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Travail et numérique : un nouveau paradigme ? – 2. L’entreprise et l’organisation en question

1370941087_generation_yLe numérique n’apporte pas seulement des transformations techniques sur le lieu de travail, comme on l’a vu avec l’automatisation croissante dans le post précédent, c’est toute l’organisation du travail et l’emploi qui sont remis en question.

La structure pyramidale de l’entreprise d’abord, avec son fonctionnement ‘top-down’, ne pourra pas tenir longtemps face à l’émergence de la dimension horizontale d’internet. A l’ère de la communication ‘tout azimut’ sur les réseaux sociaux, il serait difficile de ne pas prendre en compte le point de vue des salariés … Cela pourrait d’ailleurs être un des facteurs de réussite des réseaux sociaux d’entreprises (RSE) : Facebook travaille à mettre au point une version pour l’entreprise de son célèbre réseau … Et les grandes entreprises françaises ont pris la mesure de l’importance de la dimension collaborative au travail : voir à ce sujet le rapport d’octobre 2014 du groupe de travail du CIGREF  « Aujourd’hui dans les entreprises, les formes de management changent sous l’impulsion des transformations numériques qui s’opèrent. Les logiques d’efficacité opérationnelles nécessitent de s’appuyer sur les femmes et les hommes de l’entreprise ainsi que les réseaux formels et informels qu’ils constituent. L’entreprise espère ainsi fluidifier et accélérer les flux d’information, favoriser, partager les bonnes pratiques et faire émerger des idées nouvelles ».

Les « Géants du web », comme Google ou Microsoft ont aussi compris qu’il fallait laisser une certaine liberté à leurs salariés pour leur permettre de développer leur créativité. La firme de Mountain View accorde 20% de leur temps de travail à ses employés pour développer leur propre projet ; c’est grâce à cela que nous bénéficions d’applications comme Gmail, Google Maps ou d’un logiciel de numérisation de livres … formationnumerique2

L’emploi stable et permanent est en passe d’être dépassé : exit le CDI, place à l’intermittence généralisée … ! Mais avec un revenu de base pour survivre comme le souligne Xavier de la Porte, citant Thierry Crouzet dans InternetActu. Avec la croissance de la précarité, le salariat qui représente depuis deux siècles le modèle du rapport au travail, devrait peu à peu disparaître au profit d’autres formes de rapports à l’emploi. C’est aussi ce qu’explique Bernard Stiegler dans une interview sur We demain : le modèle salarial keynésien implique « de redistribuer via les salaires, une partie des gains de productivité réalisés grâce à la technologie, et constituer ainsi du pouvoir d’achat ». C’est sur ce paradigme que reposait l’Etat providence fondé sur la croissance. Mais ce modèle est sous perfusion depuis la crise de 2008 … ! C’est pourquoi il faudrait penser à une nouvelle redistribution, à un nouveau paradigme.

Si les technologies de l’information peuvent générer de nouvelles contraintes et multiplier les aspects négatifs dans l’organisation du travail (intensification du travail, morcellement de tâches, externalisation, contrôle  et surveillance accrue des salariés, sans oublier les troubles psycho-sociaux), comme le souligne Amandine Brugière dans InternetActu, elles permettent aussi une personnalisation du travail, une autre articulation entre travail et vie personnelle.

L’atelier Digiwork (Fing) a imaginé 8 scénarios pour le travail à l’ère numérique, avec pour chacun, des tendances contradictoires :

–          « numérique libéral » : précarité, chômage, outsourcing, CDD, augmentation du temps de travail, digital labor (exploitation des internautes), désengagement de la ‘génération Y’, surveillance ….

–          Le modèle ‘autonome’ : collaboration, auto-entrepreneur, porosité entre temps de travail et temps personnel, mode projet, modèle contributif, marchand ou non.

