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Métavers, utopie ultime ou transformation des plateformes

  METAVERSEL’annonce de Mark Zuckerberg en fin d’année dernière n’a pas véritablement surpris les spécialistes. En renommant son entreprise « Meta » et en transformant les différents services numériques en un ‘métavers’, le patron de Facebook ne fait que suivre une tendance que d’autres acteurs du numérique ont déjà anticipée, notamment dans le monde des jeux en ligne. Qu’est-ce donc que cet univers où tout un chacun pourraient s’adonner à ses activités (échanger, consommer, se distraire) sur un mode virtuel et sous la forme d’un avatar ?

A la faveur du confinement dû à la pandémie, un certain nombre d’activités et d’événements étaient passé sur la scène virtuelle et de nombreuses plateformes proposaient de transformer leurs services. Jusqu’à Jean-Luc Mélenchon qui s’est représenté par son hologramme dans un meeting, puis aujourd’hui avec des vidéos immersives et olfactives !

Outre les jeux en ligne (Fortnite d’Epic Games, Animal crossing, GTA), le télé-enseignement et le télétravail ouvraient des classes et des salles de réunion virtuelles, où parents et enfants se partageaient la bande passante !

Le métavers va-t-il renouer avec l’utopie humaniste des débuts de l’internet ou n’est-il qu’une transformation plus profonde des plateformes numériques en leur permettant de continuer leurs activités économiques habituelles sur un mode virtuel ?

Définitions et premières expériences du métavers

« Un métavers (de l’anglais metaverse, contraction de meta universe, c’est-à-dire méta-univers) est un monde virtuel fictif. Le terme est régulièrement utilisé pour décrire une future version d’Internet où des espaces virtuels, persistants et partagés sont accessibles via interaction 3D.

Une définition différente considère « le métavers » comme l’ensemble des mondes virtuels connectés à Internet, lesquels sont perçus en réalité augmentée. » (Wikipedia)

Le métavers est donc une sorte de copie du monde réel en immersion en trois dimensions qui devrait prendre la suite d’internet, où les utilisateurs évoluent dans des environnements fictifs sous forme de personnages numériques (avatars). Il est accessible par des moyens informatiques (ordinateur, smartphone, équipement de réalité visuelle). Il est persistant, c’est-à-dire qu’il existe de façon continue, comme le monde réel. Si un utilisateur se déconnecte, le métavers continue à ‘vivre’ et à se développer sans lui.

Ce concept se retrouve dans de nombreuses œuvres de science fiction, mais a surtout été développé par l’écrivain Neal Stephenson dans son roman « Le Samouraï virtuel » (Snow Crash) en 1992. Un informaticien hacker et livreur de pizzas qui vit misérablement dans l’Amérique de la ‘gig-economy, passe ses meilleurs moments dans le monde virtuel qu’il a contribué à créer. A cette époque, la technologie n’était pas encore mûre pour implémenter un tel univers virtuel, mais cet ouvrage a été considéré comme le ‘cahier des charge’ du métavers. De nombreux aspects de cet univers se retrouvent aujourd’hui dans les réalisations possibles des métavers : aspects économiques et financiers avec les investissements du monde réel dans le monde virtuel, le code informatique comme loi, le mode d’accès à l’aide de lunettes ou d’une interface bio-intégrée (les casques de réalité virtuelle) etc.

Premières expériences

En 1997, Canal + Multimedia et Cryo lancent le Deuxième monde : cette reconstitution de Paris en 3D permet aux membres de cette communauté de se rencontrer à travers des avatars. J’ai personnellement testé ce logiciel, mais je n’en ai pas gardé un souvenir inoubliable ! Mon avatar, plutôt ridicule, avait suscité des réflexions ironiques de la part d’autres membres … Cette expérience s’est arrêtée en 2001.

Second Life, créé par Linden Lab en 2003, est à la fois un jeu et un réseau social, il permet à ses utilisateurs d’incarner des personnages virtuels dans un monde créé par les résidents eux-mêmes. Les utilisateurs peuvent concevoir le contenu du jeu : vêtements, bâtiments, objets, animations et sons, etc., ainsi qu’acquérir des parcelles de terrain dont ils obtiennent la jouissance en utilisant une monnaie virtuelle. Ayant connu un pic d’utilisateurs entre 2007 et 2009 – tous les candidats à la présidentielle de 2007 y avaient ouverts des bureaux virtuels, plus de 88000 connexions en 2009 – la plateforme connaît un déclin à partir de 2012. La crise des subprimes de 2008 et la création de Facebook, plus facile à utiliser, pourraient expliquer cette désaffection. Malgré son acquisition par une autre compagnie, la plateforme n’a pas disparu et a connu une légère augmentation de connexions en 2020, pendant le confinement. Certains utilisateurs pensent même lui redonner une seconde jeunesse en misant sur les NFT, comme le signale Amandine Joniaux dans le Journal du Geek, citant le fondateur du jeu, Philip Rosendale. 1461016-facebook-workrooms-est-un-embryon-de-metavers-permettant-aux-salaries-d-une-entreprises-d-echanger-a-distance-de-facon-plus-naturelle

 

Les métavers aujourd’hui

Comme on l’a vu Mark Zuckerberg n’a pas inventé le concept de métavers et d’autres sociétés ont développé des plateformes logicielles qui se déploient aussi dans une dimension virtuelle.Comme le prédit Frédéric Charles dans ZDNet, « Finalement on commence à entrevoir une multitude de Métavers, et non un univers unifié par ses standards comme Internet s’est construit. On découvre chaque jour de nouveaux bourgeons sur cette branche de l’Internet, que certains appellent déjà le Web3. »

Les autres GAFAMs, bien sûr, Amazon avec le jeu vidéo New World depuis 2020, Apple a un projet pour 2022 avec un casque de réalité virtuelle. Microsoft, enfin, qui est en train de transformer son logiciel de communication professionnelle Team en Mesh, univers de télétravail et surtout qui a l’intention d’acquérir pour près de 70 milliards de dollars l’éditeur de jeux Activision Blizzard. Cette transaction servira de base à la création de Microsoft Gaming, une nouvelle division qui englobera l’ensemble des marques de jeux pour PC, consoles et smartphones du fabricant de Windows, ainsi qu’un autre projet très important, peut-être même plus important encore : son projet d’entrer dans le « metaverse », comme le souligne Michael Gariffo dans ZDNet.

D’autres acteurs venus des jeux en ligne multijoueurs, comme Roblox ou Epic Game (Fornite), misent aussi sur le développement des métavers. A la faveur du confinement, en avril 2020 le rappeur Travis Scott a réuni plusieurs millions de spectateurs pour une série de concert en ligne sur Fortnite et Décentraland prépare pour mars 2022 sa première semaine de mode avec des défilés de grands couturiers comme Gucci, Dolce & Gabbana ou Ralph Lorenz, annonce Anne-Lise Klein dans Cointribune.

Baidu, en Chine et Zepeto en Corée du Sud ont mis en œuvre chacune leur propre univers virtuel. Disponible uniquement en Chine depuis le 27 décembre 2021, XiRang, (Terre d’espoir) l’application de réalité virtuelle accessible sur téléphone portable, ordinateur ou casque de réalité virtuelle permet à ses utilisateurs sous la forme de de personnages numériques (avatars) d’interagir dans un monde en 3D. Ils peuvent se rendre dans une exposition (virtuelle) ou une reproduction du temple de Shaolin ou encore se baigner dans une piscine numérique … Toujours en Chine, d’autres géants du numérique comme ByteDance (TikTok), Tencent ou Alibaba réfléchissent aux diverses opportunités offertes par le métavers comme l’indique Le Monde.

 La plateforme Zepeto a été créée en 2018 et compte déjà 250 millions d’utilisateurs. Elle vient d’être valorisée à un milliard de dollars et est populaire aussi bien en Corée du Sud qu’en Chine, au Japon et en Indonésie. L’univers de Zepeto rappelle celui de Second Life « Un autre moi dans un autre univers » « retrouver des amis du monde entier à l’endroit où vous voulez ». Les avatars peuvent se croiser, se parler, mais aussi acheter des vêtements, construire des maisons, créer des cartes. Mais surtout, les utilisateurs sont surtout des utilisatrices : 70% sont des femmes, la plupart entre 13 et 24 ans. C’est souvent le premier réseau social qu’elles utilisent. Car en plus de maîtriser leur apparence, elles évitent la pression des autres réseaux sociaux. Comme l’évoque Aurore Gayte dans Numérama, « les utilisatrices expliquent pouvoir mieux échapper aux regards des autres sur Zepeto et aux mauvaises influences ». Toujours en Corée du Sud, le projet ‘Metaverse Seoul’ du gouvernement coréen devrait faire de la capitale du pays la première ville dans le métavers. Les résidents de la ville pourront se promener dans les rues, assister à des festivals, acheter des objets virtuels dans les commerces, faire des démarches administratives, etc.

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Le Metavers comme espace économique et financier

Si les métavers proviennent souvent du monde des jeux et se présentent comme des plateformes gratuites, la plupart des projets proposent des activités commerciales et financières et disposent souvent de leur propre monnaie, virtuelle mais convertible dans des devises bien réelles !

Déjà Second Life au pic de sa popularité avec des centaines de milliers de résidents déclarait un produit intérieur brut de 500 milliards de dollars, comme le souligne Andrew R. Chow dans Time. Pendant les dix ans qui ont suivi son lancement, les utilisateurs de Second Life ont dépensé 3,2 milliards de vrai argent dans différentes transactions !

Ce n’est pas pour rien que Facebook compte investir 50 milliards de dollars dans Meta et embaucher 10 000 ingénieurs en Europe !

Outre la vente d’objets virtuels dans les boutiques qui ouvrent dans les artères du monde virtuel, le métavers connaît une importante activité foncière. Tout un chacun veut acheter un terrain et faire construire près de la demeure d’une star. Un anonyme vient de payer 450 000 dollars une parcelle dans the Sandbox, tandis qu’en décembre, Republic Realms a acheté une propriété toujours dans le même métavers pour la somme de 4. 300 000 de dollars, comme l’indique Les Echos du 11 janvier.

Les différentes activités et secteurs économiques du metavers Le-metavers-saffirme-comme-lieu-dexperimentation-a-la-rencontre-des-consommateurs

Doublure du monde réel, le métavers compte de nombreuses activités qui impliquent des transactions économiques. Nous avons déjà évoqué l’importance du foncier et des commerces qui fleurissent dans l’univers virtuel. Souvent liés aux jeux en ligne, les achats servent à améliorer l’aspect et l’environnement des avatars.

Des événements comme les concerts ou les défilés de mode peuvent aussi présenter un aspect économique, avec la création de NFT comme les marques de luxe l’ont réalisé sur la plateforme MANA de Décentraland, voir larticle de Anne-Lise Klein sur Cointribune.

Les réunions de travail qui se sont multipliées grâce à Zoom ou Meet pourraient se développer avec des applications 3D comme le projet Mesh de Microsoft qui se propose de déployer son appli Teams.

