de 80h d’heures supplémentaires par mois ! Le modèle T-Frend est doté d’une caméra qui surveille le comportement des employés et se déclenche quand ils dépassent les horaires. Pour une fois, la surveillance est utilisée pour le bien-être des travailleurs !

En Chine, la reconnaissance faciale est généralisée dans la vie quotidienne et le piéton qui traverse au feu rouge est vite repéré et sa photo affichée au carrefour ! Comme l’explique Leng Biao, professeur de vision informatique à Pékin, cité dans l’article du Monde, « L’important ce sont les algorithmes. Quand il s’agit de reconnaitre une personne dont on a la photo, la reconnaissance faciale est très fiable, on trouve même des logiciels gratuits sur internet ». Et comme en Chine les gens sont moins préoccupés des questions de vie privée, cette méthode est bien acceptée…   1486620188464

Ces performances se sont multipliées depuis une quinzaine d’années et ne manquent pas de soulever controverses et inquiétudes aussi bien parmi les scientifiques et géants du net (Stephen Hawking, Elon Musk et Bill Gates) que dans le grand public. Laurent Alexandre, le chirurgien et homme d’affaire, voudrait au contraire, « casser la gueule à l’Europe pour avancer ». Comme le souligne Pierre Cheminade dans la Tribune, pour le créateur de Doctissimo l’Europe a déjà perdu la bataille du numérique et « que pour ne pas perdre la guerre et sortir d’une situation de « colonie numérique sans souveraineté », la France doit renforcer la recherche en intelligence artificielle et supprimer la protection des données personnelles. ».

Ces préoccupations autant éthiques que réglementaires ont amené le gouvernement français à confier au mathématicien et député Cédric Villani, une mission sur ce sujet, accompagnée d’une consultation publique. Au niveau européen, Margarethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence, est intervenue au Web Summit pour affirmer que le marché unique européen n’a pas vocation à être régi par « la loi de la jungle, mais par la démocratie à l’œuvre, pour le respect de la concurrence au service de l’innovation » .

 

Les principaux secteurs impactés   Un-groupe-de-recherche-créé-pour-encadrer-lintelligence-artificielle-des-robots

De nombreux secteurs et services sont déjà ou seront bientôt touchés par ces innovations technologiques, et ce à différents niveaux.

  • Les transports avec les véhicules autonomes
  • La santé avec des programmes de détection de maladies (cancers)
  • La relation client avec l’utilisation d’agents conversationnels et de traitement automatique de courrier électronique
  • La sécurité avec la reconnaissance faciale et les technologies de vision artificielle
  • L’urbanisme avec la ville connectée (smart city)

L’enseignement, la psychothérapie, le journalisme, la politique et même la littérature pourraient être touchés par cette vague d’automatisation. Mais pour le moment toutes les professions ‘créatives’ sont relativement épargnées.

Des informations contradictoires sur les conséquences socio-économiques et l’emploi de l’automatisation de l’industrie et des services se multiplient sans s’annuler pour autant … Nelly Lesage dans son article de Numerama évoque « un rapport du cabinet McKinsey & Cie qui estime que 800 millions de travailleurs perdront leur emploi d’ici 2030, en raison de l’automatisation ». Cette « invasion des robots » touchera surtout les pays les plus avancés, comme l’Allemagne et les Etats-Unis. Les métiers impliquant une interaction humaine, comme les médecins, les avocats, les enseignants et les barmen, devraient, quant à eux être préservés. La vidéo publiée dans le Monde « Serons-nous un jour remplacés par des intelligences artificielles » cite une étude du cabinet Roland Berger de 2014 qui prévoit que 3 millions d’emplois pourraient disparaître d’ici 2025 à cause des intelligences artificielles ! Et les métiers engendrés en retour par le secteur robotique ne compenseront pas ces disparitions. Plus préoccupant encore, ces mesures ne se limitent pas aux métiers simples et répétitifs … Dans son article de l’Usine digitale, Christophe Bys, en revanche, cite une étude internationale de Cap Gemini selon laquelle « les entreprises qui ont recours à l’intelligence artificielle n’ont majoritairement pas détruit d’emplois. Elles en ont même créé. ». Toutefois cette étude qui relativise l’impact de l’IA porte sur un périmètre restreint d’entreprises (dont le chiffre d’affaire est supérieur à 500 millions de dollars). Les pays européens (France, Espagne, Pays-Bas) ont déployé moins d’initiatives IA que l’Inde ou l’Australie …

