Recherches en cours

Cities are back in town : la question urbaine est de nouveau au cœur des sciences sociales. Les dynamiques globales d’urbanisation et le rôle croissant des villes dans la production de richesse, mais aussi d’émeutes et de pauvreté, la mobilité, l’accumulation de technologies, la création d’inégalités et la gouvernance sont autant d’éléments qui structurent et animent ce constat initial.

Les villes sont à la fois des lieux physiques d’accumulation de constructions matérielles, de technologies,  de politiques publiques,  de populations mais aussi des espaces d’échange, de circulations, de mobilités, de transnationalisation. Ces différents enjeux invitent à s’interroger sur la manière de penser le développement de villes ancrées dans des territoires, mais qui sont simultanément au cœur des dynamiques de mobilités de plus en plus globalisées.

L’approché développée par l’équipe du programme Cities are back in Town s’articule autour de plusieurs dimensions.

1)    La recherche la plus dynamique et innovante, qui permet d’enrichir et de redéfinir les théories existantes et les frontières des sciences sociales, ne vient pas de perspectives visant à unifier une pseudo « science de l’urbain », mais bien d’échanges entre des perspectives de recherches générales sur les villes, et l’étude de phénomènes urbains plus précis. Pour ce faire, l’équipe est transversal aux différents laboratoires de Sciences Po et à plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales ; elle s’appuie sur des parteneriats solides avec des équipes de recherche en France et à l’étranger

2)    L’ouverture de nouvelles perspectives de recherche à travers la réalisation de travaux systématiques et approfondis sur la région parisienne et les villes françaises, les villes européennes (Milan, Barcelone, Amsterdam, Manchester et Varsovie), et récemment, l’ouverture d’un programme de comparaison des grandes métropoles (Chicago, Los Angeles, Dehli, Mexico, Sao Paolo et Istanbul).

3)    L’attention portée aux méthodes et au croisement des perspectives de recherche sur la ville et les territoires.

Des questions fondamentales émergent ou sont renouvelées et font l’objet de nombreux débats :

  • Comment penser à la fois la concentration urbaine et la mobilité ? Les processus de territorialisation et de globalisation doivent-ils conduire à un nouveau paradigme de la recherche urbaine ?
  • Comment penser les questions d’ordre social et politique, de régulation, d’intégration dans des métropoles fragmentées et divisées ?
  • L’accumulation des technologies de contrôle, de régulation conduit-elle à la cyborg city dépendante du bon fonctionnement des réseaux ?
  • Pourquoi les villes sont-elles devenues les cibles privilégiées des stratégies militaires ? Quelle police pour ces nouvelles configurations socio-spatiales ?
  • Les espaces urbains plus divers, plus étendus et plus enchevêtrés sont-ils gouvernables ?
  • Peut-on penser les hiérarchies sociales, les inégalités, les dynamiques sans les villes ?
  • Les forces des capitalismes urbains peuvent-elles disloquer les Etats-Nations en Chine ou en Afrique ?
  • Faut-il développer de nouvelles perspectives pour appréhender différents mondes urbains (urbanity versus city) ?

Comment penser le développement des villes ?

Les questions contemporaines sur la transformation des villes et des métropoles évoquent les débats passionnés du tournant du XXème siècle, lorsque les sociologues allemands Weber, Simmel et Sombart discutaient avec passion des relations entre les villes, la culture, les arts, les développements technologiques, la domination ou l’intégration de la société dans les grandes métropoles européennes. Ces perspectives seront reprises ensuite par les chercheurs de Chicago et plus récemment par ceux de Los Angeles, et aujourd’hui de Singapour, Mexico et de Shanghai. Ils se sont interrogés sur les villes dans un contexte de consolidation de l’Etat national, de capitalisme industriel, de créations de nouveaux modes de vie métropolitains, d’imaginaires inquiétants.

D’autres débats animent la recherche actuelle : la remise en cause de l’Etat, un capitalisme plus globalisé, les enjeux du développement durable, le développement des Fantasy cities (Las Vegas, Dubaï, Macao), les migrations internationales, les logiques  de séparatisme ou d’exclusion des plus pauvres (ghetto, bidonvilles) et des plus riches (gated communities), d’urbanisation accélérée à des échelles qui dépassent les 20 millions d’habitants, les nouveaux conflits à propos des ressources en eau, les systèmes de contrôle et de surveillance, de gouvernement et de gouvernance de territoires ingouvernables. Des innovations majeures prennent forme à Helsinki ou Madrid alors que peu de travaux ont été réalisés sur des agglomérations géantes comme Nairobi, Téhéran, ou Djakarta.

Enfin, les enjeu liés à la durabilité du développement urbain, en lien avec la thématique des risques, des ressources naturelles et du changement climatique, soulève des enjeux stratégiques en termes de régulation et de gouvernement des societies contemporaines, avec des effets majeurs sur les politiques publiques, la distribution des ressources entre les groupes et la spatialisation des inégalités.