L’enseignement à distance pourrait aussi avoir sa version metavers comme Winkyverse, une application ludo-éducative en 3D, développée par des ingénieurs et des chercheurs de l’école Polytechnique. Un projet qui a déjà récolté 20 millions d’euros.

Les métiers du métavers

Les utilisateurs de ce monde ne sont pas seulement des consommateurs, il existe plusieurs activités rémunérées qui permettent de gagner sa vie en travaillant dans le multivers comme :

  • créateur de mode pour avatars
  • architecte de maisons virtuelles
  • créateur de NFT (Non Fungible Token) illustration-du-metaverse-degrade-23-2149252227
  • créateur de jeux ou d’applications
  • formateur en ligne

Et bien sûr l’activité de banque et de cryptomonnaie qui permet de réaliser toutes ces transactions virtuelles et surtout de les transformer en revenus dans le monde réel…

« En novembre, la société de gestion d’actifs numériques Grayscale a estimé que le métaverse a le potentiel de devenir une source importante de revenus allant jusqu’à 1000 milliards de dollars »  indique Anne-Lise Klein dans Cointribune.

Les NFT et les cryptomonnaies

Les ‘jetons non fongibles’ (Non Fongible Tokens NFT) «  sont des titres de propriété rattachés à une œuvre. Ces jetons établissent un lien indéfectible entre un objet et une adresse sur une blockchain. Ils permettent de monétiser, d’échanger et de spéculer sur tous les actifs imaginables, aussi bien dans le monde réel que virtuel. Ce marché connaît un engouement spéculatif mondial depuis 2020. « les ventes de « jetons non fongibles » ou NFT sur la plateforme leader OpenSea dépassent déjà les 2 milliards de dollars cette année, contre 22 milliards sur l’ensemble de l’année 2021. » comme le note Nissim Ait-Kassimi dans les Echos.

Les cryptomonnaies : comme on l’a vu, les premiers métavers disposaient déjà de leur propre monnaie au début des années 2000, une opportunité pour les cryptomonnaies comme le bitcoin ou l’Etherum qui développe d’ailleurs sa propre plateforme.

 

Quelles technologies pour les métavers : infrastructures et équipements

 Dans-le-metavers-de-Facebook-la-publicite-sannonce-encore-plusAu dernier salon CES à Las Vegas, les objets du métavers tenaient le haut du pavé d’après l’article de Meta-Media: casques de réalité virtuelle, vêtements à sensation haptique (toucher), micros, cartouches olfactives, etc.

Mais ces équipements, bien qu’indispensable à une pratique virtuelle sont secondaires par rapport aux infrastructures des plateformes et surtout des relations entre elles comme l’interopérabilité.

« Pour rendre le monde virtuel crédible, il faudrait une puissance de calcul 1000 fois plus puissante que celle dont on bénéficie aujourd’hui » c’est le constat d’un cadre d’Intel, cité par Corentin Béchade de Numérama. Pour rendre les avatars convaicants, on doit disposer de capteurs détectant les objets en 3D dans le monde réel (les gestes, les sons), et ce multiplié par des centaines de millions d’utilisateurs simultanément. « Notre infrastructure de stockage et de mise en réseau actuel n’est tout simplement pas suffisante pour permettre cette vision » selon Roja Koduré d’Intel. Le temps de latence (temps de réaction) doit aussi être réduit pour ne pas ‘lagger’ (traîner) sur le métavers !

Aujourd’hui seuls les pays les plus riches peuvent se doter de l’infrastructure et de moyens économiques suffisants pour créer un monde virtuel.

Le coût écologique est aussi très important. Dans l’empreinte carbone du numérique, 70% concerne les terminaux (casques VR, objets connectés).

L’interopérabilité

Un des défaut des jeux vidéo est le manque d’interopérabilité entre les différentes applications et supports ; chacun est sensé rester sur la même plateforme ou la même console. Avec l’interopérabilité, on pourra acheter des vêtements sur Roblox et assister à un film sur Fortnite. a2f7e86d1662a65781848f9b27e6c29c

 

Les enjeux éthiques et politiques induits par les métavers

Les métavers semblent se constituer à partir de considérations essentiellement marchandes. Pourtant, les politiques devraient se soucier aussi de ce qui se passe dans ces mondes virtuels. Comme le souligne Matthias Hauser dans l‘article du portail-ie « Mais dans cette effervescence, il est nécessaire d’évoquer une question cruciale que peu de gens évoquent : celle du rapport de force qui opposera les Etats aux entreprises privées dans ce nouvel écosystème de républiques numériques. »

Alors que jusqu’en 2020 la frontière restait très claire entre le monde réel et le monde virtuel, essentiellement dédié aux jeux. Depuis la crise sanitaire et les confinements, les entreprises du monde réel y voient un moyen d’asseoir la puissance qu’ils ne peuvent plus exercer dans un monde sous confinement. Elles ont organisé des événements comme les concerts sur Fortnite ou les défilés de mode sur Decentraland. Des entreprises sont prêtes à débourser des centaines de milliers de dollars pour des encarts publicitaires virtuels, des terrains virtuels ou des objets virtuels.

L’addiction

Le passage du monde réel à un monde virtuel passe par la liberté apportée par l’utilisation des mondes virtuels, qui va parfois jusqu’à une désinhibition totale et même provoquer une addiction, concept compliqué qui ne peut se comprendre en restant au niveau du virtuel. Gregory Maubon se demande dans Augmented Reality « Serons-nous plus attiré par un Metaverse “idéal” si le monde réel devient plus angoissant, moins capable de nous satisfaire ? « Comme le dit le psychologue Michael Stora “Nous ne sommes pas tous égaux dans notre capacité à aimer le réel” et la génération Z semble avoir plus de désillusions. Est-ce un bon modèle économique de proposer du bonheur en ligne ? Cela peut-il nous amener à des conséquences dramatiques pour les utilisateurs ? ».

Le métavers n’est pas un monde meilleur, c’est toujours le monde capitaliste mondialisé, un univers marchand, coordonné et régi par les multinationales du numérique. Les innovations techniques ne sont pas destinées à développer la productivité, mais à assurer des rentes aux multinationales ! Comme l’analyse Romaric Godin dans Médiapart «  on n’est pas loin de l’idée d’enclosure qui a tant contribué à la constitution du capitalisme ». Le journaliste évoque La Société du spectacle de Guy Debord « Le ‘spectacle’ est précisément cette forme que prend le capital réduit à trouver de la valeur hors du monde réeL « La marchandisation se contemple elle-même dans le monde qu’elle a créé. C’est un ‘leurre qui produit une ‘fausse conscience du désir dans le seul intérêt de la marchandise ».

Matthias Hauser insiste aussi sur ce point « le pouvoir déjà acquis par les GAFAM dans la version actuelle du web leur donne un temps d’avance considérable dans la course au métaverse. » Ces entreprises « sont des quasi-Etats, elles en ont la puissance économique qui commence à s’étendre aux sphères politiques, financières et sociétales ». Avec le métavers, les GAFAM pourront prendre le contrôle sur nos données professionnelles, sociales, financières et de notre vie privée …

Données personnelles

 tendances-tech-2020Si le recueil de données personnelles est déjà important sur le web, il va devenir explosif sur le métavers. Grâce aux différents capteurs, le moindre mouvement de nos avatars sera examiné et suivi … Mouvements des yeux, expressions du visage, allure, etc. Selon Edward Back de Futura « Le Financial Times a passé en revue des centaines de demandes de brevets déposés par Meta aux États-Unis au cours de l’année écoulée, dont beaucoup ont été accordés, pour mieux comprendre la vision d’avenir de la firme. » Beaucoup de ces brevets portent sur des systèmes de capteurs qui ont pour objectif « de créer des copies 3D des personnes et objets tellement réalistes qu’ils sont impossibles à distinguer de l’original. Le système a été décrit comme « un programme de clonage humain ».

C’est aussi ce que craint Régis Chatellier du LINC-Cnil : « Le – ou les – métavers restent néanmoins des dispositifs numériques où l’extension du domaine de la collecte des données pourrait s’avérer problématique si leur développement n’est pas maîtrisé. ». Dans cet ‘internet augmenté’, « une transformation des interfaces ne va pas sans la transformation des modalités de la collecte des données ». Même si Facebook a promis de réduire la quantité de données utilisées et de respecter la vie privée des utilisateurs en leur octroyant la transparence et le contrôle de leurs données, « d’un point de vue de la protection des données et des libertés, la véritable question à se poser réside dans les risques d’augmentation associée – et potentiellement exponentielle – de collecte des données, et d’un usage toujours plus massif de celles-ci. ». Car le métavers réduit la capacité individuelle d’échapper à la collecte de données, garantie aussi bien par le RGPD que le règlement ‘vie privée et communications électroniques’- e-Privacy. Les ‘conditions générales d’utilisation’ du système deviennent la loi. « Faudra-t-il redéfinir une ‘sphère privée virtuelle’ dans le métavers lui-meme et la protéger des intérêts commerciaux et régaliens ? »

Plus dramatiquement, c’est la souveraineté des États qui est remise en cause. Dans la situation ou tout ou partie de l’activité humaine se passait dans le métavers, « l’Etat se trouverait dépossédé de la plupart de ses prérogatives : police, justice, émission de la monnaie, taxes, etc. Il disparaîtrait presque totalement face à des entreprises privées ». En effet, que pourrait faire la puissance publique face à des citoyens qui convertissent les euros qu’ils gagnent dans le monde réel en cryptomonnaie pour les dépenser dans le métavers ? Si 30% de la population achète des vacances virtuelles ou des appartements virtuels en payant des taxes virtuelles ?

