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Maintenir la « continuité pédagogique » : l’expérience de l’enseignement à distance en période de confinement

elearning-02Depuis un mois en France, en raison du confinement institué pour restreindre l’extension du COVID19, tous les établissements scolaires sont fermés et le personnel enseignant a été encouragé à pratiquer la « continuité pédagogique » à travers un enseignement à distance. Pour l’enseignement du 1er et du 2nd degré, les parents d’élèves sont aussi invités à aider leurs enfants à pratiquer l’ « école à la maison ». Déjà en fin février, le Ministre de l’éducation nationale, J.M. Blanquer, cité par Lucile Meunier dans Uzbek & Rica, rassurait « Si [l’épidémie] devait prendre des proportions plus importantes, on serait capable de déclencher de l’enseignement à distance massif ». Il faisait allusion à Ma classe à la maison, la plateforme du CNED qui permet aux élèves d’accéder à des cours, vidéos, synthèses et visioconférences. Cet outil est un complément aux ENT (Environnement numérique de travail), grâce auxquels fonctionne notamment Pronote, un logiciel de gestion de vie scolaire, conçu comme une interface entre les professeurs, les élèves et leurs parents.

A part quelques succès de MOOCs dans l’enseignement supérieur et la formation continue, le e-learning n’a jamais vraiment décollé en France. Le CNED a mis longtemps à intégrer internet, et excepté quelques outils (tableau blanc interactif, cahier de correspondance en ligne), les enseignants n’utilisent pas beaucoup les nouvelles technologies. C’est pourquoi, lorsqu’il a fallu se mettre, d’un côté à l’enseignement à distance pour les professeurs, de l’autre à l’école à la maison pour les parents, sans aucune préparation préalable et avec des outils très peu rodés, on a assisté à une levée de boucliers de la plupart des enseignants. En revanche, certains y voyaient l’opportunité d’un renouveau pédagogique avec la mise en œuvre d’un enseignement 2.0 pour le 21e siècle … !

Fracture numérique et accentuation des inégalités elearning2-380x253

Mais surtout, comme l’a souligné Nathalie Mons, sociologue, professeur de politiques éducatives au CNAM, dans l’émission 28 minutes (Arte),  le système souffre d’une double fracture numérique : au niveau familial d’abord, avec des familles peu équipées, surtout en ce qui concerne les élèves des milieux populaires, et au niveau scolaire ensuite, en raison de l’impréparation des enseignants et des structures pédagogiques. L’école à la maison « va renforcer les inégalités sociales face à l’éducation, dans un pays parmi les plus inégalitaires. L’école étant également le lieu de socialisation, il faut sortir du fantasme de l’école du tout numérique, sans professeurs. »

C’est aussi ce que prévoyaient Pierre Ropert et Louise Tourret dès le 13 mars sur France Culture : « Mais malgré la bonne volonté du corps enseignant, la dématérialisation des cours va nécessiter une attention particulière des familles, ne serait-ce que pour s’assurer de la présence et du suivi des étudiants. L’enseignement à distance pose ainsi la question de l’égalité de l’enseignement, quand les familles ne sont pas toutes en mesure d’apporter le même soutien à leurs enfants ». « L’enseignement à distance, s’il venait à s’éterniser, pourrait donc accentuer les inégalités relevées par le classement PISA. Dans plusieurs rapports, déjà, le PISA a en effet relevé que le système éducatif français ne fait qu’accroître les inégalités pré-existantes ».

Impréparation de l’éducation nationale

C’est ce que constate Fanny Capel, professeur de lettres dans une tribune dans l’Obs : « Très rapidement, il est apparu que l’Education nationale n’était pas techniquement prête : les enseignants ont dû travailler avec leur matériel personnel, qui n’est pas forcément adapté ; les ENT (environnements numériques de travail) et les « classes virtuelles » conçues par le Cned n’ont pas supporté un usage massif. ». Les enseignants se sont ensuite « tournés vers les plateformes de discussion ou de visioconférence privées comme Skype, WhatsApp ou Zoom qui mettent en danger les données personnelles des élèves et la neutralité du service public ».

Face au flou des consignes officielles, les enseignants sont contraints à l’improvisation et adoptent des pratiques très diverses : échange de consignes et de copies par mail, cours en visioconférence ou vidéos en ligne. Du côté des familles, les parents en télétravail ou travaillant encore à l’extérieur se sont sentis vite dépassés et ont eu peur de n’en pas faire assez … Surtout que les conditions de l’étude à la maison (accès à un ordinateur, connexion à internet, logement, disponibilité des parents) n’ont pas été prises en compte.  Finalement les inspections ont rappelé que « le seul objectif était de maintenir un lien avec les élèves en leur proposant de exercices réguliers et la consolidation des compétences et des savoirs déjà acquis » ! 000000071588_zoom

Les enseignants se retrouvent dans un « état d’épuisement professionnel » et la plupart des élèves « vivent l’abandon scolaire et la rupture de leurs apprentissages, en dépit des efforts de leurs professeurs. » Pour Fanny Capel « il n’existe pas de classe virtuelle, seulement des individus à la fois, suprême paradoxe, surveillés et laissés à eux-mêmes. ».

C’est aussi l’avis des enseignantes interrogées dans l’article des Numériques : « L’école 2.0 ne remplacera jamais un prof« , annonce d’emblée Lucie, professeure de lycée en région parisienne. « On peut faire des sortes de cours magistraux, mais c’est à peu près tout« , continue celle qui doit s’occuper de ses deux enfants en primaire en parallèle. Isabelle, une contractuelle dans un lycée, abonde : « on nous vend une école 2.0, mais rien n’est fait pour faciliter la vie des profs et des élèves. » Les cours à distance exigent en effet beaucoup plus de travail pour une bonne partie du corps enseignant. « Au lieu de gérer une classe de 35 élèves, tu fais du cas par cas« , ajoute Isabelle. ». Là encore, l’inégalité est pointée : « S’il y a un mot à retenir, c’est inégalité. Tous les élèves n’ont pas toujours l’appareil et la connexion qu’il faut, certains parents se demandent comment on fait pour enregistrer des documents sur l’ENT, certains élèves ne savent pas se servir des outils informatiques« , s’inquiète Isabelle. ».

Un autre danger de l’enseignement à distance, l’’absentéisme numérique’ : Certains sont partis le vendredi pré-confinement « en se disant qu’ils étaient en vacances« . Mais là encore, cela dépend beaucoup de l’âge et du niveau social. « En 3e, avec des enfants issus de familles défavorisées, j’ai un taux de réponse de 50 à 60 % à mes mails« , explique Célia qui fait désormais cours depuis sa maison en Seine-et-Marne. ».  C’est aussi la question que pose Pascal Plantard, professeur d’anthropologie des usages des technologies numériques à l’Université Rennes 2, en se demandant dans une tribune au Monde « Qui sont les 800 000 élèves perdus ? » : la fracture numérique ne peut pas à elle seule expliquer le ‘décrochage’ de 5 à 8% des élèves depuis le début du confinement.

 

indexUn laboratoire de nouvelles pratiques

Alors que les outils institutionnels s’avèrent insuffisants pour faire face à la demande, certains enseignants en profitent pour expérimenter des solutions alternatives, proches des pratiques des jeunes, comme les jeux-vidéos ou les plateformes de réseaux sociaux. Lucile Meunier, dans son article sur Usbek & Rica, cite le cas d’un professeur de mathématique qui « a eu l’accord de sa direction pour développer des serveurs Discord. Cet outil ludique, bien connu de ses élèves fans de jeux vidéo, permettra d’héberger cours et exercices ». Une linguiste remarque aussi, qu’en l’absence d’ordinateur à la maison « certains outils non institutionnels semblent être plus adaptés à l’usage du smartphone: « Je ne vois pas le mal à faire un cours sur Snapchat, car tout le défi pédagogique est d’arriver à tirer le meilleur d’un outil. Par exemple, les langues requièrent de la spontanéité et de la vitesse, ce qui est très adapté à Snapchat ». Avec sa chaîne « Maths et Tiques » sur YouTube qui compte plus de 700 000 abonnés et 103 millions de vues, Yvan Monka, prof de maths au Lycée de Haguenau, est devenu incontournable depuis le confinement. Si l’élève peut progresser à son rythme, comme le constate Zineb Dryef dans le Monde « L’élève a la possibilité de revenir en arrière ou de cliquer sur pause, de fonctionner à son rythme. », la chaîne d’Y. Monka est très éloignée des standards des poids lourds de YouTube «  Ici, pas de montages sophistiqués, de décor soigné, d’animations rigolotes […] S’il glisse ici et là une blague de matheux, il ne fait pas de vulgarisation à grands renforts de références pop et de potacheries : il enseigne. ».

En ce qui concerne les élèves, « même si la salle de cours n’existe plus en tant que telle, il se recrée « un microcosme de classe » dans les boucles WhatsApp de certains établissements, explique Lucie à Corentin Béchade dans les Numériques. « Les élèves profitent de ce point d’ancrage, ils s’entraident et discutent« , renchérit celle qui cumule en plus le rôle de représentante des parents d’élève. « Il y a une vraie solidarité, ça a complètement changé la dynamique entre les profs et les élèves. Certains ont même créé un forum de discussion pour partager plus facilement des documents. »

« Il faut faire confiance aux élèves, assure François Taddei, cité par Lucile Meunier. Si l’un d’entre eux propose un outil, et que le professeur décide de lui faire confiance en lui disant : “Fais, tu connais mieux que moi”, on aura déjà fait un grand pas. Et ensuite, il faudra mettre en commun et partager ces nouvelles méthodes ».

Les aspects positifs de l’enseignement à distance transparaissent aussi dans la tribune de Roger-François Gauthier dans le Monde. Pour cet ancien inspecteur général, l’école pourrait aussi sortir renforcée de cette crise. Face à ceux qui déplorent « Que ce confinement des élèves dans les familles préfigurait une privatisation définitive de l’éducation et un éclatement de l’école face à la multiplication des acteurs qui interviennent dans l’enseignement à distance, », il fait le pari que d’autres espoirs sont possibles. « Qui dit que les élèves ne percevront pas plus clairement, après l’expérience du confinement, que leurs apprentissages individuels ne se construisent vraiment que confrontés aux apprentissages des autres ? […] Qui dit que les enseignants communiquant par exemple au téléphone avec leurs élèves ne leur seront pas en bien des cas apparus plus disponibles que dans la classe ordinaire ? ».

Cette crise pourrait aussi l’occasion de mieux former les enseignants, comme l’espère Christine Develotte « Ce serait super de pouvoir embrayer sur une formation numérique plus approfondie, pour les professeurs qui le souhaiteraient, pour revenir sur cette première expérienceSouvent, les enseignants ne sont pas formés à l’informatique donc ils ne voient pas l’enjeu qu’il y a à laisser la main à des spécialistes de conception de plateformes et non de pédagogie ». Mais encore faudrait-il disposer d’un budget, car, comme le souligne l’article d’Usbek et Rica : « Selon l’OCDE, les enseignants français ont moins accès aux formations continues (83%) que ceux des autres pays de l’OCDE (94%). ».

