Le « moi quantifié » sera-t-il l’ homme nouveau du XXIe siècle ?

objects-connectésLes « objets connectés » sont en train d’envahir notre quotidien : montre, lunettes, chaussettes, réfrigérateur et même arrêt de bus …. ! De plus en plus d’objets et de services sont décrétés ‘intelligents’ (smart) ou connectés et combinés à la révolution de traitement des ‘big data’, ils sont censés bouleverser notre vie quotidienne. Santé, urbanisme, transports devraient être impactés par ces nouveaux gadgets, sans parler même du marketing ou de l’éducation !

Avec les ‘wearables’, appareils « prêt-à-porter », on se rapproche de l’’informatique intime’, comme la nomme Idriss J. Aberkane dans le Point.

Les ordinateurs, en se miniaturisant, se sont de plus en plus rapprochés du corps humain, jusqu’à le pénétrer (pace-maker ou implants divers) …

A quoi vont nous servir tous ces capteurs qui nous entortillent comme une véritable toile d’araignée … Car le web n’est plus lointain ou dans les nuages, il est sur nous ou en nous ! La sécurité sociale peut sans problème dérembourser les médicaments ou réduire les prestations médicales : de nouvelles starts-up ont trouvé la solution, plus besoin de déranger le médecin ; une bague ou un bracelet connecté vont pouvoir mesurer le taux de sucre pour les diabétiques ou le nombre de pas que doit parcourir un obèse pour maigrir ! Chacun pourra surveiller son état physique à tout moment et apprécier les progrès qu’il aura pu réaliser. Le « quantified self » doit permettre de se jauger en continu.

Mais dans ces conditions, l’humain est-il encore acteur de ses décisions ou n’est-il qu’une partie de l’interaction, qu’un somme de données reflétées dans les capteurs ? Ce ‘moi quantifié’ est-il toujours un sujet ou la somme de tronçons physiques ou psychiques, qui s’imbriquent dans des états physiologiques et des comportements ? Des « dividuels » comme les nomme Alain Damasio dans son roman de science-fiction « La zone du dehors » ?

Sans évoquer les problèmes éthiques et juridiques que posent déjà la gestion et le traitement de ces milliards de données plus que personnelles (santé, comportement, émotions, etc …) qui transitent forcément sur les « nuages » de grandes entreprises multinationales … Depuis quelques semaines, on ne compte plus le nombre de piratages effectués sur les données de santé … !

Olivier Ertzscheid démontre dans son post du 17 septembre 2014 « Vous prendrez bien deux doigts de digital ?» comme l’humain perd progressivement le pouvoir en passant de l’index du web 1.0 (lien hypertext) au pouce levé (Like) du web social, pour perdre complètement la main dans le « World wide wear » et l’internet des objets …. ! Le pouce et l’index permettaient l’activité de préhension nécessaire pour toute interaction. Tandis qu’avec les objets connectés, apparaît « une forme d’appréhension qui vient de l’incapacité de « préhension » et donc de « com-préhension ». Car pour com-prendre le numérique, il nous faut le prendre « ensemble » » (ibid). 05894964-photo-illustration-objets-connectes

Pourtant, d’après le rapport « The Wearable Future », de PWC d’octobre 2014, 20% d’Américains posséderaient déjà des objets connectés, et le succès pour ces appareils ne devrait que croître, surtout parmi les « millenials » (jeunes nés autour de l’an 2000). Même si sur l’échantillon analysé (1000 personnes), 33% de ces « adopteurs précoces » n’utilisent plus ou très peu ces objets (bandeaux, bracelets) et plus de 80% s’inquiètent de l’impact de cette technologie sur leur vie privée et sur les brèches possible de sécurité qu’ils pourraient comporter, plus de 50% de ces consommateurs sont plutôt favorables à l’avenir des wearables … Ils soulignent trois avantages dans cette technologie : la sûreté, notamment en ce qui concerne les enfants, une vie plus saine grâce aux exercices organisés par ces objets, et enfin leur simplicité et facilité d’usage …