Les mondes virtuels où vivront nos enfants seront-ils encore sous le contrôle d’un État ? « Ou bien sous le contrôle de quelques entreprises qui émettront leur monnaie virtuelle, choisiront leurs taux d’intérêt virtuel et feront de leurs ‘Terms of Service’ le nouveau Code Civil, qui nommeront une police virtuelle pour exclure de ce monde (et du monde) les utilisateurs problématiques. »

A cet question Régis Chatellier essaie d’apporter un peu d’espoir dans son post sur LINC-CNIL « Ce nouvel internet immersif, s’il offre des perspectives alléchantes pour certains autant qu’inquiétantes pour les libertés pourrait aussi permettre le développement de modèles alternatifs et variés afin que le gagnant ne soit pas celui qui remporte l’ensemble du marché (Winners take all) ». Comme dans les forums de discussion des années 2000 où dans certaines communautés de Seconde Life, on pourrait « réguler ces espaces afin que les utilisateurs puissent naviguer et se mouvoir dans des univers interopérables respectueux et transparents ». 34cbff18785b037fb8c5bf4adaf5b0f6

 Pour aller plus loin

Charles, Frédéric. – Le métavers s’emballe déjà. – ZDNet, 22/01/2022

Facebook : le métavers pourrait revendre des données sur nos expressions faciales à des fins publicitaires. – 20 minutes, 20/01/2022

Gariffo, Michael. – Le paris géant de Microsoft sur Activision Blizzard ? Son billet pour le métaverse. - ZDNet, 20/01/2022

Fillioux, Frédéric. – Roblox, porte d’entrée des enfants vers le métavers. – L’Express, 19/01/2022

Moirand, Emmanuel. – Pourquoi aller dans le métaverse sans attendre ? - Journal du Net, 18/01/2022

Aït-Kacimi, Nessim. – Les NFT restent le segment le plus dynamique du marché des cryptos.Les Echos, 18/01/2022

Carriat, Julie. - Jean-Luc Mélenchon marque les esprits par son meeting immersif.Le Monde, 17/01/2022

Sample, Ian. – ‘Virtual reality is genuine reality’ so embrace it, says philosopher. - The Guardian, 17/01/2022

Fievet, Cyril. – Crypto, métaverse, intelligence artificielle, robotique : quelles sont les grandes tendances techno en 2022 ? Clubic, 16/01/2022

Jonniaux, Amandine. – 20 ans plus tard, Second Life veut devenir le premeir Métaverse.Journal du Geek, 16/01/2022

Bremme, Kati. - CES 2022 : la tech se rue sur le métavers. – Meta-Média, 15/01/2022

Dicharry, Elsa. – Métavers : l’immobilier virtuel fait des premiers pas retentissants. – Les Echos, 11/01/2022

Breton, Olivier. – Méta, métavers, la fin de nos libertés. - CBNews, 06/01/2022

Hauser, Mathias. – Le métaverse, enjeu de souveraineté (2/2). – Portail de l’IE, 07/01/2022

Hauser, Mathias. – Le métaverse, enjeu de souveraineté (1/2). - Portail de L’IE, 05/01/2022

Stocker-Walker, Chris. - The metaverse : What it is, will it work, and does anyone want it?New Scientist, 05/01/2022

Klein, Anne-Lise. – Métaverse : Decentraland (MANA) lance sa première semaine de mode. - Cointribune, 28/12/2021

Fagot, Vincent. - Le métavers, prochaine génération d’internet, pourrait rabattre les cartes du numérique. – Le Monde, maj 27/12/2021

Métavers : Baidu lance son application de monde parallèle virtuel.Le Monde, 27/12/2021

Gayte, Aurore. – Zepeto, un métaverse que vous ne connaissez pas et qui a des centaines de milliers d’utilisatrices. – Numérama, 24/12/2021

Béchade, Corentin. – Pour faire tourner le métaverse, il faudra changer l' »infrastructure entière de l’internet ». – Numérama, 17/12/2021

Godin, Romaric. – La marchandisation du virtuel : la fuite en avant du système économique. – Médiapart, 08/12/2021

Crète, David. – Le Métavers de Facebook, prison ou révolution ? - The Conversation, 30/11/2021

Chow, Andrew R. – 6 lessons on the future of Metaverse from the creator of Second Life. – Time, 26/11/2021

Josué, Frédéric. – Métavers, internet liquide, média organique ou comment prendre des décisions dans la complexité du métavers.Méta-média, 13/11/2021

Chatellier, Régis. – Métavers : Réalités virtuelles ou collectes augmentées. – LINC, 05/11/2021

Roach, John. – Mesh for Microsoft Teams aims to make collaboration in the metaverse personnal and fun. Microsoft - Innovation Stories, 02/11/2021

Maubon, Grégory. – Le métaverse sera-t-il un monde idéal ou un cauchemar agréable ? Discussion avec Michael Stora. - Augmented reality, 20/09/2021

Fievet, Cyril. – Métaverse : de la science-fiction au projet tangible, histoire d’une idée folle devenue incontournable.Clubic, 29/09/2021

Maillé, Pablo. – ‘Metavers’ : Quand Zuckerberg rêve d’un monde 100% FacebookUsbek & Rica, 30/07/2021

Stephenson, Neal ; Abadia, Guy (trad). – Le Samourai virtuel. – Livre de Poche, 2017 (collection imaginaire)

 

 

Qui a peur de la 5G ? Débats et controverses sur la dernière génération de téléphonie mobile

5g-antennes-vignette-dossierLe 1er octobre, le gouvernement a récolté 2,786 milliards d’euros suite aux enchères autorisant le déploiement sur le territoire français de la technologie de 5e génération de téléphonie mobile. Que représente cette technologie ? Est-elle réellement disruptive ? Que va-t-elle changer dans nos usages ? A voir s’enflammer les débats autour de son adoption, on croit assister à une véritable guerre des anciens contre les modernes …

A cela s’ajoutent des enjeux géopolitiques et géoéconomiques, la Chine dominant pour le moment le marché mondial de la 5G et les Etats-Unis n’ayant pas encore déployé cette technologie comme l’explique Evgeny Morosov dans le Monde Diplomatique. L’Europe a ainsi une opportunité de participer avec ses deux constructeurs Ericsson et Nokia … Comme le dit Philippe Escande dans son éditorial du Monde « Il est temps que s’ouvre enfin une réflexion apaisée et argumentée, aussi bien sur ses avantages que sur ses inconvénients ». Début septembre, 70 élus de gauche et écologistes demandaient un moratoire sur le déploiement de cette technologie, en accord avec les préconisations de la Convention citoyenne pour le climat. « Ces élus proposent une suspension du déploiement de la technologie « au moins jusqu’à l’été 2021 », ainsi que la « tenue d’un débat démocratique décentralisé sur la 5G et sur les usages numériques », la priorité serait pour eux plutôt la réduction de la ‘fracture numérique’ « à travers le développement de la fibre en zone rurale et en finalisant le déploiement de la 4G ». (Le Parisien). Les élus insistaient sur le fait que cette technologie augmenterait la consommation électrique et comporterait des risques en matière de santé.

La technologie 5G

« En télécommunications, la 5G est la cinquième génération des standards pour la téléphonie mobile. Succédant à la quatrième génération, appelée 4G, elle prolonge l’exploitation technologique LTE (Long Term Evolution : norme de réseau de téléphonie mobile 4G)

La technologie 5G donnera accès à des débits dépassant de 2 ordres de grandeur la 4G, avec des temps de latence (délais de transmission dans les communications informatiques) très courts et une haute fiabilité, tout en augmentant le nombre de connexions simultanées par surface couverte. Elle vise à supporter jusqu’à un million de mobiles au kilomètre carré (dix fois plus que la 4G). Une fois déployée, elle doit permettre des débits de télécommunications mobiles de plusieurs gigabits de données par seconde, soit jusqu’à 1 000 fois plus que les réseaux mobiles employés en 2010 jusqu’à 100 fois plus rapides que la 4G initiale » (Wikipedia)

Les avantages de la 5G

  • ict-expert-luxembourg-visu-5g-applis-prometteusesAccélération de la transmission des données et temps de latence raccourcis : 10 à 100 fois plus rapide que la 4G. Mais comme le fait remarquer Xavier Lagrange dans l’article de The Conversation, « Il ne s’agit pas d’une rupture technologique majeure, mais plutôt d’améliorations […] la technologie repose sur les mêmes principes que la 4G, c’est la même forme d’onde qui sera utilisée, le même principe de transmission ».

« A-t-on besoin d’aller plus vite ? Pour certaines applications, dans certains champs professionnels, oui. Pour d’autres, … bien au contraire. » remarque Olivier Ertzschied dans son post d’Affordance.info

  • Baisse de la consommation d’énergie : « La 5G permet une meilleure gestion des faisceaux de communication avec deux avantages immédiats : une baisse de la consommation énergétique car la dispersion des ondes radio est limitée ; une amélioration de la qualité d’utilisation des ondes radio, puisque les interférences sont évitées » (Parti Pirate). Mais la baisse de la consommation énergétique peut mener à une augmentation des échanges de communications, donc à consommer plus … Comme le soutient Jean Soubiron, dans sa tribune sur Libération « Dans les faits, les technologies plus efficientes permettent à l’économie de produire davantage, entraînant inévitablement un accroissement des consommations de matières et d’énergie. » De plus, « L’utilisation de nouvelles fréquences ne peut, que conduire à la consommation électrique des opérateurs » (The Conversation).
  • Un réseau plus flexible : le réseau déployé sera configurable. A terme, il fera beaucoup plus appel à des technologies informatiques de virtualisation. « L’opérateur pourra faire démarrer des machines virtuelles pour, par exemple, s’adapter à une demande accrue d’utilisateurs dans certaines zones ou à certains moments et au contraire ; diminuer les capacités si peu de personnes sont présentes » (The Conversation).
  • Diminution des coûts : Plutôt pour les opérateurs que pour les consommateurs.
  • De nouvelles applications : Avec la 5G, on va connaître l’expansion de l’Internet des objets (IOT : Internet Of Things) avec la voiture autonome et la « ville connectée » (Smart city). Elle encouragera aussi le développement de la télé-médecine et l’automatisation de l’industrie « Pour les industriels, nous pouvons penser aux usines connectées et automatisées dans lesquelles un grand nombre de machines devront pouvoir communiquer entre elles et avec le réseau global ». Pour les consommateurs, l’augmentation de la vitesse du réseau permettra le téléchargement plus rapide de toutes sortes de fichiers (vidéos en direct ou en streaming, jeux vidéo, etc.).

Ces nouvelles fonctionnalités s’adressent en fait plus à l’industrie et aux services plus qu’au grand public. Là encore, Olivier Ertzschied, pose la question « Le déploiement de cet internet des objets est-il nécessaire et utile à la société et aux individus qui la composent ? » Si l’on considère par exemple le cas des voitures connectées, « si le risque est présent, ce n’est pas parce que les choses (programmes, algorithmes, capteurs) vont trop lentement, c’est justement parce qu’ils vont (déjà) trop vite dans leurs boucle de rétroaction […] un accident de la route impliquant une voiture autonome peut également advenir et n’être pas évitable ou évité, soit du fait de la vitesse de l’échange des informations et données nécessaires à la prise de décision, soit du fait de la décorrélation entre la vitesse  de prise de décision des véhicules ‘autonomes’ et celle des véhicules ‘non-autonomes ».

Les risques pour l’environnement et la santé images_ville

Depuis le début de l’année, des associations alertent les pouvoirs publics sur les risques de cette technologie pour la santé et l’environnement. Agir pour la santé et PRIARTEM ont déposé plusieurs recours devant le Conseil d’Etat visant à geler le déploiement de la 5G. Ces associations ont souligné les incertitudes qui accompagnent les émissions d’ondes et demandent l’application du principe de précaution. « On sait que ces ondes ont un impact sur notre cerveau, que des personnes manifestent des troubles d’électro-sensibilité » a déclaré Sophie Pelletier de PRIARTEM, cité par Pierre Manière dans La Tribune. A cela s’ajoutent des risques de cancérogénicité.