Il faudrait aussi arriver à mettre au point des méthodes plus créatives « Selon une étude PISA menée en 2017, les élèves français ont un niveau de collaboration très faible par rapport aux autres pays, notamment la Finlande. »..

 

Après les difficultés de l’enseignement pendant le confinement, les affres des choix du déconfinementformationnumerique2

Le gouvernement ayant pris conscience des inégalités provoquées par l’école à la maison en période de confinement, le Président de la République a annoncé que les établissements d’enseignement réouvriraient ‘progressivement’ à partir du 11 mai, date prévue du déconfinement pour une majorité de Français et d’activités économiques. On risque un « revers de confinement », similaire au ‘revers de l’été’, bien connu des chercheurs en éducation comme l’explique Céline Darnon dans The Conversation : alors que pendant l’année scolaire, les enfants de familles défavorisées affichent des gains assez similaires à ceux des familles avantagées, pendant les mois d’été, en revanche, de grandes disparités apparaissent. Celles pourraient expliquer en parties les grandes différences de réussites scolaires dans l’enseignement secondaire et les choix de filières dans l’enseignement supérieur.

Mais certains voient dans cette rentrée précipitée plus une nécessité économique (les parents doivent reprendre le travail, qui va garder les enfants ?) qu’une mesure pédagogique. D’autres, comme le chercheur en sciences de l’éducation Benoît Urgelli dans son interview au Monde, invite à « considérer cette période particulière à l’échelle de toute une scolarité » « Les enfants vont perdre deux mois d’école, peut-être plus, est-ce vraiment un drame ? ». Et surtout redoutent les conséquences sanitaires d’une telle reprise.

D’un point de vue épidémiologique, les enfants seraient relativement peu touchés par le virus du COVID19 (de moins de 1% pour les moins de 10 ans à 1% pour les 10 à 19 ans) et contrairement à ce que l’on croyait au début de la pandémie, aussi moins contagieux, d’après une étude de chercheurs français sur le cluster de Haute-Savoie, cité par Natalie Raulin dans Libération.

Malgré la prudence des propos du le premier Ministre lors de la conférence de Presse du 19 avril, la « bonne méthode sera progressive », a-t-il répété. « Les écoles n’ouvriront pas partout le 11 mai et ne fonctionneront pas partout dans les conditions dans lesquelles elles fonctionnaient » avant le confinement. parents et enseignants restent sur leurs gardes : « Le discours est plus prudent, sur cette date du 11 mai, que ce que laissait entendre Emmanuel Macron, salue Frédérique Rolet, secrétaire général du syndicat enseignant SNES-FSU  dans l’article du Monde. On ne pourra faire de rentrée tant que les conditions de sécurité sanitaire pour les élèves et les enseignants ne seront pas remplies. » Pour Hubert Salaün, porte-parole de l’association des parents d’élèves PEEP, interviewé par RTL « Pour des questions d’organisation, on ne peut pas aujourd’hui remettre 50 élèves dans un bus, 600 élèves en une heure à la cantine. Donc ça va être progressif et bien discuté avec les parents d’élèves, les mairies, les collectivités locales et les enseignants ».

 

Coronavirus : les premières pistes du gouvernement pour le déconfinement. – Le Monde, 20/04/20

Déconfinement des écoles : « Il va falloir beaucoup de pédagogie » estime la Peep. – Le Journal RTL, 20/04/20

Raulin, Nathalie. – Les enfants, étonnamment peu vecteurs de la maladie. – Libération, 19/04/20

Mons, Nathalie. – L’école à distance creuse-t-elle les inégalités. – 28 minutes – ARTE – YouTube, 16/04/20

Urgelli, Benoît ; Morin, Violaine. – École à la maison : « Les enfants vont perdre deux mois d’école, peut-être plus, est-ce vraiment un drame ? ». – Le Monde, 15/04/20

Capel, Fanny. – Enseignement à distance : « Le danger d’une école sans humanité ». – L’Obs, 15/04/20

Poupée, Mathilde ; Le Guellec, Gurvan. – Moi prof confiné : « ne nous dédouanons pas de notre immense tâches sous de mauvais prétextes ». – L’Obs, 13/04/20

Watrelot, Philippe. - Confinement : « L’enseignement, c’est d’abords une relation et de l’accompagnement » : Chat. – Le Monde, 08/04/20

Plantard Pascal. – Ecole à la maison : « Qui sont les 800 000 élèves « perdus » ? » - Le Monde, 07/04/20

Roder, Iannis. – Enseignement à distance : « Allez on se connecte tous à 8h55″ ou presque ... – Le Monde, 07/04/20

Augusto, Hadrien. – Cette application pour apprendre une langue fait un carton pendant le confinement.Presse-citron, 07/04/20

Darnon, Céline. – Inégalités scolaires : des risques du confinement sur les plus vulnérables. – The Conversation, 31/03/20

Gauthier, Roger-François. – Le confinement pourrait permettre « le sursaut dont l’éducation a besoin en France et ailleurs ». – Le Monde, 31/03/20

Treilles, Clarisse. – #JeTravailleChezMoi : « les cours ont une meilleure saveur quand on a du temps devant soi ».  – ZDNet, 31/03/20

Dryef, Zineb. - Yvan Monka, le prof de maths sur YouTube devenu incontournable depuis le confinement. – Le Monde, 26/03/20

Béchade, Corentin. – Confinement : « L’école 2.0 ne remplacera jamais un professeur ». – Les Numériques, 21/03/20

Meunier, Lucie. – « Pendant le confinement, je ne vois pas le mal à faire un cours sur Snapchat.Uzbek & Rica, 20/03/20

Chartier, Mathieu. – Coronavirus : une première journée d’école à la maison très perturbée. – Les Numériques, 16/03/20

Ropert, Pierre ; Tourret, Louise. – Enseignement à distance : « On peut craindre un élargissement des inégalités » dans l’éducation.France Culture, 13/03/20

Bergen, Alain. – Pour l’application Zoom, plus dure sera la chute. – L’Express, 13/04/20

CNED. – Ma classe à la maison : Comment s’organise la continuité pédagogique avec « Ma classe à la maison » ?. – CNED, cop. 2020.

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L’apprentissage entre neurosciences et intelligence artificielle

ApprentissageLa rentrée 2018 a été marquée par l’importance accordée par le Ministre de l’éducation aux bases neuroscientifiques de l’apprentissage avec la nomination de Stanislas Dehaene, chercheur en sciences cognitives, à la présidence du Conseil scientifique de l’éducation. Un post de Prospectibles avait souligné l’importance des recherches de ce neuropsychologue dans la compréhension du phénomène de la lecture. Quant à l’’apprentissage profond’, il devient le nouveau défi de l’intelligence artificielle en démontrant la capacité d’entités informatiques (réseaux de neurones) de développer une sorte d’apprentissage en s’’entraînant’ à l’aide d’algorithmes qui s’auto-corrigent.

Ces deux programmes n’ont pas manqué de susciter des polémiques, notamment dans l’enseignement où les pédagogues ont souligné l’aspect multifactoriel de l’apprentissage qui ne se limite pas à un phénomène neurobiologique et comporte de nombreux facteurs sociaux. D’autres se sont inquiétés de l’utilisation de la notion d’intelligence pour désigner l’activité de super-programmes informatiques. Car ce qui manque encore à ces machine pensantes, c’est la dimension émotionnelle de l’intelligence, qui, contrairement à l’idée reçue cartésienne est un facteur important dans la cognition, comme le souligne Frédéric Duriez dans Thot Cursus. Et on est encore loin de « voir une machine pleurer » comme le prédit Yann Le Cun, chercheur en intelligence artificielle, dans une interview à 20 minutes. Ce spécialiste de l’apprentissage profond chez Facebook est d’ailleurs le co-auteur avec Stanislas Dehaene, d’un ouvrage sur l’histoire de intelligence, qui vient de paraître chez Robert Lafont.

La neuropédagogie, nouvelle tendance éducative

Pascal Roulois, enseignant et chercheur en neuropédagogie, la définit ainsi sur son site « la neuropédagogie est la rencontre entre la pédagogie et les sciences cognitives : neurosciences, psychologie, philosophie. Elle vise principalement à renforcer l’efficacité de l’apprentissage (intellectuel, manuel) et de l’enseignement en analysant et intégrant de nombreux paramètres, biologiques aussi bien que psychologiques. Discipline systémique qui fait le lien entre « l’ordinateur » (le cerveau) et les « logiciels » (connaissance, compétence, savoir, savoir-être, information…), son champ d’application est donc large. ». Dans ce texte de 2013, il rappelle que cette discipline puise dans une longue histoire et que des pédagogues comme Philippe Meirieu (qui critique aujourd’hui l’orientation actuelle de l’enseignement basée sur les neurosciences) et bien d’autres sont à l’origine de nombreux concepts de neuropédagogie … Philippe Meirieu reconnaît dans son ouvrage « Apprendre, oui mais comment ?« , l’importance des processus mentaux dans la progression de la compréhension. En effet, contrairement au modèle de cours habituel : identification (repérer des informations) – signification (comprendre les informations) – utilisation (résoudre des exercices), « Une information n’est identifiée que si elle est associée à un projet d’utilisation intégrée dans la dynamique du sujet et c’est ce processus d’interaction entre l’identification et l’utilisation qui est générateur de signification, c’est-à-dire de compréhension ». cover-MIT-600x399

Pascal Roulois reconnaît néanmoins dans un texte plus récent que « Les neurosciences bénéficient d’une aura exagérée, alors que bien souvent, elles ne remplissent pas les critères ordinaires que l’on applique aux autres sciences ». Il souligne aussi que « les neurosciences ont permis à l’intelligence artificielle de faire un bond technologique prodigieux, qui a été rendu possible grâce à l’observation du cerveau humain, si bien que les grands projets cherchent à fabriquer des neurones et synapses artificiels. Les retombées pratiques se mesureront très prochainement, y compris en matière d’apprentissage. ». Or la neuropédagogie est « fondamentalement pluridisciplinaire » : elle est « formée de neurosciences, mais aussi de psychologie, plus particulièrement de psychologie de l’éducation et de psychologie cognitive ». D’où son importance dans la compréhension du phénomène de l’apprentissage.