C’est aussi le point de vue de Bertrand Diard, président de Tech in France, dans son interview dans la Croix « La robotisation dans l’industrie n’a pas réduit le volume d’emplois. Ce qui l’a fait, ce sont les délocalisations vers la Chine. L’Allemagne, qui est très robotisée, a créé de la richesse et de l’emploi industriel, alors que la France, dans le même temps, en a perdu. » De nouveaux métiers devraient émerger autour de ces nouvelles technologies et il faut développer la formation des travailleurs qui pourraient ainsi s’adonner à des tâches plus intéressantes. Alain Guillemolles a interviewé dans le même article Romain Guers, délégué syndical au Crédit Mutuel. Cette banque a adopté Watson, l’agent intelligent d’IBM (ce chatbot est aussi en fonction chez Orange et Bouygue Telecom) pour l’assister dans le traitement des données de la relation clients : « il n’est pas question de remplacer les conseillers bancaires par des robots. […] l’outil ‘intelligent’ aide les chargés de clientèle à trier le courrier en fonction des priorités exprimées par les clients. De plus, ils ont accès à un « assistant » qui peut répondre à certaines demandes d’information en épargne et assurance. Mais le conseiller commercial reste le pivot de la relation avec le client. ». Là aussi, la mise en place de l’outil IA n’a pas eu d’impact sur l’emploi. Pour le moment, car les outils intelligents apprennent très vite …

On retrouve ici les deux conceptions de l’IA : d’une part, l’IA comme assistant de l’humain qui permet de réaliser l’’homme augmenté’, doté de sortes de prothèses technologiques ; d’autre part, l’IA autonome qui arriverait à une sorte de ‘conscience’ !

cover-MIT-600x399Dans la recherche médicale, en revanche, l’outil intelligent n’est pas encore vraiment fiable. Watson devait permettre aux soignants « de passer moins de temps sur la littérature et plus de temps pour prendre soin des patients ». Comme le souligne Jean-Yves Paillé dans la Tribune, « L’IA destinée à trouver des solutions afin de personnaliser les traitements en cancérologie est pour le moment décevante, en particulier dans les diagnostics ». Le système souffre d’un certain nombre de biais : d’abord dans les publications scientifiques : sur 700 000 articles publiés par an en médecine, de nombreuses publications n’ont pas de valeur. « La machine n’est pas capable aujourd’hui de faire la différence entre ce qui ne vaut rien et un article intéressant » comme l’analyse Guy Vallencien dans

« La médecine sans médecin » cité dans l’article. De plus près de 2% des scientifiques admettent « avoir fabriqué, falsifié ou modifié des données ou des résultats au moins une fois. » « jusqu’à 33,7% ont avoué d’autres pratiques de recherche douteuses » d’après l’étude de Plos One.  Mais aussi l’intelligence artificielle s’appuie sur des données médicales spécifiques aux protocoles de soins des Etats-Unis et aurait du mal à s’adapter aux méthodes de différents pays où les protocoles peuvent différer … « L’IA ne peut pas être plus neutre et performantes que les données dont elle dispose ».

Ethique et réglementation

L’éthique fait partie des principaux axes définis par la mission Villani et concerne de nombreux aspects du déploiement de ces technologies. Aux États-Unis, les géants du numérique, Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, IBM ainsi que de nombreux chercheurs s’engagent pour développer une intelligence artificielle responsable et éthique. Le Partnership on AI to benefit people and society (Partenariat sur l’IA au service des citoyens et de la société), organisation à but non lucratif, a pour objectif la compréhension du public sur l’IA et la définition de meilleures pratiques dans ce domaine.

Au Québec, le préambule de la Déclaration de Montréal a été dévoilé en clôture du Forum sur le développement socialement responsable de l’intelligence artificielle le 3 novembre. Portant sur les thèmes de la cybersécurité, la responsabilité légale, la psychologie morale, le marché du travail, le système de santé et la ville intelligente, le Forum a comme ambition la ‘coconstruction’ entre le public, les experts et les pouvoirs publics. Comme l’a déclaré Guy Breton, recteur de l’UdM « Les avancées de l’intelligence artificielle toucheront progressivement tous les secteurs de la société et nous devons poser, dès maintenant, les balises qui encadreront son développement afin qu’il soit conforme à nos valeurs et porteur d’un véritable progrès social.» Les-rendez-vous-du-numérique-et-du-développement-commercial

En France, la CNIL dans son rapport des enjeux éthiques des algorithmes et de l’intelligence artificielle, présenté le 15 décembre, réaffirme deux principes fondateurs et préconise six recommandations opérationnelles pour permette à l’Homme de garder la main. Tout d’abord, le principe de loyauté : l’intérêt de l’utilisateur doit primer ; un principe de vigilance/réflexivité ensuite en organisant « un questionnement régulier, méthodique et délibératif à l’égard de ces objets mouvants ». Ces principes pourraient s’inscrire dans une nouvelle génération de garanties et de droits fondamentaux à l’ère numérique.

Parmi les recommandations : former à l’éthique tous les acteurs-maillons de la ‘chaîne algorithmique’ ; rendre les systèmes algorithmiques compréhensibles ; encourager la recherche sur l’IA éthique ; renforcer la fonction éthique au sein des entreprises. Comme le dit Isabelle Falque-Pierrotin, Présidente de la CNIL « L’objectif de ce débat est de garantir que l’intelligence artificielle augmente l’homme plutôt qu’elle ne le supplante et participe à l’élaboration d’un modèle français de gouvernance éthique de l’intelligence artificielle ».