L’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) ne se prononce pas en raison du manque de données scientifiques sur les effets sur la santé de certaines fréquences d’ondes électromagnétiques utilisées pour la 5G. Cela concerne surtout la bande de fréquences de 3,5 GHz qui doit être attribuée aux opérateurs. L’ANSES a davantage de données sur les fréquences de 26 GHz, dites ‘millimétriques’ qui seront attribuées plus tard. C’est aussi ce que répondent les Décodeurs du Monde dans leur rubrique de questions sur la 5G. Aucun effet significatif des ondes sur la santé n’a été observé. Les antennes 5G, peu nombreuses au début, n’émettront leur signal que quand elles seront sollicitées par un terminal ; les antennes 4G le font en permanence …

Pour le spécialiste Olivier Merkel, il n’y a pas de « réponse tranchée » ; la source la plus préoccupante pour la santé est plutôt le téléphone portable en contact avec le corps. On n’a pas plus de résultats sur l’effet cancérigène : il n’y a pas de lien concret entre l’exposition aux ondes et un cancer. On constate un ADN endommagé sur certains animaux, mais on ne peut rien en déduire. Le rapport de l’ANSES sur la 5G est prévu pour début 2021.

Environnement et consommation numérique

 Comme on l’a vu plus haut, la 5G est beaucoup moins énergivore que la 4G, mais la facture énergétique dépendra beaucoup des usages qui ont tendance à se multiplier, c’est ce qu’on appelle l’’effet rebond’. « La hausse considérable de la demande de données pourrait contrebalancer les gains d’efficacité énergétique ».

La 5G va aussi entrainer un renouvellement des téléphones mobiles : déjà existante pour les précédentes technologies, l’’obsolescence programmée’ va encore s’imposer. Certains modèles vendus aujourd’hui sont déjà compatibles avec cette nouvelle norme !

Comme le constate le Parti Pirate dans son post « Le renouvellement du parc mobile nécessite effectivement une quantité importante de ressources, notamment de terres rares, et va nous contraindre à produire une certaine quantité de gaz à effet de serre. Ici encore, cela n’est pas inhérent à la 5G, mais plutôt aux choix politiques et économiques que nous faisons. ». Contre l’effet rebond qui permettra à l’utilisateur moyen, d’après Ericsson, de consommer 200 GO de données en 2025, contre 6,5 GO actuellement, Paul Camicas et Stephen Demange de La Tribune, prônent la ‘sobriété numérique’ « Le débat qui s’ouvre ne doit pas nous amener à repousser purement et simplement la 5G, mais plutôt à interroger notre rapport au numérique et à trouver les moyens d’optimiser la consommation de données, pour viser collectivement la sobriété numérique. ».

E-sécurité : espionnage et surveillance securite-informatique1

La 5G représente un saut vers l’hyperconnectivité et risque de poser un problème dans la récolte des données comme le fait remarquer Sébstien Soriano, Président de l’ARCEP. Il y a des risques d’espionnage par des entreprises étrangères, d’où les restrictions des opérateurs français vis-à-vis de Huawei. Bouygues Telecom a promis de démonter toutes les antennes du constructeur chinois installées dans les zones peuplées !

Mais, paradoxalement, les services secrets craignent que la 5G les empêchent d’espionner en toute sécurité ! Comme l’indique Emmanuel Paquette dans l’Express « Dans la plus grande discrétion, les agents secrets ont fait part de leurs craintes auprès de certains élus : ils redoutent en effet qu’elle rende inopérant un matériel de surveillance indispensable, appelé Imsi-catcher. ». Ils ne pourraient plus ainsi géolocaliser et capter les informations circulant sur le réseau …

Mais comme le fait remarquer Stéphane Bortzmeyer dans son post « beaucoup d’arguments entendus contre la 5G n’ont en fait rien de spécifique à la 5G : les risques pour la vie privée ne changent pas […] les caméras de surveillance existent déjà sans avoir besoin de la 5G, les objets connectés qui envoient massivement à leur fabricant des données personnelles sur les utilisateurs, existent également depuis un certain temps, la 5G ne va pas les multiplier. […] Mais peut-être un changement quantitatif (performances supérieures, même si elles ne le seront pas autant que ce que raconte le marketing) va-t-il déclencher un changement qualitatif en rendant trivial et/ou facile ce qui était difficile avant ? Peut-être. »

C’est aussi ce que craint Olivier Ertzschied « Littéralement autant que métaphoriquement la 5G est une « accélération propre » qui provoquera nécessairement des contraintes et des déformations non pas seulement sur des objets techniques mais sur l’ensemble du corps social et l’organisation politique de nos communautés. ».

Bortzmeyer souligne aussi une implication importante de la 5G, qui n’a pratiquement pas été soulevée dans le débat : « le ‘network slicing’ qui permet d’offrir plusieurs réseaux virtuels sur un accès physique. […] Ses conséquences peuvent être sérieuses, notamment parce qu’il peut faciliter des violations de la neutralité de l’Internet, avec une offre de base, vraiment minimale, et des offres « améliorées » mais plus chères. ». Donc, un internet à plusieurs vitesses …

La controverse sur le progrès : ‘Amish’ vs ‘Start-up nation’

Les enchères de la 5G ont provoqué une polémique où l’on a vu les tenants du ‘progrès’, avec à leur tête le Président de la République, s’opposer aux défenseurs de l’environnement et des libertés publiques !

Devons-nous soutenir toute nouvelle technologie, quel qu’en soit le prix comme le dénonce Bruno Latour dans sa tribune au Monde ? « Le train du progrès a-t-il des aiguillages ? Apparemment, pour notre président, il s’agit d’une voie unique. Si vous n’allez pas tout droit, vous ne pouvez que « revenir en arrière », ce qui veut dire « régresser », et, comme il l’a récemment affirmé, s’éclairer à « la lampe à huile » [il réagissait à la demande de moratoire sur le déploiement de la 5G de 70 élus de gauche et écologistes]. Que cet argument soit encore considéré comme imparable, au moment même où le monde brûle parce que le « train du progrès » nous a menés au désastre, a quelque chose de désespérant. ».

C’est aussi ce qu’exprime l’architecte Jean Soubiron dans Libération en dénonçant le ‘solutionnisme’ du gouvernement : « D’un côté, le gouvernement voit en cette «innovation» la promesse d’une gouvernance plus efficace de nos flux de matières quand, de l’autre, il n’a pas jugé utile de mesurer le risque que font peser ces nouvelles technologies sur nos ressources et nos écosystèmes ».

Alors que pour certains, « La 5G est la clé de l’industrie 4.0 » et permettra de sortir de la crise comme le préconise John Harris dans sa tribune de Forbes France « Aussi nombreux que variés, ils bénéficieront à un vaste éventail de secteurs. L’usine intelligente et la production constituent deux gagnants évidents de la nette amélioration de l’automation et des efficacités due à la connectivité de l’IoT. […] Tout laisse à penser que le déploiement de réseaux 5G à travers l’Europe présage de formidables opportunités pour le monde professionnel. ».

Mais les positions ne sont pas toutes aussi tranchées, à commencer par celle de Sébastien Soriano, président de l’ARCEP, qui précise dans son interview dans Reporterre « Mais une chose est sûre, et c’est une ambition que nous partageons avec beaucoup de critiques de la 5G, pour nous prémunir de tous les méfaits que la technologie peut convoquer, nous devons en reprendre le contrôle. Non pas à travers un retour de balancier qui rendrait aux États la supervision des communications. Mais par un contrôle citoyen ».

Ce contrôle citoyen passe aussi par un débat qui représente un des enjeux du moratoire réclamé par les élus de gauche et EELV. Comme le rappelle Philippe Escande dans le Monde  « Il est au contraire légitime de s’interroger sur l’impact économique, écologique et sécuritaire de la 5G. Dans un contexte de défiance grandissante des citoyens envers les institutions scientifiques et politiques, il est inimaginable de pouvoir faire l’impasse sur ce débat. Le degré d’acceptation de la technologie, le contrôle de ses applications et l’efficacité de son utilisation en dépendent. ».

Un débat, c’est ce réclame aussi le Parti Pirate, tout en avançant des propositions concrètes pour répondre aussi bien à l’obsolescence programmée qu’à la multiplication et à l’accélération des usages « Ce que nous devons craindre, c’est notre société qui nous pousse à consommer toujours plus, toujours plus d’objets connectés, toujours plus de gadgets à la mode, toujours plus de tout. […] Autrement dit, ces débats sont légitimes en tant que tels, et ce n’est qu’en les considérant en tant que tels que nous serons en mesure d’y répondre, plutôt qu’en nous opposant, par principe, à la 5G. ».

La conclusion d’Olivier Ertzschied va dans le même sens « Déployons la 5G si nous sommes capables d’organiser ce déploiement en contrepoint d’une réorganisation massive de notre rapport à la vitesse, à la latence, et à la connectivité. Déployons si nous sommes capables de ralentir quand il n’est pas nécessaire d’accélérer autrement que par la potentialité qui rend l’accélération possible. […] Déployons la 5G si nous sommes capables à tout moment d’en limiter à la fois l’échelle, le cadre et l’envie.

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Maurice, Stéphanie. – Martine Aubry contre la 5G : conviction politique ou « greenwashing » anti-Macron ? – Libération, 11/10/20

Landeau-Barreau, Pauline. – 5G : la mairie de Paris veut consulter les citoyens avant le déploiement. – CNews, 05/10/20 MAJ 11/10

Usul ; Lietchi, Rémi. – 5G : un débit en débat. – Médiapart, 05/10/20

Paquette, Emmanuel. – Les espions aussi s’inquiètent de la 5G. – L’Express, 04/10/20

Pétillon, Catherine. – 5G : des émissions pour comprendre ce qui fait débat. – France Culture, 04/10/20

Fagot, Vincent. – Enchères 5G en France : l’Etat récolte récolte près de 3 milliards d’euros. – Le Monde, 02/10/20

5G : définition, fonctionnement, usages et déploiement du réseau en France, tout ce qu’il faut savoir. – CNET France, 02/10/20

Morozov, Evgeny. – Bataille géopolitique autour de la 5G. – Le Monde diplomatique, Octobre 2020

Questions-réponses : Six questions sur le lancement de la 5G. – Vie publique, 01/10/20

La question de la 5G mérite-t-elle autant de passions ? - Blog Stéphane Bortzmeyer, 01/10/20

Millon, Louise. – La Chine dépasse les 100 millions d’abonnés 5G … et la technologie consomme beaucoup. – Presse-citron, 01/10/20

Escande, Philippe. – 5G : un débat qui reste à mener. – Le Monde, MAJ 30/09/20

Equy, Laure ; Belaïch, Charlotte. – Le progrès, casse-tête de la gauche. – Libération, 28/09/20

Foucart, Stéphane. – Débat sur la 5G : « Des Amish aux Shadoks ». – Le Monde, MAJ 27/09/20

Souviron, Jean. – 5G : Sortir d’un débat caricatural entre technophobes et technophiles. – Libération, 26/09/20

La 5G, qu’est-ce que c’est ? Comment ça marche ? – The Conversation, 25/09/20

Damgé, Mathilde. – Sur la 5G, ce qui est vrai, ce qui est faux et ce que l’on ne sait pas encore. – Le Monde, 24/09/20

Latour, Bruno. - « Si le déconfinement a eu un effet, c’est de nous déconfiner de cette idée d’une voie unique vers le progrès ». – Le Monde, 24/09/20

Tesquet, Olivier. – Avec la 5G, la France au bord de l’excès de vitesse. – Télérama, 22/09/20