Ce que les neurosciences nous apprennent, c’est qu’il existe deux modes d’apprentissage, avec ce que Rémy Sussan, citant l’ouvrage de Barbara Oakley dans Internet Actu, appelle le ‘paradoxe de la créativité’. « Autrement dit, lorsqu’on cherche à résoudre un problème, la partie du cerveau qui y travaille n’est pas celle qui trouve la solution ». Selon la chercheuse, le cerveau fonctionne sur deux modes : le ‘diffus’ et le ‘concentré’. Le mode concentré suit un cheminement logique en enchaînant les associations d’idées claires et évidentes ; le mode diffus est celui de l’inconscient où notre train de pensées associe les idées les plus éloignées. C’est à ce moment-là, devant un problème inédit ou difficile que nous avons besoin de nouvelles connexions entre nos neurones. Ces deux modes sont complètement liés et complémentaires « En fait, l’inconscient, le mode diffus, n’est capable que de résoudre les questions sur lesquelles le mode concentré a intensément travaillé auparavant. »

meg3Mais comme le souligne, Michel Lussault, ancien Président du Conseil supérieur des programme, cité dans Libération, «Les élèves ne sont pas juste des cerveaux dans des bocaux. Il y a une interaction permanente entre le corps, le cerveau et l’environnement ». Cela explique l’appel du syndicat du primaire Sniupp, cosigné par 60 chercheurs pour alerter l’opinion et mettre en garde le Ministre « Un conseil scientifique, oui, mais représentant toute la recherche… Dans le dialogue permanent que l’école doit entretenir avec la recherche, aucune discipline ne peut légitimement s’imposer aux autres et aucune ne doit être ignorée. La recherche ne peut être instrumentalisée dans des débats médiatiques le plus souvent réducteurs. ». C’est cette position que défend vigoureusement le psychologue Luc-Laurent Salvador dans Agoravox. Face à S. Dehaene affirmant dans l’ouvrage Apprendre à lire : des sciences cognitives à la salle de classe, que les enseignants doivent « devenir experts de la dynamique cérébrale », L.L. Salvador rappelle que « le cerveau est le produit de l’activité humaine et non pas l’inverse ». C’est à travers de la répétition, de l’entraînement des activités de fonctions corporelles et mentales qui « en viennent à imposer leur trace sur le substrat neural et donc à déterminer l’organisation cérébrale la plus favorable à leur exécution jusqu’à en permettre l’automatisation. ». Pour lui, l’important n’est pas ce qui se trouve dans la boite (crânienne) et que nous dévoile l’imagerie médicale, mais ce qui se trouve à l’extérieur « là où s’accomplit l’activité : le corps, l’esprit, les autres, le monde. ». S’il reconnaît que le cerveau joue « un rôle indispensable consistant, d’une part, à permettre des coordinations internes entre nos cycles perception-action puis, d’autre part, à les conserver (comme la pâte à modeler) », pour ce professionnel, les neurosciences ont un apport pédagogique nul, n’apportant que « de simples confirmations de ce que l’on savait déjà ». Comme le souligne l’épistémologue et neurophysiologiste André Giordan dans un post d’Educavox, « la crédibilité des neurosciences n’est pas assurée sur le plan de l’éducation, les preuves de leur efficacité sont souvent fragiles ou même absentes. Les arguments avancés reposent sur des études rarement corroborées sur le terrain et comportant nombre de biais conceptuels et méthodologiques ». Il donne comme exemple la condamnation de la méthode globale en lecture. Alors que pour Dehaene « ceux qui ont une méthode alphabétique, phonique entraîne le circuit de l’hémisphère gauche qui est le circuit universel, efficace de la lecture. Les personnes qui ont une attention globale, la forme du mot, ces personnes n’utilisent pas ce circuit. Leur attention est orientée vers l’hémisphère droit qui est un circuit beaucoup moins efficace pour l’analyse de la lecture ». Pour lui, « tout autre circuit d’apprentissage éloigne l’enfant de la lecture ». Pour Giordan, en revanche, « Le processus d’apprentissage de la lecture chez chaque enfant est unique, il dépend essentiellement de son désir d’apprendre à lire et du contexte qui le favorise… ». imagesAPPPRO

L’apprentissage profond : quand la machine s’autonomise

Jusqu’à récemment, l’informatique permettait aux humains de programmer des machines, aujourd’hui l’intelligence artificielle s’inspire du fonctionnement du cerveau, avec des réseaux de neurones artificiels. Le réseau est constitué de dizaines ou de centaines de couches de neurones, chacune recevant et interprétant les informations de la couche précédente, d’où le nom d’apprentissage profond (deep learning). On retrouve des « interprétations du traitement de l’information et des modèles de communication du système nerveux, à l’image de la façon dont le système nerveux établit des connexions en fonction des messages reçus, de la réponse neuronale et du poids des connexions entre les neurones du cerveau » (Wikipedia). Elles concernent plusieurs champs d’application : la reconnaissance visuelle et vocale, la vision par ordinateur, le traitement automatisé du langage, etc. (voir les exemples dans le post de Prospectibles sur l’IA) Ces systèmes ont des principes sous-jacents qu’ils partagent avec l’intelligence humaine et animale. Comme le soutient Yann Le Cun dans son interview à 20 minutes, « De même que l’aérodynamique explique à la fois comment volent les avions et les oiseaux. Les avions sont, d’une certaine manière, inspirés des oiseaux. Ils utilisent les mêmes principes sous-jacents mais ils n’ont pas de plumes ni de muscles ». Parmi ces principes, on trouve l’apprentissage. Le bébé, comme le petit animal, apprend des modèles du monde par observation, il apprend à suivre un visage, à détecter des mouvements ou qu’un objet peut être caché. Pour le moment, cet apprentissage est impossible à reproduire pour les machines. En matière d’apprentissage de modèles, on a d’abord eu l’apprentissage supervisé : « on donne l’image d’un chien à la machine et on lui dit ‘c’est un chien’. On lui donne la réponse. L’autre forme d’apprentissage, c’est l’apprentissage par renforcement, On laisse la machine faire des essais et des erreurs et, elle se corrige toute seule. ». Mais alors que dans un jeu vidéo, un humain met un quart d’heure pour atteindre un certain niveau de performance, il faut une centaine d’heure à une intelligence artificielle ! C’est aussi ce que constate Rémi Sussan, citant  un article de la Technology Review dans InternetActu : « C’est pourquoi depuis les travaux de Hinton les progrès en IA ont été plus le fait de l’ingénierie (voire, nous dit le magazine, du « bricolage » ) que de la science proprement dite. On ajoute tel ou tel perfectionnement à l’algorithme, et on procède par essai et erreur. » Pour créer une véritable intelligence artificielle, analogue à celle des humains, il faudrait la doter de ‘sens commun’, d’une connaissance du monde.

visuel_le_maitre_dapprentissage_500x370Si nous arrivons à apprendre plus vite, selon Le Cun, c’est que nous avons un modèle prédictif du monde : on sait que si on tombe d’une falaise, ce sera fatal ! « Ce qui nous manque, c’est de permettre aux machines d’apprendre ces modèles prédictifs. Et on se heurte au même problème : le monde n’est pas entièrement prédictible… ». Les tâches des systèmes intelligents autonomes ne seront pas définies par des programmes, mais par des systèmes de valeurs. « Ce qui définit la tâche de ce robot, ce sera : aide l’humanité de telle manière. Un but très général. La machine définira elle-même les moyens par lesquels elle remplira ses pulsions et son système de valeurs. ». Nos pulsions « sont un système de valeurs précâblé dans notre cerveau. C’est lui qui nous dit qu’il faut respirer, manger, se reproduire. Comment va-t-on construire des machines autonomes ? En déterminant ces pulsions, ces systèmes de valeurs, de manière à ce que leur comportement s’aligne avec les valeurs humaines. ».

L’adoption du processus d’apprentissage profond, inspiré des neurosciences cognitives, a permis aux intelligences artificielles de réaliser des avancées considérables dans de nombreux domaines. Mais ces systèmes logiciels sont encore loin d’avoir acquis l’autonomie nécessaire pour se « libérer » de la direction humaine. Si ces « machines pensantes » ne sont pas encore aux portes du pouvoir, les humains disposant de ces intelligences ‘étendues’ risquent de ne pas toujours en faire un bon usage, comme le craint le sociologue Eric Sadin dans son ouvrage sur l’IA analysé par Claire Chartier dans l’Expansiondeep_learning_1258x323

Chartier, Claire. – La face (très) noire de l’intelligence artificielle. – L’Express L’Expansion, 25/10/18

Droit, Roger-Pol. – Figures Libres. Ainsi naquit la vérité artificielle. – Le Monde, 25/10/18

Le Cun, Yann ; Beaudonnet, Laure. – Intelligence artificielle : « Dans le futur, on pourrait voir une machine pleurer. – 20 Minutes, 23/10/18

Sadin, Eric. – L’intelligence artificielle ou l’enjeu du siècle : anatomie d’un antihumanisme radical. – Paris : l’Echappée, 19/10/18

Dehaene, Stanislas ; Le Cun, Yann ; Girardon, Jacques. – La plus belle histoire de l’intelligence – Des origines aux neurones artificiels : vers une nouvelle étape de l’évolution. – Paris : Robert Laffont, 18/10/2018

Duriez, Frédéric. – Est-ce bien raisonnable d’être rationnel ?Thot Cursus, 08/10/18

Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines/Stanislas Dehaene, dir. – Paris : Odile Jacob, 05/09/18. (Sciences)

Johnson, Sydney. – What can machine learning really predict in Education?EdSurge News, 25/09/18

Moragues, Manuel. – Le premier livre traduit par une IA est… un manuel de deep learning. – L’Usine nouvelle, 12/09/18

Pédagogie et neurosciences, les limites et les réussites : dossier. – La Recherche n°539, Septembre 2018.

Taddei, François ; Peiron, Denis. – « Transmettre les compétences clés du XXIe siècle » : entretien. – La Croix, 31/08/18

Beard, Alex. – How babies learn and why robots can’t compete. - The Guardian, 03/04/18

Roulois, Pascal. – Qu’est-ce que la neuropédagogie ?Xos, 08/02/18

Salvador, Luc- Laurent. – Au secours, la neuropédagogie est au pouvoir ! – Agoravox, 25/01/18

Piquemal, Marie. – Un conseil scientifique en éducation, pourquoi faire ?Libération, 10/01/18

Cariou, Gautier. - L’apprentissage profond bouleverse les sciences. – La Recherche, n°529, Novembre 2017

Sussan, Rémi. – Les limites du deep learning et comment les dépasser.Internet Actu, 24/10/17

Giordan, André. – Apprendre à lire ? …Educavox, 29/08/17

Le plaisir d’apprendre/Philippe Meirieu et col. – Paris : Autrement, 2014

 

 

 

 

Quel avenir pour l’enseignement à distance ?