La principale controverse du champ renvoie au paradigme de la « ville globale » qui s’appliquerait de façon homogène à la plupart des métropoles en prenant comme modèle New York ou Londres.  Il convient de mettre à l’épreuve cette vision uniformisante du développement des métropoles à partir d’une étude approfondie et comparative de la région parisienne. Trois séries de questions balisent ce chantier de recherche.

La dynamique de l’économie globalisée produirait, dans les grandes métropoles, une inévitable dualisation sociale des qualifications et des revenus, et sa traduction spatiale dans une dualisation urbaine opposant les beaux quartiers, anciens et nouveaux, à la ville des travailleurs peu qualifiés, des précaires et des chômeurs prolétaires, en forte proportion immigrés. Ce processus serait accompagné d’une (re)conquête de certains espaces originellement populaires par des classes moyennes (gentrification) qui à leur tour chercheraient à se mettre à distance (sécession) des classes populaires marginalisées, amplifiant ainsi leur relégation/stigmatisation. La métropole se caractériserait par un renforcement de la ségrégation dont la dimension ethnique serait de plus en plus prégnante au point de redéfinir les contours de la question sociale et urbaine. Si la tendance à la bipolarisation existe bien, elle affecte d’un côté les catégories supérieures, de l’autre une minorité des classes populaires et des immigrés dans les quartiers les plus dégradés et stigmatisés ; cependant que les espaces intermédiaires mélangés sont affectés par des processus de fragilisation sociale et urbaine qui accentuent les difficultés et incertitudes de catégories jusqu’ici stables, sans traduction spatiale spectaculaire mais avec des risques de déstructuration sociale forte.

Les villes mondiales sont-elles inscrites dans des territoires régionaux et nationaux, ou sommes-nous dans le cadre d’une économie d’archipel (Veltz) déterritorialisée ? Les villes mondiales dominantes sont-elles nécessairement les capitales financières, ou bien les villes industrielles ont-elles encore un avenir et des modes de relation au monde spécifiques à faire valoir ? En parallèle aux analyses proposées sur les Creative cities (A Scott) ou sur le rôle civilisationnel des grandes métropoles (P Hall), les métropoles sont abordées comme des points de fixation et d’organisation des flux au sein de réseaux internationaux, comme des pôles économiques en concurrence (Taylor et les World Cities) ou comme des ensembles régionaux (Scott et Storper et les ‘Global City-Regions’). Seul le dernier cadre est assez ouvert pour intégrer également la question de l’organisation des espaces intra-métropolitains et de poser ainsi la question de l’étalement ou la densité urbaine, de la centralité ou la multipolarité des espaces et du lien entre la forme urbaine, la durabilité du mode de développement et la compétitivité d’une métropole.

Les métropoles sont-elles gouvernables ? Que gouverne-t-on ? Que régule-t-on dans ces métropoles ? Avec quel résultat ? Ces villes-régions deviennent-elles un nouvel ensemble politique en partie désencastré des Etats ? Est-ce le retour de cités-Etats (Singapour, Dubaï, HongKong) ? Les grands groupes de loisirs (Disney, Accor), les grandes enseignes commerciales, les groupes de réseaux urbains et d’infrastructures, les promoteurs immobiliers (soumis à des logiques de financiarisation) deviennent-ils les principaux acteurs de la transformation des villes ? Comment des formes plus globalisées de capitalisme urbain restructurent les villes ?

La redéfinition des modèles de Welfare n’est pas sans conséquences sur la morphologie des villes et les modes de vie. Quelles seront les conséquences de la redéfinition des services publics sur la ségrégation et l’accès aux ressources éducatives, culturelles, sportives, etc. ? Cela pose aussi la question des espaces et des biens publics inscrits dans la ville. Comment sont-ils amenés à évoluer dans ce cadre, avec quels conséquences sur les inégalités et la cohésion sociale ?

Plusieurs thèmes de recherche balisent notre programme:

  • La spatialisation des inégalités et la ségrégation (économique, sociale, genre, ethniques, éducation, âge), et leurs effets sur les relations entre groupes sociaux, l’Etat-providence et la formation des inégalités urbaines
  • Gouvernement et gouvernance des grandes métropoles, démocratie urbaine, politiques publiques et politiques urbaines, risques et ressources naturelles. Plus concrètement, il s’agit des processus de décentralisation/régionalisation, de la coordination entre les différents niveaux de gouvernement (villes, régions, Etats, etc.) et les territoires, les groupes d’intérêts dans les villes (promoteurs immobiliers, acteurs économiques, firmes d’infrastructure et de service, producteurs de logement).
  • Socio-économie des villes et des régions, Institutions et développement économique, capitalismes urbains et néolibéralisme, les réseaux et leur régulation, la croissance verte.
  • Les politiques du conflit, les mobilisations urbaines et les mouvements sociaux, les minorités, les exclus, les formes de mobilisation et les mécanismes de résolution des conflits.
  • Mobilité (immigration, classes moyennes), globalisation et villes.