Mais que faire de toutes ces données recueillies par ces appareils (qui communiquent entre eux, sans forcément en informer le sujet …) et qui peut les interpréter ? C’est la question que se pose Marie-Julie Catoir-Brisson dans son article « Du moi quantifié au corps comme objet connecté » : est-ce aux médecins à gérer ces informations provenant des patients, ce qui risque de remettre en cause la relation médecin patient … D’autant plus que « presque tous ceux qui ont utilisé ces appareils déclarent qu’ils ont modifié leurs habitudes d’une manière ou d’une autre (5).» Ce qui signifie que l’usage de ces objets connectés au quotidien transforme le rapport de l’individu à son propre corps et surtout à sa représentation. » (ibid).

L’étude de Goldman Sachs de septembre 2014 « The Internet of Things : making sense of the next mega-trend » examine les enjeux impliqués par les 28 milliards d’objets connectés à l’horizon 2020. Le rapport identifie cinq champs d’adoption : les « wearables », les voitures connectées, les maisons (domotique), les « villes intelligentes «  (smart cities) et enfin l’industrie, les transports, l’énergie et la santé. Cinq caractéristiques définissent aussi cette nouvelle technologies, résumés par l’acronyme S-E-N-S-E : Sensing (les capteurs) : température, pression, accélération ; Efficient : ajoute de l’intelligence aux processus ; Network : connecte les objets au réseau qui passe du ’Cloud computing’ au ‘fog computing’ (brouillard, buée), à la logique plus floue … ; Specialized : processus spécifiques et fragmentation ; Everywhere : ubiquité et présence ‘pervasive’. Les entreprises vont se concentrer sur ces nouveaux produits comme source de revenus grâce aux économies d’échelle et à la productivité. Mais il va falloir mettre en place les infrastructures nécessaires pour ce nouveau système : wifi, plateformes, applications, etc., avec les smartphones comme interfaces privilégiées … !
Là encore, l’étude met en garde sur les risques d’atteintes à la vie privée et les failles de sécurité …objets-connectes

A ce propos, la « Working party » sur la protection des données personnelles de l’Union européenne a émis une « Opinion sur les récents développements de l’internet des objets » adoptée le 16 septembre 2014. Tout en se réjouissant des avantages que cette technologie apportera aussi bien à l’industrie qu’aux citoyens européens, la WP29 rappelle qu’elle doit respecter la vie privée et s’inquiète des défis de sécurité qui sont associés à l’Internet des objets. La vulnérabilité de ces appareils, souvent déployés en dehors des structures traditionnelles de l’industrie de l’information, révèle un manque de sécurité dans leur construction (perte de données, infection de virus, accès non autorisé aux données personnelles, usages intrusif des ‘wearables’). Pour cela, elle propose d’incorporer le maximum de garanties dans ces objets et recommande aux usagers de garder un contrôle complet de leurs données personnelles …

 

Aberkane, Idriss J. – Demain, l’informatique intime. – Le Point, 15/08/14

Catoir-Brisson, Marie-Julie. – Du « moi quantifié » au corps comme objet connecté. – Métamorphoses des écrans, 23/08/14

The Internet of Things : makinge sense of the next mega-trend. –  Goldman Sachs Report, 03/09/14

The language of the Internet of Things. – The Economist, 06/09/14

Ertzscheid, Olivier. – Vous prendrez bien deux doigts de digital ?. – Affordance.info, 19/09/14

Opinion 8/2014 on the recent developments of the Internet of Things/ Article 29 Data Working Party. – Europa.eu, 16/09/14

Bonnet, Florence. – Big Data, objets connectés : il faut protéger le « prosommateur ». – Journal d u Net, 30/09/14

Wearable Technology Future is ripe for growth. – Pwc, 21/10/14

Guillaud, Hubert. – Dans un monde de smartphones, les gadgets doivent s’adapter. -InternetActu, 14/01/15

Au tribunal de l’internet ! Données de santé : les conditions de leur partage. – Le Point, 23/03/15

 

 

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