F1Émergeant il y a cinq ans, les MOOCs avaient soulevé un grand enthousiasme en matière d’enseignement en ligne : voir ces cours prestigieux d’universités d’élite mis à la disposition gratuitement du plus grand nombre représentait une ‘disruption’ dans l’univers sélectif de l’enseignement supérieur, en particulier aux États-Unis où l’accès à l’Université est difficile et les droits de scolarité élevés.

L’éclatement de la bulle Mooc

Les Moocs ont-ils fait ‘pcshitt’, comme le prétend Marine Miller dans son article du Monde ?

Un certain nombre de critiques s’élèvent contre l’évolution de cette innovation pédagogique. Tout d’abord, sa technologie qui n’a rien de vraiment révolutionnaire : des vidéos de cours magistraux accompagnés de quelques quizz … C’est loin d’être la disruption annoncée … De plus, la gratuité des cours, qui faisait l’attrait de ce dispositif, notamment dans les pays anglo-saxons, a été partiellement réduite, en particulier en ce qui concerne la certification ou les crédits dont les étudiants peuvent bénéficier. Sans parler de ceux qui déplorent la dématérialisation des cours et l’absence physique du professeur (et des étudiants !).

Malgré les 25 millions de participants et avec un marché estimé de 2500 millions de dollars (chiffres de 2015à vérifier), les MOOCs ne semblent pas avoir trouvé leur rythme de croisière. D’après une étude de Coursera, citée par Managexam, seuls 4% des étudiants avouent poursuivre leur formation jusqu’au bout … ! Et tous les étudiants n’ont pas la capacité d’apprendre de façon autonome … Mais tous les participants ne cherchent pas forcément à décrocher le diplôme ou la certification à mettre sur leur CV … Et près de 50% en ont suivi au moins la moitié … !images_civ

Mais plus sérieusement, c’est la philosophie même de ces cours en ligne qui est remise en cause. Outre les abandons massifs et le changement de modèle économique des plateformes, Karen Head dénonce le « colonialisme académique » que représentent les MOOCs dans son livre Disrupt This !, cité dans la recension de livres de Impact of Social Science. Professeur associée de littérature au Georgia Institute of Technology (Georgia Tech), elle a expérimenté elle-même ce dispositif en proposant son cours d’écriture de 1ere année sur un MOOC, bénéficiant d’un financement de la Gates Foundation qui voulait disposer au moins d’un cours non-traditionnel dans son offre. Ce ‘point de vue de l’intérieur’ lui a permis de nuancer son impression. Pour elle, cette disruption évolue dans le contexte du modèle éducatif de l’enseignement supérieur américain, la plupart des plateformes sont basées aux USA et nouent des partenariats avec les universités américaines les plus renommées. C’est difficile d’évoquer une ‘démocratisation’ de l’enseignement supérieur dans ce contexte. Les plateformes européennes (FUN, FutureLearn[GB]) ont plus ou moins imité le modèle américain. La seule proposition ‘vendable’ des Moocs, c’est la promesse d’un changement positif pour tout un chacun, que les ‘mal desservis du monde entier’ vont pouvoir profiter d’un accès libre aux enseignements des meilleures universités’. En fait, on assiste à l’adoption de contenu payant produit par ces grandes universités par les petites et moyennes universités, le développement et la maintenance d’un MOOC reste encore très opaque. 05894964-photo-illustration-objets-connectes

L’évolution du modèle économique : des MOOCs aux SPOCs

Ce que montrait aussi l’étude de Coursera, c’est la tendance à préférer les cours qui ont un aspect de formation professionnelle : 52% des interrogés suivent un cours pour améliorer leurs compétences dans le cadre de leur travail ou pour trouver un emploi. C’est cette ‘employabilité’ que critiquait d’ailleurs Karen Head, son cours de ‘composition de première année’ ne remplissait évidemment pas ce critère et ne pouvait pas être évalué de la même façon … Dans ce contexte professionnel, on retrouve l’influence des entreprises et l’importance du classement et des statuts des étudiants. C’est aussi cette variable qui a conduit des plateformes comme Coursera et Udacity à faire payer les certifications. D’ailleurs sur certains MOOCS, certaines parties du cours ne sont pas accessibles gratuitement, comme le souligne le post de Couserajunkie « Free MOOCs ? Forget about it ». Jusqu’au bouton LinkedIn qui disparaît si on n’a pris l’option de certification payante …

C’est à ce moment-là que l’on a vu fleurir les SPOCs (Small Private Online Course : cours en ligne privé en petit groupe). Ces formations, en général plus courtes, sont de plus proposées en entreprise comme alternative aux cours en présentiel. Les professeurs qui conçoivent ces cours s’appuient sur des contributions d’entreprises pour créer du contenu tourné vers les secteurs à forte demande (commerce, analyse des données, technologies numériques). Coorpacademy , en revanche, parie sur un nouveau paradigme, au lieu de proposer des séquences de formations continue de 3 jours, 2 semaines ou six mois, cette start-up propose « des apprentissages au fil de l’eau, quand un peu de temps se libère, dans les transports en commun ou en attendant un rendez-vous » comme le souligne Christophe Bys dans son article d’Usine digitale. C’est la méthode Apple avec iTunes : « Il change les règles du jeu en pariant non pas sur la gratuité, mais sur la fragmentation de l’usage ». De plus, un ‘protocole pédagogique inversé’ (le cours commence par un quizz, l’étudiant vérifie ensuite les réponses), permet de prendre en compte l’hétérogénéité des personnes qui suivent la formation. Chacun suit en fonction de ses besoins, de ces lacunes et peut rejoindre ensuite une communauté de groupe où la compétition peut se transformer en coopération, les apprenants d’hier pouvant se transformer en coach pour aider les nouveaux venus …

Les Mooceurs peuvent aussi avoir une démarche collective, comme le remarque Matthieu Cisel dans son post « L’avenir des MOOC passe-t-il par l’entreprise ?». Dans une structure, association, entreprise, un groupe de personnes peut se saisir d’un MOOC pour créer des dynamiques collectives, souvent dans une démarche ‘bottom-up’. Le MOOC peut être l’occasion de travailler un point ensemble : la gestion de projet, le prise de parole en public, la statistique, etc. Pour Matthieu Cisel, « l’avenir des MOOCs se trouve dans leur intégration, formelle ou non, dans les cursus de formation initiale ou continue ».

5202542_7_3ee3_plusieurs-tests-existent-pour-mesurer_4a49d65e5a7648af61b4aded15f8ecb3Des avancées pédagogiques et technologiques

  • Un cours de droit sur Facebook Live

Bruno Dandero, professeur de droit des affaires à Paris 1 Panthéon-Sorbonne diffuse ses cours magistraux en direct sur Facebook Live. Au lieu d’utiliser une plate-forme pédagogique privée ou publique (Coursera, edX ou FUN), cet enseignant élargit son audience des 300 étudiants de son cours à des milliers d’internautes du réseau social ‘massif’, sans inscription spécifique ni identifiants autres que ceux de Facebook. Comme le souligne Paul Conge dans l’Etudiant, ces interactions et contributions (remarques, liens hypertextes et questions juridiques) finissent par constituer un « document pédagogique enrichi ». Comme le dit le Pr Dandero, commentant les 25 000 vues de sa première vidéo « Ce qui me plait c’est de donner accès aux cours à des personnes qui ne sont pas inscrites à l’université ». Son audience est internationale et francophone (Vietnam, Madagascar, Afrique noire). Mais, malgré tout, un cours de droit de 3e année, ça demande des prérequis » …

  • L’intelligence artificielle s’invite sur les MOOCs : les ‘chatbots’ assistants pédagogiques

De nombreux enseignants américains utilisent de plus en plus des fonctionnalités d’intelligence artificielle (Siri d’Apple, Alexa d’Amazon, Watson d’IBM) pour les assister dans leurs cours en ligne. Ces chatbots, répondent aux questions, rappellent à l’ordre les étudiants pour certaines tâches ou échéances et peuvent animer des débats en ligne … Évidemment, cela risque de faire disparaître les ‘teaching assistants’, ces étudiants que Karen Head se plaignait de ne pouvoir rémunérer correctement dans son MOOC … Mais comme l’explique Donald sur le post de Wildfire Learning, cela permet aux assistants humains de se focaliser sur les questions intéressantes et créatives quand les ‘bots’ se chargent des questions récurrentes (à Georgia Tech, 10 000 par semestre pour 350 étudiants).

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  • L’émergence de la réalité virtuelle dans la classe

L’importance prise par la formation professionnelle dans l’enseignement à distance implique l’acquisition de compétences plus pratiques que les seules notions théoriques émises par les vidéos des cours en ligne. Malgré le jeu d’acteur des enseignants et leurs exploits graphiques sur les tableaux, noirs ou blancs, il faut souvent beaucoup d’imagination pour se représenter les choses enseignées … C’est là qu’intervient la réalité virtuelle immersive. De la l’école primaire à la formation des chirurgiens en Irlande en passant la construction de maisons durables en Chine, sans oublier évidemment, la simulation du pilotage d’un avion, les casques de réalité virtuelle emmènent les apprenant sur le ‘terrain’. Pour les enfants, Facebook et Google se partagent le marché. Avec Time Machine de Facebook social VR, les élèves se retrouvent dans la préhistoire près des dinosaures avec une application de type ‘Jurassic Park’. Dans Expeditions, du kit Google, le professeur se transforme en guide au sommet de l’Everest ou sur Mars … La Rady School of Management, de l’Université de San Diego en Californie a déjà son programme virtuel sur VirBela, la plateforme de réalité sociale virtuelle. En s’y connectant, les étudiants sont plongés dans des situations de cas concrets et doivent interagir comme dans un jeu vidéo …

Les MOOCs n’ont pas révolutionné l’enseignement supérieur : le ‘mammouth’ est difficile à renverser … Ce dispositif a néanmoins bousculé un certain nombre de rigidités pédagogiques et fait bouger les lignes dans les formations initiales et continue. L’enseignement initial se retrouve même impacté par cette innovation à travers la pratique de la ‘classe inversée’, de plus en plus adoptée dans certains cours. Cette pédagogie qui encourage les apprenants à se familiariser avec un certain nombre de notions sur internet avant d’assister aux cours et d’en débattre ensuite avec leurs enseignants, a inspiré la plateforme FUN qui propose aujourd’hui aux lycéens de terminale des MOOCs de préparation à l’enseignement supérieur sur des matières sensibles (Maths, droit, SHS, sport). Cela leur permettra d’être prêts au niveau des prérequis ou ‘attendus’ pour certaines filières comme le prévoit la prochaine réforme de l’admission à l’université.

MOOC

Siemens, George ; Gasevic, Dragan ; Dawson, Shane. – Preparing Digital University :a review of the history and current state of distant, blended, and online learning. – Athabasca University, University of Edinburgh, University of Texas Arlington, University of South Australia. – Bill & Melinda Gates Foundation, February 2015. (pdf).