La multiplication des plateformes web peut aussi bien amener une nouvelle forme d’exploitation au service des consommateurs comme les services Uber (taxis) ou AirBn’B (chambres) que de la participation contributive à but non-marchand. Ces services s’accompagnent de collectifs de travail, impliquant des réseaux physiques et numériques, qui dépassent les limites physiques et organisationnels de l’entreprise ou de l’administration. Ces nouveaux organigrammes reposent sur le principe du « BYON » (Bring Your Own Network).

labo Ethique numerique_logoLes adeptes du télétravail peuvent se retrouver aussi dans des lieux bien matériels, les espaces de co-working. Là aussi, l’unité de lieu et de temps dans l’entreprise se dilue et se multiplie au rythme de ces nouveaux modes d’organisation. Le lieu de travail devient aussi « entreprise apprenante », grâce à la » formation de pair à pair ». Le management aussi se renouvelle dans « l’entreprise agile », il fonctionne principalement en mode projet, distribué de pair à pair : le fameux « scrumisme ».

Les jeunes aujourd’hui sont assez réalistes sur ce que l’avenir leur réserve au niveau professionnel, ils sont bien conscients que le numérique risque de détruire de nombreux emplois, mais d’autre part, ils accueillent assez positivement les innovations de l’entreprise. C’est ce que souligne le post de Tommy Pouilly dans Regards sur le numérique.

En bouleversant l’organisation du travail, le numérique implique toute la société, et ce aussi bien au niveau technologique et économique qu’en matière de transmission des savoirs. Dans l’entreprise ‘connectée’, comme l’explique Elsa Bastien dans Digital Society Forum (Orange) « les jeunes comme les aînés ont des choses à apporter et à s’apporter : à la nouvelle génération la transmission de la culture numérique et ses nouvelles « manières de faire » et à la génération en place le transfert de ce que l’on apprend sur le temps long, la connaissance du métier et de l’entreprise. ».

Pour aller plus loin

Pouilly, Tommy. – Les « sans bureau fixe » à la conquête du mieux-vivre en ville. – Regards sur le numérique, 16/10/13

Bys, Christophe. – « La notion de temps de travail n’a plus de sens dans de nombreux métiers » explique Henri Isaac. - Usine Digitale, 25/10/13

Kaplan, Daniel. – Travailler autrement ? Mutations des lieux et des temps du travail. – Digiwork – La FING, 18/04/14

Comment travaillerons-nous demain ?  – Regards sur le numérique, 03/06/14

Bastin, Côme. - Bernard Stiegler : « L’emploi salarié devient minoritaire ». – We Demain, 13/06/14

Boboc, Anca ; Taboy, Thierry. – Numérique et transformations du monde du travail : vers de nouveaux équilibres. – Digital Society Forum, 06/14

Brugière, Amandine. - La métamorphose du travail. – InternetActu, 27/06/14

Les réseaux sociaux d’entreprise. – Cigref, octobre 2014 (pdf)

Leclerc, François. – Huit scénarios extrêmes pour imaginer comment nous travaillerons demain. – La Tribune, 17/10/14

Sussan, Rémi. – L’avenir du bureau. – InternetActu, 30/10/14

Guillaud, Hubert. – Le bonheur au travail ? Sérieux ! - InternetActu, 03/11/14

Pouilly, Tommy. – Recruteurs du futur cherchent jeunes hors du système. – Regards sur le numérique, 26/11/14

 

Fab Labs et Bibliothèques

Je ne pensais revenir sur les Fab Labs après mon dernier post, surtout dans le cadre des bibliothèques. J’ai d’ailleurs été surprise par certains commentaires, l’un liant ces pratiques au champ du politique, et l’autre me proposant d’organiser un événement « Fab Lab » à la Bibliothèque de Sciences Po …

J’ai retrouvé le thème des « Fab Labs » et des « makers » dans l’actualité récente des blogs d’information.
Dans « Made in ma bibliothèque », Sabine Blanc d’Owni, évoque les initiatives de deux bibliothèques américaines, celle de Wesport et la « La Fayetteville Free Library », qui, la première avec un « makerspace » et la seconde avec un « Fabulous Laboratory » permettent à leurs usagers d’exprimer leur créativité … ;-)

Lassés du virtuel, les lecteurs se plongent ainsi dans la fabrication concrète d’objets – aidés toutefois d’outils numériques : imprimantes 3D, découpe laser, etc…

Ces clubs de bricolage du 21e siècle deviennent parfois des pépinières de starts-up, grâce à l’esprit de partage et de coopération d’internet …

