Le monument au Millénaire de la Russie à Novgorod

10 novembre 2010 par dcolas

fig. 1 Monument au Millénaire de la Russie (1862) à Novgorod (cliché par C. Fauconnier)

Clémentine Fauconnier vient de m’envoyer de Novgorod, où elle fait une enquête et entretiens pour sa thèse de science politique, sur le parti Russie Unie, des images du monument érigé sous Alexandre II pour le millénaire de la Russie.

Il fut inauguré le 8 septembre 1862, soit disant mille an après l’arrivée du prince viking Riourik à Novgorod. Ce colosse en bronze de 16 mètres de haut  est situé dans le kremlin de Novgorod (fig.I) près de la cathédrale Sainte Sophie (non délibèrement repris de la Sainte Sophie de Constantinople) ;  il a la forme général d’une cloche et  on voit à son sommet une large sphère surmontée d’une croix sur laquelle un ange bénit la Russie agenouillée (fig. 2). Tout autour deux séries de personnages et de scènes qui illustrent, avec un parti pris sélectif fort la narration la plus glorieuse possible de l’histoire russe à travers des personnages célèbres et des épisodes clefs  : la dimension religieuse est privilégiée, d’abord par la forme du bâtiment et sa croix sommitale, mais les expansions territoriales qui vont constituer l’empire russe sont aussi mises en valeur. Du reste comment distinguer religion orthodoxe et politique impériale dans la culture russe ?

Les sculptures, disposées en deux anneaux, dont celles de la partie inférieure sont des bas reliefs, représentent des figures de la Russie ou de l’empire russe. Ivan II, le Terrible, est absent pour avoir commis des massacres à Novgorod. On trouve  des gens d’Eglise, des tsars, des hommes de guerre, des poètes, des peintres, des musiciens : Cyril et Méthode, Pierre le Grand, Ivan III, Dimitri Donskoi, Alexandre Nevski, Koutousov, Lermontov, Gogol, Glinka. Ces sculptures au style réaliste et académique font un contraste avec la sphère qui domine le monument recouverte d’un motif géométrique cruciforme : ce n’est en aucun cas la terre mais une sorte d’orbe crucifère géante, comme les regalia royaux ou impériaux. Des orbes crucifères sont, du reste, dans la main de plusieurs des souverains qu’on voit sur le monument, comme Algirdas, le monarque lituanien. On en trouve un exemplaire dans la main d’Ivan III dans une scène  démonstrative d’un moment clef de la construction de l’empire russe  rassemblant plusieurs entreprises militaro-politiques distinctes du Tsar (fig. 3).

fig. 2. Le monument au Millénaire de la Russie : l'orbe crucifère géante, (Cliché C. Fauconnier)

Tenant un spectre le main droite et portant une orbe crucifère de la gauche on voit donc Ivan III le Grand (1440-1505)  (fig. 3). Il se maria à Sophie Paléologue la nièce du dernière empereur byzantin et ajouta l’aigle bicéphale byzantin aux armes de la Russie. Il porte la Chapka Monomakh, un des symboles de l’autocratie russe d’origine byzantine  ( Elle se trouve parmi les regalia conservés au Kremlin de Moscou) (Pierre le Grand la remplacera par une couronne et se fit appeler « empereur » et sur le monument de Novgorod il est ceint de laurier ; Pierre le Grand revient, en quelque sorte, au sens romain de Tsar c’est-à-dire César).  Sur le monument Ivan III est représenté comme unificateur de la Russie : à ses pieds un Tatar (qui dépose une pique couronnée d’un croisant islamique) représentant la Horde d’Or, derrière lui un Lituanien, et à sa gauche, une épée brisé à la main, un Chevalier Teutonique.  Les trois axes de l’affirmation politique et religieuse d’Ivan III le Grand qui apparait aussi dans le bas relief au pied du monument assis sur un trône avec les mêmes attributs, manifestant par sa pose la stabilité de son pouvoir impérial. Mission politique territoriale et religieuse apparaissent inséparables : le Tsar a bien vocation à un règne universel et Moscou est le Troisième Rome. « Le symbole de Byzance semble divisible en deux figures symboliques : Constantinople est comprise comme la nouvelle Jérusalem, la ville sainte et théocratique, et également comme la nouvelle Rome, la capitale d’empire, la capitale d’Etat, la capitale du monde. Ces deux idées se réalisent dans l’interprétation de Moscou comme la nouvelle Constantinople ou la Troisième Rome, idée qui apparait après la chute de l’empire byzantin. » (Lotman et Ouspenski, « Moscou, la « Troisième Rome »: l’idée et son reflet dans l’idéologie de Pierre Ier) in Lotman et Ouspenski, Sémiotique de la culture russe, traduit du russe et annoté par F. Lhoest, L’Age d’homme, 1990). Et pour l’interprétation de la figure d’Ivan III le Grand dans le Monument du millénaire de la Russie on peut reprendre la remarque cruciale de Lotman et Ouspenski : au moment où à Byzance on assiste à un triomphe de l’islam sur l’orthodoxie (1453), c’est l’inverse qui s’accomplit en Russie avec la fin de la domination tatare (1480).

fig. 3. Le monument au Millénaire de la Russie : Ivan III le Grand portant une orbe crucifère (Cliché C. Fauconnier)

 
 

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