Alexandra Yeh évoque dans son compte-rendu de la Conférence Nouvelles pratiques du journalisme de l’Ecole de Journalisme de Sciences Po, la proposition de Dominique Cardon pour une ‘éducation des algorithmes’. Comme on s’en est rendu compte dans les années 1980, les tentatives de programmer les machines à raisonner comme des humains avec des règles et des systèmes de décisions logiques sont vouées à l’échec. L’humain n’est pas un être pleinement rationnel et ses décisions dépendent souvent de facteurs imprévisibles (contextes, affects, sensibilité). Il faut donc « apprendre aux machines à analyser nos comportements plutôt que nos représentations ». Pour Dominique Cardon « nous devons réfléchir à la façon dont voulons éduquer les algorithmes ». Car nous sommes responsables des biais de l’IA (cf le cas des IA racistes).

Avec l’automatisation, les dilemmes moraux vont se multiplier : en plus de gérer les actions accidentelles ou intentionnelles de leurs inventions, les chercheurs en AI devront faire face à de tels dilemmes. Par exemple, face à une situation de danger, l’IA de la voiture autonome devra décider qui épargner en cas d’accident : une femme enceinte ou un homme âgé ; renverser un enfant ou deux adultes ? En fait, décider lesquels d’entre nous devront vivre ou mourir …  Jean-François Bonnefons, professeur à la Toulouse School of Economics, explore ces dilemmes avec le projet Moral Machine qui « confronte les internautes à ce genre de situations pour leur demander de trancher, a déjà recueilli 40 millions de décisions ». Ce programme permet d’identifier les critères pesant dans la décision, les variations selon le type de personne (genre, âge, CSP, nationalité) et les différences culturelles et géographiques. Si les choix moraux sont relativement homogènes (sauver les humains plutôt que les animaux ), les résultats montrent qu’il n’existe pas de règle d’éthique totalement universelle, même si des convergences locales existent dans le monde …

A l’instar des avancées de l’intelligence artificielle, les préoccupations éthiques et politiques à ce sujet sont un « work in progress ». Nous aurons l’occasion d’y revenir à l’avenir.

data-672x372Bonnes fêtes et meilleurs vœux pour 2018

Pour aller plus loin

L’intelligence artificielle, quelles conséquences pour l’emploi. – Les Numériques – Dossier, 17/12/17

Comment permettre à l’Homme de garder la main ? Rapport sur les enjeux éthiques des algorithmes et de l’intelligence artificielle. – CNIL, 15 décembre, 2017

Cheminade, Pierre. – Laurent Alexandre : « La France a perdu sa souveraineté numérique ». – La Tribune, 13/12/17

Georges, Benoît. – Ce que les Français attendent de l’intelligence artificielle. Les Échos, 12/12/17

Paillé, Jean-Yves. – Dans la santé, Watson, l’IA d’IBM, doit encore faire ses preuves.La Tribune, 08/12/17

Simonite, Tom. – Artificial Intelligence seeks an Ethical Conscience. – Wired, 12/07/17

Lausson, Julien. – Intelligence artificielle : la Mission Villani vous demande votre avis. – Numérama, 07/12/17

Tisseron, Serge. - IA, robots qui parlent et robots sous influence.InaGlobal, 06/12/17

Yeh, Alexandra. – IA et journalisme : quelle éthique ?Meta-media, 05/12/17

#NPDJ Les nouvelles pratiques du journalisme 2017. – École de journalisme de Sciences Po, 04/12/17

Lesage, Nelly. – Un rapport estime que les robots vont prendre 800 millions d’emplois d’ici 2030. – Numérama, 30/11/12

2067, des robots dans la ville/Usbek & Rica. – Inriality, 28/11/17

Kiefer, Bertrand ; Navaris, Sophie. – « La médecine, le dernier lieu où l’on peut exprimer sa sensibilité » Entretien. – Tribune de Genève, 25/11/17

Maignan, Iris. – #Étude : les Français, pas (du tout) prêts pour l’intelligence artificielle. – Maddyness, 25/11/17

Web Summit 2017 à Lisbonne : que retenir du Davos de la Tech ? - FrenchWeb, 16/11/17

Guillemoles, Alain. - Watson mène la révolution de l’intelligence artificielle. – La Croix, 13/11/17

Deluzarche, Céline. – #IA : Deep learning, le grand trou de l’intelligence artificielle. – Maddyness, 13/11/17

Quel sera l’impact de l’intelligence artificielle sur l’emploi. – La Croix, 13/11/17

Piquard, Alexandre. – L’intelligence artificielle, star inquiétante du Web Summit à Lisbonne. – Le Monde, 10/11/17

Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’intelligence artificielle. – Université de Montréal, 03/11/17

Gavois, Sébastien. – Intelligence artificielle : enjeux économiques et cadres légaux s’invitent au Sénat. – NextInpact, 26/10/17

Ezratty, Olivier. – Les usages de l’intelligence artificielle. – Opinions libres, 19/10/17. – E-book téléchargeable.

Intelligence artificielle, une nouvelle mission confiée à France Stratégie. – France Stratégie – Premier Ministre,16/10/17

Yann Le Cun ; « Aujourd’hui, Facebook est entièrement construit autour de l’intelligence artificielle » Entretien. – Le Monde, 03/10/17 – vidéo.

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