Le paradoxe de Saint Christophe

9 décembre 2010 par dcolas

Freud, dans Psychologie collective et analyse du moi, cite un distique en latin qui illustre, sous forme de devinette,  le paradoxe du fondement et son énigme : sur quoi est  fonde le fondement ?

« Christophorus Christum, sed Christus sustulit orbem :

Constiterit pedibus dic ubi Christophorus ? »

Ce qu’on peut traduire ainsi :

« Christophe portait le Christ, mais le Chris portait une orbe :

Dis moi où Christophe a posé les pieds ? »

(in Essais de Psychanalyse, trad. par Cottet et alii  Payot 1981, p. 149)

Pour illustrer ce paradoxe on va utiliser (sans respecter la règle de donner en priorité dans ce blog des images de représentations dans l’espace public) des tableaux.

Voici trois Saint Christophe qui se différencient par le type d’orbes qui accompagnent le Christ sur ses épaules, Christophe voulant dire « porteur de Christ ». On remarque que le verbe du distique a pour racine le mot que l’on retrouve dans l’invocation liturgique : « Agneau de Dieu toi qui porte le pêché du monde, prends pitié de nous » (Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, miserere nobis.)

Saint Christophe avec le Christ portant une orbe :

Ghirlandaio Domenico (1448/49–1494) Saint Christophe, MET New York (Cliché DC)

Saint Christophe avec le Christ portant une orbe crucifère (image trouvée sur la base Joconde où elle est accompagnée d’une notice détaillée sur le tableau) :

Saint Christophe portant une orbe crucifère par le MAITRE DE 1499 (attribué à). Bourg en Bresse, Musée de Brou (© Maertens, © Vollet)

Saint Christophe portant le Christ et  la sphère du ciel : la sphère armillaire. Ce tableau (que j’ai trouvé reproduit dans un ouvrage de Sloterdijk) doit être rapproché des images d’Altas et d’abord de l’Atlas Farnèse. (Pour une image de meilleure qualité voir le site du Kunstmuseum de Bâle ). Mais Saint Christophe qui porte le monde et son créateur n’est pas à la peine comme le Titan même si la traversée fut pour lui une épreuve physique.

Meister des Basler Christophorus, Christophorus, 1562 (?) Kuntsmuseum, Bâle

Le Christ a dans la main un long bâton surmonté d’un crucifix et planté dans la chevelure du saint, qui lui même à une perche pour l’aider. Saint Christophe comme sur les trois tableaux fait passer une rivière au Christ et dans ce tableau, comme dans le précédent, un ermite sur la rive l’aide à guider ses pas. C’est cet ermite qui dans le texte de Jacques de Voragine, fondement de cette iconographie, a incité Christophe, une sorte de géant, à se faire passeur d’un fleuve périlleux après l’avoir instruit sur la religion chrétienne. Un jour un enfant se présente. Pendant que Christophe le fait traverser sur ses épaules le poids augmente terriblement. De l’autre côté du fleuve Christophe déclare qu’il n’aurait pas senti un poids plus grand s’il avait eu le monde sur ses épaules. Et l’enfant lui dit de ne pas s’étonner car il a porté le monde entier et celui qui l’a créé : « Je suis le Christ ton roi que tu sers dans ta présente tâche […] » (Jacques de Voragine, La Légende dorée, édition par Alain Bourreau, « La Pléiade », Gallimard, 2004,  p.540)

 
 
 

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