Category: Outils

Qui a peur de la 5G ? Débats et controverses sur la dernière génération de téléphonie mobile

5g-antennes-vignette-dossierLe 1er octobre, le gouvernement a récolté 2,786 milliards d’euros suite aux enchères autorisant le déploiement sur le territoire français de la technologie de 5e génération de téléphonie mobile. Que représente cette technologie ? Est-elle réellement disruptive ? Que va-t-elle changer dans nos usages ? A voir s’enflammer les débats autour de son adoption, on croit assister à une véritable guerre des anciens contre les modernes …

A cela s’ajoutent des enjeux géopolitiques et géoéconomiques, la Chine dominant pour le moment le marché mondial de la 5G et les Etats-Unis n’ayant pas encore déployé cette technologie comme l’explique Evgeny Morosov dans le Monde Diplomatique. L’Europe a ainsi une opportunité de participer avec ses deux constructeurs Ericsson et Nokia … Comme le dit Philippe Escande dans son éditorial du Monde « Il est temps que s’ouvre enfin une réflexion apaisée et argumentée, aussi bien sur ses avantages que sur ses inconvénients ». Début septembre, 70 élus de gauche et écologistes demandaient un moratoire sur le déploiement de cette technologie, en accord avec les préconisations de la Convention citoyenne pour le climat. « Ces élus proposent une suspension du déploiement de la technologie « au moins jusqu’à l’été 2021 », ainsi que la « tenue d’un débat démocratique décentralisé sur la 5G et sur les usages numériques », la priorité serait pour eux plutôt la réduction de la ‘fracture numérique’ « à travers le développement de la fibre en zone rurale et en finalisant le déploiement de la 4G ». (Le Parisien). Les élus insistaient sur le fait que cette technologie augmenterait la consommation électrique et comporterait des risques en matière de santé.

La technologie 5G

« En télécommunications, la 5G est la cinquième génération des standards pour la téléphonie mobile. Succédant à la quatrième génération, appelée 4G, elle prolonge l’exploitation technologique LTE (Long Term Evolution : norme de réseau de téléphonie mobile 4G)

La technologie 5G donnera accès à des débits dépassant de 2 ordres de grandeur la 4G, avec des temps de latence (délais de transmission dans les communications informatiques) très courts et une haute fiabilité, tout en augmentant le nombre de connexions simultanées par surface couverte. Elle vise à supporter jusqu’à un million de mobiles au kilomètre carré (dix fois plus que la 4G). Une fois déployée, elle doit permettre des débits de télécommunications mobiles de plusieurs gigabits de données par seconde, soit jusqu’à 1 000 fois plus que les réseaux mobiles employés en 2010 jusqu’à 100 fois plus rapides que la 4G initiale » (Wikipedia)

Les avantages de la 5G

  • ict-expert-luxembourg-visu-5g-applis-prometteusesAccélération de la transmission des données et temps de latence raccourcis : 10 à 100 fois plus rapide que la 4G. Mais comme le fait remarquer Xavier Lagrange dans l’article de The Conversation, « Il ne s’agit pas d’une rupture technologique majeure, mais plutôt d’améliorations […] la technologie repose sur les mêmes principes que la 4G, c’est la même forme d’onde qui sera utilisée, le même principe de transmission ».

« A-t-on besoin d’aller plus vite ? Pour certaines applications, dans certains champs professionnels, oui. Pour d’autres, … bien au contraire. » remarque Olivier Ertzschied dans son post d’Affordance.info

  • Baisse de la consommation d’énergie : « La 5G permet une meilleure gestion des faisceaux de communication avec deux avantages immédiats : une baisse de la consommation énergétique car la dispersion des ondes radio est limitée ; une amélioration de la qualité d’utilisation des ondes radio, puisque les interférences sont évitées » (Parti Pirate). Mais la baisse de la consommation énergétique peut mener à une augmentation des échanges de communications, donc à consommer plus … Comme le soutient Jean Soubiron, dans sa tribune sur Libération « Dans les faits, les technologies plus efficientes permettent à l’économie de produire davantage, entraînant inévitablement un accroissement des consommations de matières et d’énergie. » De plus, « L’utilisation de nouvelles fréquences ne peut, que conduire à la consommation électrique des opérateurs » (The Conversation).
  • Un réseau plus flexible : le réseau déployé sera configurable. A terme, il fera beaucoup plus appel à des technologies informatiques de virtualisation. « L’opérateur pourra faire démarrer des machines virtuelles pour, par exemple, s’adapter à une demande accrue d’utilisateurs dans certaines zones ou à certains moments et au contraire ; diminuer les capacités si peu de personnes sont présentes » (The Conversation).
  • Diminution des coûts : Plutôt pour les opérateurs que pour les consommateurs.
  • De nouvelles applications : Avec la 5G, on va connaître l’expansion de l’Internet des objets (IOT : Internet Of Things) avec la voiture autonome et la « ville connectée » (Smart city). Elle encouragera aussi le développement de la télé-médecine et l’automatisation de l’industrie « Pour les industriels, nous pouvons penser aux usines connectées et automatisées dans lesquelles un grand nombre de machines devront pouvoir communiquer entre elles et avec le réseau global ». Pour les consommateurs, l’augmentation de la vitesse du réseau permettra le téléchargement plus rapide de toutes sortes de fichiers (vidéos en direct ou en streaming, jeux vidéo, etc.).

Ces nouvelles fonctionnalités s’adressent en fait plus à l’industrie et aux services plus qu’au grand public. Là encore, Olivier Ertzschied, pose la question « Le déploiement de cet internet des objets est-il nécessaire et utile à la société et aux individus qui la composent ? » Si l’on considère par exemple le cas des voitures connectées, « si le risque est présent, ce n’est pas parce que les choses (programmes, algorithmes, capteurs) vont trop lentement, c’est justement parce qu’ils vont (déjà) trop vite dans leurs boucle de rétroaction […] un accident de la route impliquant une voiture autonome peut également advenir et n’être pas évitable ou évité, soit du fait de la vitesse de l’échange des informations et données nécessaires à la prise de décision, soit du fait de la décorrélation entre la vitesse  de prise de décision des véhicules ‘autonomes’ et celle des véhicules ‘non-autonomes ».

Les risques pour l’environnement et la santé images_ville

Depuis le début de l’année, des associations alertent les pouvoirs publics sur les risques de cette technologie pour la santé et l’environnement. Agir pour la santé et PRIARTEM ont déposé plusieurs recours devant le Conseil d’Etat visant à geler le déploiement de la 5G. Ces associations ont souligné les incertitudes qui accompagnent les émissions d’ondes et demandent l’application du principe de précaution. « On sait que ces ondes ont un impact sur notre cerveau, que des personnes manifestent des troubles d’électro-sensibilité » a déclaré Sophie Pelletier de PRIARTEM, cité par Pierre Manière dans La Tribune. A cela s’ajoutent des risques de cancérogénicité.

L’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) ne se prononce pas en raison du manque de données scientifiques sur les effets sur la santé de certaines fréquences d’ondes électromagnétiques utilisées pour la 5G. Cela concerne surtout la bande de fréquences de 3,5 GHz qui doit être attribuée aux opérateurs. L’ANSES a davantage de données sur les fréquences de 26 GHz, dites ‘millimétriques’ qui seront attribuées plus tard. C’est aussi ce que répondent les Décodeurs du Monde dans leur rubrique de questions sur la 5G. Aucun effet significatif des ondes sur la santé n’a été observé. Les antennes 5G, peu nombreuses au début, n’émettront leur signal que quand elles seront sollicitées par un terminal ; les antennes 4G le font en permanence …

Pour le spécialiste Olivier Merkel, il n’y a pas de « réponse tranchée » ; la source la plus préoccupante pour la santé est plutôt le téléphone portable en contact avec le corps. On n’a pas plus de résultats sur l’effet cancérigène : il n’y a pas de lien concret entre l’exposition aux ondes et un cancer. On constate un ADN endommagé sur certains animaux, mais on ne peut rien en déduire. Le rapport de l’ANSES sur la 5G est prévu pour début 2021.

Environnement et consommation numérique

 Comme on l’a vu plus haut, la 5G est beaucoup moins énergivore que la 4G, mais la facture énergétique dépendra beaucoup des usages qui ont tendance à se multiplier, c’est ce qu’on appelle l’’effet rebond’. « La hausse considérable de la demande de données pourrait contrebalancer les gains d’efficacité énergétique ».

La 5G va aussi entrainer un renouvellement des téléphones mobiles : déjà existante pour les précédentes technologies, l’’obsolescence programmée’ va encore s’imposer. Certains modèles vendus aujourd’hui sont déjà compatibles avec cette nouvelle norme !

Comme le constate le Parti Pirate dans son post « Le renouvellement du parc mobile nécessite effectivement une quantité importante de ressources, notamment de terres rares, et va nous contraindre à produire une certaine quantité de gaz à effet de serre. Ici encore, cela n’est pas inhérent à la 5G, mais plutôt aux choix politiques et économiques que nous faisons. ». Contre l’effet rebond qui permettra à l’utilisateur moyen, d’après Ericsson, de consommer 200 GO de données en 2025, contre 6,5 GO actuellement, Paul Camicas et Stephen Demange de La Tribune, prônent la ‘sobriété numérique’ « Le débat qui s’ouvre ne doit pas nous amener à repousser purement et simplement la 5G, mais plutôt à interroger notre rapport au numérique et à trouver les moyens d’optimiser la consommation de données, pour viser collectivement la sobriété numérique. ».

E-sécurité : espionnage et surveillance securite-informatique1

La 5G représente un saut vers l’hyperconnectivité et risque de poser un problème dans la récolte des données comme le fait remarquer Sébstien Soriano, Président de l’ARCEP. Il y a des risques d’espionnage par des entreprises étrangères, d’où les restrictions des opérateurs français vis-à-vis de Huawei. Bouygues Telecom a promis de démonter toutes les antennes du constructeur chinois installées dans les zones peuplées !

Mais, paradoxalement, les services secrets craignent que la 5G les empêchent d’espionner en toute sécurité ! Comme l’indique Emmanuel Paquette dans l’Express « Dans la plus grande discrétion, les agents secrets ont fait part de leurs craintes auprès de certains élus : ils redoutent en effet qu’elle rende inopérant un matériel de surveillance indispensable, appelé Imsi-catcher. ». Ils ne pourraient plus ainsi géolocaliser et capter les informations circulant sur le réseau …

Mais comme le fait remarquer Stéphane Bortzmeyer dans son post « beaucoup d’arguments entendus contre la 5G n’ont en fait rien de spécifique à la 5G : les risques pour la vie privée ne changent pas […] les caméras de surveillance existent déjà sans avoir besoin de la 5G, les objets connectés qui envoient massivement à leur fabricant des données personnelles sur les utilisateurs, existent également depuis un certain temps, la 5G ne va pas les multiplier. […] Mais peut-être un changement quantitatif (performances supérieures, même si elles ne le seront pas autant que ce que raconte le marketing) va-t-il déclencher un changement qualitatif en rendant trivial et/ou facile ce qui était difficile avant ? Peut-être. »

C’est aussi ce que craint Olivier Ertzschied « Littéralement autant que métaphoriquement la 5G est une « accélération propre » qui provoquera nécessairement des contraintes et des déformations non pas seulement sur des objets techniques mais sur l’ensemble du corps social et l’organisation politique de nos communautés. ».

Bortzmeyer souligne aussi une implication importante de la 5G, qui n’a pratiquement pas été soulevée dans le débat : « le ‘network slicing’ qui permet d’offrir plusieurs réseaux virtuels sur un accès physique. […] Ses conséquences peuvent être sérieuses, notamment parce qu’il peut faciliter des violations de la neutralité de l’Internet, avec une offre de base, vraiment minimale, et des offres « améliorées » mais plus chères. ». Donc, un internet à plusieurs vitesses …

La controverse sur le progrès : ‘Amish’ vs ‘Start-up nation’

Les enchères de la 5G ont provoqué une polémique où l’on a vu les tenants du ‘progrès’, avec à leur tête le Président de la République, s’opposer aux défenseurs de l’environnement et des libertés publiques !

Devons-nous soutenir toute nouvelle technologie, quel qu’en soit le prix comme le dénonce Bruno Latour dans sa tribune au Monde ? « Le train du progrès a-t-il des aiguillages ? Apparemment, pour notre président, il s’agit d’une voie unique. Si vous n’allez pas tout droit, vous ne pouvez que « revenir en arrière », ce qui veut dire « régresser », et, comme il l’a récemment affirmé, s’éclairer à « la lampe à huile » [il réagissait à la demande de moratoire sur le déploiement de la 5G de 70 élus de gauche et écologistes]. Que cet argument soit encore considéré comme imparable, au moment même où le monde brûle parce que le « train du progrès » nous a menés au désastre, a quelque chose de désespérant. ».

C’est aussi ce qu’exprime l’architecte Jean Soubiron dans Libération en dénonçant le ‘solutionnisme’ du gouvernement : « D’un côté, le gouvernement voit en cette «innovation» la promesse d’une gouvernance plus efficace de nos flux de matières quand, de l’autre, il n’a pas jugé utile de mesurer le risque que font peser ces nouvelles technologies sur nos ressources et nos écosystèmes ».

Alors que pour certains, « La 5G est la clé de l’industrie 4.0 » et permettra de sortir de la crise comme le préconise John Harris dans sa tribune de Forbes France « Aussi nombreux que variés, ils bénéficieront à un vaste éventail de secteurs. L’usine intelligente et la production constituent deux gagnants évidents de la nette amélioration de l’automation et des efficacités due à la connectivité de l’IoT. […] Tout laisse à penser que le déploiement de réseaux 5G à travers l’Europe présage de formidables opportunités pour le monde professionnel. ».

Mais les positions ne sont pas toutes aussi tranchées, à commencer par celle de Sébastien Soriano, président de l’ARCEP, qui précise dans son interview dans Reporterre « Mais une chose est sûre, et c’est une ambition que nous partageons avec beaucoup de critiques de la 5G, pour nous prémunir de tous les méfaits que la technologie peut convoquer, nous devons en reprendre le contrôle. Non pas à travers un retour de balancier qui rendrait aux États la supervision des communications. Mais par un contrôle citoyen ».

Ce contrôle citoyen passe aussi par un débat qui représente un des enjeux du moratoire réclamé par les élus de gauche et EELV. Comme le rappelle Philippe Escande dans le Monde  « Il est au contraire légitime de s’interroger sur l’impact économique, écologique et sécuritaire de la 5G. Dans un contexte de défiance grandissante des citoyens envers les institutions scientifiques et politiques, il est inimaginable de pouvoir faire l’impasse sur ce débat. Le degré d’acceptation de la technologie, le contrôle de ses applications et l’efficacité de son utilisation en dépendent. ».