Cisel, Matthieu. – MOOC : pour la Révolution, on repassera. – Educpros : La révolution MOOC, 22/04/15

Cisel, Matthieu. – L’avenir des MOOC passe-t-il par l’entreprise ?Educpros : La révolution MOOC, 23/06/15

Free MOOCs ? Forget about it. – Courserajunkie, 26/05/15

Trujillo, Elsa. – La formation professionnelle, l’avenir des MOOC. -Microsoft RSLN, 26/08/15

Bys, Christophe. – Coorpacademy veut appliquer la méthode Apple à la formation professionnelle.Usine digitale, 01/09/15

Brasher, Joan. - What makes students stick with a MOOC?Research News Vanderbilt, 26/02/16

Conge, Paul. – Un prof de droit donne des cours en direct sur Facebook. – L’Etudiant, 23/09/16

Merry, Peter. - Immersive Virtual Reality: Online Education for the Next Generation. – Converge, 28/09/16

Les universités britanniques lancent les premiers MOOCs certifiants. – Le Monde, 18/10/16

MOOCs : les chiffres qui comptent. – Managexam, 01/11/16

Bot teacher that impressed and fooled everyone. – Wildfire Learning, 02/08/17

Duthion, Brice – MOOC, SPOC, COOC et autres tutos, ou les aventures en ligne d’un formateurs voulant se former … -Etourisme.info, 03/10/17

Frank, Cyrille. – Mooc, elearning, gamification, serious-game … innovations réelles ou mirages ?Médiaculture, 14/10/17

Boeva, Yana. – Book review: Disrupt This! MOOCs and the Promise of Technology by Karen Head. – Impact of Social Sciences, 22/10/17

Antaya, Felipe. – Ouvrir les murs de la classe avec le numérique. – École branchée, 23/10/17

Miller Marine. – Les MOOC font pschitt. – Le Monde, 23/10/17

Quelle pédagogie à l’heure du numérique ?

300x200xRTEmagicC_PEDAGOGIE_SAINTHILAIRE_01.jpg.pagespeed.ic.BzeethoVGeL’innovation pédagogique est au centre du débat qui agite la société française autour de la réforme du collège. Comme le rappelle Dominique Roux dans un article des Échos, les élèves sont à présent des « digital natives » et l’usage d’outils numériques leur paraît naturel. Et ce, de la maternelle à l’université. Quels changements le numérique pourrait-il apporter à l’enseignement et comment ?

Comme le dit Michel Guillou dans son dernier billet : « J’ai l’impression qu’on n’a pas compris, après l’avoir écrit, ce que signifiait vraiment « L’école change avec le numérique » et qu’on n’a pas pris mesure, avec cette réforme du collège, des mutations en cours. » Et le bloggeur d’exposer les 31 défis amenés par le numérique, dont un des premiers est que ce phénomène n’est « ni un outil ni une fin en soi » …

En ce qui concerne l’enseignement supérieur, Educpros fait l’inventaire du Top 10 des pédagogies innovantes à l’Université. Classes inversées, fablabs, réalité virtuelle, etc. De nombreuses innovations accompagnent l’entrée du numérique dans l’enseignement, mais s’ils bouleversent les habitudes des enseignants et des étudiants, ces nouveaux outils ne suffisent pas à transformer la pédagogie. Comme le souligne Marcel Lebrun dans une interview « Le numérique peut avoir un impact sur la pédagogie, à condition que celle-ci change ».

Dans le monde anglo-saxon, on se rend compte que les enseignants ont une pratique très limitée des technologies de l’information et des compétences acquises en ligne. Katrina Schwartz explique dans son post, citant le rapport du ‘Project Tomorrow’ Learning in the 21st century, que les enseignants en formation, les ‘professeurs de demain’, apprennent des techniques d’hier, alors qu’ils maîtrisent déjà des compétences numériques plus évoluées comme l’usage des médias sociaux et des appareils mobiles … De même, Michelle Wise, souligne dans The real Revolution in Online Education isn’t MOOCs (Harvard Business Review), que ce qui va vraiment révolutionner le système éducatif ce ne sont pas les MOOCs qui offrent des cours en ligne gratuits et massifs, qui ne sont que la version technologique des cours magistraux traditionnels, mais la nouvelle architecture de transmission et d’échange de savoirs et de pratiques sur internet. Évidemment, l’auteur envisage plutôt l’aspect pragmatique de ces connaissances qui concernent plus les besoins réels des entreprises : « But there is a new wave of online competency-based learning providers […] but creating a whole new architecture of learning that has serious implications for businesses and organizations around the world. “ Là aussi l’utilisation et la pratique des médias sociaux permettent d’acquérir et de développer de nouvelles compétences, très utiles dans des secteurs comme le marketing ou la communication d’entreprise.

Classe-inversée-300x173C’est aussi l’avis d’Emmanuel Davidenkoff dans l’article de Regards d’étudiants en ce qui concerne les MOOCs : « Parfois on appelle MOOCS un cours filmé, ce qui n’est pas plus élaboré que ce que l’on fait quand on met une caméra devant quelqu’un qui parle, et ça, on sait le faire depuis que la télévision existe » mais aussi : « Je pense effectivement qu’au vu du redécoupage des séquences que cela impose, avec la nécessité et toutes les possibilités de collecter des données sur la façon dont les gens réagissent, on devrait pouvoir de plus en plus faire des propositions assez engageantes pour que des personnes qui, aujourd’hui, seraient réticentes ou décrocheraient assez vite rentrent dans les apprentissages, et réussissent à apprendre ». Grâce au recueil de données personnelles le numérique permettrait « d’industrialiser ce qui relève aujourd’hui de l’artisanat, le suivi individuel ». E. Davidenkoff rassure aussi sur le caractère hybride de l’enseignement : les Moocs n’ont pas vocation à remplacer tous les cours en présentiel …

L’importance de la présence des enseignants est d’ailleurs rappelée par le philosophe Michel Serres dans son interview à Vousnousils : ‘On n’a jamais eu autant besoin d’enseignants’. Si les enseignants et les médecins n’ont plus le monopole du savoir, c’est une chance : « Si on s’intéresse au cancer par exemple, il est possible d’effectuer des recherches sur Internet, mais on ne va rien y comprendre. Il sera toujours indispensable de contacter un spécialiste qui pourra nous transmettre son savoir. » Il en est de même dans les amphis où les étudiants ont déjà consulté sur Wikipedia le sujet du cours, mais ont besoin des compétences de l’enseignant pour mieux assimiler ces connaissances. « Le travail des enseignants s’en trouve allégé car l’information est déjà passée, mais leur rôle de passeur de connaissances reste inchangé. »

Michael Godsey va encore plus loin dans son post The deconstruction of K12 teacher (The Atlantic). Le professeur va passer du statut d’’expert en contenu’ à celui de ‘facilitateur technologique’, les contenus étant dispensés soit par des ‘super-profs’ dans les Moocs, soit sur des sites comme TED.melting pot d'enfants du monde

C’est bien ce que souligne Marcel Lebrun dans son interview : « doter les établissements d’outils numériques ne suffit pas. Il faut des formations plus méthodologiques, qui laissent moins de place aux savoirs eux-mêmes mais sont davantage tournées vers la manière d’apprendre. » . En effet, « en allant chercher des informations autour de lui, dans la société, l’étudiant acquiert un savoir que l’enseignant n’a pas forcément, ce qui place celui-ci dans une position d’apprenant. »

On assiste ainsi à de nouvelles formes d’apprentissage comme la pollinisation comme l’explique Marc Dennery dans C-Campus. « Reprenant l’image du monde végétal, on peut dire que les grains de savoir circulent d’agents de savoir à agents de savoir, comme des grains de pollen vont de plante en plante. » Les agents du savoir pouvant être aussi bien les apprenants eux-mêmes, mais également des bases de ressources pédagogiques (wiki, réseau social d’entreprise).

Les Français sont bien conscients de l’impact de ces nouveaux types d’apprentissage, comme le souligne Dominique Roux dans l’entretien aux Echos : « 72 % des sondés considèrent que l’enseignement numérique accroît l’autonomie d’apprentissage des élèves ». C’est ce que Christine Vaufray indique dans son post  MOOC : cours du prof ou cours des gens ?  « Le MOOC des gens, c’est celui dans lequel les informations transmises et les activités proposées stimulent l’apparition d’une multitude de commentaires, productions, débats, actions… qui constituent en finale la véritable matière du cours, bien plus que l’information initiale. ».belleimage
Learning in the 21st century : Digital experiences and expectations of tomorrow teachers. – SpeakUp – Project Tomorrow Report, 2013.

Schwartz, Katrina. - Are teachers of tomorrow prepared to use innovative tech ?KQED News, 13/02/13

De la transmission à la pollinisation des savoirs. – C-Campus- Le blog, 30/12/13

Weise, Michelle. – The real revolution in online education isn’t MOOCs. – Harvard Business Review, 17/10/14

« Le numérique aura toute sa place dans l’enseignement ». E. Davidenkoff. – Regards d’étudiants, 16/11/14

Blitman, Sophie. – Marcel Lebrun : « L’écart entre collaboration et aliénation numérique est étroit ». – L’Etudiant, 26/11/14

Godsey, Michael. – The deconstruction of the K12 teacher. – The Atlantic, 25/03/15

Michel Serres : “On n’a jamais eu autant besoin des enseignants !”. – Vousnousils, 03/04/15

MOOC : cours du prof ou cours des gens ?Jamais sans mon laptop, 10/05/15

Les 31 défis pour le collège mais aussi pour l’Ecole et l’Université. – Culture numérique, 23/05/15

Roux, Dominique. – Le numérique pour enseigner autrement. – Les Echos, 27/05/15

 

Enseignement et numérique : quelles difficultés, quels enjeux ?

l2code-cssUne controverse s’est développée récemment en France sur la nécessité d’enseigner le numérique à l’école. Doit-on en faire une discipline comme les autres, comme les maths ou l’instruction civique ? Ou au contraire, aborder chaque aspect de ce nouveau champ de connaissance à partir des autres enseignements : philosophie, droit, économie, physique, etc. comme le propose Michel Guillou, dans son post sur la « littératie numérique » ?

Il faudrait d’abord définir ce que l’on entend aujourd’hui par numérique, notion qui recouvre un grand nombre de connaissances et d’activités et bien distincte de l’informatique, aussi bien la théorie que la technologie spécifique. Or, un projet de loi vient d’être déposé à l’Assemblée nationale pour instituer l’ apprentissage du code informatique à l’école primaire (NextINpact, 13/06/14). Cet apprentissage, appuyé d’ailleurs par le Conseil national du numérique, est préconisé dans le ‘nouveau socle de connaissance’ du Ministère de l’éducation nationale.

