Revue de presse

Marie Duru-Bellat

« On est identifié toute sa vie à son école » Entretien avec Marie Duru-Bellat Le monde, 16 juin 2010 Dossier Education p.7

En France, le diplôme constitue une rente à vie, critique la sociologue Marie Duru-Bellat
ENTRETIEN
Marie Duru-Bellat, sociologue à Sciences Po, est l’auteur de nombreux ouvrages. Dans Le Mérite contre la justice (Presses de Sciences Po, 2009), elle plaide pour le maintien d’examens nationaux dans une école qu’elle estime de plus en plus inégale.
Tout le troisième trimestre est rythmé par les examens. Est-ce bien raisonnable ?
L’examen terminal et national est, certes, important dans notre système, mais n’oublions pas qu’il est nécessaire. De plus en plus nécessaire. Alors que le niveau d’exigences imposé par les programmes reste très général, alors que les établissements deviennent de plus en plus inégaux avec l’ouverture de
la carte scolaire, il est essentiel de partager ce repère commun. Sinon, qu’y a-t-il de commun entre un 10 sur 20 obtenu dans un lycée parisien de la montagne Saint-Geneviève et dans un petit lycée perdu dans une zone rurale ? Dans le premier, même si les élèves sont très sélectionnés et très bons, on ne
va pas mettre toujours 17 sur 20, alors on sous-note. Dans le second, si les élèves sont en moyenne plus faibles, on ne va pas pour autant leur mettre des notes qui les désespéreraient. D’un établissement à l’autre, l’échelle des notes n’a rien en commun, et qu’il s’agisse des épreuves finales du brevet ou du
bac, les examens nationaux sont là pour pondérer ces approches locales fort compréhensibles et révéler ces inégalités qu’on aimerait parfois ne pas voir !
Ce que vous dites est aussi valable pour l’enseignement supérieur ?
J’estime effectivement que d’une université à l’autre une licence ou un master ne se ressemblent guère.
Là encore, s’il y avait des épreuves communes, on aurait un repère sur ce que savent vraiment les étudiants, on saurait ce qu’est le niveau attendu d’un master. Ce serait sans doute pratique pour les usagers mais contraignant pour les enseignants…
Cette France des examens révèle aussi un goût assez général et assez prononcé pour le diplôme…
Ce qui est fou, ce n’est pas tellement ce goût pour le diplôme, mais le fait qu’il donne à son détenteur une rente à vie. C’est cela qui est gênant, et c’est une spécificité très française, incompréhensible pour les observateurs étrangers. Un chercheur américain, E. Suleiman, dans un livre intitulé précisément
Schizophrénies françaises (Grasset, 2008), s’étonnait que, lors d’une réunion, Valéry Giscard d’Estaing ne se présente pas comme ex-chef de l’Etat, mais bien comme polytechnicien. La preuve qu’on est toute sa vie identifié à l’école qu’on a faite. C’est une vraie faille dans notre système méritocratique, puisque les  » mérites  » qu’on peut manifester sa vie durant ne sont pas pris en compte.
C’est tout de même le gage d’une meilleure entrée dans la vie active, non ?
Oui, mais ce n’est pas mécanique. Des études sans diplôme dans une filière générale de l’université donnent moins de chance d’obtenir un travail qu’un diplôme professionnel de niveau moins élevé. Il semble d’ailleurs que s’opère un ralentissement de cette course aux diplômes. Tant mieux si cela
rappelle que l’orientation ne saurait être régie par un utilitarisme forcené : l’éducation, ce n’est pas que l’obtention d’un diplôme, il peut aussi y avoir un plaisir de la connaissance, de la découverte.

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