Tableaux de bord des expérimentations 5G en France. – ARCEP, 22/09/20

Charles, Frédéric. – 5G en France : obstacle à mi-chemin. – ZDNet, 22/09/20

Ertzscheid, Olivier. – La 5 (re)G : nous sommes tous des enfants connectés. – Affordance.info, 21/09/20

5G : Elevons le débat. – Parti pirate, 21/09/20

Téléphonie mobile : 70 élus de gauche demandent un moratoire sur la 5G. – Le Parisien, 13/09/20

Camicas, Paul ; Demange, Stephen. – 5G, l’arbre qui cache la forêt. – La Tribune, 18/08/20

Popovski, Petar ; Björnson, Emil ; Boccardi, Federico. – Communication technology through the new decade. – IEEE ComSoc Young Professionals, 18/08/20

Soriano, Sébastien (Arcep). – « Favorables à la 5G, nous souhaitons tout de même un contrôle citoyen ». – Reporterre, 12/06/20

Harris, John. – La 5G sera-t-elle la clé de l’industrie 4.0 ? - Forbes France, 13/03/20

Après le confinement, quel avenir pour le télétravail ?

cd580e_d6dfa6cd9d734264ad77a1151bb30499~mv2Pendant le confinement dû à la pandémie de coronavirus, un grand nombre de salariés et de travailleurs indépendants ont été obligés de travailler à distance, en général depuis leur domicile. Fin avril, la Ministre du travail avançait le chiffre de 5 millions de télétravailleurs depuis la mi-mars, soit près d’un quart des salariés français. La plupart avaient peu ou pas d’expérience de ce mode de travail, comme les enseignants du primaire ou les employés peu qualifiés. Sans oublier que pour beaucoup, leurs enfants étaient aussi confinés à la maison et qu’ils devaient partager avec eux les lieux et les outils (ordinateurs, connexion) nécessaires à leurs activités et souvent les aider dans leurs apprentissages ! (voir Prospectibles sur l’enseignement à distance).

Comment se dessineront le marché et l’organisation du travail après le confinement ? Quel part y occupera le télétravail ?

L’engouement pour le télétravail

D’après Wikipedia « Le télétravail est une activité professionnelle effectuée en tout ou partie à distance du lieu où le résultat du travail est attendu. Il s’oppose au travail sur site, à savoir le travail effectué dans les locaux de son employeur. Le télétravail peut s’effectuer depuis le domicile, un télécentre, un bureau satellite ou de manière nomade ».

Paradoxalement, cette activité à domicile, que certains avaient découvert pendant les grèves des transports de décembre 2019 et janvier 2020, a été plébicitée par 62% des Français si l’on en croit le sondage de l’étude Deskeo d’avril 2020. Bien sûr, l’élimination du temps de trajet domicile-travail y est pour beaucoup. C’est plutôt surprenant, car si le développement du travail à distance est évoqué depuis près de 20 ans, cette pratique a concerné très peu de personnes depuis en France. Selon une publication de la Dares, citée par Christophe Bys dans l’Usine Nouvelle, seuls 3% des salariés le pratiquent régulièrement, au moins une fois par semaine

Thierry Pech, directeur du think tank Terra Nova, interviewé par Philippe Minard dans la Dépêche, décrit ainsi la typologie des télétravailleurs « Ce sont plutôt des cadres, des professions intellectuelles supérieures (ingénieurs, professeurs etc.) qui vivent dans des métropoles et singulièrement en Ile-de-France. Ils travaillent majoritairement dans des grandes entreprises. Déjà avant la crise, la sociologie des télétravailleurs correspondait à des formations et des revenus plus élevés que la moyenne. ». On comprend que ces salariés ont de meilleures conditions à leur domicile qui leur facilitent leur activité à distance. De plus, ce sont en général des personnes plus autonomes qui organisent eux-mêmes leur travail. Ceux qui le pratiquaient avant le confinement n’y consacraient en général que 20% de leur temps de travail : une journée, deux jours au maximum par semaine … teletravail-sieste-travail-a-domicile-repos

En revanche, d’autres ont ressenti beaucoup plus de pénibilité. Ils concernent à 18%, des emplois moins qualifiés. Parmi les insatisfaits, on trouve des femmes de moins de 50 ans, chargées de famille, avec des enfants de moins de 12 ans et des ‘novices’, mal préparés et moins bien équipés. Comme le rapporte Amandine Caillol dans Libération, citant une personne répondant à l’enquête ‘Montravailadistancejenparle’ : « le télétravail ‘concon’ (confiné, contraint) est-il vraiment du télétravail ?». Dans ce cas le télétravail a été imposé à des salariés pas toujours habitués, formés ou volontaires pour ce type d’activité. Ils en ressentent plutôt les effets négatifs. Alors que le télétravail représente un gain de temps, la liberté d’organisation pour les uns, c’est l’isolement, l’empiètement sur la vie de famille pour les autres …

La sociologue Danièle Linhart analyse ces aspects négatif dans son interview dans Libération. « L’isolement des salariés en télétravail peut favoriser un climat anxiogène et nuire à la créativité stimulée par le collectif ». Avant la pandémie, les managers voulaient que les salariés soient ‘heureux au travail’ avec la création de ‘Chief Happiness officers’, mais aussi avec des contraintes et des contrôles à travers des ‘process’, des normes et des protocoles. Avec la personnalisation des objectifs des salariés, on a voulu invisibiliser les liens de subordination. Pendant la crise sanitaire, on a dit aux travailleurs de rester chez eux pour protéger leur santé, mais en même temps, on a développé la surveillance en ligne et la traçabilité numérique.

Le travail est déconnecté de sa finalité sociale : l’activité atomisée ne fait pas partie d’un tout. On a beaucoup évoqué l’autonomie du salarié en télétravail, mais pour le salarié non-cadre, le mécanisme du contrôle perdure. Il a du mal à influer sur une décision, c’est plus difficile pour lui de peser collectivement à distance.

C’est aussi ce que constate Christophe Degryse, chercheur à l’Institut syndical européen, dans sa tribune au Monde en soulignant les effets pernicieux et les conséquences sociales de la prétendue ‘libération des contraintes du télétravail. « En s’installant dans la durée, les nouvelles pratiques de télétravail commencent à révéler quelques signes d’un impact social plus profond que celui attribué à un déplacement du lieu de fourniture du travail. ». C’est le bien-être au travail qui est remis en cause. L’enquête britannique IES Working at Home Wellbeing d’avril 2020 recense une augmentation des douleurs musculo-squelettiques, une activité physique en baisse, des horaires de travails trop longs et irréguliers, mais surtout un manque d’interactions sociales, un déséquilibre entre vie professionnelle  et vie privée, un sentiment d’isolement. « Comme le note Neil Greenberg, spécialiste de la santé mentale au travail, les gens commencent à se demander s’ils travaillent à la maison ou s’ils dorment au bureau. ». photo-teletravail-e1489502939462-654x327

La souffrance au travail apparaît aussi dans l’article d’Anne Rodier dans Le Monde : « Pour beaucoup de salariés, le télétravail est devenu synonyme de tensions, de stress, de burn-out. Au bout de deux mois, il y a déjà un phénomène d’usure. » qui cite Eric Goata, directeur général du cabinet Eléas, spécialisé dans la prévention des risque psycho-sociaux : « Les salariés parlent d’abandon, de solitude, de surcharge cognitive liée au trop grand nombre d’informations à traiter, de surcharge de travail, d’un sentiment d’être surveillé à l’excès par les managers, des difficultés à coopérer avec les collègues et de l’impossibilité de concilier vie privée-vie professionnelle ».

Inégalités entre travailleurs : repenser l’organisation du travail

On l’a vu pendant le confinement, il y avait ceux qui pouvaient se mettre en télétravail et ceux qui ne le pouvaient pas. Un certain nombre de personnes ont continué de travailler sur site à leur poste de travail ou ont été mis en chômage partiel ou total : les soignants et les emplois essentiels, bien sûr, mais aussi d’autres professions. Comme le souligne Thierry Pech, « ll y a certainement une France qui rêve de télétravailler mais qui n’a pas accès à cette organisation. Dans notre échantillon, il y a peu d’ouvriers et d’employés et peu de petite classe moyenne. » C’est aussi ce qu’affirme François-Xavier de Vaujany, professeur de management dans sa tribune au Monde : « il ne faut pas oublier que plus de 90 % des travailleurs français sont des salariés (de plus en plus souvent en CDD) » A terme, ces catégories professionnelles pourraient y être inclues : la saisie de commandes, par exemple, pourrait aussi bien se faire à domicile.

Mais entre-temps, le confinement aurait mis 1,1 million de Français au chômage, comme le signale Maxime Vaudano dans Le Monde. Même s’il s’agit essentiellement de ‘reclassement’ de précaires en activité réduite, on constate néanmoins très peu de retour à l’emploi … Et  selon Cyprien Batut cité par Lomig Guillo dans Capital, 10% des emplois qualifiés pourraient être délocalisés ! Cela concernerait surtout des hommes et des jeunes : paradoxalement, ce sont les professions les plus intellectuelles qui sont menacées ! La Commission européenne prévoit néanmoins un taux de chômage supérieur à 10% pour la France pour fin 2020 …

teletravail_1Cela implique de repenser toute l’organisation du travail. La disparition du temps de transport domicile-travail représente un triple bénéfice écologique et économique, pour le salarié bien sûr, mais surtout pour l’entreprise et les collectivités locales. La perte de productivité du travail à distance n’a pas dépassé les 1% pendant le confinement. La généralisation du télétravail permettrait de désencombrer les villes et les entreprises auraient besoin de moins d’espaces de bureaux. PSA a déjà prévu que ses salariés du tertiaire, les commerciaux et la recherche-développement ne passeraient qu’une journée et demie par semaine sur le site.

Garder pratiquement la même productivité en travail à distance ? Pas si sûr, car sans contacts humains les relations manager-collaborateurs se dégradent. Le télétravail devrait pouvoir accélérer la mutation entre le management hiérarchique, vertical et contrôleur vers un management plus mature. Pendant le confinement, ce n’était pas vraiment du télétravail, plutôt une poursuite de l’activité à distance. Il n’y a pas eu de projets organisés et pilotés. La recherche sur le télétravail indique que l’on peut travailler deux ou trois jours au maximum à distance pour éviter l’isolement et maintenir la cohésion au sein des équipes. index-teletrPC

Le management à distance exige des compétences spécifiques. On ne peut pas reproduire à distance la même organisation qu’à proximité, le même nombre de réunions, les mêmes lignes de reporting… Comme le soulignent les deux managers Gauthier Franceus et Nicolas Saydé dans Le Monde, « le confinement est un excellent baromètre pour évaluer la manière dont circule l’information dans les équipes. Comment trouver un équilibre entre une surabondance d’informations pas toujours utiles et un manque de communication qui empêche l’équipe d’avancer ? ». Ils se posent aussi la question de la confiance dans le travail à distance « Pour certains managers, cela peut se traduire par un besoin de plus de contrôle […] D’autres managers en profitent au contraire pour lâcher prise, pour donner encore plus d’autonomie à leurs collaborateurs ».