Un débat, c’est ce réclame aussi le Parti Pirate, tout en avançant des propositions concrètes pour répondre aussi bien à l’obsolescence programmée qu’à la multiplication et à l’accélération des usages « Ce que nous devons craindre, c’est notre société qui nous pousse à consommer toujours plus, toujours plus d’objets connectés, toujours plus de gadgets à la mode, toujours plus de tout. […] Autrement dit, ces débats sont légitimes en tant que tels, et ce n’est qu’en les considérant en tant que tels que nous serons en mesure d’y répondre, plutôt qu’en nous opposant, par principe, à la 5G. ».

La conclusion d’Olivier Ertzschied va dans le même sens « Déployons la 5G si nous sommes capables d’organiser ce déploiement en contrepoint d’une réorganisation massive de notre rapport à la vitesse, à la latence, et à la connectivité. Déployons si nous sommes capables de ralentir quand il n’est pas nécessaire d’accélérer autrement que par la potentialité qui rend l’accélération possible. […] Déployons la 5G si nous sommes capables à tout moment d’en limiter à la fois l’échelle, le cadre et l’envie.

gettyimages-1155402179-724x370

Maurice, Stéphanie. – Martine Aubry contre la 5G : conviction politique ou « greenwashing » anti-Macron ? – Libération, 11/10/20

Landeau-Barreau, Pauline. – 5G : la mairie de Paris veut consulter les citoyens avant le déploiement. – CNews, 05/10/20 MAJ 11/10

Usul ; Lietchi, Rémi. – 5G : un débit en débat. – Médiapart, 05/10/20

Paquette, Emmanuel. – Les espions aussi s’inquiètent de la 5G. – L’Express, 04/10/20

Pétillon, Catherine. – 5G : des émissions pour comprendre ce qui fait débat. – France Culture, 04/10/20

Fagot, Vincent. – Enchères 5G en France : l’Etat récolte récolte près de 3 milliards d’euros. – Le Monde, 02/10/20

5G : définition, fonctionnement, usages et déploiement du réseau en France, tout ce qu’il faut savoir. – CNET France, 02/10/20

Morozov, Evgeny. – Bataille géopolitique autour de la 5G. – Le Monde diplomatique, Octobre 2020

Questions-réponses : Six questions sur le lancement de la 5G. – Vie publique, 01/10/20

La question de la 5G mérite-t-elle autant de passions ? - Blog Stéphane Bortzmeyer, 01/10/20

Millon, Louise. – La Chine dépasse les 100 millions d’abonnés 5G … et la technologie consomme beaucoup. – Presse-citron, 01/10/20

Escande, Philippe. – 5G : un débat qui reste à mener. – Le Monde, MAJ 30/09/20

Equy, Laure ; Belaïch, Charlotte. – Le progrès, casse-tête de la gauche. – Libération, 28/09/20

Foucart, Stéphane. – Débat sur la 5G : « Des Amish aux Shadoks ». – Le Monde, MAJ 27/09/20

Souviron, Jean. – 5G : Sortir d’un débat caricatural entre technophobes et technophiles. – Libération, 26/09/20

La 5G, qu’est-ce que c’est ? Comment ça marche ? – The Conversation, 25/09/20

Damgé, Mathilde. – Sur la 5G, ce qui est vrai, ce qui est faux et ce que l’on ne sait pas encore. – Le Monde, 24/09/20

Latour, Bruno. - « Si le déconfinement a eu un effet, c’est de nous déconfiner de cette idée d’une voie unique vers le progrès ». – Le Monde, 24/09/20

Tesquet, Olivier. – Avec la 5G, la France au bord de l’excès de vitesse. – Télérama, 22/09/20

Tableaux de bord des expérimentations 5G en France. – ARCEP, 22/09/20

Charles, Frédéric. – 5G en France : obstacle à mi-chemin. – ZDNet, 22/09/20

Ertzscheid, Olivier. – La 5 (re)G : nous sommes tous des enfants connectés. – Affordance.info, 21/09/20

5G : Elevons le débat. – Parti pirate, 21/09/20

Téléphonie mobile : 70 élus de gauche demandent un moratoire sur la 5G. – Le Parisien, 13/09/20

Camicas, Paul ; Demange, Stephen. – 5G, l’arbre qui cache la forêt. – La Tribune, 18/08/20

Popovski, Petar ; Björnson, Emil ; Boccardi, Federico. – Communication technology through the new decade. – IEEE ComSoc Young Professionals, 18/08/20

Soriano, Sébastien (Arcep). – « Favorables à la 5G, nous souhaitons tout de même un contrôle citoyen ». – Reporterre, 12/06/20

Harris, John. – La 5G sera-t-elle la clé de l’industrie 4.0 ? - Forbes France, 13/03/20

La reconnaissance faciale : un pas biométrique vers la société de la surveillance ?

iStock-851960058-e1572449406157

 

Les dispositifs biométriques d’identification et de surveillance sont en train de s’imposer progressivement dans nos sociétés. La reconnaissance faciale, que l’on croyait réservée à des sociétés illibérales comme la Chine, s’invite de plus en plus dans nos pays, comme en Royaume-Uni, bien sûr, mais aussi en France. La CNIL vient de rendre un avis où elle s’oppose à la mise en œuvre de la reconnaissance faciale dans deux lycées de la région Sud (Nice et Marseille) où des tests avaient commencé en début d’année. Ces dispositifs s’avèrent illégaux au regard du droit européen sur les données personnelles. D’autres expérimentations sont en cours, que ce soit au niveau privé, local ou public, comme l’application d’authentification en ligne Alicem.

Alicem : l’authentification certifiée par reconnaissance faciale

La France va être le premier pays européen  à mettre en œuvre un outil d’authentification basé sur la reconnaissance faciale. Alicem (Authentification en ligne certifié sur mobile) en test depuis juin 2019, devrait être opérationnelle dès le mois de novembre. Cette application pour smartphone, développée par le ministère de l’intérieur et l’Agence nationale des titres sécurisés doit permettre d’accéder à plus de 500 services publics en ligne (via France Connect) de façon sécurisée en s’identifiant grâce à une technologie de reconnaissance faciale. Pour atteindre le niveau ‘élevé’ de l’identification électronique de eIDAS (règlement européen), Alicem va se baser sur les informations contenues dans la puce électronique d’un titre biométrique (passeport ou titre de séjour). Lors de la création du compte, Alicem vérifie par reconnaissance faciale que la personne qui utilise le smartphone est bien le détenteur du titre. » C’est un moyen de lutter contre l’usurpation d’identité. ». L’administration désire créer ainsi « une identité numérique régalienne sécurisée ». Alicem-la-premiere-solution-d-identite-numerique-regalienne-securisee_largeur_760-1

Malgré les assurances données par l’administration sur le respect des données personnelles (les informations restent sur l’appareil de l’utilisateur, elles ne sont partagées que par les services en ligne), le RGPD (Règlement général sur la protection des données) UE exige le consentement de la personne pour l’utilisation de données biométriques : la CNIL reproche donc au ministère de l’intérieur de ne pas recourir à des ‘dispositifs alternatifs de vérification ». La Quadrature du Net a aussi déposé un recours contre le décret de création d’Alicem devant le Conseil d’Etat. Pour l’association, » Alicem viole le RGPD car il ne peut exister de consentement libre si l’administré n’a pas d’autre choix que d’utiliser la biométrie pour accéder aux services en ligne ».

Alors que des chercheurs et des juristes comme Felix Tréguier et Martin Drago s’inquiètent dans une tribune au Monde de la  ‘banalisation’ de cette technologie, l’authentification biométrique aurait pour conséquence « un contrôle permanent et généralisé » au nom du ‘solutionnisme technologique », les députés Didier Bachère (LREM) et Stéphane Séjourné (Renew Europe), appellent eux à un ‘usage éthique’ de cette technologie. « Entre rejet en bloc de la reconnaissance faciale et usage débridé, il y a un chemin à définir dont la responsabilité incombe à la puissance publique ». Après avoir reconnu l’existence de biais dans cette « technologie qui n’est pas entièrement fiable sur le plan technique, son efficacité diffère selon les conditions d’utilisation mais également selon les populations (sexes, ethnies) », les élus appellent à une consultation citoyenne et à la création d’un comité d’éthique sur la question.  Ils reconnaissent néanmoins « les opportunités commerciales multiples de cette technologie et le fait que les utilisateurs de smartphones récents en font déjà usage » … Les opportunités commerciales retiennent aussi l’attention de F.Tréguier et M. Drago comme ils l’expriment  dans leur article : « permettre à des industriel comme Thales ou Idemia [entreprise de sécurité numérique] de se positionner face à la concurrence chinoise, américaine ou israélienne ». « Depuis des années, des entreprises développent ou testent ces technologies grâce à l’accompagnement de L’État et l’argent du contribuable ». Et si le Secrétaire D’État au numérique Cédric O, propose de créer une instance de supervision en coordination avec la CNIL sur la reconnaissance faciale, il reconnaît aussi que « Expérimenter est nécessaire pour que nos industriels progressent ».

Le CREOGN (Centre de recherche de l’Ecole des officiers de la gendarmerie nationale) a une position assez semblable : dans une note de septembre 2019, le Colonel Dominique Schoener examine « l’enjeu de l’’acceptabilité’ de la reconnaissance faciale et des contrôles préventifs sur la voie publique ». Il reconnaît que si cette technologie est banalisée dans ses usages commerciaux, la population française n’est pas prête à en accepter l’exploitation par les forces de l’ordre dans n’importe quelles conditions. « Traumatisée par le régime de Vichy et son système d’enregistrement de l’identité, la société française conserve dans son ADN collectif des marqueurs de rejet du fichage étatique ». Comme la reconnaissance faciale ne peut pas être ‘désinventée’, il préconise « le consentement préalable du citoyen, et pas seulement son information, comme préalable à son usage légitime et légal sur la voie publique ». Pour cela, une technologie fiable et sûre doit pouvoir s’appuyer sur un cadre juridique consolidé avec un contrôle éthique et scientifique. Mais » la peur ou le principe de précaution ne doivent pas empêcher l’expérimentation qui seule permet de se rendre compte des biais et des apports d’une innovation ». Et d’évoquer la dernière expérimentation de la société chinoise Watrix : un logiciel de reconnaissance de la démarche, permettant d’identifier une personne de dos ou dissimulant son visage … reconnaissance-faciale

Or, c’est contre la privatisation de la sécurité que Mireille Delmas-Marty s’insurge dans une tribune au Monde contre la ‘société de vigilance’ appelée de ses vœux par le Président de la République. « Au motif de combattre le terrorisme, le gouvernement risque de donner un coup d’accélérateur au glissement de l’Etat de droit à l’Etat de surveillance ». Dans son article, la juriste évoque ses craintes de « l’extension de la répression à la prévention, puis à une prédiction de plus en plus précoce. » Ce programme appellerait une autre dérive, « la privatisation de l’ordre public », « le glissement de l’Etat de surveillance à la surveillance sans Etat. ». Des entreprises comme Thales sont effet associées à des mairies (Nice) pour exploiter les ‘signaux faibles » à partir de données personnelles au sein d’un « centre d’hypervision et de commandement ».

Cet état de « vigilance sous surveillance » alerte aussi Simon Blin dans Libération. Car « cultiver, comme principe de société, la vigilance pour tout un chacun et à tout moment, c’est le contraire du sentiment de sécurité ». Citant la philosophe et psychanalyste Hélène Lhuilliet « Plus fort encore que la surveillance, la vigilance est une sensation de danger presqu’artificielle ». La vigilance ne s’inscrit pas dans la continuité, elle est un état précaire. « Il y a dans l’idée de ‘société de vigilance’, celle d’une justice prédictive. Or il est impossible de tout prévoir ». Quant à la question des repérages de ‘signaux faibles’ (par ex. dans les cas de radicalisation), autant « elle est légitime dans les institutions chargées de la sécurité publique (police, armée, prison), elle n’a pas grand sens dès lors qu’on l’élargit à l’ensemble de la société ». Le risque est de créer une « armée de faux positifs » sur la base du ressentiment personnel ou de l’interprétation de chacun du concept de laïcité, comme l’évoque le sociologue Gérald Bronner.

De nombreuses autres utilisations et expérimentations de la reconnaissance faciale sont en cours en France, comme l’explique Martin Untersinger dans son article du Monde : à Nice sur la voie publique, aux Aéroports de Paris, Valérie Pecresse voudrait aussi l’expérimenter dans les transports d’Ile de France. Air France compte bientôt remplacer les cartes d’embarquement par un dispositif de reconnaissance faciale. Sans oublier les fichiers de police pour retrouver un suspect à partir d’une photo ou des caméras de surveillance …

Bilans mitigés

chappatte_surveillance_internetMais si en France, on en est encore dans l’enthousiasme de l’expérimentation, dans d’autres pays les bilans sont plutôt négatifs. Aux Etats-Unis, L’État de Californie, San Francisco et plusieurs villes ont interdit la reconnaissance faciale et à New York, la police a triché avec cette technologie pour arrêter des suspects … Et le candidat Bernie Sanders promet l’interdiction de cette technologie sur tout le territoire. En Angleterre une expérience de vidéosurveillance « intelligente » lors du carnaval de Notting Hill à Londres en 2017 a abouti à 35 cas de ‘faux positifs’ et à l’arrestation d’un innocent !

Aux États-Unis le groupe de chercheurs AINow, comprenant des employés de Google et de Microsoft appellent dans leur rapport 2018 à la réglementation de la technologie « oppressive » de reconnaissance faciale. Ce groupe de recherche de la New York University a pour objectif de surveiller l’application sure de cette technologie. « La reconnaissance faciale et la reconnaissance des émotions (comme la détection des traits de personnalité) nécessite une réglementation très stricte pour protéger l’intérêt public ». Malheureusement, les GAFAM ne sont pas de cet avis : Amazon avait la possibilité de refuser de vendre sa technologie de reconnaissance faciale aux autorités policières et gouvernementales, mais ses actionnaires ont rejeté cette proposition. Quant à Google, Bloomberg News relate que des employés de la compagnie l’accusent de les espionner à travers une extension du navigateur Chrome utilisé au sein de l’intranet de l’entreprise. L’outil signalerait automatiquement tout évènement programmé dans l’agenda qui concernerait plus de 10 bureaux ou 100 employés, d’après le rapport des salariés. La société se défend en invoquant un souci de limiter le spam dans les agendas, et soutient ne pas recueillir de données personnelles des employés. Cet épisode traduit les tensions existant dans la multinationale depuis que certains salariés veulent implanter un syndicat dans la société. 1536505721

Au Royaume Uni, le thinktank Doteveryone vient de publier un rapport sur la question de la reconnaissance faciale, cité par Hubert Guillaud dans InternetActu. Il demande au Conseil consultatif de la biométrie britannique d’organiser un débat public sur le sujet et exige « une interdiction tant que les individus exposés à cette technologie n’ont pas la capacité à ne pas être soumis à ces techniques et tant que les conditions de réparations n’ont pas été décidées ».

