Projet initial de recherche début 2009

30 avril 2009 par dcolas

La formulation du projet initial de recherche

Conflit d’interprétations

Ce projet de recherche est né d’une divergence entre Quentin Skinner et moi-même sur l’interprétation d’un globe dans une gravure de Rubens où une femme désignée comme « POLITICA »  tient un gouvernail et une sphère (voir fig.1

Figure 1 . Rubens, Frontispice à Juste Lipse .Opera omnia, 1637, Détail. Cliché BN.

Si le « gouvernail » est l’attribut classique du « gouvernement » et que la couronne de muraille est le symbole d’une république, d’une cité,  le globe figure ici, selon moi, la souveraineté politique sur la terre, tandis que pour Skinner il est l’indication que la politique est liée à l’instabilité de la Fortune, telle qu’elle est représentée depuis l’antiquité (fig. 2).

Figure 2 Durer, La grande fortune (vers 1501-1502).

Des éléments iconographiques plaident en faveur de mon interprétation comme la statue de Condé dans le parc du château de Chantilly où la puissance du prince est figurée par un globe terrestre, à ses pieds, où l’on voit clairement la carte de l’Afrique, où il ne fut jamais (fig. 3 et 4 ).

Fig.3 Coysevox, Le prince de Condé, 4e quart du XVIIe s. Cliché D. Colas
Fig. 4 Coysevox, Statue de Condé. Détail ; l’Afrique

Quelques Hypothèses

Le globe de Rubens dans le giron de « POLITICA »  s’inscrit dans le concept d’une politique mondiale car le passage d’une époque, celle du  Prince, à la modernité, est lié à un « arraisonnement » de la terre entière : « POLITICA » se trouve dans le frontispice d’un livré publié à Anvers, un port-monde dont la dynamique était tendue vers la domination globale et non pas menacée par les incertitudes de la virtùconfrontée à la Fortuna, telle que théorisé par Machiavel et illustré par Dürer.Cette hypothèse est renforcée par une autre gravure de Rubens où un globe, associé à un sceptre et à un gouvernail, symbolise la politique (fig. 5).

Fig. 5 Rubens, Frontispice du Politicus Christianus, (1624), détail

D’où une hypothèse supplémentaire :  celle d’une sécularisation des représentations où le globe montraient la puissance de Dieu (fig. 6).

Fig. 6. Dürer, Adoration de la Sainte Trinité, (dessin) (1508) détail. Musée de Chantilly

Et, sautant les époques, l’on voit des représentations au XIXe et XXe siècle qui sont liées à l’expansion européenne ou à une volonté d’hégémonie mondiale. Ainsi le globe soutenu par des statues de Carpeaux dans « la fontaine des quatre parties du monde » (inaugurée en 1874). (fig.7).

Fig. 7. Carpeaux, Les quatre continents portant lune sphère céleste entourant la terre. Paris. Cliché Colas
Fig. 8 « Le camarade Lénine nettoie la terre de la vermine» affiche soviétique de 1920 par Cheremnykh et Deni

Chemins de recherche.

Plus qu’à une recherche iconologique (déchiffrée le sens d’un élément dans une représentation) ce projet s’intéressera à l’organisation visuelle de l’espace public et aux pratiques qui lui sont liées à des moments historiques cruciaux. Les statues ne sont pas que des signes mais aussi des « choses » qui agissent, mobilisent, incitent. Elles font des performances comme des actrices. Aussi de première importance les livres publiés, les statues et fresques visibles dans des lieux publics montrant des globes terrestres.

L’expérience acquise pour un travail sur la représentation de la « société civile » chez Dürer, (Le Glaive et le Fléau. Généalogie de la société civile et du fanatisme, Grasset, trad. en anglais par A. Jacobs, Stanford UP), sur l’analyse des statues couronnées de murailles  (« An Icon of the Republic: Statues of Rampart-Crowned Women in Paris, Prague and Italy » in Dominique Colas and Oleg Kharkhordin, eds., The Materiatlity of Res publica. How to Do Things with Publics. Cambrigde Scholars publishing. 304 pages. 94 illustrations) m’a permis de me confronter aux  difficultés de collectes de ce type de données qui exigent des enquêtes directes.  Il faut, d’abord, courir les rues dans des capitales européennes. Deux métropoles impériales, Paris et Londres, s’imposent en premier lieu. Et Bruxelles, capitale coloniale.

Il ne s’agit donc pas rivaliser avec Peter Sloterdijk et les trois volumes de Sphères, son « roman des espaces », mais plutôt de contribuer à une histoire conceptuelle du « global » à travers ses représentations et leur pragmatique dans l’espace public en privilégiant, dans un pre deux moments : le passage du globe symbole de l’omnipotence de Dieu au globe de la  puissance politique et, par ailleurs, l’époque des empires coloniaux.

Conclusion  En guise de programme

Monument funéraire de Francis Garnier (1835-1874), par Puech (vers 1890), Paris, Cliché D. Colas.

Garnier officier de marine, explorateur du Fleuve Rouge, s’empare d’Hanoi, meurt en mission et fait figure de martyre de la République colonisatrice. Cette statue (haut du Bd Saint-Michel) est obsolète: elle est inaccessible pour les piétons et quasi invisible au milieu d’un carrefour. Le globe terrestre symbolise la domination impériale et le gouvernail la navigation sur les fleuves indochinois. A comparer avec la figure 1, la POLITICA de Rubens

Quelques principes pour cette recherche

Les représentations du globe qui sont étudiées ainsi sont essentiellement des sculptures (frontispices de bâtiment ou monuments de grandes échelles) visibles dans l’espace public. A l’occasion on s’appuie sur une peinture ou une gravure pour mieux analyser une question mais ce qui est au centre de ce travail ce sont les images du global disposés pour un public : une organisation de l’espace public par un espace nécessairement plus grand que lui, celui de la terre entière, de la sphère céleste ou de l’univers.

Les photos, qui faut mentions contraires sont toutes de moi, ont été prises depuis le niveau du sol éventuellement avec un télé- objectif. C’est un point de vue analogue à celui du passant. Si l’on peut dire le contraire du point de vue de l’hélicoptère : photo d’altitude, comme le pratique Yann Arthus-Bertrand. Bien entendu il s’agit aussi d’un regard particulier mais qui relève d’un choix qui est le refus de trop s’éloigner de l’approche pragmatique des objets publics. Nous traitons donc les statues comme des actrices qui réalisent des performances. Celles-ci peuvent se démonétiser, ratés leurs effets mais on doit les appréhender non comme objet pour le regard mais comme intervenant dans le spectacle de la rue. Certaines sont plus proches de performances théâtrales que d’autres (les statues anthropomorphes d’Atlas par exemple) mais cette analogie statues/actrices permet de lutter contre la tendance à les comprendre comme des textes même si nous devons tenir compte de la rhétorique, des contraintes stylistiques qui s’imposent à elles. Donc nous sommes moins dans une analyse de type iconologique que dans un projet de compréhension de la portée pratique des choses publiques.

Les textes qui suivent sont parfois commandés par le rapprochement de statues ayant le même thème (des Christ porteur d’un globe), par des proximités géographiques (les orbes crucifères à Prague), par des parcours urbains (l’espace ponctué de représentations du globe qui va à New York de Columbus Circle à Battery Park.

Enfin on trouvera à un moment des références bibliographiques.

 
 

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