Le rapport au temps et à l’espace de travail de même que les manières de travaille sont à repenser. Si la présence sur le lieu de travail est remise en question, c’est tout le référentiel de travail qui est à réinventer. Comme le rappelle Christophe Degryse, l’organisation industrielle du travail au 18e siècle emprunte les principes du théâtre classique : unité de lieu, de temps et d’action « Le travail humain se « fixe » dans un lieu précis (l’atelier, plus tard l’usine, les bureaux), pour une durée déterminée (la journée de travail), dans le cadre d’une unité d’action (les travailleurs sont collectivement impliqués dans un seul processus de production). ». Ces trois unités vont structurer le modèle social des pays industrialisés : amélioration des lieux de travail (santé, sécurité), encadrement du temps de travail, développement d’un esprit collectif (culture d’entreprise, négociations collectives).

C’est toute cette construction qui pourrait être remise en jeu « Avec le travail à distance s’érodent le lieu et les horaires de travail, les interactions sociales, voire l’esprit collectif. Les conséquences en seraient que toutes les protections liées à ces unités s’éroderaient elles aussi ». Il faut donc inventer de nouvelles unités structurantes pour un modèle social et numérique.

Mise en place de nouveaux « lieux de travail » virtuels où les télétravailleurs pourraient se réunir et partager leurs expériences ; des unités de temps compatibles avec la vie privée : droit à la déconnexion ; des unités d’action à réinventer : organisation du travail en équipe et organisation de la représentation collective …

Comme l’énonce Fanny Léderlin dans Libération, le télétravail devient « l’enfer sans les autres » ! « En évitant les ‘dérangements’ de la vie de bureau – les bavardages, les pauses café ou clope, les demandes de coup de main sur d’autres dossiers – le télétravail permettrait d’être plus performant ». […] « Libéré de toute entrave, le sujet performant n’écoute que lui-même ». Le télétravailleur s’expose ainsi, non pas à la tyrannie des managers, mais à la sienne propre !

C’est contre cette dérive que les syndicats s’élèvent sur France Inter « Le télétravail ne doit pas rester une zone de non-droit ». Pour la CGT les employeurs doivent prendre en charge les frais professionnels ; la CFDT, l’UNSA et la CFTC ont publié une liste de propositions communes : L’entreprise doit fournir les outils, respecter le droit à la déconnexion et 100% de télétravail n’est pas souhaitable. Le travail en équipe reste important pour éviter l’isolement pour FO. « Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, imagine, lui des espaces de coworking en bout de ligne RER. Le télétravail mérite en tout cas qu’on ouvre une discussion, en faisant attention, dit-il, à l’intérieur des entreprises, à ne pas opposer les cols bleus et les cols blancs. ». Même, Geoffroy Roux de Bézieux, le président du MEDEF, cité dans Le Parisien, estime que le télétravail ne devrait pas devenir la norme car « cette « solution » a  amené beaucoup de satisfaction pour certains salariés mais aussi des contraintes, des burn-outs, des problèmes de management au sein des entreprises ».

Une réflexion sur la mise en place du revenu universel s’impose aussi dans cette période de crise économique et sociale. L’Espagne l’a déjà adopté et l’idée progresse d’autres pays européens dont la France, comme l’indique France 24. Antoine Dulin, qui préside la Commission Insertion et jeunesse du Conseil économique social et environnemental (CESE) réclame par ailleurs l’extension du CSA aux moins de 25 ans « Les jeunes sont les outsiders du marché de l’emploi. Quand ce marché se contracte, ils en deviennent les variables d’ajustement. » interview par Laure Bretton dans Libération. securite-informatique1

Sécurité des outils et surveillance électronique

Comme pour l’enseignement à distance, la question de la sécurité des outils de communication se pose pour le télétravail.

Le service de visioconférence Zoom qui avait été critiqué pour ses failles de confidentialité et de sécurité a sorti une version chiffrée mais payante de son logiciel. Eric Yuan, Le PDG de cette société, cité dans Le Monde, justifie cette décision pour ne pas permettre à des criminels de passer à travers les mailles de la police … !

Philippine Kauffmann explique dans Libération « Depuis le confinement, de nombreuses entreprises ont fait installer à leurs salariés le logiciel américain Hubstaff, qui calcule leur «temps effectif» en enregistrant leurs mouvements de souris. Un exemple parmi d’autres du contrôle et des pressions subis par certains travailleurs à domicile. Une jeune analyste s’émeut du fait qu’elle n’ose plus lire un article ou aller sur twitter ; elle se demande si cette surveillance ne va pas continuer quand elle reprendra son travail au bureau … ». Gwendal Legrand, secrétaire adjoint de la CNIL reconnait dans une interview à Libération, « que les systèmes de ‘Keyloggers’ ces logiciels qui permettent d’enregistrer à distance toutes les actions accomplies sur un ordinateur sont en général hors limites ». Christophe Degryse le souligne aussi dans sa tribune « Si l’employeur accepte le travail à distance, c’est aussi parfois parce que les possibilités de contrôle de l’employé sont désormais infinies : surveillance non détectable de l’activité du clavier, de l’utilisation des applications, captures d’écran, activation de la webcam… La nouvelle normalité du télétravail, ici plutôt dystopique, peut aussi être celle d’un capitalisme de surveillance. »images-teletr

Serries, Guillaume. – Pour le Medef, le télétravail, ce n’est pas normal.ZDNet, 05/06/20

Dulin, Antoine ; Bretton, Laure. – Chômage « Pendant les crises, les jeunes sont les variables d’ajustement »: entretien. – Libération, 04/06/20

Kauffmann, Philippine. – Télétravaillez vous êtes fliqués. - Libération, 02/06/20

Bordet, Marie. – « Mon patron a piqué une gueulante et exigé le retour des salariés au bureau ». Le Point, 01/06/20

Cramer, Maria ; Zaveri, Mihir. – Working From Home Has Benefits Some Don’t Want to Lose. – The New York Times, 05/05/20 updated 31/05/20

Pech, Thierry ; Minard, Philippe. – « Le télétravail pointe la vétusté des relations professionnelles ». – La Dépêche, 30/05/20

Franceus, Gauthier ; Saydé, Nicolas. - Télétravail : les vices cachés de l’organisation. – Le Monde, 29/05/20

Degryse, Christophe. – « Les gens commencent à se demander s’ils travaillent à la maison ou s’ils dorment au bureau ». – Le Monde, 29/05/20

Jean, Aurélie ; Mouton, Robert. – « La numérisation professionnelle doit s’accompagner d’une régulation sociale ». - Le Monde, 29/05/20

Vaujany, François-Xavier de. – « Hommage au travail ‘ordinaire' ». – Le Monde, 29/05/20

Vaudano, Maxime. – Le confinement a-t-il vraiment mis 1,1 million de Français au chômage. – Le Monde, 29/05/20

Funes, Julia de. – « Le télétravail modifie notre rapport au travail. Il lui redonne sa juste place ». – FranceInfo (vidéo), 29/05/20

Lachaise, Alice. – Télétravail : mise en place, droits, obligations. – Juritravail, 25/05/20

Demas, Juliette. – Le télétravail à vie pourrait transformer Dublin. – Ouest-France, 24/05/20

Rodier, Anne. – « Je ne veux plus télétravailler », « Franchement, j’en ai ma dose » : les dégats du télétravail. – Le Monde, 23/05/20

Gérard, Aline. - Quand le télétravail bouscule les managers. – Ouest France, 23/05/20

Souffi, Emmanuelle. – L’économiste Gilbert Cette « L’essor du télétravail recèle des potentiels économiques énormes ». – Le Journal du Dimanche, 23/05/20

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Calignon, Guillaume de. – Sondage exclusif : les Français séduits par le télétravail. – Les Echos, 19/05/20

Chartier, Mathieu. – La Silicon Valley étudie la généralisation du télétravail pour le « monde d’après ». – Les numériques, 18/05/20

Caulier, Sophy. – Coronavirus : le télétravail met en danger la confidentialité des entreprises.Le Monde, 18/05/20

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Garric, Audrey ; Lemarrié, Alexandre. – Autonomie sanitaire, revenu universel, télétravail : les propositions citoyennes pour ‘le jour d’après’. – Le Monde, 13/05/20

Afshar, Vala. – Télétravail : la perte de productivité moyenne est de 1%. – ZDNet, 13/05/20

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Cailhol, Amandine. – Télétravail : le boulot compresseur. – Libération, 29/04/20

Linhart, Danièle ; Mouillard, Sylvain. – Télétravail : « L’activité se trouve déconnectée de sa finalité sociale » : entretien. – Libération, 29/04/20

Plantey, Yvan ; Pétillon, Catherine. – Avec le Covid-19, un « télétravail forcé et dégradé ». – France Culture Hashtag, 17/04/20

62% de Français voudront faire plus de télétravail après le confinement. – Deskeo, 14/04/20

Bergeron, Patrice. – Le télétravail génère du stress chez les employés de l’Etat. – La Presse (Québec), 31/03/20

Bys, Christophe. – Le 100% télétravail en période crise, une organisation qui nécessite des process. – L’Usine digitale, 19/03/20

Bouthier, Baptiste. - Le télétravail, un truc de cadres parisiens ?Libération, 11/12/19

 

La reconnaissance faciale : un pas biométrique vers la société de la surveillance ?

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Les dispositifs biométriques d’identification et de surveillance sont en train de s’imposer progressivement dans nos sociétés. La reconnaissance faciale, que l’on croyait réservée à des sociétés illibérales comme la Chine, s’invite de plus en plus dans nos pays, comme en Royaume-Uni, bien sûr, mais aussi en France. La CNIL vient de rendre un avis où elle s’oppose à la mise en œuvre de la reconnaissance faciale dans deux lycées de la région Sud (Nice et Marseille) où des tests avaient commencé en début d’année. Ces dispositifs s’avèrent illégaux au regard du droit européen sur les données personnelles. D’autres expérimentations sont en cours, que ce soit au niveau privé, local ou public, comme l’application d’authentification en ligne Alicem.

Alicem : l’authentification certifiée par reconnaissance faciale

La France va être le premier pays européen  à mettre en œuvre un outil d’authentification basé sur la reconnaissance faciale. Alicem (Authentification en ligne certifié sur mobile) en test depuis juin 2019, devrait être opérationnelle dès le mois de novembre. Cette application pour smartphone, développée par le ministère de l’intérieur et l’Agence nationale des titres sécurisés doit permettre d’accéder à plus de 500 services publics en ligne (via France Connect) de façon sécurisée en s’identifiant grâce à une technologie de reconnaissance faciale. Pour atteindre le niveau ‘élevé’ de l’identification électronique de eIDAS (règlement européen), Alicem va se baser sur les informations contenues dans la puce électronique d’un titre biométrique (passeport ou titre de séjour). Lors de la création du compte, Alicem vérifie par reconnaissance faciale que la personne qui utilise le smartphone est bien le détenteur du titre. » C’est un moyen de lutter contre l’usurpation d’identité. ». L’administration désire créer ainsi « une identité numérique régalienne sécurisée ». Alicem-la-premiere-solution-d-identite-numerique-regalienne-securisee_largeur_760-1

Malgré les assurances données par l’administration sur le respect des données personnelles (les informations restent sur l’appareil de l’utilisateur, elles ne sont partagées que par les services en ligne), le RGPD (Règlement général sur la protection des données) UE exige le consentement de la personne pour l’utilisation de données biométriques : la CNIL reproche donc au ministère de l’intérieur de ne pas recourir à des ‘dispositifs alternatifs de vérification ». La Quadrature du Net a aussi déposé un recours contre le décret de création d’Alicem devant le Conseil d’Etat. Pour l’association, » Alicem viole le RGPD car il ne peut exister de consentement libre si l’administré n’a pas d’autre choix que d’utiliser la biométrie pour accéder aux services en ligne ».