Sommes-nous parvenus au « capitalisme de surveillance », la dystopie cauchemardesque décrite dans l’ouvrage de l’universitaire américaine Shoshana Zuboff, analysé dans l’article de Frédéric Joignot ? Pour la psychologue sociale, « les GAFAM veulent notre âme, nous avons signé avec eux un contrat faustien ». Ces entreprises « ne se contentent pas de collecter des données d’usages et de services, elles intègrent dans les pages en réseaux et les machines intelligentes des dispositifs d’espionnage invisible. Ils repèrent ainsi, grâce aux algorithmes, nos habitudes les plus intimes. Ils reconnaissent nos voix et nos visages, décryptent nos émotions et étudient leur diffusion grâce à l’’affecting computing’ afin de capter la « totalité de l’expérience humaine comme matière première gratuite ». Pour Evgeni Morozov, S. Zuboff insiste trop sur la surveillance et pas assez sur le capitalisme : « En considérant le capitalisme de surveillance comme notre nouveau Léviathan invisible, elle rate la manière dont le pouvoir fonctionne depuis plusieurs siècles : le Léviathan invisible est avec nous depuis longtemps. ». Mais la chercheuse ne perd pas espoir : si elle applaudit au RGPD et défend les moteurs de recherche cryptés comme Tor, la résistance viendra des usagers et travailleurs du numérique qui feront comme les classes pauvres du 19e siècle qui se sont organisés en syndicats et association pour combattre le capitalisme industriel pour imposer des lois sociales et exiger un système démocratique et représentatif. Verrons-nous un jour cette révolution 3.0 ?

Untersinger, Martin. – Marseille, Nice, Saint-Etienne : les semonces de la CNIL face à de nouveaux projets sécuritaires. – Le Monde, 29/10/19

Lycées Nice Marseille : première victoire contre la reconnaissance faciale.La Quadrature du Net, 28/10/19

Tréguier, Félix ; Drago, Martin. – La reconnaissance faciale s’avère inéfficace pour enrayer la violence. – Le Monde, 24/10/19

Bachère, Didier ; Séjourné, Stéphane. – Pour une reconnaissance faciale éthique.  – Le Monde, 24/10/19

Delmas-Marty, Mireille. – La ‘société de la vigilance’ risque de faire oublier la devise républicaine. – Le Monde, 24/10/19

Gallagher, Ryan. – Google accused of creating spy tool to squelch worker dissent. – Bloomberg News, 24/10/19

Blin, Simon. – La ‘vigilance sous surveillance. – Libération, 22/10/19

Untersinger, Martin. - La reconnaissance faciale progresse, sous la pression des industriels et des forces de l’ordre. – Le Monde, 14/10/19

O, Cédric ; Untersinger, Martin. – « Expérimenter la reconnaissance faciale est nécessaire pour que nos industriels progressent : entretien. – Le Monde, 14/10/19

Ministère de l’intérieur. – Alicem, la première solution d’identité numérique régalienne sécurisée. – L’actu du ministère – Interieur.gouv.fr, 30/07/19

Schoenner, Dominique. – Reconnaissance faciale et contrôles préventifs sur la voie publique : l’enjeu de l’acceptabilité. – Notes du CREOGN, septembre 2019

Joignot, Frédéric. – La surveillance, stade suprême du capitalisme. – Le Monde, 14/06/10

Ohrvik-Scott, Jacob ; Miller, Catherine. – Responsible facial recognition technologies. – Doteveryone perspective, June 2019

Cimino, Valentin. – Les actionnaires d’Amazon décident de ne pas limiter la reconnaissance faciale. – Siècle digital, 26/05/19

Guillaud, Hubert. – La généralisation de la reconnaissance faciale est-elle inévitable ? – InternetActu.net, 13/03/19

AINow report 2018 – AINow Institute – New York University, Dec. 2018

 

Entre l’automatisation du travail et la fin annoncée du salariat, les mutations de l’emploi

L’automatisation, l’intelligence artificielle et la mondialisation sont en train de transformer rapidement  la structure du travail et de l’emploi. Depuis les années 1980, on assiste à la fin du plein emploi et l’ascenseur social est en panne. Face à la disparition prochaine d’un grand nombre d’emplois dans l’industrie et les services, l’anxiété des classes populaires se traduit par une défiance vis-à-vis de la classe politique et l’inquiétude de ne plus pouvoir conserver dignement leur train de vie.applications

L’économie des plateformes (la’gig economy’) qui substitue progressivement le statut d’auto-entrepreneur à celui de salarié commence à être remise en question en France et ailleurs dans le monde. L' »Amendement Taché » et l’arrêt « Take it Easy » ont mis un coup de frein à l’ubérisation en instaurant des chartes de régulation pour ces systèmes et en requalifiant des travailleurs indépendants en salariés. Ce sujet a déjà été traité dans Prospectibles.

Certains trouvent de nouvelles formes de revenus dans les ‘microtâches’ que les plateformes proposent pour alimenter les algorithmes des systèmes d’intelligence artificielles. Ces « ouvriers du clic » n’ont aucune reconnaissance officielle et bouclent leurs fins de mois pour quelques centaines d’euros sans aucune protection sociale.

Si, comme le constate Hubert Guillaud dans son post « Fuck Work ! … Et puis ?», « la rémunération devient (presque) inversement proportionnelle à l’utilité sociale » ou que « le capital soit depuis longtemps infiniment plus rémunérateur que le travail, force est de constater que le lien entre travail et revenu est de plus en plus ténu» . LMS3

La polarisation des emplois

D’après le dernier rapport de l’OCDE, 50% des emplois pourraient disparaître (14%) ou être radicalement transformés (32%) du fait de l’automatisation d’ici 15 ou 20 ans. Stefano Scarpetta, responsable de l’emploi à l’OCDE enjoint les gouvernements à agir rapidement contre les effets de cette mutation au risque d’affronter d’importantes dégradations dans les relations économiques et sociales. « Le rythme de ce changement s’annonce époustouflant : les filets de sécurité et les systèmes de formations, construits depuis des décennies pour protéger les travailleurs ont du mal à résister aux grandes tendances qui changent la nature du travail. Alors que quelques uns bénéficieront de l’ouverture des nouvelles technologies aux nouveaux marchés, d’autres travailleurs, peu qualifiés, subiront les conséquences de la ‘gig economy’ (ubérisation). « De profonds et rapides changements structurels apparaissent à l’horizon, apportant avec eux de nouvelles opportunités, mais aussi une plus grande incertitude pour ceux qui ne sont pas équipés pour s’en saisir ».  L’organisation souligne l’écrasement des classes moyennes, les pertes d’emplois en raison des avancées technologiques et l’extension du mécontentement dans les pays riches. Ces changements vont toucher certains travailleurs plus que d’autres, particulièrement les jeunes sans formations et les femmes, souvent sous-payées et sous-employées.  Bruno Palier arrive aux mêmes conclusions dans un article de Cogito, en soulignant la polarisation des emplois entraînée par l’automatisation et l’informatisation des activités. Cette polarisation se traduit, non seulement par des inégalités de revenus croissantes, mais elle débouche aussi sur une révolte politique des classes sociales intermédiaires ». On a longtemps cru que les nouvelles technologies n’affecteraient que les emplois les moins qualifiés, or depuis quelques années, ce sont les emplois intermédiaires qui disparaissent du fait de l’automatisation, et ce, aussi bien dans l’industrie que dans les services (automates bancaires, caisses automatiques dans les supermarchés). Dans le même temps des emplois très faiblement rémunérés et précaires se développent dans les secteurs des transports, de l’hôtellerie, des services aux personnes, etc. « La polarisation des emplois menace ainsi une partie de la société qui a longtemps bénéficié de la croissance économique et des perspectives de mobilité ascendantes, à savoir une partie des classes moyennes ». Si les perspectives de disparition des emplois restent encore lointaines, on voit déjà l’angoisse que cela génère chez les classes menacées avec la multiplication des partis extrémistes et anti-système dans les démocraties avancées. On assiste à une révolte politique de ces celles-ci face à ces menaces de déclassement.

La reprise en main des « ubérisés »

Le système de l’économie des plateformes a d’abord séduit une partie de jeunes travailleurs pour la liberté et la applicationssouplesse d’organisation que ces applications permettaient. Au début, ils étaient plutôt satisfaits de leur rémunération. Comme l’évoquent des intervenants à un colloque sur le sujet à Paris Dauphine, cité par Dominique Méda dans sa chronique au Monde « Les chauffeurs Uber apprécieraient l’autonomie permise par leur statut et n’ambitionneraient en aucune manière de rejoindre la condition salariale, synonyme de subordination ». C’est aussi le sentiment de Yacine, ‘juicer’ (chargeur de trottinettes électriques) à Paris « Ce job permet de travailler dehors, d’être libre de son temps, de ne pas avoir de patron ». Yacine n’a pas de patron, si ce n’est l’algorithme de l’application Lime sur son smartphone. « C’est l’appli qui donne la marche à suivre : où trouver les trottinettes, où les replacer, combien elles rapportent. C’est elle aussi qui lui attribue une note de satisfaction dont dépend le nombre maximal de trottinettes qu’il est autorisé à recharger chaque jour ».  Mais il déchante quand le prix baisse « Sept euros, c’était honnête ; Cinq euros, c’est juste, je pense chercher autre chose ». Comme le constate Grégoire Leclerc, coordinateur de l’observatoire de l’ubérisation cité dans l’article, « Cette activité ne me choque pas tant qu’elle reste un job d’étudiant. Le problème c’est quand on le propose à des gens qui cherchent un revenu décent. Là, on les piège. ». Pas de mutuelle, pas de chômage, pas de congés payés, pas de salaire minimum, pas de couverture maladie ou accident du travail : « Toutes les sécurités consécutives au droit du travail n’existent pas pour ces gens-là » renchérit Karim Amellal, auteur de la Révolution de la servitude.

Face à cette situation, deux solutions ont été proposées : des chartes reconnaissant le statut hybride de ces travailleurs. La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel tend à faire converger le statut de salarié et de travailleur indépendant. Jean-Emmanuel Ray, Professeur de droit à Paris1-Panthéon-Sorbonne, défend cette approche dans son article du Monde. « L’enjeu est de protéger les coursiers de cette plateforme, ces ‘tâcherons 3.0’, corvéables à merci. Mais aussi d’éviter une concurrence déloyale, avec le risque d’une contagion à la baisse pesant sur les conditions de travail ». Pour ce juriste, l’opposition entre heureux salarié et travailleur indépendant honteusement exploité est un peu courte : « Restée sur le modèle militaro-industriel des ‘Trente glorieuses’, cette approche est mal adaptée à la « Révolution de l’immatériel ». En cas de dépôt de bilan de plateformes, que deviendront les dizaines de cyclistes Deliveroo et autres chauffeurs Uber, souvent discriminés à l’embauche, et pour lesquels il est plus facile de trouver des clients qu’un employeur ? « Ces travailleurs chercheraient donc moins un patron que le très protecteur régime général de la Sécurité sociale, lié à l’existence d’un contrat de travail. ».

La loi du 5 septembre 2018 cherche à faire converger les statuts et vise à « sécuriser les mobilités en allant vers plus de sécurisation sur les personnes, non sur les statuts ».Avec, à terme, une protection sociale universelle, facilitant les transitions dans une économie de l’innovation où le travailleur passe d’un statut à l’autre.

L’article 20 du projet de loi d’Orientation des Mobilités introduit la possibilité pour les plateformes numériques mettant en rapport clients et travailleurs indépendants prestataires de services d’adopter une ‘Charte sociale’ octroyant aux prestataires différents types de prestations sociales. Le projet de loi entend mettre fin au flou juridique qui a abouti ces derniers mois à plusieurs cas de requalification par les tribunaux des contrats liant plateformes et indépendants en contrats de travail salarié. Mais l’article 20 a suscité une vive polémique et a été finalement été supprimé au Sénat.

« Les plateformes numériques de travail se construisent sur un modèle économique qui contourne les règles du droit social. L’employeur se fait intermédiaire, le salarié devient un prestataire. La désactivation est une rupture contractuelle euphémisée. Cette torsion de la réalité favorise la multiplication des pratiques déloyales, le dumping social à grande échelle. Si Uber est une société de transport et Deliveroo une société de livraison de repas, elles ont besoin de travailleurs qui réalisent l’activité qu’elles développent. Elles les paient à la tâche, sans leur offrir la moindre protection sociale, sans leur reconnaître le moindre droit. Bien plus qu’une charte, il faut une réelle présomption de travail du salarié. » Fabien Gay, sénateur de Seine Saint-Denis :  discussion de l’art. 20.

Dans une tribune au  Monde, le Conseil national du numérique, présidé par Salwa Toko s’oppose à la mise en place des chartes unilatérales de responsabilité sociale des plateformes prévues par la loi d’orientation des mobilités. Le principe de l’adoption d’une charte inscrit la relation qui lie les travailleurs à leur plateforme en droit commercial et non en droit du travail. « Souhaite-t-on aujourd’hui déléguer à des entreprises britanniques (Deliveroo) ou américaines (Uber) le soin de déterminer de quelle protection sociale doivent bénéficier des travailleurs français ? ».

Pour Karim Amellal, enseignant à Sciences Po, dans son interview au Monde « Derrière le discours des plateformes, la réalité s’apparente bien souvent à une régression sociale, un retour au monde d’avant. Le capitalisme technologique fait voler en éclat tous les acquis sociaux obtenus depuis la fin du 19e siècle. On se retrouve avec des conditions de travail dignes des canuts ou des ouvriers de Germinal ». Malgré l’impression de liberté qu’elles suggèrent, la plupart des plateformes ont un fonctionnement ‘top-down’ très classique, où les règles sont entièrement décidées au sommet de la pyramide. De plus, le modèle économique de ces géants du numérique est fragile. Les plateformes ne sont pas toujours rentables malgré leur valorisation qui se chiffrent en dizaines de milliards de dollars. Les décisions de justice qui ont récemment donné gain de cause aux travailleurs indépendants (arrêt ‘Take it Easy’, contrat de travail pour chauffeur Uber), bousculent le modèle économique des plateformes qui repose sur un coût du travail le plus faible possible, et vont forcer les plus prédatrices à s’adapter.

reseauxLes « ouvriers du clic » : la main d’œuvre humaine derrière les algorithmes

En France, près de 260 000 ‘travailleurs du clic’ effectueraient des microtâches sur leur ordinateur payées quelques centimes d’euro d’après le Rapport sur le microtravail, publié par Antonio Casilli et Paola Tabaro.

« Identifier des objets sur une image, étiqueter des contenus, enregistrer sa voix, traduire des petits bouts de texte. Ces activités, faiblement rémunérées – de quelques centimes à quelques euros la tâche – ne supposent pas de qualifications particulières. Elles sont proposées par des plateformes spécialisées qui font d’office d’intermédiaire entre les microtravailleurs et les entreprises pour lesquelles ces opérations sont exécutées ».

« Deux centimes d’euro pour cliquer sur le Figaro, 18c pour installer un logiciel permettant de lire des fichiers PDF, 36 pour inscrire ses coordonnées dans une demande de devis pour ‘Speedy’ » Sarah, microtravailleuse, témoigne dans le Monde.