Ce sont ces espaces de coopération pour « travailler, se former et échanger » que veut développer « Artesi » (devenu depuis la Fonderie) le « groupe de travail international francophone sur les Tiers Lieux ».
Table interactive, table à graver et projections - Artilect-Fablab ToulouseIssue des « Rencontres d’Autrans 2012 » (11-13 janvier), cette initiative veut regrouper des « lieux passerelles coopératifs » : espaces de coworking, fab labs, hackers spaces, Espaces publics numériques, etc.
Pour en revenir aux bibliothèques comme « Tiers lieux », Claire Margeron, dans Préfiguration d’un méta-modèle de la bibliothèque du 21e siècle (ENSSIB Brèves, 11/07/12), cite le projet ArtilectFabLab accueilli à la Médiathèque de Toulouse en juin 2012.

La face concrète de l’innovation numérique : les « Fab Labs »

Depuis quelques semaines, les « Fab Labs » sont à l’honneur : le 20 mars 2012, la Fing y a consacré un de ses « Carrefour du possible » ; le projet « Fab Lab Squared » a été retenu dans le cadre de l’appel à projets « Prototypes Technologiques », lancé par la région Ile de France et Cap Digital et le Centre Pompidou a prévu une conférence à l’RI (Institut de Recherche et d’innovation) le 20 juin dans la cadre de « Futur en Seine » (14-24 juin 2012), mais les Fab Labs se retrouvent aussi dans l’exposition « Multiversités créatives » qui aborde le côté créatif de l’innovation (du 3 mai au 6 août 2012).

Mais, qu’est-ce donc qu’un Fab Lab ? Le « Fab Lab » – abréviation de « Fabrication Laboratory » – est une plate-forme ouverte de création et de prototypage d’objets physiques, « intelligents » ou non. Il s’adresse aux entrepreneurs (ou aux bricoleurs) qui veulent passer plus vite du concept au prototype… (FING)
Initié en 2004 par le MIT, le réseau des Fab labs ne cesse de se développer. Dans ces ateliers postmodernes, différentes machines (découpes laser, fraiseuses, imprimantes 3D) sont contrôlées par des logiciels de conception et de fabrication assistés par ordinateurs et permettent de fabriquer rapidement des prototypes …

On trouve des Fab labs, aussi bien dans les centres de recherche du Nord que dans les pays du Sud où l’innovation comble le retard industriel. C’est le cas, notamment du « LED Project » de « Fairtrade Electronic », une ONG qui a coordonne la fabrication de diodes électroluminescentes (LED) « open source » dans une processus de commerce équitable, qui s’appuie sur des pratiques et des philosophies de production émergentes dites “industrie de proximité” dans des pays comme la Mauritanie.

Des Fab Labs, ouverts à tous, se sont aussi créés dans des centres de recherches ou des universités, comme le « Fac Lab » de Gennevilliers au sein de l’Université de Cergy-Pontoise. « Le FacLab est une communauté de personnes d’horizons très divers : designers, artistes, ingénieurs, artisans, étudiants, chercheurs, enseignants, citoyens, enfants, … réunis par l’envie de matérialiser une idée. »
C’est aussi un lieu d’innovation pédagogique, qui décloisonne les filières traditionnelles et propose des formations axées sur la fabrication numérique.

A l’autre bout de la « société de la connaissance », « La Paillasse« , laboratoire de passionnés en biologie (étudiants, chercheurs et amateurs), est un espace « DIY Bio-Hackerspace », qui s’essaie à de nouvelles approches, ouvertes et contradictoires de la biologie, comme le « DNA barcoding », dont « le but sera d’utiliser les techniques de base de Biologie Moléculaire pour identifier les micro-organismes, les espèces végétales et les animaux qui nous entourent. On tentera même de la detection d’OGM !  »

Ces pratiques de « science citoyenne » comme la fabrication numérique, redessinent les frontières de la propriété intellectuelle, de l’économie participative, de la relocalisation des savoir-faire et des outils de production.

De nouveaux modèles économiques s’esquissent à la croisée des compétences, du savoir, de la matière et de l’immatériel.

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