Alors que des chercheurs et des juristes comme Felix Tréguier et Martin Drago s’inquiètent dans une tribune au Monde de la  ‘banalisation’ de cette technologie, l’authentification biométrique aurait pour conséquence « un contrôle permanent et généralisé » au nom du ‘solutionnisme technologique », les députés Didier Bachère (LREM) et Stéphane Séjourné (Renew Europe), appellent eux à un ‘usage éthique’ de cette technologie. « Entre rejet en bloc de la reconnaissance faciale et usage débridé, il y a un chemin à définir dont la responsabilité incombe à la puissance publique ». Après avoir reconnu l’existence de biais dans cette « technologie qui n’est pas entièrement fiable sur le plan technique, son efficacité diffère selon les conditions d’utilisation mais également selon les populations (sexes, ethnies) », les élus appellent à une consultation citoyenne et à la création d’un comité d’éthique sur la question.  Ils reconnaissent néanmoins « les opportunités commerciales multiples de cette technologie et le fait que les utilisateurs de smartphones récents en font déjà usage » … Les opportunités commerciales retiennent aussi l’attention de F.Tréguier et M. Drago comme ils l’expriment  dans leur article : « permettre à des industriel comme Thales ou Idemia [entreprise de sécurité numérique] de se positionner face à la concurrence chinoise, américaine ou israélienne ». « Depuis des années, des entreprises développent ou testent ces technologies grâce à l’accompagnement de L’État et l’argent du contribuable ». Et si le Secrétaire D’État au numérique Cédric O, propose de créer une instance de supervision en coordination avec la CNIL sur la reconnaissance faciale, il reconnaît aussi que « Expérimenter est nécessaire pour que nos industriels progressent ».

Le CREOGN (Centre de recherche de l’Ecole des officiers de la gendarmerie nationale) a une position assez semblable : dans une note de septembre 2019, le Colonel Dominique Schoener examine « l’enjeu de l’’acceptabilité’ de la reconnaissance faciale et des contrôles préventifs sur la voie publique ». Il reconnaît que si cette technologie est banalisée dans ses usages commerciaux, la population française n’est pas prête à en accepter l’exploitation par les forces de l’ordre dans n’importe quelles conditions. « Traumatisée par le régime de Vichy et son système d’enregistrement de l’identité, la société française conserve dans son ADN collectif des marqueurs de rejet du fichage étatique ». Comme la reconnaissance faciale ne peut pas être ‘désinventée’, il préconise « le consentement préalable du citoyen, et pas seulement son information, comme préalable à son usage légitime et légal sur la voie publique ». Pour cela, une technologie fiable et sûre doit pouvoir s’appuyer sur un cadre juridique consolidé avec un contrôle éthique et scientifique. Mais » la peur ou le principe de précaution ne doivent pas empêcher l’expérimentation qui seule permet de se rendre compte des biais et des apports d’une innovation ». Et d’évoquer la dernière expérimentation de la société chinoise Watrix : un logiciel de reconnaissance de la démarche, permettant d’identifier une personne de dos ou dissimulant son visage … reconnaissance-faciale

Or, c’est contre la privatisation de la sécurité que Mireille Delmas-Marty s’insurge dans une tribune au Monde contre la ‘société de vigilance’ appelée de ses vœux par le Président de la République. « Au motif de combattre le terrorisme, le gouvernement risque de donner un coup d’accélérateur au glissement de l’Etat de droit à l’Etat de surveillance ». Dans son article, la juriste évoque ses craintes de « l’extension de la répression à la prévention, puis à une prédiction de plus en plus précoce. » Ce programme appellerait une autre dérive, « la privatisation de l’ordre public », « le glissement de l’Etat de surveillance à la surveillance sans Etat. ». Des entreprises comme Thales sont effet associées à des mairies (Nice) pour exploiter les ‘signaux faibles » à partir de données personnelles au sein d’un « centre d’hypervision et de commandement ».

Cet état de « vigilance sous surveillance » alerte aussi Simon Blin dans Libération. Car « cultiver, comme principe de société, la vigilance pour tout un chacun et à tout moment, c’est le contraire du sentiment de sécurité ». Citant la philosophe et psychanalyste Hélène Lhuilliet « Plus fort encore que la surveillance, la vigilance est une sensation de danger presqu’artificielle ». La vigilance ne s’inscrit pas dans la continuité, elle est un état précaire. « Il y a dans l’idée de ‘société de vigilance’, celle d’une justice prédictive. Or il est impossible de tout prévoir ». Quant à la question des repérages de ‘signaux faibles’ (par ex. dans les cas de radicalisation), autant « elle est légitime dans les institutions chargées de la sécurité publique (police, armée, prison), elle n’a pas grand sens dès lors qu’on l’élargit à l’ensemble de la société ». Le risque est de créer une « armée de faux positifs » sur la base du ressentiment personnel ou de l’interprétation de chacun du concept de laïcité, comme l’évoque le sociologue Gérald Bronner.

De nombreuses autres utilisations et expérimentations de la reconnaissance faciale sont en cours en France, comme l’explique Martin Untersinger dans son article du Monde : à Nice sur la voie publique, aux Aéroports de Paris, Valérie Pecresse voudrait aussi l’expérimenter dans les transports d’Ile de France. Air France compte bientôt remplacer les cartes d’embarquement par un dispositif de reconnaissance faciale. Sans oublier les fichiers de police pour retrouver un suspect à partir d’une photo ou des caméras de surveillance …

Bilans mitigés

chappatte_surveillance_internetMais si en France, on en est encore dans l’enthousiasme de l’expérimentation, dans d’autres pays les bilans sont plutôt négatifs. Aux Etats-Unis, L’État de Californie, San Francisco et plusieurs villes ont interdit la reconnaissance faciale et à New York, la police a triché avec cette technologie pour arrêter des suspects … Et le candidat Bernie Sanders promet l’interdiction de cette technologie sur tout le territoire. En Angleterre une expérience de vidéosurveillance « intelligente » lors du carnaval de Notting Hill à Londres en 2017 a abouti à 35 cas de ‘faux positifs’ et à l’arrestation d’un innocent !

Aux États-Unis le groupe de chercheurs AINow, comprenant des employés de Google et de Microsoft appellent dans leur rapport 2018 à la réglementation de la technologie « oppressive » de reconnaissance faciale. Ce groupe de recherche de la New York University a pour objectif de surveiller l’application sure de cette technologie. « La reconnaissance faciale et la reconnaissance des émotions (comme la détection des traits de personnalité) nécessite une réglementation très stricte pour protéger l’intérêt public ». Malheureusement, les GAFAM ne sont pas de cet avis : Amazon avait la possibilité de refuser de vendre sa technologie de reconnaissance faciale aux autorités policières et gouvernementales, mais ses actionnaires ont rejeté cette proposition. Quant à Google, Bloomberg News relate que des employés de la compagnie l’accusent de les espionner à travers une extension du navigateur Chrome utilisé au sein de l’intranet de l’entreprise. L’outil signalerait automatiquement tout évènement programmé dans l’agenda qui concernerait plus de 10 bureaux ou 100 employés, d’après le rapport des salariés. La société se défend en invoquant un souci de limiter le spam dans les agendas, et soutient ne pas recueillir de données personnelles des employés. Cet épisode traduit les tensions existant dans la multinationale depuis que certains salariés veulent implanter un syndicat dans la société. 1536505721

Au Royaume Uni, le thinktank Doteveryone vient de publier un rapport sur la question de la reconnaissance faciale, cité par Hubert Guillaud dans InternetActu. Il demande au Conseil consultatif de la biométrie britannique d’organiser un débat public sur le sujet et exige « une interdiction tant que les individus exposés à cette technologie n’ont pas la capacité à ne pas être soumis à ces techniques et tant que les conditions de réparations n’ont pas été décidées ».

Sommes-nous parvenus au « capitalisme de surveillance », la dystopie cauchemardesque décrite dans l’ouvrage de l’universitaire américaine Shoshana Zuboff, analysé dans l’article de Frédéric Joignot ? Pour la psychologue sociale, « les GAFAM veulent notre âme, nous avons signé avec eux un contrat faustien ». Ces entreprises « ne se contentent pas de collecter des données d’usages et de services, elles intègrent dans les pages en réseaux et les machines intelligentes des dispositifs d’espionnage invisible. Ils repèrent ainsi, grâce aux algorithmes, nos habitudes les plus intimes. Ils reconnaissent nos voix et nos visages, décryptent nos émotions et étudient leur diffusion grâce à l’’affecting computing’ afin de capter la « totalité de l’expérience humaine comme matière première gratuite ». Pour Evgeni Morozov, S. Zuboff insiste trop sur la surveillance et pas assez sur le capitalisme : « En considérant le capitalisme de surveillance comme notre nouveau Léviathan invisible, elle rate la manière dont le pouvoir fonctionne depuis plusieurs siècles : le Léviathan invisible est avec nous depuis longtemps. ». Mais la chercheuse ne perd pas espoir : si elle applaudit au RGPD et défend les moteurs de recherche cryptés comme Tor, la résistance viendra des usagers et travailleurs du numérique qui feront comme les classes pauvres du 19e siècle qui se sont organisés en syndicats et association pour combattre le capitalisme industriel pour imposer des lois sociales et exiger un système démocratique et représentatif. Verrons-nous un jour cette révolution 3.0 ?

