Hugues Lagrange publie « En terre étrangère.Vies d’immigrés du Sahel en Île-de-France »

En terre étrangère : Vies d’immigrés du Sahel en Île-de-France
par Hugues Lagrange
Seuil, février 2013

En dépit de la cécité républicaine à l’égard des réalités culturelles, la « diversité » est devenue un trait saillant du visage de la France. Faute de reconnaître ses expressions, on s’interdit de comprendre les obstacles que les immigrés doivent surmonter pour s’y faire une place.
Parcourant les cités HLM de l’ouest de Paris, Hugues Lagrange est allé à la rencontre de femmes et d’hommes venus du Sahel qui se sont installés en Île-de-France, pour la plupart dans les années 1970 et 1980. Au cœur de ces morceaux d’Afrique nichés dans les boucles de la Seine et de plus en plus ségrégés, il a retracé leurs parcours jusqu’à aujourd’hui, interrogé leurs difficultés, questionné leurs attentes.
Ces récits d’une richesse exceptionnelle, souvent dérangeants, révèlent les douleurs vécues de la transplantation en terre étrangère et la brutalité de la confrontation entre les mœurs du Nord et du Sud, ainsi que leurs séquelles : les impasses professionnelles et personnelles, l’isolement des femmes et le repli des hommes, les violences au sein des couples et l’éclatement des familles, les heurts dans l’éducation des enfants et les cassures générationnelles.
Bien que concernant des cas séparés, ces histoires forment par leurs similitudes la trame d’une expérience collective dont cette enquête livre sans fard l’analyse.

INTERVIEWDans quel contexte s’inscrivent vos recherches sur ces populations migrantes du Sahel qui ont commencé à s’implanter dans la vallée de la Seine dans les années 1970 lors du boom de l’industrie automobile ?
J’ai découvert le bassin aval de la vallée de la Seine et ses populations immigrées en 1998 au cours d’enquêtes portant sur les questions de déscolarisation et de délinquance juvénile, qui m’avaient été commandées par l’Education Nationale et d’autres établissements publics. Fervent partisan de la démarche d’anthropologie statistique chère au sociologue et politologue Frédéric Bon, j’avais alors essayé de collecter toutes sortes de données quantitatives dont l’analyse m’était très vite apparue comme limitée car elle ne livrait qu’une partie des motifs sous-jacents aux différences de comportements. Ainsi, s’agissant des jeunes issus des migrations d’Afrique noire, au-delà de leur couleur de peau, j’ai voulu chercher à comprendre ce qu’ils avaient hérité de leurs parents et que reflètent mal le statut actuel ou le bagage scolaire, à savoir les trajectoires, l’écho de pays lointains, un habitus différent.
Mon approche dérive d’une double insatisfaction à l’égard de la catégorisation trop grossière de l’INSEE pour qui n’existe qu’une seule Afrique sub-saharienne, et à l’égard des catégorisations des ethnologues et anthropologues africanistes, trop marquées par les généalogies. Lire la suite

Hugues Lagrange est directeur de recherche CNRS à l’Observatoire sociologique du changement.  Il est notamment l’auteur du Déni des cultures (Seuil, 2010), dont la publication a provoqué des débats très vifs.