Différents concepts du globe dans des sculptures de Carpeaux

22 décembre 2010 par dcolas

Carpeaux est à coup sûr l’artiste dont on peut voir le plus de sculptures incluant des globes à Paris et, dans une ville de province dont il était natif, Valenciennes. Le soutient que lui apportait Napoléon III lui a permis de l’emporter contre des architectes, et une partie du public, qui refusaient le style de ses oeuvres dont certaines firent scandales. La visibilité des sculptures de Carpeaux est plus grande que celle de beaucoup de ses contemporains car ses oeuvres originales destinées à l’espace public (dont la plus célèbre demeure la Danse sur la façade de l’Opéra de Paris) ont été déplacées dans des musées pour être remplacées par des copies et ses travaux préparatoires ont été conservés et sont montrés (surtout au musée d’Orsay, mais aussi au musée des Valenciennes et dans bien d’autres en France et à l’étranger, Los Angeles par exemple).
Les sculptures de globe par Carpeaux que j’ai localisées n’ont pas la même signification, même s’ils se ressemblent formellement et même pour trois d’entre eux sont identiques. Leur contexte en change le sens. On dirait une parfaite illustration pour du structuralisme : dans une statue le globe terrestre est un élément de l’art militaire, dans une autre des arts et des sciences de la France qu’il faut défendre contre l’ennemi qui assaille la Révolution, dans la troisième le globe terrestre vient illustrer la science en symétrie avec l’agriculture protégée pas la puissance impériale, et enfin le globe terrestre, entouré par la sphère céleste vient illustrer la possible harmonie du monde.

Premier globe au côte droit de l’attique du Pavillon de Rohan au Louvre.

Deuxième dans la du Pavillon de Flore au Louvre.

Troisième derrière Valenciennes défendant la patrie sur le toit de l’Hôtel de Ville de cette cité.

Quatrième et cinquième dans le Petit Luxembourg, avenue de l’Observatoire à Paris.

Le globe terrestre avec un canon et un ballot : « La Marine », Pavillon de Rohan au Louvre.

Au bas de l’attique du pavillon de Rohan, debout sur une balustrade (il a d’autres compagnons allégoriques accompagné eux aussi de globes), un enfant, la Marine,  est entouré de différents objets qui évoquent le commerce et la guerre : au premier plan, la gueule d’un canon, derrière un ballot entouré d’une corde, au fond une hache. Et divers objets, la coque d’un bateau à gauche et, à droite, un globe sur un pied, sur lequel l’enfant, couronné de laurier, s’appuie. Le globe apparait ainsi comme l’instrument et de la marine de guerre et de la marine de commerce, servant également les deux.

L'attique du Pavillon de Rohan au Louvre, a droite, devant le cheminée, La Marine de Carpeaux (Cliché D. Colas)

Carpeaux, La Marine, 1855, Louvre, Paris, (Cliché D. Colas)

La Défense de la Patrie sur le toit de l’Hôtel de ville de Paris.

Cette sculpture, déjà montrée dans le blog (15 novembre 2010), a eu un destin compliqué : elle a été contestée par l’architecte qui avait eu pour mission de reconstruite l’Hôtel de ville de Valenciennes en 1867. Et la mise en scène combative dans le fronton de Carpeaux de Valenciennes défendant la patrie, en mai et juillet 1793, ne put rien contre la deuxième guerre mondiale : le bâtiment fut détruit par un incendie en 1940, et la sculpture refaite au lendemain de la guerre.

Ici le globe n’est pas, comme dans la marine, un instrument de l’expansion, mais un symbole des arts, des techniques défendue par une femme, qui combat en attaquant, le glaive en avant. Le programme de Carpeaux apparait très nettement dans la maquette de l’oeuvre dont il existe une série. La palette de peintre est un hommage à Watteau, né à Valenciennes comme Carpeaux lui-même. On voit ici une carte-postale qui rappelle que les monuments n’existent pas seulement pour ceux qui les voient directement mais peuvent être vus à distance.

L'Hôtel de Ville de Valenciennes, carte postale de 1910 (col. D. Colas)

Carpeaux, La Défense de la patrie, maquette en terre, Musée de Valenciennes

Le globe dans la Science, Pavillon de Flore, au Louvre

Non sans difficultés Carpeaux a été chargé de créer une sculpture pour le pavillon de Flore au Louvre. La commande date de 1863.  Sur une maquette intitulée la Science (au Musée d’Orsay) on voit un homme nu qui tient un compas pour mesurer une distance sur un globe. Il a le coude sur deux livres et soutient sa tête d’une main. Et  son pendant est l’agriculture qui enserre un bovin qui voisine avec une ruche

Carpeaux,La France impériale portant la lumière dans le monde et protégeant les Sciences, l'Agriculture et l'Industrie, 1865, Cliché Musée d'Orsay

Carpeaux, La Science, modèle pour le monument du pavillon de Flore, (cliché Musée d'Orsay)

La Fontaine des Quatre continents avenue de l’Observatoire, Paris

Cette fontaine a pour centre une oeuvre du sculpteur désigné comme « Les quatre parties du monde soutenant la sphère céleste pour la fontaine de l’Observatoire » dont on trouve plusieurs maquettes en plâtre au musée d’Orsay. On y voit l’Afrique, l’Asie, l’Amérique et l’Europe, chacune dans une position différente comme si elles tournaient sur elle-même. Le projet de Carpeaux ne fut réalisé, avec les autres éléments composant la fontaine (les cheveux spécialement) et dus à d’autres artistes, qu’en 1874 un an avant sa mort en 1875.

Carpeaux, Les quatre continents au Salon de 1872, photo conservée aux Archives Nationales

Paris, La fontaine des Quatre continents, avenue de l'Observatoire, seul le motif central est de Carpeaux (Cliché D. Colas)

Carpeaux, La Fontaine des quatre parties du monde (ou des Quatre continents (Cliché D. Colas)

Le thème central de Carpeaux illustre une forme d’harmonie : les quatre continents dansent ensemble pour faire tourner le ciel autour de la terre. Sur celles-ci les terres émergés sont bien dessinées, notamment l’Australie et l’Afrique.

Les quatre parties du monde. Derrière le signe des gémeaux l'extremité de l'Afrique (Cliché D. Colas)

Chaque continent est représentée par une femme avec des traits, des coiffures, des bijoux considérés comme typiques.

L'Afrique et l'Amérique dans la Fontaine des quatre parties du monde

Mais les quatre femme qui dans une danse synchronisée font tourner l’univers autour de la terre ne sont pas dans une simple harmonie : leur concours est l’effet d’une libération. Car à la cheville droite de l’Afrique un anneau et une chaîne brisée viennent rappeler la réalité de l’esclavage et que, peu de temps après la fin de la guerre de Sécession,  la liberté n’est pas donnée à tous et à toutes. Et c’est l’Amérique qui a le pied posé sur la chaîne brisée.

La chaîne brisée au pied de l'Afrique.

De la sculpture de l’Afrique dans les « Quatre parties du monde » Carpeaux tira un buste de femme dont le nom « Pourquoi naître esclave » est une référence à l’abolition de l’esclavage, mais ici le buste est entouré d’une corde, comme un ballot : la libération est à venir.

Carpeaux, "Pourquoi naître esclave", vers 1867, Musée de Valenciennes

 
 
 

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