On distingue deux types de plateformes de microtravail

Le ‘machine learning’ n’est possible que si on fournit à la machine suffisamment de données qu’elle sait utiliser. Pour qu’un assistant vocal comme Alexa d’Amazon puisse comprendre les demandes qu’on lui adresse, il faut une grande masse de langage naturel humain, avec une pluralité d’accent dans toutes les langues où l’outil va être utilisé. Ces opérations facilitent l’apprentissage des intelligences artificielles qui seront nourries avec ces données nettoyées et annotées.

  • Les plateformes pour les sites marchands : Loonea, Moolineo ou Ba-Click pour répondre à des sondages, s’inscrire sur des sites marchands, remplir des demandes de devis. L’objectif des marques qui ont recours à ces services est de recruter de nouveaux clients, aussi bien des lecteurs, abonnés aux newsletters que des consommateurs pour leurs produits. Les plateformes rémunèrent les microtravailleurs pour grossir les rangs des clients sans que les marques soient conscientes du procédé. La plupart des ‘missions’ consistent moins à produire un bien ou un service, qu’à vendre ses données personnelles ! Souvent les microtravailleurs se retrouvent submergés de mails et d’appels des marques qui souhaitent les transformer en acheteurs … Ils doivent déployer des trésors de stratégie pour hésiter et refuser l’offre du démarcheur et ne doivent en aucun cas avouer être rémunéré !

Ces travailleurs sont en général des femmes de 25 à 45 ans, souvent mères de famille vivant en zone rurale. Souvent plus diplômées que la moyenne, ces femmes vivent dans une grande précarité et 22% sont en dessous du seuil de pauvreté. Les microtravailleurs ne connaissent en général pas l’entreprise pour laquelle ils effectuent ces tâches, ni le projet dans lequel elle s’inscrit. Les plateformes généralistes cèdent de plus en plus la place à des structures en couches encore plus opaques. « Une plateforme s’occupe de la contractualisation, une autre de la relation avec le client, une troisième gère le paiement, et c’est sur une autre encore que s’effectuent les tâches. D’où une dilution complète du lien de subordination. Le microtravail a la particularité d’être invisible, effectué à la maison, ce qui rend toute valorisation et toute organisation collective très difficile.

Le développement du microtravail est loin d’être temporaire car il est lié à l’intelligence artificielle et à l’automatisation, notamment avec la voiture autonome. « Derrière la voiture autonome se cache une armée de microtravailleurs qui fournissent à l’IA des décryptages d’images au pixel près ». Loin de supprimer des emplois peu qualifiés, l’automatisation a besoin bien sûr, d’ingénieurs et d’informaticiens, mais aussi de microtravailleurs.

La surveillance 5202542_7_3ee3_plusieurs-tests-existent-pour-mesurer_4a49d65e5a7648af61b4aded15f8ecb3

Les outils d’automatisation et d’intelligence artificielle permettent une surveillance accrue des activités des travailleurs. On a vu l’importance de la localisation chez les livreurs et les chauffeurs VTC : à tout moment la plateforme doit savoir exactement où se trouvent les prestataires. Impossible pour eux de désactiver le GPS.

On retrouve cette utilisation des outils ‘intelligents’ pour gérer le personnel chez Amazon, comme le relate Julie Bort dans Business Insider. Dans ses entrepôts, Amazon utilise un système qui permet, non seulement de tracer la productivité des employés, mais peut aussi générer automatiquement la documentation nécessaire à leur licenciement si après des avertissements, la personne n’a pas atteint ses objectifs ! Et ce, sans l’intervention d’un superviseur humain …

Nous n’avons examiné ici que l’impact négatif du numérique sur le travail et l’emploi à partir du filtre de l’économie des plateformes qui s’est étendu sur de larges pans du secteur des services. Il existe aussi d’autres expériences où les travailleurs arrivent à se réapproprier ces outils. Ces initiatives passent souvent par l’intermédiaire de structures collectives (coopératives, collectifs, co-working) où le numérique, loin d’asservir et d’aliéner, libère la créativité et la coopération entre les acteurs. Ces expériences feront l’objet d’un prochain post.

outils_images

Kristanadjaja, Gurvan. – Accidents, agressions … Livreurs laissés sur le bord de la route. – Libération, 03/06/19

Casilli, Antonio. – De la classe virtuelle aux ouvriers du clic : la servicialisation du travail à l’heure des plateformes numériques.Revue Esprit, mai 2019

Salwa Toko : « Souhaite-t-on créer une société à trois vitesses, constituée de salariés, d’indépendants et de travailleurs au statut hybride ? »/Conseil National du Numérique : Tribune. – Le Monde, 27/04/19

Cailloce, Laure. – Ces microtravailleurs de l’ombre. – CNRS Le Journal, 24/04/19

Le Micro-travail en France. Derrière l’automatisation de nouvelles précarités au travail ?. Rapport Final Projet DiPLab « Digital Platform Labor »/Antonio A. Casilli ; Paola Tabaro, Clément Le Ludec et al. – Paris, IRES, 2019

The future of work could bring more more inequality, social tensions. – Quartz, 25/04/19

Bort, Julie. – Amazon can automatically fire warehouse workers for ‘time off task’. – Business Insider, 25/04/19

Motet, Laura. – Sarah, « travailleuse du clic » : « la nuit, je remplis des demandes de devis qui me rapportent plusieurs euros d’un coup ». – Le Monde, 25/04/19

Celli, Alessandro. – La charte des travailleurs de plate-forme « place la France en leader de l’innovation sociale en Europe ». – Le Monde, 14/04/19

Palier, Bruno. – Les conséquences politiques des changements technologiques. – Cogito, 13/04/19

Amellal, Karim ; Collas, Aurélie. – « Les travailleurs ubérisés sont les prolétaires du 21e siècle ». – Le Monde, 07/04/19

The Future of Work: OECD Employment Outlouk 2019. – Paris, OCDE, 2019

Orientation des mobilités (procédure accélérée – suite) : discussion des articles. – Sénat, 26/03/19

Collas, Aurélie. – Profession : chargeur de trottinettes, dernier-né des petits boulots de l’ubérisation. – Le Monde, 09/03/19

Transformations numériques au travail : chiffres et tendances. – Laboratoire d’analyse et de décryptage du numérique, 06/03/19

Méda, Dominique. – « Heureux comme un chauffeur de VTC ? » - Le Monde, 15/02/19

Numérisation des emplois : « Il existe un lien fort avec le sentiment d’insécurité économique et les comportements politiques »/Collectif : Zhen Im, Nonna Meyer, Bruno Palier, Jan Rovny, Chercheurs Sciences Po. – Le Monde, 15/02/19

LOI n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel (1). – Légifrance, 05/09/18 (version en vigueur au 1er juin 2019)

Ray, Jean-Emmanuel. – Quelle protection pour les travailleurs des plates-formes ?- Le Monde, 05/12/18

Guillaud, Hubert. – « Fuck work … Et puis ? ». – Internet Actu, 02/05/18

Flichy, Patrice. – Les nouvelles frontières du travail à l’ère numérique. – Paris : Seuil, cop. 2017. – via Google Livres

 

Au-delà du développement des cryptomonnaies : la blockchain, le nouveau paradigme numérique ?

1 yMaDxLYR19wbYrB-nji2rgLe bitcoin va bientôt fêter ses dix ans et les cryptomonnaies se retrouvent au centre de plusieurs controverses. Outre la bulle qui était sur le point d’éclater en décembre dernier, les critiques pleuvent sur ce nouveau mode d’échange. Bill Gates, le co-fondateur de Microsoft, vient de déclarer que cette technologie « a causé des morts d’une manière assez directe » comme le rapporte Mathilde Loire dans son article de Numerama. Pour le milliardaire philanthrope, c’est l’anonymat des transactions qui est responsable de ces méfaits en permettant aux organisations criminelles d’échapper à la police. Néanmoins, Bill Gates ne met pas en cause le mécanisme fonctionnant derrière les cryptomonnaies : la blockchain.

Ce mécanisme devrait bouleverser complètement de nombreux secteurs économiques basés sur des transactions sécurisées. De la finance à l’industrie agro-alimentaire, en passant par l’assurance, la santé, le droit d’auteur, la distribution/consommation d’énergie, le droit (les ‘smart contrats’), les objets connectés seraient concernés. La Commission européenne vient de lancer un observatoire-forum des chaînes de blocs dans l’UE et  en France, l’Assemblée nationale lance deux missions d’information : la première est directement centrée sur les technologies blockchains ; la seconde sera centrée sur les cryptomonnaies, ou cryptoactifs. Au niveau international, le Center for Global Economics a publié une étude sur la blockchain et le développement économique, identifiant quatre défis pour le développement : faciliter les payements internationaux, pourvoir une infrastructure sécurisée de vérification de l’identité numérique,assurer les droits de propriété et enfin rendre l’aide plus sûre et transparente.

Si certains écologistes se réjouissent du fait que cette technologie simplifiera la certification de la production participative d’énergies renouvelables, d’autres s’inquiètent des « gouffres énergétiques » représentés par la consommation d’énergie des ‘mineurs’ pour effectuer les transactions.

La blockchain blockchain-31-638

« Une blockchain, ou chaîne de blocs, est la mise en œuvre d’une technologie de stockage et de transmission d’informations sans organe de contrôle. Techniquement, il s’agit d’une base de données distribuée dont les informations, envoyées par les utilisateurs, sont vérifiées et groupées à intervalles de temps réguliers en blocs, liés et sécurisés grâce à l’utilisation de la cryptographie, et formant ainsi une chaîne1. Par extension, une chaîne de blocs est une base de données distribuée qui gère une liste d’enregistrements protégés contre la falsification ou la modification par les nœuds de stockage. Une blockchain est donc un registre distribué et sécurisé de toutes les transactions effectuées depuis le démarrage du système réparti. » Wikipedia.

Comme on le voit dans cette définition, la principale originalité de la blockchain est l’absence d’organe de contrôle. Comme le protocole Internet, le mécanisme informatique est complètement décentralisé : il n’y a pas de responsable ou de ‘tiers de confiance’. La confiance s’instaure entre les différents agents du système qui sécurisent chaque transaction grâce à la cryptographie. Cela pose problème d’ailleurs pour l’application du nouveau Règlement général de la protection des données (RGPD) que l’Union européenne validera en mai 2018. Comme le souligne Charlie Perreau dans le Journal du Net, si le consentement clair des utilisateurs et la ‘privacy by design’ à l’œuvre dans la blockchain sont compatibles avec le règlement, l’absence de responsable « la personne physique ou morale, l’autorité publique, le service ou un autre organisme qui, seul ou conjointement avec d’autres, détermine les finalités et les moyens du traitement » est incompatible avec le RGPD, car personne n’a la responsabilité juridique du traitement des données. Incompatibles aussi, le droit à l’oubli ou à l’effacement des données, impossible actuellement dans la blockchain, de même que la conservation limitée des données, « celles-ci étant conservées à l’infini … (sauf en cas de dysfonctionnement). »

Le fonctionnement de la chaine de blocs diffère en fonction des produits. Alors que pour le bitcoin, elle est basée sur la « preuve de travail » (proof-of-work) où les utilisateurs ‘mineurs’ doivent exécuter plusieurs algorithmes pour valider la transaction, d’autres cryptomonnaies sont basées sur la « preuve d’enjeu » (proof-of-stake) prouvant leur participation au système (possession d’une certaine quantité de cryptomonnaie). Cependant, cette solution favoriserait les membres les plus riches et éliminerait ceux qui y entrent et ne possèdent encore rien en jeu (nothing at stake) : d’où l’introduction de plusieurs méthodes de pondération (en fonction de la vélocité ou des votes). Ces méthodes consomment beaucoup moins d’énergie que la ‘preuve de travail’ mais sont beaucoup moins sécurisées …

shutterstock-blockchainLa blockchain et l’énergie

Alors que la technologie blockchain a été très vite adoptée pour la production et la certification des énergies renouvelables, elle a aussi été accusée de consommer d’énormes quantités d’énergie, notamment dans le ‘minage’ (production) de bitcoins. Fabrice Flipo et Michel Berne citent dans un article du Nouvel Obs, une étude de 2014 montrant « que la consommation du réseau destiné au bitcoin était probablement de l’ordre de grandeur de la consommation électrique d’un pays comme l’Irlande. ».  A quoi Benjamin Allouche répond dans un post de Bitcoin.fr que si « Le bitcoin est objectivement une technologie qui a besoin d’une quantité monstrueuse d’énergie pour fonctionner. Ceci est malheureusement la vérité. », le problème principal est non la quantité d’énergie consommée (de l’ordre de la consommation annuelle de la Bulgarie en 2017), mais la source et le mode de production de l’énergie. La plupart des mineurs se trouvent en Chine et utilisent de l’électricité produite à partir du charbon. De plus les mineurs sont en concurrence pour valider les transactions et fonctionnent surtout avec des proof-of-work, et le premier qui valide est récompensé en bitcoins ! Cette course explique la consommation folle car la puissance demandée est très importante. En utilisant plutôt des énergies renouvelables, les dommages environnementaux seront bien moindres, en effet « consommer 1 TWh produit grâce à de l’énergie solaire aura un impact moins négatif sur l’environnement qu’1 KWh produit au charbon. ». Les Islandais fonctionnent déjà à l’énergie verte. Le problème se situe plutôt du côté technique de la blockchain. Le proof-of-work est le seul consensus à garantir la sécurité absolue du protocole. Le proof-of-stake, utilisé par d’autres cryptomonnaies, bientôt adopté par ether, est moins gourmand en énergie, mais moins sécurisé.

Unicef, LGBT token, ‘smart contracts’, tourisme, traçabilité agro-alimentaire : les différents chantiers de la blockchain

Les cryptomonnaies

Le bitcoin est loin d’être la seule cryptomonnaie, on en dénombre des milliers aujourd’hui, mais c’est la plus importante et la plus cotée.  Comme on l’a vu, c’est aussi celle qui utilise le protocole le plus sécurisé : lorsque deux utilisateurs échangent de la monnaie, ils sont les seuls à avoir accès à la transaction. Les banques commencent à prendre en compte ce phénomène, la puissante Bank of America vient de reconnaître dans un rapport avec la SEC que les cryptomonnaies représentaient une menace pour leur modèle économique …

L’ether est la deuxième cryptomonnaie qui s’impose. Créée par un jeune Canadien d’origine russe, Vitali Buterin, elle ne se limite pas à la production monétaire, mais utilise sa plateforme décentralisée Etherum pour réaliser des ‘contrats intelligents’ (smart contracts). Toujours basée sur la technologie blockchain : les applications fonctionnent exactement comme elles ont été programmées : sans immobilisation ni censure et sans l’interférence d’un tiers. Comme le souligne l’article de CNews « La blockchain d’Ethereum pourrait ni plus ni moins remplacer les notaires, avocats ou autres en jouant le rôle de «tiers de confiance» lors d’une transaction, et en mettant en quelques secondes en place des contrats sans failles, de manière bien plus efficace qu’un humain. ».