Mais si une certaine base de connaissances et de pratique des algorithmes est indispensable à une bonne éducation, il paraît excessif de faire de nos « chères têtes blondes » des ‘codeurs’ émérites ! En effet, l’informatique est fondée sur la logique, et cette matière n’est abordée qu’en terminale, avec la philosophie … ! Il vaut mieux apprendre aux élèves à « mettre à plat » un problème ou une situation à l’aide d’algorithmes comme une recette de cuisine, comme l’explique Tasneem Raja dans « Is coding the new literacy? ». Une fois que les enfants auront compris ce qu’est une itération comme on comprend la composition d’une sauce en cuisine, les « petit(e)s malin(e)s pourront s’inscrire en atelier de ‘code’ pour programmer, par exemple, le jeu vidéo de leurs rêves, comme ils/elles peuvent s’inscrire à un atelier de pâtisserie, pour réaliser de magnifiques cupcakes ;-) Il existe d’ailleurs des tutoriels très attractifs pour les très jeunes amateurs, comme le montre ce programme de Mitch Resnick du Medialab du MIT. tarif-e-learning

Mais l’informatique ne représente qu’un aspect, essentiel certes, des si vieilles « Nouvelles technologies de l’information et de la communication » NTIC ou TIC, rebaptisées « numérique » depuis quelques années …. Les usages de ces technologies ont pénétré tous les champs de notre vie quotidienne. Les jeunes « digital natives » n’envisagent même plus la vie sans ces services … Comme certains pratiquent apparemment mieux que leurs enseignants, on pourrait penser qu’il est inutile de leur enseigner quoi que ce soit à ce sujet !

Or la pratique n’est pas la connaissance et encore moins la conscience des mécanismes ou des enjeux qui sous-tendent ces usages technologiques. En raison des inégalités très lourdes qui existent dans la société actuelle, seule l’école peut répondre à cette nécessité. Il est indispensable que les enseignants apportent un éclairage sur ce que recouvrent un profil Facebook, une messagerie instantanée, un téléchargement ou une recherche Google. Les enseignants peuvent bien sûr être assistés par des documentalistes et bibliothécaires, pour la recherche documentaires et les ressources numériques.

Si le numérique est effectivement « ignoré de la maternelle à l’ENA », comme l’affirment les participants d’ EDUCNUM 2014 , cité par Renaissance Numérique, que représente-t-il au juste ? « De la culture et de l’humain. On dépasse la technique et l’informatique » comme le twitte Clotilde Chevet, ou « Une culture générale numérique englobe à la fois le code, les images ou les questions des libertés » pour Sophie Pène.

Plutôt que d’apprendre à coder, les élèves ont d’avantage besoin d’ « apprendre à penser par eux-mêmes, à ‘décoder’, à ‘déchiffrer’  » analyse Olivier Le Deuff dans le Guide des égarés. Ils doivent être formés à une « culture nouvelle », en produisant un « nouveau régime de savoirs … C’est la question de la formation du citoyen dans des environnements complexes où se produisent différentes lectures et écritures ».

Mais qu’en est-il de l’utilisation des techniques numériques dans l’enseignement ? Les TICE, le e-learning, et à présent les MOOC, arrivent-ils à transformer l’éducation ? Assistons-nous à un nouveau paradigme pédagogique grâce au numérique ?
Si les moyens techniques et humains, et surtout la formation des enseignants, sont loin d’être opérationnels, certains indicateurs portent à l’optimisme.

Le e-learning permet d’abord aux apprenants à être plus autonomes, moins passifs face à l’enseignement du maître. Le ‘blended learning’ combine la transmission des connaissances et les compétences de l’enseignant avec des modules de e-learning, une recherche de contenus, des exercices et des ‘jeux sérieux’, et surtout des échanges avec d’autres étudiants et enseignants grâce aux forums de discussion.

Comme le souligne Mathieu Cisel dans son post « ce ne sont pas seulement les équipes pédagogiques qui s’adaptent ; pour les apprenants aussi c’est une évolution très importante de la posture face à l’apprentissage. Beaucoup plus d’autonomie, d’autonomisation et de responsabilisation » (La Révolution MOOC, 26/05/14).

Et surtout, comme l’affirme Emmanuel Davidenkoff, Directeur de l’Étudiant, « n’attendons pas de savoir si le numérique améliore les apprentissages. Intégrons-le tout simplement, car il est notre nouveau monde ».

Tablet PC with cloud of application icons

Resnick, Mitch. – Let’s teach kids to code. – TED, nov. 2012

Berne, Xavier. – Faut-il sensibiliser les enfants au code dès l’école primaire ?Next INpact, 21/05/14

Tasneem, Raja. – Is coding the new literacy ? - Mother Jones, 06/14

Guillou, Michel. – Socle : tous les élèves doivent savoir publier. – Culture numérique, 13/05/14

Guillou, Michel. – Pour une littératie numérique qui traverse et éclaire les disciplines scolaires. – Culture numérique, 01/06/14

Une culture générale du numérique pour tous ! - Renaissance numérique, 02/06/14

Enseignement de l’informatique à l’école : l’Académie des technologies prend position. – vousnousils, 03/06/14

François Fourcade. – Le numérique ne peut s’affranchir des lois de la pédagogie. – Parlons pédagogie ! Blog Educpros, 03/06/14

Cisel, Mathieu. – MOOC : la question de l’autonomie des apprenants. – La Révolution MOOC – Blog Educpros, 26/05/14

Gauchet, Marcel ; Soulé, Véronique. – Internet oblige le prof à remettre de l’ordre dans du désordre : interview. – Libération, 06/06/14

Kumar, Lokesh. – Blended learning – Is it the right move for you?Upside Learning, 10/06/14

Davidenkoff, Emmanuel. – Intégrons le numérique à l’école, car il est notre nouveau monde. – L’Express, 13/06/14

Le Deuff, Olivier. – Il faut apprendre à décoder, l’enjeu d’un nouveau programme commun. – Guide des égarés, 15/06/14

Compagnon, Antoine ; Duquesne, Margaux. – L’école du futur vue par Antoine compagnon. - Journaleuse, 16/06/14

Apprenants en ligne : à la conquête de leur liberté. – Thot Cursus, 17/06/14

 

MOOCs français : lancement officiel et premières impressions

Tout d’abord, je voudrais présenter mes meilleurs voeux pour 2014 à l’ensemble des lecteurs.

Attaqués par le « Collectif anti-Mooc » fin 2013 et par quelques autres auparavant (voir les références en bas de post), les cours en ligne français commencent en fanfare en ce début d’année, avec la Conférence de presse de la Ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche du 14 janvier 2014.
En annonçant un budget de 8 Millions d’€ d’investissement aux établissements (3 M pour des studios de tournage et 5M pour le développement des MOOCs de la formation professionnelle), la Ministre coupe court à toutes les critiques d’économie que les MOOCs occasionneraient aux infrastructures universitaires. Il ne s’agit pas de fermer des amphis, mais d’amorcer une « pédagogie de la réussite » en promouvant l’innovation..

Deux jours avant le lancement officiel des premiers cours sur la plate-forme FUN, les différents acteurs sont venus présenter leurs projets. Ceux-ci vont des cours existants des cursus universitaires (Espace mondial de Bertrand Badie) à des projets innovants s’adressant à des enfants du primaire ou à des « décrocheurs » (cours d’informatique pour apprendre à coder pour réaliser des jeux vidéos ; programme pour aider des jeunes décrocheurs à créer leurs propres cours).
88 000 personnes se sont inscrites pour la première session de ces cours se répartissant entre 15 000 (« Du manager au leader » du CNAM) à 50 pour certains cours : le « massif » n’est pas recherché à tout prix … France Université Numérique invite tous les acteurs (universitaires, parents, bénévoles) à créer des contenus pour changer la donne à l’université (et ailleurs) ! Geneviève Fioraso s’est déclarée ouverte à toute proposition. Les MOOCs ne sont pas réservés aux seules grandes écoles et universités prestigieuses, de petits établissements comme Albi pourront aussi en avoir. De même, la cible n’est pas représentée par les seuls étudiants, mais aussi des personnes en activité (cadres surtout), des chômeurs et des séniors. Geneviève Fioraso à insisté sur l’aspect « formation continue » des cours en ligne, qui pourraient représenter un moyen de plus contre le chômage … Quand à la gratuité, la Ministre a rappelé que l’enseignement est gratuit en France, le débat sur les cours payants se comprend aux États-Unis où l’accès à l’université est très onéreux. De toute façon, un modèle économique est encore à trouver et le MES est en contact avec un conseiller d’Obama du MIT pour échanger sur les ‘bonnes pratiques’ …
Le FUN a aussi organisé une rencontre, le « MOOC Camp » le 11 janvier à partir du motdièse #IdéedeMOOC sur Twitter. Ce projet, organisé avec le Centre de recherche Interdisciplinaire (CRI) à l’initiative d’un certain nombre de chercheurs en pédagogie comme François Taddei, avait pour objectif de trouver de nouvelles idées de cours en ligne et de les scénariser. François Taddei a confirmé que toute la méthodologie de ce projet est disponible en open source.

Dominique Boullier (Medialab, Sciences Po) a aussi souligné l’importance de l’open source dans le phénomène MOOC, ce qui représente une garantie d’évolution. Il a aussi précisé que Sciences Po mise sur la diversification en proposant deux cours bien différents, l’un en français, l’autre en anglais, le premier plutôt classique dans sa conception (B. Badie), le second plus innovant (B. Latour). L’objectif étant de permettre aux étudiants de s’approprier les connaissances grâce au « blended learning » (apprentissage hybride) et d’arriver à une collaboration avec eux à travers un collectif qui crée des échanges …