L’Unicef vient de lancer de lancer un projet pilote qui propose aux jeunes ‘gamers’ d’utiliser leurs ordinateurs pour ‘miner’ des ethers au bénéfice des enfants de Syrie. Peter Beaumont dans son article du Guardian indique que cette levée d’argent, qui permet de réduire de 30% les budgets d’aide des Nations Unies (perdus dans la corruption) n’est pas la seule application de la plateforme Etherum : le Programme alimentaire mondial (PAM) l’a aussi utilisée pour distribuer des bons d’alimentation dans un camp de réfugiés syriens en Jordanie à l’aide d’un fichier biométrique d’identification basé sur la reconnaissance des iris.

Une autre cryptomonnaie originale est le ‘LGBT token’. L’entrepreneur américain Christof Wittig, fondateur du chat gay Hornet, veut, en lançant ce ‘jeton rose’ mettre « le pouvoir de la blockchain au service de l’égalité des droits ». Comme l’indique Corentin Durand dans Numerama, ce système ne se limite pas à la production de monnaie, il sert aussi à l’identification sécurisée des membres de la communauté et à la création d’outils et de fonds pour soutenir des initiatives militantes. Wittig veut « faire prendre conscience à toutes les entreprises l’importance économique de ses membres. Afin de marquer les esprits, l’entrepreneur met en avant que l’économie rose représenterait la quatrième économie mondiale si elle se classait comme un pays. ». KryptoMoney.com-Blockchain-news

Outre la production de cryptomonnaies, le protocole blockchain se retrouve à l’œuvre dans de multiples projets économiques, juridiques et alternatifs. Certains, comme l’évoque Irénée Régnauld de Mais Où va le Web, avancent même que la blockchain pourrait signer la fin du capitalisme… En effet, « certaines caractéristiques propres à la Blockchain (architecture distribuée, autonomie, transparence et ouverture) semblent heurter les fondements même du système capitaliste solidement ancré sur les notions de propriété privée, de concurrence, de salariat et de séparation entre capital et travail. ». II reconnaît néanmoins que « l’aplatissement des rapports hiérarchiques ne signent ni la fin du salariat, ni celle du capitalisme ». Néanmoins la blockchain ouvre le champ des possibles avec les Organisations Décentralisés autonomes (DAO), programmes « auto-exécutoires » qui ne nécessitent pas d’autorités centralisatrices, comme Le Bon Coin ou Facebook … On retrouve d’ailleurs cette philosophie libertarienne dans l’interview de Vitali Buterin, le patron d’Etherum, au Monde, où il se définit politiquement comme ‘cuckservatist’ (conservateur contaminé par des idées libérales).

Le système fonctionne déjà, comme on l’a vu pour la certification dans la production et la vente d’électricité, surtout issue d’énergies renouvelables.

Un de chantiers importants qui s’ouvre à cette technologie est la traçabilité des produits agro-alimentaires. Grâce à la blockchain, les différents acteurs économiques de ce secteur sont représentés dans chaque chaînon et chaque transaction est transparente. A tout moment du processus, de la ferme au consommateur, il sera possible de tracer le produit. Comme l’explique Larry Miler dans Forbes, alors que ce sont les consommateurs et les détaillants qui profitent le plus de la transparence, ce sont souvent les agriculteurs qui doivent supporter le fardeau de la traçabilité. Avec le système blockchain, tous les acteurs se retrouvent sur la même page et tracent les produits de façon plus rentable. Le projet de traçabilité TE-Food, basé sur la blockchain, a été implémenté avec succès au Vietnam à Ho-Chi-Minh Ville. En France, le CEA et la start-up Connecting Food ont signé un partenariat de trois ans pour développer de nouveaux outils basés sur la technologie blockchain, améliorant le suivi et les contrôles des produits de l’industrie alimentaire.

Blockchain-graphics_networksLe tourisme avec des réservations sans agences, les industries culturelles avec le droit d’auteur, la santé avec le livret médical sécurisé, la gestion des identités numériques sont les prochains défis que les administrations et les entreprises devront relever avec des protocoles blockchain s’ils ne veulent pas être dépassés par d’autres collectifs …

Ray, Shaan. – How blockchains will enable privacy. – Towards Data Science, 03/03/18

Keane, Jonhatan. – This startup is creating the cultural cryptocurrency for museums and institutions.The Next Web, 02/03/18

Loire, Mathilde. – Bill Gates estime que les cryptomonnaies causent des morts. – Numerama, 28/02/18

Jackson, Reuben. – Op Ed: Why Millenial Migrate to Blockchain Technology and Cryptocurrency in Droves. – Bitcoin Insider, 28/02/18

Rins, Robin. – Blockchain : quel impact sur le secteur industriel ?Blog Kostango, 26/02/18

L’Assemblée nationale s’empare du sujet blockchain. – Blockchain France, 26/02/18

Clark, Bryan. – Bank of America admits cryptocurrency is threatening its business model.TheNext Web, 24/02/18

CEA et Connecting food développent une solution blockchain pour renforcer la confiance dans la filière alimentaire. – CEA – Communiqué de Presse, 23/02/18

Keane, Jonhatan. – The blockchain-based start-up will cut out the middlemen in travel booking. – The Next Web, 22/02/18

Durand, Corentin. – La « quatrième économie mondiale » lance sa blockchain : le LGBT Token. – Numerama, 20/02/18

Boulestin, Rénald. – Microsoft veut croiser l’identité numérique avec la blockchain. – Silicon, 16/02/18

Myler, Larry. – Farm-to-table: How Blockchain Will Change the Way You Eat. – Forbes, 16/02/18

Eudes, Yves. – Le jeune geek qui concurrence le bitcoin. – Le Monde, 15/02/18

La blockchain au service de la charité et de l’environnement. – Cryptoast, 09/02/18

Perreau, Charlie. – La blockchain est-elle compatible avec le RGPD ?Journal du Net, 09/02/18

Beaumont, Peter. – Unicef recruits gamers to mine Etherum in aid of Syrian children. – The Guardian, 06/02/18

Commission européenne. – La Commission européenne lance l’observatoire-forum des chaînes de blocs de l’UE. – Commission européenne – Communiqué de presse, 02/02/18

Biseul, Xavier. – Comment mettre en œuvre un projet de blockchain en cinq étapes.Journal du Net, 02/02/18

Allouche, Benjamin. – Le bitcoin et l’environnement : entre vérité, mensonge et perspectives. – Bitcoin.fr, 04/01/18

Les blockchains, un moyen pour mieux gérer l’électricité ?Engie, 21/11/17

Jeffries, Daniel. – What will bitcoin look like in twenty years?Hacker Noon, 31/10/17

Certification des énergies renouvelables : la première mise en oeuvre de la blockchain en France ? - Avis d’expert – Actu-environnement, 09/10/17

Pisa, Michael ; Juden, Matt. – Blockchain and Economic Development: Hype versus Reality. – CDG Policy Paper 107, July 2017. – Center for Global Development. pdf.- Cgdev.org, 20/07/17

Pialot, Dominique. – Le monde de l’énergie à l’heure de la blockchain. - La Tribune, 09/01/17

Flipo, Fabrice ; Berne, Michel. – Le bitcoin et la blockchain : des gouffres énergétiques ? - Nouvel Obs, 20/07/16

La blockchain signera-t-elle la fin du capitalisme ?Mais où va le web ?,21/07/16

 

Humanités numériques : nouvelle discipline ou méthodologie des Sciences humaines et sociales ?

perles-alphabet-en-bois-300-perlesComme le rappelait  Etienne Cavalié (Lully) dans son post de Bibliothèques (reloaded) en janvier 2015 « le concept d’humanités numériques est vraiment en train de se répandre » depuis quelques années. Mais que représente cette notion qui prend de plus en plus de place dans le champ des sciences humaines et sociales (SHS) ? L’annonce d’une série « Humanités numérique » au baccalauréat général de même que la création d’un Executive Master Digital Humanities à Sciences Po interroge encore plus sur la place de cet objet ‘technoscientifique’ …

Définition

« Les humanités numériques2 sont un domaine de recherche, d’enseignement et d’ingénierie au croisement de l’informatique et des arts, lettres, sciences humaines et sciences sociales.
Elles se caractérisent par des méthodes et des pratiques liées à l’utilisation des outils numériques, en ligne et hors ligne, ainsi que par la volonté de prendre en compte les nouveaux contenus numériques, au même titre que des objets d’étude plus traditionnels.
Les humanités numériques s’enracinent souvent d’une façon explicite dans un mouvement en faveur de la diffusion, du partage et de la valorisation du savoir. »

Dans cette définition de Wikipédia on retrouve les deux pôles de ce champ de connaissance : ‘un domaine de recherche et d’ingénierie’ où l’informatique s’intègre dans les sciences humaines grâce aux outils numériques. La définition ne se limite pas aux méthodes et pratiques que ces outils instaurent, mais souligne aussi « la volonté de prendre en compte nouveaux contenus numériques ». On voit dans cette acceptation un dépassement de l’opposition que notait Alexandre Moatti dans Bibnum en octobre 2014 où il soulignait « deux tendances […] : ceux qui pensent que les des DH sont d’abord et avant tout une pratique, un outil, à intégrer aux champs disciplinaires universitaires […] ; ceux qui pensent que ce doit être une théorie, une discipline … ». Le chercheur se rattache lui-même à la première tendance (méthode, outil) tout en reconnaissant que les deux acceptations puissent coexister. Social_Network_Analysis_Visualization

C’est cette dimension transversale des HN, « ce carrefour, cette convergence entre savoirs et savoir-faire technologiques » qu’analyse Elydia Barret dans son mémoire ENSSIB. Pour elle, les « SHS et les disciplines littéraires et artistiques connaissent une mutation numérique ». Ce sont aussi bien « les méthodes et les modes de travail que les problématiques et les productions scientifiques qui évoluent sous l’effet de la généralisation du numérique ». On se trouve donc bien devant un nouveau domaine de recherche qui requiert des compétences aussi bien des chercheurs dans chaque discipline mais aussi d’autres professionnels de l’information : informaticiens mais aussi bibliothécaires/documentalistes, archivistes et autres gestionnaires de productions esthétiques et sémantiques (conservateurs de musées, iconographes, etc.). C’est l’objet de ce mémoire qui souligne l’importance de la coopération entre chercheurs et bibliothécaires « Les humanités numériques font appel à des problématiques et à des compétences familières aux bibliothèques ». C’est aussi le point de vue que défend Etienne Cavalié dans son Projet de mode d’emploi sur les Humanités numériques où il explique un projet de livre sur les HN réalisé par deux tandems chercheurs/bibliothécaires « Les chercheurs vont progressivement s’emparer des technologies et méthodologies comprises dans l’appellation d’humanités numériques «

De plus, comme le rappelle la définition de Wikipédia, les HN « s’enracinent souvent dans un mouvement en faveur de la diffusion, du partage et de la valorisation du savoir ». Ce mouvement des « Archives ouvertes », lancé par des collectifs de chercheurs à la fin des années 1990, a été soutenu, relayé et alimenté par des professionnels de la documentation. dig-hum

Périmètre des Humanités numériques

Que recouvrent les HN et quelles sont les pratiques habituellement désignées par ces termes ?

  • Numérisation et archivage électronique des différents objets concernés : textes, image, sons, etc.
  • Edition électronique « open access » à travers des dépôts institutionnels comme HAL ou Spire à Sciences Po, mais aussi édition d’ouvrages et de revues en ligne à travers le portail Open Edition
  • Constitution de corpus numériques : textes, images et son, soit par numérisation de documents existants, soit par recueil de documents ‘nativement numériques’ : sites web, réseaux sociaux, etc. Exemple : le corpus COP21 réalisé par le Médialab et la Bibliothèque de Sciences Po
  • Capture, analyse et traitement des données numériques : traitement linguistique (TAL), fouille de textes, traitement de l’image et du son, etc.
  • Représentation graphique et visualisation des données.

Comme le rappelle Elydia Barret dans son mémoire, l’utilisation d’outils informatiques pour traiter les humanités n’est pas si nouvelle, puisque, dès la fin des années 1940, le père Roberto Busa entreprend l’élaboration d’un index des œuvres de Saint Thomas d’Aquin avec l’aide des informaticiens d’IBM, soit 11 millions de mots ! Ces ‘Humanities Computing’ continuent dans les années 1960 à 1980 et concernent essentiellement le traitement linguistique de corpus de textes comme le Brown Corpus aux Etats-Unis où un million de mots sont sélectionnés pour représenter la langue américaine … Les humanités numériques se distinguent en effet de ses précurseurs par la diversité et l’hétérogénéité de leurs objets, aussi bien que des méthodes et des outils mis en œuvre.

64018-cartographie-des-tweets-du-thatcamp-www-martingrandjean-ch-cc-by-nc-sa-3-0Les HN : nouvelles méthodes ou discipline spécifique ?

Cette controverse continue de diviser les différents acteurs (chercheurs, ingénieurs, professionnels de l’information). Comme le souligne Laurence Monnoyer-Smith dans son article « Ouvrir la boite à outils de la recherche numérique » : « Si les méthodes numériques mobilisées dans le cadre de recherche en sciences humaines ne sont pas radicalement différentes, elles renouvellent toutefois les débats épistémologiques provenant du croisement entre informatique et SHS ». Elle cite à ce propos l’article de Noortje Marres qui défend la théorie d’une ‘redistribution’ des méthodes qui a lieu au sein de la recherche numérique. D’après cette auteure, « les outils numériques et les sources de données en ligne transposent sur le web des méthodes traditionnelles en SHS, tout en les adaptant aux nouvelles propriétés du support ». Les chercheurs adaptent donc ces méthodes et les modifient pour faire face à de nouveaux défis épistémologiques.

En revanche, le Manifeste des Digital Humanities (THATCAMP 2010) proclame « Les Digital Humanities désignent une transdiscipline, porteuse des méthodes, des dispositifs et des perspectives heuristiques liées au numérique dans le domaine des sciences humaines et sociales ». Les participants du Thatcamp ne négligent pas pour autant les méthodes traditionnelles « elles s’appuient sur l’ensemble des paradigmes, savoir-faire et connaissances propres à ces disciplines tout en mobilisant les outils et les perspectives singulières du champ du numérique ».

Il est indéniable que le numérique a changé notre rapport aux objets généralement étudiés par les humanités et les SHS. Par rapport à l’écrit par exemple, aussi bien la lecture que l’écriture connaissent une transformation par le numérique, grâce aux liens hypertexte et l’éditorialisation des contenus, sans oublier les groupes de lecture ou d’écriture en réseau … Quant aux pratiques sociales, elles ont été ‘cannibalisées’ par les outils de communication et de réseaux sociaux et l’utilisation d’algorithmes à l’intérieur de ces dispositifs changent complètement la donne !

Face à ce changement radical qui transforme notre relation cognitive au monde, Michel Wieviorka dans son manifeste l’Impératif numérique [analyse de Jean-François Blanchard] exhorte les chercheurs « à ne pas abandonner le domaine à des spécialistes et à prendre la mesure des enjeux qui sont vitaux pour les SHS. Utiliser les ressources numériques, intégrer le numérique dans les méthodes de travail et les objets d’étude constituerait une première avancée vers une appropriation du changement ».  bandeau_humanum

Manifeste des Digital Humanities/par Marin Dacos. – THATCAMP Paris, 2010 maj. 25/01/12. – Hypothèse.org

Berra, Aurélien. – Faire des humanités numériques. – in Read/Write 2/Pierre Mounier, dir. – Open Edition Books, p.25-43. – 2012

Plantin, Jean-Christophe ; Monnoyer-Smith. – Ouvrir la boite à outils de la recherche numérique. – Tic&Société vol.7:n°2, 2e semestre 2013

Blanchard, Jean-François. – Michel Wieviorka, l’impératif numérique ou la nouvelle ère des sciences humaines et sociales ? - Lectures Revues.org. – comptes-rendus 2013

Barret, Elydia. – Quel rôle pour les bibliothèques dans les humanités numériques ? Mémoire d’étude – ENSSIB -Université de Lyon, janvier 2014

Dacos, Marin ; Mounier, Pierre. – Rapport Humanités numériques. – Institut français ; Open Édition, 20/06/14 via Slideshare.net

Humanités numériques. – Institut français, 2014. – Publication d’une étude consacrée aux humanités numériques, soutien à la participation de chercheurs français à la conférence Digital Humanities 2014 de Lausanne, table ronde au Salon du livre, rencontres et débats dans le réseau culturel.

Humanités et cultures numériques : éléments d’histoire et de prospective/Milad Douehi ; Louise Merzeau. – DHNord 2014 Humanisme et humanités numériques. – Publie.meshs, 27/05/14

Dunleavy, Patrick. – Big data and the future of social sciences. – LSE podcasts – Audible impact episode 3, 06/08/14

Moatti, Alexandre. – Quelle acceptation du terme « humanités numériques ». – Bibnum, 19/11/14

Levy, Pierre. – My talk at « The Future of Text 2014. Communication presented at The Future of Text symposium IV at the Google’s headquarters in London (2014). – Pierre Levy’s Blog, 02/11/14

Quels agencements pour les humanités numériques ?/ Eddie Soulier.dirLes Cahiers du numérique. – Numéro spécial, vol.10 – 2014/4. – via Cairn.info

Cavalié, Etienne. – Projet de mode d’emploi des humanités numériques. – Bibliothèques (reloaded), 30/01/15

Qu’est-ce que les humanités numériques ? - France Culture Plus, 25/05/15 [Alexandre Gefen (fabula.org), Pierre Mounier (CLEO), Michel Wieviorka (FMSH). Rencontre animée par Xavier de La Porte (France Culture) au Salon du Livre, Paris 2014).

 

Environnement et numérique : opposition ou complémentarité. Le cas des « cleantechs »

logoCop21Apparus tous deux dans les années 1970, les enjeux de l’environnement et du numérique sont souvent associés dans les ruptures sociétales du 21e siècle (les premiers ‘geeks’ étaient souvent écolos), mais aussi opposés en raison de l’énorme consommation énergétique et des pollutions provoquées par l’usage des technologies de l’information et de la communication. L’empreinte écologique d’internet et des dispositifs numériques a notamment été interrogée et suspectée de participer au dérèglement climatique. Un certain nombre d’associations ont tiré le signal d’alarme et on assiste depuis quelque temps à des propositions de solutions ‘propres’ et responsables aussi bien de la part de grandes sociétés que de jeunes pousses, les ‘cleantechs’.

L’empreinte écologique : la consommation énergétique du numérique

L’internet pèserait 300 millions de tonnes de CO2 par an d’après le site Ecolo Info. Quant aux data centers, ils représenteraient à eux seuls près de 3% des 10% de l’électricité mondiale consommée par l’écosystème numérique d’après le blog de Completel. Comme l’a rappelé Axelle Lemaire lors de sa présentation des cleantechs ambassadrices à la COP21 le 30 novembre, les seuls mails du Ministère (Bercy) consomment l’équivalent de 14 allers-retours Paris-New-York !

On pourrait multiplier les chiffres, cela n’épuiserait pas le sujet …. C’est ce qu’explique Hubert Guillaud dans son dernier post : si la consommation énergétique d’internet s’est sensiblement réduite depuis quelques années, l’augmentation des utilisateurs du réseau et surtout la consommation croissante d’énergie par chacun (multiplication des appareils mobiles, même s’ils consomment moins que les fixes) augmente la consommation énergétique globale, surtout en raison de la consommation de données distantes et particulièrement de vidéos.

Ce qu’il faudrait c’est une « limitation de vitesse » sur internet comme sur l’autoroute … Le réseau des réseaux serait peut-être un peu moins performant mais plus durable dans une économie décarbonnée ! Si les géants du Net (Apple, Facebook, Google) font des efforts pour utiliser des énergies renouvelables dans leurs data centers, comme le reconnaît Greenpeace, cité par Guillaume Serries dans son article sur ZDNet, Microsoft est obligé d’admettre, en revanche, que « sa neutralité carbone », réalisée depuis 2012, est remise en question par la croissance des services de cloud …empreinte-ecologique-avenir-investir

Ces grandes infrastructures (data centers, cloud) ne sont pas les seules en cause dans la surconsommation d’énergie : tous les appareils en mode ‘veille’ sont également impliqués. En outre, de plus en plus d’équipements domestiques et industriels doivent rester en permanence en fonctionnement : ordinateurs de bureau, serveurs, routeurs, caméras de surveillance …

L’empreinte écologique : les pollutions chimique et électronique

Notre communication quotidienne ne pourrait pas se réaliser sans le concours de matériaux toxiques indispensables (jusqu’à présent) à la fabrication des appareils mobiles, notamment pour les batteries : les ‘terres rares’ ou lanthanides. Comme le souligne l’article de Géo : « l’extraction et le traitement des terres rares polluent et produisent des déchets toxiques ». Et évidemment, cette extraction se passe souvent dans les pays du Sud et dans des conditions souvent indignes : « en Mongolie intérieure, la radioactivité mesurée dans les villages près de la mine de Baotou serait 32 fois supérieure à la normale (contre 14 fois à Tchernobyl) » !

Une solution serait le recyclage des déchets électroniques pour répondre à la demande croissante de terres rares. Mais là aussi, ce n’est pas toujours le comportement responsable qui prévaut dans cette industrie. Le recyclage des ‘Déchets d’équipements électriques et électroniques’ ou D3E est très contrôlé et encadré en France et en Europe, comme l’explique la FAQ de Future Arte, mais il existe un trafic international d’exportations illégales de déchets électroniques où les conditions de travail et d’exploitation de matériaux échappent à toute réglementation … !

Un peu plus controversé, l’effet nocif des ondes électromagnétiques. Des cas de personnes électrohypersensibles ont été reconnus, dus à l’intolérance aux ondes électromagnétiques provenant des équipements de téléphonie mobile dans l’environnement. Même si l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’environnement française (ANSES) estime que les données scientifiques ne montrent pas d’’effet avéré’ des ondes sur la santé, elle préconise néanmoins un certain nombre de précautions aux personnes hypersensibles, les effets à long terme étant encore inconnus (article de TVinfo). En revanche, les associations comme EHS-MCS préconisent une totale isolation du système numérique aux personnes électrohypersensibles !

Le numérique au secours des dérèglements climatiques : désinvestissement des énergies fossiles et investissement dans l’économie décarbonnéecampaign_di_0

Tous les jours, de grandes entreprises, des institutions et des collectivités locales abandonnent les énergies fossiles pour investir dans l’énergie propre. Lors de la présentation Cleantech, Pascal Canfin évoque $ 500 milliards d’investissement public et privé dans des projets qui contribuent à la décarbonisation de l’économie.

De grands patrons de multinationales dont plusieurs du secteur numérique (Bill Gates de Microsoft, Jeff Bezos d’Amazon, Marc Zuckerberg de Facebook, Xavier Niel de Free, Jack Ma d’Alibaba, etc.) ont fondé l’initiative « Breakthrough energy coalition » qui a pour objectif est d’investir dans les technologies d’énergie propre en misant sur les entreprises émergentes.

Ces initiatives sont révélatrices de l’émergence d’une disruption dans l’industrie et l’économie mondiale. Pascal Canfin a comparé la situation actuelle à celle de l’Europe à la veille de la Première guerre mondiale : dans les années 1900, Paris était envahi par le crottin de cheval qui représentait une véritable pollution à l’époque … Le développement de l’automobile pendant la guerre de 14 a fait disparaître ce problème (tout en créant un autre). Pour parvenir à une économie décarbonnée, neutre en carbone en 2060, il n’y a pas d’autre moyen que la jonction de l’économie verte et de l’économie numérique. En 2006, Nicolas Stern, chef du service économique britannique, a présenté dans un rapport indépendant (Stern Review) le caractère inéluctable du changement climatique et analysé ses coûts et conséquences sur la croissance et le développement. Cet économiste, qui est à présent le vice-président de la Banque Mondiale, a démontré que si on n’apportait pas de solutions durables à ce problème, le changement climatique risquait de coûter plus cher à l’économie mondiale … !

La COP21 représente une partie de ce défi (politique mondiale), mais il faut aussi que des entrepreneurs le relèvent aussi. L’économie contemporaine finance encore trop de projets avec l’énergie fossile …

L’innovation au service du climat : la recherche-développement des ‘cleantechs’

climate-solutions-idea-bulb-lead-972x514Comme l’a souligné Axelle Lemaire, il y a urgence à apporter des solutions par l’innovation. C’est pourquoi la French Tech se met au vert. Le numérique est devenu une transition nécessaire dans la transition écologique.

Des géants industriels aussi bien que des universités et des centres de recherche ont fait le pari de l’innovation en soutenant des jeunes pousses.

Au côté de grands groupes, les organismes de recherche participent à une exposition au Grand Palais pour présenter au public l’action des scientifiques sur la question climatique à l’occasion de la COP21. Les chercheurs partagent leurs connaissances avec les visiteurs et présentent des solutions pour lutter et s’adapter au changement climatique. L’INRIA, représentant la recherche en informatique et automatique, est partie prenante de plusieurs projets (énergie alternative, recyclage des déchets, transport, ville intelligente).

Au niveau des entreprises innovantes, les start-ups ‘greentech’ ont l’avantage d’être agiles et participatives. Sur les 21 start-ups sélectionnées pour être les ambassadrices à la COP21, 13 ont été choisies par le public. Le contenu des solutions numériques est aussi transversal et transdisciplinaire. Certaines solutions permettent le suivi précis et prédictif des consommations d’énergie. L’intelligence des mégadonnées permet de créer des ‘smart data’, notamment avec des objets connectés et de promouvoir de nouveaux usages, comme l’application Plume Labs. Créée par une équipe de jeunes ingénieurs pour démocratiser l’accès à l’information concernant la qualité de l’air urbain, cette start-up française permet aux utilisateurs de suivre, prédire et réduire leur exposition à la pollution de l’air !

Ces jeunes pousses s’appuient aussi bien sur la participation du public que sur un partenariat industriel public et privé. Ces initiatives ne sont qu’un premier pas dans un cercle vertueux qui devrait amener à une prochaine révolution industrielle. C’est le thème du Forum de l’OCDE qui doit se tenir à Paris les 14 et 15 décembre 2015.

nasa-climate-change-projection

 

HM Treasury – Cabinet Office. – Stern Review on the Economics of Climate Change. – The National Archives, [2006]. Pdf.

Rapport Stern : coût des changements climatiques.Réseau Action Climat France, 12/10/06

Manach, Jean-Marc. – Ecologie : le numérique fait partie de la solution, pas du problème. – InternetActu, 14/04/09

Livre ou Ipad ?Carbone 4, 2012 [Métro, 03/03/11]

La Porte, Xavier de. – Energie, pollution et internet. – InternetActu, 01/10/12

Flipo, Fabrice ; Dobré, Michèle ; Michot, Manon. – La face cachée du numérique : l’impact environnemental des nouvelles technologies. – Paris, L’Echappée, 2013

Weiler, Nolwlenn. – Cette empreinte écologique que les consommateurs ont bien du mal à voir.Bastamag, 20/01/14

Le numérique c’est plus écologique ? Kaizen, 22/04/14

Paris désinvestit des énergies fossiles. Maison de la Chimie, 1er Septembre 2015. – European Greens.

Redefining industrial revolution : OECD 2015 Green Growth and Sustainable Development Forum (14-15 December 2015, Paris). – OECD Insights, 07/11/15

21 start-ups des cleantechs ambassadrices de la French Tech à la COP21 : le concours du 12 au 27 novembre 2015/ Sous le haut patronage du Ministère de l’Economie, de l’industrie et du Numérique. – Dossier de presse pdf.

Serries, Guillaume. – COP21 : quid de l’impact des data centers ? ZDNet, 27/11/15

COP21 : La recherche se mobilise pour le climat. Solutions Cop21, Paris 2015. – Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, 27/11/15

Breackthrough Energy coalition. – [28 November 2015]

Dolan, Kerry A. – Bill Gates, Mark Zuckerberg & more than 20 other billionaires launch coalition to invest in clean energy. – Forbes, 29/11/15

Jost, Clémence. – COP21 : nos pratiques numériques sont-elles écologiques ? Archimag, 30/11/15

Guillaud, Hubert. – Avons-nous besoin d’une vitesse limitée sur l’internet ?InternetActu, 01/12/15

.

Le « Meilleur des mondes » des GAFA : l’intelligence artificielle et les biotechnologies aux commandes des « Big companies » du Net

1cf44d7975e6c86cffa70cae95b5fbb2-2Les GAFA (Google Apple Facebook Amazon) – que l’on devrait désormais appeler AAFA, Google, le moteur de recherche historique n’étant plus qu’un département de l’entité Alphabet qui couvre plusieurs champs de recherche – misent de plus en plus sur l’intelligence artificielle et les sciences et technologies de la santé dans leur course à l’hégémonie sur la toile …

Si XLab, labo de recherche  de Google a déjà lancé la Google Car (voiture autonome) et les Google Glasses (lunettes de réalité augmentée), d’après 01Net « M », l’assistant personnel de Facebook nous promet de trouver le cadeau idéal pour nos ‘amis’ en utilisant les millions de données personnelles que le réseau social recueille (à leur insu souvent …) sur le web. Avec un milliard d’utilisateurs, c’est un jeu d’enfant !

Mais, qu’il s’agisse de mégadonnées (big data) ou d’intelligence artificielle, on reste encore dans l’informatique, or les Géants du net ont voulu se diversifier dans un domaine qui va prendre de plus en plus d’importance au 21e siècle : la santé et les biotechnologies. C’est Bill Gates, l’ancien patron de Microsoft qui s’est lancé le premier avec sa fondation contre le paludisme.