Pour tester ce nouveau type d’apprentissage, je me suis inscrite au MOOC Espace Mondial de Bertrand Badie.
Des le premier jour (16/01), un certain flottement s’est installé sur le début effectif du cours. Un mail annonçait que le MOOC était ouvert, mais que le cours commencerait le 20/01. Je suis allée sur la plate-forme, j’ai bien trouvé le plan du cours et les « outils transverses » (Biblio), mais point de vidéo … Tant pis, je reviendrai lundi … Le lundi 20, après avoir attendu en vain un mail m’annonçant que le cours avait débuté, je me suis connectée pour m’apercevoir que la première session avait bien commencé le 16 et que la deuxième allait être mise en ligne …;-(
En allant sur le forum, je me suis rendue compte que je n’étais pas la seule, et de loin à avoir manqué cette session, certains n’arrivaient même pas à trouver le 1er cours le 20/01… Mais l’équipe pédagogique était bien présente pour répondre à chacun en les rassurant.
Le cours, bien que XMOOC (cours magistral de 2e année ayant eu lieu fin 2013 et découpé en tranches de 10 à 15 mn) est passionnant et facilement assimilable grâce à la clarté et à l’enthousiasme communicatif de Bertand Badie ! Il est complété par un glossaire bien complet et un wiki encore balbutiant.
Sur le forum (« discussion »), les fils des différentes interventions des étudiants ne sont pas encore bien délimités (commentaires généraux et commentaires autour de la première ou de la deuxième session se mélangent). De plus, il reflète la grande hétérogénéité des participants : la plupart (moi comprise) retrouvent les réflexes des posts sur les réseaux sociaux avec quelques mots, souvent pour demander une précision, d’autres rédigent de très longs commentaires sur tel ou tel aspect du cours (PIB ou philosophie des relations internationales). D’autres ajoutent des liens vers des sites ou des documents en ligne. Une personne s’est demandé comment se procurer les ouvrages de la bibliographie en n’étant ni étudiant ni inscrit à Sciences Po …
Contrairement aux allégations de Pascal Engel dans son post Les MOOCS : Cours massifs ou armes de destruction massive ? , qui prédisait dans son article « Il est difficile d’imaginer qu’un enseignant de MOOC puisse répondre aux questions de 10 000 étudiants » et aussi « le droit pour tout étudiant à avoir accès au professeur », Bertrand Badie est très présent sur le forum et répond, non pas aux 8000 personnes qui suivent le cours, mais à plusieurs questions de fond posées par différents participants, laissant les questions techniques et les questions plus ‘légères’ à ses assistants.
Pour le moment nous ne sommes pas évalués, le premier Quizz n’interviendra qu’après la quatrième session (début février). Il n’y aura pas de certification, mais certains aimeraient au moins avoir un justificatif de suivi.
Le contenu du cours étant très enrichissant et les participants bien réactifs, je sens que je ne vais pas m’ennuyer pendant ces quatre mois … Et que j’aurai beaucoup appris !

Liens
De qui se MOOCS t’on ?Affordance.info, 16/055/13

Engel, Pascal. – Les MOOCS : Cours massifs ou armes de destruction massive ? Qualité de la science française, 24/05/13

Jouneau-Sion, Caroline (ENS-Lyon) ; Manceau, Chloé (ENS-Lyon). – Les Mooc, la ruine de l’Université ?Économie du Web, 22/10/13

Mooc, une étape vers la privatisation des cours/ Collectif anti-mooc, Solidaires étudiants, et al. – Libération, 26/12/13

Bedel, Cyril. – Quelques vérités à rétablir sur les MOOCs. – Libération, 06/01/14

Soulé, Véronique. – Cours gratuits et interactifs en ligne, la France ne se moque plus des MOOC. – Libération, 14/01/14

Rollot, Olivier. – 2014, la grande année des MOOCs. – Il y a une vie après le Bac. – Blog le Monde, 18/01/14

France Université Numérique : de nouvelles mesures pour développer les MOOCs en France . – Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche,

14/01/14 MOOCCAMP : 11 janvier 2014 : les ateliers de la scénarisation. – France Université Numérique

Les MOOCs, révolution pédagogique ou expression d’un conservatisme universitaire?

Un an après les universités américaines (voir le post de Prospectibles d’octobre 2012), l’enseignement supérieur français ouvre officiellement sa plateforme de « Cours en Ligne Ouverts et Massifs » (CLOMs : les fameux MOOCs) avec France Université Numérique (FUN).

Mais que recouvre exactement ce concept ? On connaissait depuis longtemps la « formation ouverte et à distance (FOAD), que le CNED assure toujours, même s’il a mis un peu de temps à se moderniser …

Un MOOC peut en cacher un autre … On distingue aujourd’hui deux types de Moocs :
– Les cMOOC (comme connectivisme), orientés vers la construction par l’apprenant lui-même de ses connaissances et compétences, en se référant à la théorie de l’apprentissage de George Siemens et Stephen Downes (voir l’article « connectivisme » dans Wikipedia). Dans cette théorie, les élèves et les étudiants sont capables d’apprendre seuls, avec des supports technologiques. Le savoir émerge de la mise en commun de leur expériences et n’est pas transmis par un professeur « ex cathedra ».
– Les xMOOCs reflètent un courant plus « transmissif » qui consistent en cours magistraux « coupés en rondelles » (vidéos d’une dizaine de minutes), accompagnés de quiz et d’exercices. C’est ce modèle qu’ont adoptés les MOOCs américains les plus connus : Coursera et edX. On a toujours la structure du cours magistral : le professeur délivre son cour du haut de sa chaire devant un certain nombre d’étudiants, mais c’est le périmètre de l’amphi qui s’est énormément élargi … Il est aujourd’hui aux dimension de la Terre entière, et l’unité de temps et de lieu n’est plus obligatoire sur la scène mondialisée ! Grâce aux nouvelles technologies et aux terminaux mobiles, les apprenants n’ont plus besoin de se retrouver dans la même salle à la même heure !
Comme l’explique Marcel Lebrun, professeur en technologies de l’éducation à l’ULB, dans son Blog de M@rcel, « on passe ainsi dans un éternel balancement du ‘Sage on the stage’ au ‘Guide on the side' ». Ce professionnel de l’éducation s’interroge: « S’agit-il de ‘savoirs en boite’ (du fastlearning) promus par des SupersCampus d’une éducation devenue mondiale et dont les MOOCs seraient les vitrines ? Ou d’un soubresaut médiatisé d’un enseignement ex-cathedra hérité d’une époque où la lecture était la seule voie de la transmission ? Ou encore de la préparation en douce d’un guet-apens économique […] »

Mais comme M@rcel, nous préférons nous concentrer sur l’aspect positif de ce phénomène, en y voyant « une occasion historique de construire ensemble un nouvel humanisme numérique ».
Un des éléments qui y contribue le plus semble être la « pédagogie inversée » (flipped learning).

L’histoire de cette nouvelle pédagogie est contée dans le dernier article de Xavier de la Porte dans InternetActu. Le proviseur d’un lycée américain, qui est aussi l’entraîneur de l’équipe de baseball, poste une série de courtes vidéos sur Youtube portant sur des passes techniques pour que les élèves (et surtout ses fils!) puissent les ‘réviser’ avant de pratiquer sur le terrain … Ces vidéos ont du succès ! Les élèves les regardent et même plusieurs fois. !« Ils assimilent les stratégies et cela laisse plus de temps, à l’entraînement, pour la mise en application et la pratique. ».
Convaincu du bien-fondé de sa méthode, le proviseur demande à des enseignants en sciences sociales de tenter une inversion avec une classe. Les cours sont mis en ligne et les heures de classes sont consacrées à la discussion et à la pratique. Les résultats de cet établissement, plutôt en difficulté, sont spectaculaires : les taux d’échecs aux évaluations sont en gros divisés par deux et ce, dans toutes les matières !
L’analyse de cette méthode montre essentiellement deux points importants :
– en dehors de la classe, les élèves préfèrent regarder les vidéos que de faire des devoirs … et surtout peuvent les regarder plusieurs fois
– à l’intérieur de la classe : la classe devient le lieu des questions. Ce qui permet aux enseignants d’identifier plus rapidement ceux qui n’ont pas compris.
Les enseignants doivent à présent plus réfléchir à la présentation de leurs cours, avec des contenus innovants.

Avec cette méthode, on assiste en fait à un paradoxe : en poussant jusqu’au bout la logique de ce que permet la technologie, on arrive à sa disparition : «la technologie sort totalement de la classe, qui devient le lieu de la discussion, des questions. «

Comme le souligne Michel Serre dans « Petite Poucette« , le sujet du savoir change avec les nouvelles technologies. « De même donc que la pédagogie fut inventée (paideia) par les Grecs, au moment de l’invention et de la propagation de l’écriture ; de même qu’elle se transforma quand émergea l’imprimerie, à la Renaissance ; de même, la pédagogie change totalement avec les nouvelles technologies. » Il en est de même du cadre dans lequel ce cadre est dispensé : « voici des jeunes gens auxquels nous prétendons dispenser de l’enseignement, au sein de cadres datant d’un âge qu’ils ne reconnaissent plus : bâtiments, cours de récréation, salles de classe, bancs, tables, amphithéâtres, campus, bibliothèques, laboratoires même, j’allais même dire savoirs… cadres datant, dis-je, d’un âge et adaptés à une ère où les hommes et le monde étaient ce qu’ils ne sont plus. » (ibid).

France Université numérique

Les MOOC : entre mirage technologique et virage pédagogique … le retour !. – Blog de M@rcel, 30/09/13

Serre, Michel. – Petite Poucette. Les nouveaux défis de l’éducation. – Institut de France, 01/03/11

Serre, Michel ; Stiegler, Bernard. – Philosophie magazine numéro 62, septembre 2012: « Pourquoi nous n’apprendrons plus comme avant ». – Vidéo sur Vimeo

Xavier de La Porte. – L’école inversée, ou comment la technologie produit sa disparition. InternetActu, 21/10/13

Livres/écrans : quelle hybridation pour la bibliothèque du 21e siècle ?

Le terme « bibliothèque hybride » est souvent employé pour parler de l ‘évolution des ressources documentaires où l’on évoque la ‘complémentarité’ de l’imprimé et du numérique.
Or, pour le psychanalyste Serge Tisseron qui a participé à l’élaboration du rapport de l’Académie des Sciences « L’enfant et les écrans », le support (imprimé ou numérique) n’a aucune importance : ce qui compte c’est la ‘culture’ des écrans qui est en train de remplacer celle du livre dans laquelle nous baignons depuis des millénaires …
Depuis l’invention du codex, le livre est un objet fini dont la lecture est séquentielle. ‘La culture du livre implique de lire un seul livre à la fois, un seul lecteur et un seul auteur’. La relation au savoir y est verticale : le ‘sachant’ s’adresse à l’ignorant. En revanche, la culture des écrans est multiple : elle implique plusieurs fenêtres, plusieurs spectateurs et plusieurs créateurs. Alors que la culture du livre est liée à la temporalité – on progresse dans la lecture et cela prend un certain temps- celle des écrans favorise une pensée spatialisée. A ce niveau-là, la lecture de e-books sur liseuse participe pleinement à la culture du livre ! Au lieu d’assimiler la pensée d’un autre, la culture des écrans nous apprend à faire face à l’imprévisible, à changer de stratégie dans un jeu vidéo, par exemple. Ce n’est pas « le livre papier dans sa linéarité et sa finitude, dans sa matérialité et sa présence [qui] constitue un espace silencieux qui met en échec le culte de la vitesse et la perte du sens critique » comme l’affirment Cédric Biaggini et Guillaume Carnino dans « Le Livre dans le tourbillon numérique » (Le Monde Diplomatique septembre 2009), c’est le livre, qu’il soit papier ou numérique ! Et n’en déplaise à Nicolas Carr « La dernière chose que souhaitent les entrepreneurs du Net, c’est d’encourager la lecture lente, oisive, ou concentrée. Il est de leur intérêt économique d’encourager la distraction… » : la vente des e-books (et surtout pour les liseuses Kindle) représente aujourd’hui 30% du marché américain !