Comme l’explique Olivier Ertzscheid dans Rue 89, Le Web 4.0 sera celui du génome : on est passé du web 1.0 qui a permis d’indexer des documents et de les rechercher (moteurs de recherche) au web 2.0, le web social qui recense les profils sur les réseaux sociaux ; avec le web 3.0 on passe aux objets connectés et au World Wide Wear « où le corps devient une interface comme les autres ». Après cela, après les plateformes de l’’économie du partage’ qui concurrencent de plus en plus de secteurs traditionnels, que reste-il à indexer ? L’ADN. C’est ce champ que les big companies vont investir pour créer le « web généticiel ». Olivier Ertzschied cite une étude du MIT l’Internet de l’ADN « dont l’objectif est de documenter chaque variation de chaque gène humain et de déterminer quelles sont les conséquences de ces différences ». Il évoque ainsi la possibilité « de structurer une économie de ‘servicialisation’ du vivant ». Dans cette bio-économie, Google est, bien sûr, très présent. Mais pour le moment, en dehors des délires transhumanistes du gourou Ray Kurtzweil, fondateur de la Singularity University, dont le modeste objectif est de « vaincre la mort », la société de biotech Calico du groupe Alphabet, pose ses jalons. Elle vient de s’allier avec les laboratoires français SANOFI pour travailler sur le traitement du diabète ; la société de biotechnologie avait déjà réalisé un partenariat avec la firme de santé Dexcom sur des minuscules capteurs permettant de mesurer le taux de glucose dans le sang et Google X avec Novartis pour des lentilles de contact connectées pour le même objectif, mais là à partir des larmes … !090422165949

Les autres grands acteurs du net s’investissent aussi dans d’autres secteurs comme les plateformes de services ou les objets connectés. « Amazon Home Services » connecte l’internaute à des professionnels de services à domicile, du plombier au professeur de yoga comme l’indique Charlotte Volta dans un post de l’Atelier, tandis que le Pentagone s’allie à Apple pour créer des objets connectés militaires (article du Monde Informatique).
Google se retrouve évidemment dans ce genre de plateformes, la société prévoit même de lancer sa propre place de marché permettant de connecter les internautes avec les fournisseurs de services directement, à partir de la page de résultats ! Quant aux TICE et à l’éducation en ligne, Google a déjà sa plateforme, cf post de Frédéric Lardinois sur Techcrunch, et propose son école en ligne devançant toutes les réformes des éducations nationales ! Toujours au niveau de l’éducation, Amazon fournit désormais les manuels scolaires aux écoles de New York pour une période de trois ans. Mais, comme le souligne l’article d’Actualitté, les e-books comportent des DRM qui les rendent impossibles à utiliser pour les malvoyants …

Mais les géants du Net ne sont pas tous américains … Alibaba, la star montante chinoise investit aussi dans l’intelligence artificielle pour traiter les big data. C’est ce qu’explique Guillaume Périssat dans l’Informaticien : la société « vient d’ouvrir une plateforme cloud dédiée à l’analyse de grands volumes de données, mêlant deep learning, machine learning et analyse prédictive avec une puissance de calcul inégalée et une ergonomie à toute épreuve ».000010180_imageArticlePrincipaleLarge

Devant toutes ces initiatives, notamment dans les secteurs de la santé et de l’éducation, on peut se poser la question : quid des États et des institutions internationales ? Or, comme le souligne le chirurgien Laurent Alexandre, cité par Hervé le Crosnier, invité des Matins d’été sur France Culture « Google et les autres géants du net sont plus puissants que les Etats. Quel Etat peut investir un milliard de dollars dans la recherche ? Pourtant, il est de la responsabilité du politique d’investir dans les nouvelles technologies ». Or comme rappelle Hervé le Crosnier, « un milliard c’est ce que Google doit au fisc français … ». Ces activités donnent un pouvoir énorme à ces entreprises : les algorithmes mis en œuvre permettent de comprendre beaucoup de choses à partir des données personnelles et à agir. Grâce à l’intelligence artificielle et au ‘deep learning’, ils peuvent non seulement classifier et interpréter les données recueillies, mais aussi analyser les émotions (ex : reconnaissance faciale des photos dans Facebook) et ainsi définir les « besoins » des utilisateurs. Des chercheurs de Cambridge assurent dans une étude pouvoir déduire l’âge, le genre, la religion et l’opinion politique des utilisateurs à partir des seuls « like » du réseau social … !

D’autre part, lorsque l’ont fait une recherche sur Google, le ‘Page rank’, l’algorithme du moteur de recherche, va sélectionner sur l’ensemble des résultats ceux qui correspondent le plus à l’utilisateur : à partir des recherches précédentes mais aussi de la géolocalisation (programmes du cinéma d’à côté, par ex.). Cet algorithme représente le modèle que Google se fait de ce que nous sommes. On arrive ici à la limite de la personnalisation.

Comme l’exprime Henri Verdier dans son blog, « C’est le réel lui-même qui est retranscrit en données, qui est analysé à un nouveau niveau de granularité ». Le ‘quantified self’, ce ‘moi quantifié’ peut traduire, à travers les mesures des objets connectés de bien-être (bracelets, vêtements), soit « un désir de maitrise de son propre destin, de connaissance de soi, soit une menace sur la vie privée […] la pénétration de l’empire du management dans la sphère la plus intime du corps ».

Comme le rappelle Sophie Coisne, rédactrice en chef de La Recherche, la médecine personnalisée, si elle peut apporter des réponses appropriées dans des cas très précis, peut aussi représenter un grand danger, par exemple dans le cas des médicaments adaptés à chacun, car on n’a plus aucun contrôle sur les données … Cela implique des protocoles de recherche qui coûtent des millions, un pur fantasme !

Il faut réfléchir à la question : « Qui fixe les buts ? La machine ou les humains ? » « Deviendrons-nous les ‘entrepreneurs’ de nos données, ou serons-nous progressivement enserrés dans des étaux, asservis voire ‘marchandisés’ » (Henri Verdier) ?

Il existe néanmoins des projets institutionnels dans ces technologies de pointe. L’Union européenne, à travers son programme H2020 présente 17 projets de robotique (robots industriels, bras articulés, humanoïdes de compagnie) impliquant de l’intelligence artificielle et des éléments de cognitique.

Il en est de même en France dans le cadre du Commissariat général à la Stratégie et à la Prospective qui a produit l’étude « La dynamique d’internet : Prospective 2030 ».

A la différence de ceux des Gafa, ces projets prennent en compte les contraintes juridiques liées aux données personnelles, du moins on peut l’espérer …

objets-connectes

France ; Premier Ministre ; Commissariat général à la stratégie et à la prospective. – La dynamique d’internet : Prospective 2030. – Études n°1, 2013. via Slideshare.

L’intelligence artificielle, le nouveau dada de Google. – ITespresso, 24/10/14

Bazin, Amélie ; Pacary, Jade ; Jean, Camille. – La lovotique : vers des machines reconnaissant les émotions ?Culturenum, 03/12/14 (U. de Caen – notes de synthèses par les étudiant(e)s).

Regalado, Antonio. – Internet of DNA. – MIT Technology Review, 2015.

European Commission ; CORDIS. – Robotics gets celebrated with 17 new projects under H2020.Cordis.europa, 27/01/15

Intelligence artificielle : jusqu’où iront les réseaux sociaux ?La Recherche, avril 2015

Voltat, Charlotte. – Quand les géants du Net s’attaquent à l’industrie du service.L’Atelier, 30/04/15

Ertzscheid, Olivier. – Le web 4.0 sera celui du génome, et il y a de quoi flipper. – Rue 89-L’Obs, 07/03/15

Belfort, Guillaume. – Google signe avec Novartis pour des lentilles de contact connectées. – Clubic, 15/07/15

Intelligence artificielle, transhumanisme : quel futur les GAFA nous préparent-ils ? – Avec Sophie Coisne et Hervé Le Crosnier. – Les matins d’été – France Culture, 19/08/15

Lardinois, Frédéric. – Google classroom gets an update ahead of new school year. – Techcrunch, 24/08/15

Périssat, Guillaume. – Alibaba lance une offre de service en intelligence artificielle destinée au Big Data. – L’informaticien, 25/08/15

Gary, Nicolas. – New-York signe avec Amazon, aveugle aux problème de lecture ? - Actualitté, 27/08/15

Facebook annonce « M », un assistant personnel intégré à la messagerie.01Net, 28/08/15

Filippone, Dominique. – Le Pentagone s’allie avec Apple pour créer des objets connectés militaires.Le Monde informatique, 28/08/15

Le Quantified self, pivot de la révolution des données. – Henri Verdier Blog, 30/08/15

Dove, Jackie. – Google Life Sciences teams up withe Sanofi to,take down diabetes. – The Next Web, 01/09/15

Fredouelle, Aude. – Quels sont les projets connus de Google X ?Journal du Net, 02/09/15


Le « moi quantifié » sera-t-il l’ homme nouveau du XXIe siècle ?

objects-connectésLes « objets connectés » sont en train d’envahir notre quotidien : montre, lunettes, chaussettes, réfrigérateur et même arrêt de bus …. ! De plus en plus d’objets et de services sont décrétés ‘intelligents’ (smart) ou connectés et combinés à la révolution de traitement des ‘big data’, ils sont censés bouleverser notre vie quotidienne. Santé, urbanisme, transports devraient être impactés par ces nouveaux gadgets, sans parler même du marketing ou de l’éducation !

Avec les ‘wearables’, appareils « prêt-à-porter », on se rapproche de l’’informatique intime’, comme la nomme Idriss J. Aberkane dans le Point.

Les ordinateurs, en se miniaturisant, se sont de plus en plus rapprochés du corps humain, jusqu’à le pénétrer (pace-maker ou implants divers) …

A quoi vont nous servir tous ces capteurs qui nous entortillent comme une véritable toile d’araignée … Car le web n’est plus lointain ou dans les nuages, il est sur nous ou en nous ! La sécurité sociale peut sans problème dérembourser les médicaments ou réduire les prestations médicales : de nouvelles starts-up ont trouvé la solution, plus besoin de déranger le médecin ; une bague ou un bracelet connecté vont pouvoir mesurer le taux de sucre pour les diabétiques ou le nombre de pas que doit parcourir un obèse pour maigrir ! Chacun pourra surveiller son état physique à tout moment et apprécier les progrès qu’il aura pu réaliser. Le « quantified self » doit permettre de se jauger en continu.

Mais dans ces conditions, l’humain est-il encore acteur de ses décisions ou n’est-il qu’une partie de l’interaction, qu’un somme de données reflétées dans les capteurs ? Ce ‘moi quantifié’ est-il toujours un sujet ou la somme de tronçons physiques ou psychiques, qui s’imbriquent dans des états physiologiques et des comportements ? Des « dividuels » comme les nomme Alain Damasio dans son roman de science-fiction « La zone du dehors » ?

Sans évoquer les problèmes éthiques et juridiques que posent déjà la gestion et le traitement de ces milliards de données plus que personnelles (santé, comportement, émotions, etc …) qui transitent forcément sur les « nuages » de grandes entreprises multinationales … Depuis quelques semaines, on ne compte plus le nombre de piratages effectués sur les données de santé … !

Olivier Ertzscheid démontre dans son post du 17 septembre 2014 « Vous prendrez bien deux doigts de digital ?» comme l’humain perd progressivement le pouvoir en passant de l’index du web 1.0 (lien hypertext) au pouce levé (Like) du web social, pour perdre complètement la main dans le « World wide wear » et l’internet des objets …. ! Le pouce et l’index permettaient l’activité de préhension nécessaire pour toute interaction. Tandis qu’avec les objets connectés, apparaît « une forme d’appréhension qui vient de l’incapacité de « préhension » et donc de « com-préhension ». Car pour com-prendre le numérique, il nous faut le prendre « ensemble » » (ibid). 05894964-photo-illustration-objets-connectes

Pourtant, d’après le rapport « The Wearable Future », de PWC d’octobre 2014, 20% d’Américains posséderaient déjà des objets connectés, et le succès pour ces appareils ne devrait que croître, surtout parmi les « millenials » (jeunes nés autour de l’an 2000). Même si sur l’échantillon analysé (1000 personnes), 33% de ces « adopteurs précoces » n’utilisent plus ou très peu ces objets (bandeaux, bracelets) et plus de 80% s’inquiètent de l’impact de cette technologie sur leur vie privée et sur les brèches possible de sécurité qu’ils pourraient comporter, plus de 50% de ces consommateurs sont plutôt favorables à l’avenir des wearables … Ils soulignent trois avantages dans cette technologie : la sûreté, notamment en ce qui concerne les enfants, une vie plus saine grâce aux exercices organisés par ces objets, et enfin leur simplicité et facilité d’usage …

Mais que faire de toutes ces données recueillies par ces appareils (qui communiquent entre eux, sans forcément en informer le sujet …) et qui peut les interpréter ? C’est la question que se pose Marie-Julie Catoir-Brisson dans son article « Du moi quantifié au corps comme objet connecté » : est-ce aux médecins à gérer ces informations provenant des patients, ce qui risque de remettre en cause la relation médecin patient … D’autant plus que « presque tous ceux qui ont utilisé ces appareils déclarent qu’ils ont modifié leurs habitudes d’une manière ou d’une autre (5).» Ce qui signifie que l’usage de ces objets connectés au quotidien transforme le rapport de l’individu à son propre corps et surtout à sa représentation. » (ibid).

L’étude de Goldman Sachs de septembre 2014 « The Internet of Things : making sense of the next mega-trend » examine les enjeux impliqués par les 28 milliards d’objets connectés à l’horizon 2020. Le rapport identifie cinq champs d’adoption : les « wearables », les voitures connectées, les maisons (domotique), les « villes intelligentes «  (smart cities) et enfin l’industrie, les transports, l’énergie et la santé. Cinq caractéristiques définissent aussi cette nouvelle technologies, résumés par l’acronyme S-E-N-S-E : Sensing (les capteurs) : température, pression, accélération ; Efficient : ajoute de l’intelligence aux processus ; Network : connecte les objets au réseau qui passe du ’Cloud computing’ au ‘fog computing’ (brouillard, buée), à la logique plus floue … ; Specialized : processus spécifiques et fragmentation ; Everywhere : ubiquité et présence ‘pervasive’. Les entreprises vont se concentrer sur ces nouveaux produits comme source de revenus grâce aux économies d’échelle et à la productivité. Mais il va falloir mettre en place les infrastructures nécessaires pour ce nouveau système : wifi, plateformes, applications, etc., avec les smartphones comme interfaces privilégiées … !
Là encore, l’étude met en garde sur les risques d’atteintes à la vie privée et les failles de sécurité …objets-connectes

A ce propos, la « Working party » sur la protection des données personnelles de l’Union européenne a émis une « Opinion sur les récents développements de l’internet des objets » adoptée le 16 septembre 2014. Tout en se réjouissant des avantages que cette technologie apportera aussi bien à l’industrie qu’aux citoyens européens, la WP29 rappelle qu’elle doit respecter la vie privée et s’inquiète des défis de sécurité qui sont associés à l’Internet des objets. La vulnérabilité de ces appareils, souvent déployés en dehors des structures traditionnelles de l’industrie de l’information, révèle un manque de sécurité dans leur construction (perte de données, infection de virus, accès non autorisé aux données personnelles, usages intrusif des ‘wearables’). Pour cela, elle propose d’incorporer le maximum de garanties dans ces objets et recommande aux usagers de garder un contrôle complet de leurs données personnelles …

 

Aberkane, Idriss J. – Demain, l’informatique intime. – Le Point, 15/08/14

Catoir-Brisson, Marie-Julie. – Du « moi quantifié » au corps comme objet connecté. – Métamorphoses des écrans, 23/08/14

The Internet of Things : makinge sense of the next mega-trend. –  Goldman Sachs Report, 03/09/14

The language of the Internet of Things. – The Economist, 06/09/14

Ertzscheid, Olivier. – Vous prendrez bien deux doigts de digital ?. – Affordance.info, 19/09/14

Opinion 8/2014 on the recent developments of the Internet of Things/ Article 29 Data Working Party. – Europa.eu, 16/09/14

Bonnet, Florence. – Big Data, objets connectés : il faut protéger le « prosommateur ». – Journal d u Net, 30/09/14

Wearable Technology Future is ripe for growth. – Pwc, 21/10/14

Guillaud, Hubert. – Dans un monde de smartphones, les gadgets doivent s’adapter. -InternetActu, 14/01/15

Au tribunal de l’internet ! Données de santé : les conditions de leur partage. – Le Point, 23/03/15

 

 

Travail et numérique : un nouveau paradigme ? – 2. L’entreprise et l’organisation en question

1370941087_generation_yLe numérique n’apporte pas seulement des transformations techniques sur le lieu de travail, comme on l’a vu avec l’automatisation croissante dans le post précédent, c’est toute l’organisation du travail et l’emploi qui sont remis en question.

La structure pyramidale de l’entreprise d’abord, avec son fonctionnement ‘top-down’, ne pourra pas tenir longtemps face à l’émergence de la dimension horizontale d’internet. A l’ère de la communication ‘tout azimut’ sur les réseaux sociaux, il serait difficile de ne pas prendre en compte le point de vue des salariés … Cela pourrait d’ailleurs être un des facteurs de réussite des réseaux sociaux d’entreprises (RSE) : Facebook travaille à mettre au point une version pour l’entreprise de son célèbre réseau … Et les grandes entreprises françaises ont pris la mesure de l’importance de la dimension collaborative au travail : voir à ce sujet le rapport d’octobre 2014 du groupe de travail du CIGREF  « Aujourd’hui dans les entreprises, les formes de management changent sous l’impulsion des transformations numériques qui s’opèrent. Les logiques d’efficacité opérationnelles nécessitent de s’appuyer sur les femmes et les hommes de l’entreprise ainsi que les réseaux formels et informels qu’ils constituent. L’entreprise espère ainsi fluidifier et accélérer les flux d’information, favoriser, partager les bonnes pratiques et faire émerger des idées nouvelles ».

Les « Géants du web », comme Google ou Microsoft ont aussi compris qu’il fallait laisser une certaine liberté à leurs salariés pour leur permettre de développer leur créativité. La firme de Mountain View accorde 20% de leur temps de travail à ses employés pour développer leur propre projet ; c’est grâce à cela que nous bénéficions d’applications comme Gmail, Google Maps ou d’un logiciel de numérisation de livres … formationnumerique2

L’emploi stable et permanent est en passe d’être dépassé : exit le CDI, place à l’intermittence généralisée … ! Mais avec un revenu de base pour survivre comme le souligne Xavier de la Porte, citant Thierry Crouzet dans InternetActu. Avec la croissance de la précarité, le salariat qui représente depuis deux siècles le modèle du rapport au travail, devrait peu à peu disparaître au profit d’autres formes de rapports à l’emploi. C’est aussi ce qu’explique Bernard Stiegler dans une interview sur We demain : le modèle salarial keynésien implique « de redistribuer via les salaires, une partie des gains de productivité réalisés grâce à la technologie, et constituer ainsi du pouvoir d’achat ». C’est sur ce paradigme que reposait l’Etat providence fondé sur la croissance. Mais ce modèle est sous perfusion depuis la crise de 2008 … ! C’est pourquoi il faudrait penser à une nouvelle redistribution, à un nouveau paradigme.

Si les technologies de l’information peuvent générer de nouvelles contraintes et multiplier les aspects négatifs dans l’organisation du travail (intensification du travail, morcellement de tâches, externalisation, contrôle  et surveillance accrue des salariés, sans oublier les troubles psycho-sociaux), comme le souligne Amandine Brugière dans InternetActu, elles permettent aussi une personnalisation du travail, une autre articulation entre travail et vie personnelle.

L’atelier Digiwork (Fing) a imaginé 8 scénarios pour le travail à l’ère numérique, avec pour chacun, des tendances contradictoires :

–          « numérique libéral » : précarité, chômage, outsourcing, CDD, augmentation du temps de travail, digital labor (exploitation des internautes), désengagement de la ‘génération Y’, surveillance ….

–          Le modèle ‘autonome’ : collaboration, auto-entrepreneur, porosité entre temps de travail et temps personnel, mode projet, modèle contributif, marchand ou non.

La multiplication des plateformes web peut aussi bien amener une nouvelle forme d’exploitation au service des consommateurs comme les services Uber (taxis) ou AirBn’B (chambres) que de la participation contributive à but non-marchand. Ces services s’accompagnent de collectifs de travail, impliquant des réseaux physiques et numériques, qui dépassent les limites physiques et organisationnels de l’entreprise ou de l’administration. Ces nouveaux organigrammes reposent sur le principe du « BYON » (Bring Your Own Network).

labo Ethique numerique_logoLes adeptes du télétravail peuvent se retrouver aussi dans des lieux bien matériels, les espaces de co-working. Là aussi, l’unité de lieu et de temps dans l’entreprise se dilue et se multiplie au rythme de ces nouveaux modes d’organisation. Le lieu de travail devient aussi « entreprise apprenante », grâce à la » formation de pair à pair ». Le management aussi se renouvelle dans « l’entreprise agile », il fonctionne principalement en mode projet, distribué de pair à pair : le fameux « scrumisme ».

Les jeunes aujourd’hui sont assez réalistes sur ce que l’avenir leur réserve au niveau professionnel, ils sont bien conscients que le numérique risque de détruire de nombreux emplois, mais d’autre part, ils accueillent assez positivement les innovations de l’entreprise. C’est ce que souligne le post de Tommy Pouilly dans Regards sur le numérique.

En bouleversant l’organisation du travail, le numérique implique toute la société, et ce aussi bien au niveau technologique et économique qu’en matière de transmission des savoirs. Dans l’entreprise ‘connectée’, comme l’explique Elsa Bastien dans Digital Society Forum (Orange) « les jeunes comme les aînés ont des choses à apporter et à s’apporter : à la nouvelle génération la transmission de la culture numérique et ses nouvelles « manières de faire » et à la génération en place le transfert de ce que l’on apprend sur le temps long, la connaissance du métier et de l’entreprise. ».

Pour aller plus loin

Pouilly, Tommy. – Les « sans bureau fixe » à la conquête du mieux-vivre en ville. – Regards sur le numérique, 16/10/13

Bys, Christophe. – « La notion de temps de travail n’a plus de sens dans de nombreux métiers » explique Henri Isaac. - Usine Digitale, 25/10/13

Kaplan, Daniel. – Travailler autrement ? Mutations des lieux et des temps du travail. – Digiwork – La FING, 18/04/14

Comment travaillerons-nous demain ?  – Regards sur le numérique, 03/06/14

Bastin, Côme. - Bernard Stiegler : « L’emploi salarié devient minoritaire ». – We Demain, 13/06/14

Boboc, Anca ; Taboy, Thierry. – Numérique et transformations du monde du travail : vers de nouveaux équilibres. – Digital Society Forum, 06/14

Brugière, Amandine. - La métamorphose du travail. – InternetActu, 27/06/14

Les réseaux sociaux d’entreprise. – Cigref, octobre 2014 (pdf)

Leclerc, François. – Huit scénarios extrêmes pour imaginer comment nous travaillerons demain. – La Tribune, 17/10/14

Sussan, Rémi. – L’avenir du bureau. – InternetActu, 30/10/14

Guillaud, Hubert. – Le bonheur au travail ? Sérieux ! - InternetActu, 03/11/14

Pouilly, Tommy. – Recruteurs du futur cherchent jeunes hors du système. – Regards sur le numérique, 26/11/14

 

Travail et numérique : un nouveau paradigme ? 1 – Les avancées robotiques

NaoDes messages contradictoires parviennent pour définir l’évolution  du travail à l’ère numérique. D’une part, le numérique est considéré comme le secteur d’avenir, avec à la clé des dizaines de milliers d’emplois, comme le prévoit le Plan Big Data ; d’autre part, l’automatisation croissante de nombreux secteurs risque de détruire des millions d’emplois si l’on en croit l’étude de Roland Berger, citée par RSLN.

Mais, plus profondément, c’est la structure même du travail et de l’emploi qui est remise en question avec l’introduction des technologies de l’information dans l’entreprise. Certains s’interrogent déjà sur la survie de l’entreprise, notamment en raison de la disparition des coûts de transaction : c’est ce qui ressort dans la synthèse réalisée par l’Atelier de l’emploi du Livre blanc de l’Aspen Institute   « The future of work 2 : comment la technologie transforme le travail ».  La structure verticale, fondée sur la hiérarchie des entreprises traditionnelles va être de plus en plus remplacée par l’horizontalisation et la décentralisation des organisations.

Aujourd’hui, nous examinerons uniquement l’impact des avancées du numérique et de la robotique sur le marché du travail.

Les progrès en intelligence artificielle et en robotique

Malgré quelques annonces fracassantes depuis une trentaine d’années, l’intelligence artificielle (IA) n’avait pas vraiment effectué d’avancées significatives et la robotique était cantonnée à certains secteurs industriels et restait encore très coûteuse ….

Mais il semblerait que ces deux activités de pointe, très liées par ailleurs, aient réalisé récemment un bond qualitatif permettant désormais de les prendre en compte dans l’avenir du marché du travail !

Alors, menaces ou opportunités ? C’est ce qu’analyse le PewResearch Internet Project dans une enquête auprès de 1896 experts. A la question « Quel va être l’impact des avancées de la robotique et de l’IA à l’horizon 2025 ? », une petite moitié (48%) a une réponse pessimiste : les robots et les agents intelligents vont peu à peu remplacer un grand nombre de travailleurs, aussi bien des ouvriers et des employés que des cadres, provoquant de grandes inégalités et du désordre social. Les autres experts (52%) prévoit en revanche que ces technologies ne vont pas remplacer plus d’emplois que ceux qu’ils vont créer d’ici 2025 ! Ils font confiance à l’inventivité humaine pour créer de nouveaux emplois, de nouveaux secteurs d’activité, de nouvelles façons de gagner sa vie, comme cela s’était passé à l’aube de la Révolution industrielle …. !

Mais tous les prospectivistes ne sont pas aussi optimistes ! Dans son étude, Roland Berger prévoit que 20% des tâches seront automatisées d’ici à 2025, les robots mettant au chômage 3 Millions de personnes ! Céline Deluzarche recense dans Le Journal du Net les 25 métiers bientôt remplacés par des robots … Et là encore, cela ne concerne pas uniquement les tâches répétitives des métiers manuels, mais des professions comme pilote d’avion, gardien de prison, pompier, agriculteur ou psychologue !! C’est pourquoi Bill Gates préconise dans une interview à l ‘American Institute Entreprise de taxer plutôt le capital et la consommation que le travail salarié ….

Le numérique, pourvoyeur d’emplois ?Fotolia_6549225_S-350X220

Quant au numérique, ce secteur ne produirait pas autant d’emplois qu’il en détruit … ;-( L’étude de Roland Berger compare par exemple, le nombre de postes créés par Instagram au moment de son rachat par Facebook (13) au nombre de salariés chez Kodak à son apogée (140 000) … !  Dans leur étude (U. d’Oxford, 2013) sur l’avenir de l’emploi et l’automatisation, Carl Frey et Michael Osborne estiment que 47% des emplois américains sont menacés ! Mais ils font aussi remarquer que ce dilemme s’est déjà posé dans l’histoire du marché du travail au siècle passé et que de nouvelles activités sont venues remplacer les emplois détruits par les différentes innovations : industries après  agriculture, services plutôt qu’industries, etc.

C’est dans cette perspective, avec l’idée que la plupart des métiers de demain n’ont pas encore été inventés, que le « Plan Big Data », un des 34 plans de reconquête industrielle lancé par le gouvernement en octobre 2013, vise à positionner la France parmi les leaders mondiaux dans ce nouveau secteur. Il prévoit un marché de 9 milliards d’euros à l’horizon 2020 et 130 000 emplois dont 80 000 créations ! La Commission européenne, prévoit, au niveau de l’UE,  900 000 postes à pourvoir en 2015. Mais cela implique des formations en masse de ‘data scientists’, sans parler des juristes et autres spécialistes de manipulations et trafics de données à prévoir avec la CNIL pour protéger les données personnelles.

Ces prévisions sont cependant toujours projetées dans un marché du travail et un écosystème économique semblables à ceux que nous connaissons. Or, de nombreuses tendances indiquent qu’ils sont en pleine mutation et que les organisations du travail actuelles (entreprises verticales, salariat) sont en voie de disparition …

Dans un prochain post, nous examinerons les alternatives à ce modèle économique et aux nouvelles façons de travailler (et de vivre !) que nous prépare l’avenir ! robots-option-binaire

The Future of Work II : comment la technologie transforme le travail ? par l’Atelier de l’Emploi. – ManPower Group, 10/05/11

Frey, Carl Benedict ; Osborne, Michael A. – The Future of Employment :How jobs are susceptible of computerisation ? - Oxford University, Sept. 2013

Guillaud, Hubert. - Comment travaillerons-nous ? - InternetActu, 18/02/14

Bill Gates says robots and automation will take jobs. – Next Big Future, 28/05/14

Comment travaillerons-nous demain ?Regards sur le Numérique, 03/06/14

Biseul, Xavier. – Le Plan BigData vise à créer 80 000 emplois d’ici à 2020. – 01Net, 03/07/14

Fumard, Camille. – Les métiers du numérique meilleur vivier pour lutter contre le chômage. – Regards sur le Numérique, 29/07/14

Robotisation du travail : jusqu’où l’Homme est-il prêt à « s’augmenter » sans perdre son emploi ? – Regards sur le Numérique, 30/07/14

Smith, Aaron ; Anderson, Janna. – AI, Robotics and the Future of Jobs. – PewResearch Internet Project, 06/08/14

Les classes moyennes face à la transformation digitale. - Roland Berger, 27/10/14

Trujillo, Elsa. – Les robots pourraient détruire 3 Millions d’emplois en France d’ici 2025. – Regards sur le Numérique, 28/10/14

Barbaux, Aurélie. – Les algorithmes vont-ils remplacer les fonctionnaires ? – Usine digitale, 06/11/14

 

Staypressed theme by Themocracy