Si ce rapport incite les éducateurs et enseignants à faire bénéficier les enfants du meilleur de ces deux mondes, Serge Tisseron souligne que ces deux environnements ont chacun leurs défauts : la culture du livre implique une ultra-spécialisation des savoirs et valorise les personnalités rigides, la culture numérique favorise la dispersion des savoirs et des apprentissages intuitifs.

Mais ces deux cultures ne vont pas simplement coexister parallèlement l’une à côté de l’autre, elles s’interpénètrent progressivement. C’est ce qui se passe avec les nouvelles techniques de « suivi du regard » développées pour les smartphones, mais qui pourraient aussi bénéficier à l’édition papier de livres ou de magazines ou pour la réalisation de films ou d’expositions. Frédéric Kaplan, professeur des Humanités numériques à l’EPFL de Lausanne nous explique dans un post cette nouvelle économie de l’attention. Avec deux collègues, il avait conçu un système de lunettes, équipées de deux caméras, l’une tournée vers l’extérieur, l’autre vers un des yeux, capable d’enregistrer aussi bien le regard que ce qui est lu. « En répétant cette opération des dizaines de fois par seconde, nous pouvons tracer avec précision le passage de vos yeux sur une page ». La vidéo qui accompagne ce post nous montre ce processus aussi bien dans la lecture d’ouvrages imprimés que sur tablette. Si le suivi attentionnel se généralise, l’industrie culturelle disposera de nouveaux moyens de concevoir les contenus ! On pourrait même jusqu’à créer des contenus qui s’adaptent à la manière dont ils sont ‘lus’, ou alors des tableaux qui se modifient selon la manière dont ils sont ‘vus’ ?

Le lecteur ou le spectateur, qui était jusqu’à présent dans une sphère différente de l’auteur ou de l’artiste, fait son entrée dans l’oeuvre et interagit en fonction de sa perception … Comme le dit Frédéric Kaplan, ces données valent potentiellement de l’or pour les grands acteurs du numérique !

C’est aussi le point de vue de Catherine Becchetti-Bizot, inspecteur général de lettres, qui dans « Texte et TICE » : « Lire sur support écran, écrire avec un clavier d’ordinateur, naviguer sur la Toile, en effet, c’est effectuer une série d’opérations manuelles (cliquer sur des liens, ouvrir des fenêtres, faire apparaître ou défiler des pages, mettre en relation des documents…), mais aussi visuelles et auditives, qui induisent des postures intellectuelles nouvelles – où le lecteur est à la fois un explorateur, un spectateur et un intervenant ou un auteur – et impliquant de nouvelles responsabilités. »

L’enfant et les écrans – Avis de l’Académie des Sciences, 17 janvier 2013

Guillaud, Hubert. – Enfants et écrans : psychologie et cognition.
– Internet Actu – Blog Le Monde, 01/02/13

Lectures numériques. – Dossier Eduscol, 23/03/12

Becchetti-Bizot, Catherine. – Texte et TICE. – Dossiers de l’ingénierie éducative n°61, mars 2008

Mazin, Cécile. – Livres numérique : combien ça rapporte ? – Actualitté, 17/04/13

La généralisation des techniques de suivi du regard annonce une nouvelle économie de l’attention. – Frédéric Kaplan, 13/003/13

Biagini, Cédric ; Carnino, Guillaume. – Le livre dans le tourbillon numérique. – Le Monde diplomatique n°666, septembre 2009

Le numérique change-t-il le rapport au savoir ?

C’est ce que Vincent Berger, Président de l’Université Paris Diderot – Paris 7 a déclaré lors du « Kick off » de la « Social Good week », le 25 septembre dernier dans l’amphi Buffon. Intitulé « Comment les nouvelles technologies changent le monde » cet évènement veut marquer l’impact positif des nouvelles technologies dans les relations sociales et économiques, notamment au travers de l’économie sociale et solidaires et des ONG sur le web.

Vincent Berger a insisté pour sa part sur l’impact du numérique à l’Université. Grâce au e-learning et aux « amphis numériques », des milliers d’étudiants peuvent se connecter à des cours en ligne. Cela représente une « rupture épistémologique » en pédagogie : le rapport au savoir est bouleversé. En consultant « Wikipedia » sur leur smartphone, les étudiants trouvent plus d’informations que dans tous leurs cours jusqu’en licence …!
Évidemment, ces contenus numériques ne suffisent pas : il faut encore apprendre aux étudiants à se retrouver dans ce savoir, à se répérer, apprendre à « savoir savoir » …;-)
La pédagogie traditionnelle du professorat, le cours magistral, est désormais obsolète ! Cette nouvelle relation entre l’individu et le savoir doit transformer la relation pédagogique pour développer l’esprit critique et pratique. Car le numérique n’éloigne pas les individus, au contraire, il les rapproche !

Cette alternative à l’enseignement professoral « top down », se retrouve dans l’enseignement « peer to peer » qui repose sur l’idée « que l’on a toujours quelque chose à apprendre de n’importe qui » comment nous l’explique l’article qui y est consacré dans le blog Learning Shelter. L’enseignant se trouve alors au même niveau que l’élève qui apporte autant sa contribution dans la relation pédagogique. En général, cela se passe dans un contexte de communauté d’apprenants sur une plate-forme collaborative comme Skillshare.

Quand aux cours en ligne à l’université, ils sont en train de faire exploser toutes les statistiques, notamment aux États-Unis. Les principales universités américaines ont multiplié récemment leurs plate-formes de e-cours, qui sont prises d’assaut par des étudiants du monde entier.
Il faut dire qu’à ce sujet, les universités américaines ont changé leur modèle économique. En adoptant le « freemium », le e-cours gratuit à travers des plate-formes comme Cousera ou Edx, ces universités prestigieuses (Harvard, MIT, Berkeley, Princeton) ne font plus payer des droits faramineux aux étudiants pour suivre leurs cours …!!
Ces derniers peuvent suivre ces cours à distance en temps réel, en faisant les mêmes exercices que les étudiants inscrits en présentiel, pratiquement sans bourse délier ! Seul l’examen est payant et souvent aussi le manuel d’accompagnement sous forme de e-book, avec des coûts relativement modiques, mais qui chiffrent à des dizaines de milliers d’exemplaires ! Il est vrai que ces cours ne donnent pas accès à ces précieux sésames que sont les diplômes universitaires, mais s’ils les ont bien suivis, les « e-étudiants » auront droit à un certificat qu’il pourront utiliser dans leur CV et leurs recherche d’emploi …;-)

Mais ces cours en ligne ne sont pas uniquement utilisés par des étudiants virtuels. Ceux qui sont « normalement » inscrits à ces cours y ont aussi recours : en les consultant à l’avance, ils peuvent poser des questions à l’enseignant et en débattre avec lui lorsqu’ils assistent aux cours, au lieu de passer leur temps à prendre des notes … Ce mode « hybride » d’enseignement devrait connaître un succès garanti.

Avec les « MOOC » (Massive Online Open Classroom ), les universités et bientôt les écoles vont être forcées de repenser leurs cours, les horaires et les modes d’évaluation (exercices, examens) des contenus éducatifs où l’interactivité et la créativité des étudiants devront être prises en compte.
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L’enseignement P2P. – Learning Shelter. 4/004/20012

Vasseur, Flore. – La salle de classe planétaire. – Le Monde, 09/08/2012.

L’université en ligne est-elle l’avenir de l’éducation ?. – Blog – Regards sur le Numérique, 13/008/2012

La face concrète de l’innovation numérique : les « Fab Labs »

Depuis quelques semaines, les « Fab Labs » sont à l’honneur : le 20 mars 2012, la Fing y a consacré un de ses « Carrefour du possible » ; le projet « Fab Lab Squared » a été retenu dans le cadre de l’appel à projets « Prototypes Technologiques », lancé par la région Ile de France et Cap Digital et le Centre Pompidou a prévu une conférence à l’RI (Institut de Recherche et d’innovation) le 20 juin dans la cadre de « Futur en Seine » (14-24 juin 2012), mais les Fab Labs se retrouvent aussi dans l’exposition « Multiversités créatives » qui aborde le côté créatif de l’innovation (du 3 mai au 6 août 2012).

Mais, qu’est-ce donc qu’un Fab Lab ? Le « Fab Lab » – abréviation de « Fabrication Laboratory » – est une plate-forme ouverte de création et de prototypage d’objets physiques, « intelligents » ou non. Il s’adresse aux entrepreneurs (ou aux bricoleurs) qui veulent passer plus vite du concept au prototype… (FING)
Initié en 2004 par le MIT, le réseau des Fab labs ne cesse de se développer. Dans ces ateliers postmodernes, différentes machines (découpes laser, fraiseuses, imprimantes 3D) sont contrôlées par des logiciels de conception et de fabrication assistés par ordinateurs et permettent de fabriquer rapidement des prototypes …

On trouve des Fab labs, aussi bien dans les centres de recherche du Nord que dans les pays du Sud où l’innovation comble le retard industriel. C’est le cas, notamment du « LED Project » de « Fairtrade Electronic », une ONG qui a coordonne la fabrication de diodes électroluminescentes (LED) « open source » dans une processus de commerce équitable, qui s’appuie sur des pratiques et des philosophies de production émergentes dites “industrie de proximité” dans des pays comme la Mauritanie.

Des Fab Labs, ouverts à tous, se sont aussi créés dans des centres de recherches ou des universités, comme le « Fac Lab » de Gennevilliers au sein de l’Université de Cergy-Pontoise. « Le FacLab est une communauté de personnes d’horizons très divers : designers, artistes, ingénieurs, artisans, étudiants, chercheurs, enseignants, citoyens, enfants, … réunis par l’envie de matérialiser une idée. »
C’est aussi un lieu d’innovation pédagogique, qui décloisonne les filières traditionnelles et propose des formations axées sur la fabrication numérique.

A l’autre bout de la « société de la connaissance », « La Paillasse« , laboratoire de passionnés en biologie (étudiants, chercheurs et amateurs), est un espace « DIY Bio-Hackerspace », qui s’essaie à de nouvelles approches, ouvertes et contradictoires de la biologie, comme le « DNA barcoding », dont « le but sera d’utiliser les techniques de base de Biologie Moléculaire pour identifier les micro-organismes, les espèces végétales et les animaux qui nous entourent. On tentera même de la detection d’OGM !  »

Ces pratiques de « science citoyenne » comme la fabrication numérique, redessinent les frontières de la propriété intellectuelle, de l’économie participative, de la relocalisation des savoir-faire et des outils de production.

De nouveaux modèles économiques s’esquissent à la croisée des compétences, du savoir, de la matière et de l’immatériel.

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