Untersinger, Martin. – Marseille, Nice, Saint-Etienne : les semonces de la CNIL face à de nouveaux projets sécuritaires. – Le Monde, 29/10/19

Lycées Nice Marseille : première victoire contre la reconnaissance faciale.La Quadrature du Net, 28/10/19

Tréguier, Félix ; Drago, Martin. – La reconnaissance faciale s’avère inéfficace pour enrayer la violence. – Le Monde, 24/10/19

Bachère, Didier ; Séjourné, Stéphane. – Pour une reconnaissance faciale éthique.  – Le Monde, 24/10/19

Delmas-Marty, Mireille. – La ‘société de la vigilance’ risque de faire oublier la devise républicaine. – Le Monde, 24/10/19

Gallagher, Ryan. – Google accused of creating spy tool to squelch worker dissent. – Bloomberg News, 24/10/19

Blin, Simon. – La ‘vigilance sous surveillance. – Libération, 22/10/19

Untersinger, Martin. - La reconnaissance faciale progresse, sous la pression des industriels et des forces de l’ordre. – Le Monde, 14/10/19

O, Cédric ; Untersinger, Martin. – « Expérimenter la reconnaissance faciale est nécessaire pour que nos industriels progressent : entretien. – Le Monde, 14/10/19

Ministère de l’intérieur. – Alicem, la première solution d’identité numérique régalienne sécurisée. – L’actu du ministère – Interieur.gouv.fr, 30/07/19

Schoenner, Dominique. – Reconnaissance faciale et contrôles préventifs sur la voie publique : l’enjeu de l’acceptabilité. – Notes du CREOGN, septembre 2019

Joignot, Frédéric. – La surveillance, stade suprême du capitalisme. – Le Monde, 14/06/10

Ohrvik-Scott, Jacob ; Miller, Catherine. – Responsible facial recognition technologies. – Doteveryone perspective, June 2019

Cimino, Valentin. – Les actionnaires d’Amazon décident de ne pas limiter la reconnaissance faciale. – Siècle digital, 26/05/19

Guillaud, Hubert. – La généralisation de la reconnaissance faciale est-elle inévitable ? – InternetActu.net, 13/03/19

AINow report 2018 – AINow Institute – New York University, Dec. 2018

 

Entre l’automatisation du travail et la fin annoncée du salariat, les mutations de l’emploi

L’automatisation, l’intelligence artificielle et la mondialisation sont en train de transformer rapidement  la structure du travail et de l’emploi. Depuis les années 1980, on assiste à la fin du plein emploi et l’ascenseur social est en panne. Face à la disparition prochaine d’un grand nombre d’emplois dans l’industrie et les services, l’anxiété des classes populaires se traduit par une défiance vis-à-vis de la classe politique et l’inquiétude de ne plus pouvoir conserver dignement leur train de vie.applications

L’économie des plateformes (la’gig economy’) qui substitue progressivement le statut d’auto-entrepreneur à celui de salarié commence à être remise en question en France et ailleurs dans le monde. L' »Amendement Taché » et l’arrêt « Take it Easy » ont mis un coup de frein à l’ubérisation en instaurant des chartes de régulation pour ces systèmes et en requalifiant des travailleurs indépendants en salariés. Ce sujet a déjà été traité dans Prospectibles.

Certains trouvent de nouvelles formes de revenus dans les ‘microtâches’ que les plateformes proposent pour alimenter les algorithmes des systèmes d’intelligence artificielles. Ces « ouvriers du clic » n’ont aucune reconnaissance officielle et bouclent leurs fins de mois pour quelques centaines d’euros sans aucune protection sociale.

Si, comme le constate Hubert Guillaud dans son post « Fuck Work ! … Et puis ?», « la rémunération devient (presque) inversement proportionnelle à l’utilité sociale » ou que « le capital soit depuis longtemps infiniment plus rémunérateur que le travail, force est de constater que le lien entre travail et revenu est de plus en plus ténu» . LMS3

La polarisation des emplois

D’après le dernier rapport de l’OCDE, 50% des emplois pourraient disparaître (14%) ou être radicalement transformés (32%) du fait de l’automatisation d’ici 15 ou 20 ans. Stefano Scarpetta, responsable de l’emploi à l’OCDE enjoint les gouvernements à agir rapidement contre les effets de cette mutation au risque d’affronter d’importantes dégradations dans les relations économiques et sociales. « Le rythme de ce changement s’annonce époustouflant : les filets de sécurité et les systèmes de formations, construits depuis des décennies pour protéger les travailleurs ont du mal à résister aux grandes tendances qui changent la nature du travail. Alors que quelques uns bénéficieront de l’ouverture des nouvelles technologies aux nouveaux marchés, d’autres travailleurs, peu qualifiés, subiront les conséquences de la ‘gig economy’ (ubérisation). « De profonds et rapides changements structurels apparaissent à l’horizon, apportant avec eux de nouvelles opportunités, mais aussi une plus grande incertitude pour ceux qui ne sont pas équipés pour s’en saisir ».  L’organisation souligne l’écrasement des classes moyennes, les pertes d’emplois en raison des avancées technologiques et l’extension du mécontentement dans les pays riches. Ces changements vont toucher certains travailleurs plus que d’autres, particulièrement les jeunes sans formations et les femmes, souvent sous-payées et sous-employées.  Bruno Palier arrive aux mêmes conclusions dans un article de Cogito, en soulignant la polarisation des emplois entraînée par l’automatisation et l’informatisation des activités. Cette polarisation se traduit, non seulement par des inégalités de revenus croissantes, mais elle débouche aussi sur une révolte politique des classes sociales intermédiaires ». On a longtemps cru que les nouvelles technologies n’affecteraient que les emplois les moins qualifiés, or depuis quelques années, ce sont les emplois intermédiaires qui disparaissent du fait de l’automatisation, et ce, aussi bien dans l’industrie que dans les services (automates bancaires, caisses automatiques dans les supermarchés). Dans le même temps des emplois très faiblement rémunérés et précaires se développent dans les secteurs des transports, de l’hôtellerie, des services aux personnes, etc. « La polarisation des emplois menace ainsi une partie de la société qui a longtemps bénéficié de la croissance économique et des perspectives de mobilité ascendantes, à savoir une partie des classes moyennes ». Si les perspectives de disparition des emplois restent encore lointaines, on voit déjà l’angoisse que cela génère chez les classes menacées avec la multiplication des partis extrémistes et anti-système dans les démocraties avancées. On assiste à une révolte politique de ces celles-ci face à ces menaces de déclassement.

La reprise en main des « ubérisés »

Le système de l’économie des plateformes a d’abord séduit une partie de jeunes travailleurs pour la liberté et la applicationssouplesse d’organisation que ces applications permettaient. Au début, ils étaient plutôt satisfaits de leur rémunération. Comme l’évoquent des intervenants à un colloque sur le sujet à Paris Dauphine, cité par Dominique Méda dans sa chronique au Monde « Les chauffeurs Uber apprécieraient l’autonomie permise par leur statut et n’ambitionneraient en aucune manière de rejoindre la condition salariale, synonyme de subordination ». C’est aussi le sentiment de Yacine, ‘juicer’ (chargeur de trottinettes électriques) à Paris « Ce job permet de travailler dehors, d’être libre de son temps, de ne pas avoir de patron ». Yacine n’a pas de patron, si ce n’est l’algorithme de l’application Lime sur son smartphone. « C’est l’appli qui donne la marche à suivre : où trouver les trottinettes, où les replacer, combien elles rapportent. C’est elle aussi qui lui attribue une note de satisfaction dont dépend le nombre maximal de trottinettes qu’il est autorisé à recharger chaque jour ».  Mais il déchante quand le prix baisse « Sept euros, c’était honnête ; Cinq euros, c’est juste, je pense chercher autre chose ». Comme le constate Grégoire Leclerc, coordinateur de l’observatoire de l’ubérisation cité dans l’article, « Cette activité ne me choque pas tant qu’elle reste un job d’étudiant. Le problème c’est quand on le propose à des gens qui cherchent un revenu décent. Là, on les piège. ». Pas de mutuelle, pas de chômage, pas de congés payés, pas de salaire minimum, pas de couverture maladie ou accident du travail : « Toutes les sécurités consécutives au droit du travail n’existent pas pour ces gens-là » renchérit Karim Amellal, auteur de la Révolution de la servitude.

Face à cette situation, deux solutions ont été proposées : des chartes reconnaissant le statut hybride de ces travailleurs. La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel tend à faire converger le statut de salarié et de travailleur indépendant. Jean-Emmanuel Ray, Professeur de droit à Paris1-Panthéon-Sorbonne, défend cette approche dans son article du Monde. « L’enjeu est de protéger les coursiers de cette plateforme, ces ‘tâcherons 3.0’, corvéables à merci. Mais aussi d’éviter une concurrence déloyale, avec le risque d’une contagion à la baisse pesant sur les conditions de travail ». Pour ce juriste, l’opposition entre heureux salarié et travailleur indépendant honteusement exploité est un peu courte : « Restée sur le modèle militaro-industriel des ‘Trente glorieuses’, cette approche est mal adaptée à la « Révolution de l’immatériel ». En cas de dépôt de bilan de plateformes, que deviendront les dizaines de cyclistes Deliveroo et autres chauffeurs Uber, souvent discriminés à l’embauche, et pour lesquels il est plus facile de trouver des clients qu’un employeur ? « Ces travailleurs chercheraient donc moins un patron que le très protecteur régime général de la Sécurité sociale, lié à l’existence d’un contrat de travail. ».

La loi du 5 septembre 2018 cherche à faire converger les statuts et vise à « sécuriser les mobilités en allant vers plus de sécurisation sur les personnes, non sur les statuts ».Avec, à terme, une protection sociale universelle, facilitant les transitions dans une économie de l’innovation où le travailleur passe d’un statut à l’autre.

L’article 20 du projet de loi d’Orientation des Mobilités introduit la possibilité pour les plateformes numériques mettant en rapport clients et travailleurs indépendants prestataires de services d’adopter une ‘Charte sociale’ octroyant aux prestataires différents types de prestations sociales. Le projet de loi entend mettre fin au flou juridique qui a abouti ces derniers mois à plusieurs cas de requalification par les tribunaux des contrats liant plateformes et indépendants en contrats de travail salarié. Mais l’article 20 a suscité une vive polémique et a été finalement été supprimé au Sénat.

« Les plateformes numériques de travail se construisent sur un modèle économique qui contourne les règles du droit social. L’employeur se fait intermédiaire, le salarié devient un prestataire. La désactivation est une rupture contractuelle euphémisée. Cette torsion de la réalité favorise la multiplication des pratiques déloyales, le dumping social à grande échelle. Si Uber est une société de transport et Deliveroo une société de livraison de repas, elles ont besoin de travailleurs qui réalisent l’activité qu’elles développent. Elles les paient à la tâche, sans leur offrir la moindre protection sociale, sans leur reconnaître le moindre droit. Bien plus qu’une charte, il faut une réelle présomption de travail du salarié. » Fabien Gay, sénateur de Seine Saint-Denis :  discussion de l’art. 20.

Dans une tribune au  Monde, le Conseil national du numérique, présidé par Salwa Toko s’oppose à la mise en place des chartes unilatérales de responsabilité sociale des plateformes prévues par la loi d’orientation des mobilités. Le principe de l’adoption d’une charte inscrit la relation qui lie les travailleurs à leur plateforme en droit commercial et non en droit du travail. « Souhaite-t-on aujourd’hui déléguer à des entreprises britanniques (Deliveroo) ou américaines (Uber) le soin de déterminer de quelle protection sociale doivent bénéficier des travailleurs français ? ».

Pour Karim Amellal, enseignant à Sciences Po, dans son interview au Monde « Derrière le discours des plateformes, la réalité s’apparente bien souvent à une régression sociale, un retour au monde d’avant. Le capitalisme technologique fait voler en éclat tous les acquis sociaux obtenus depuis la fin du 19e siècle. On se retrouve avec des conditions de travail dignes des canuts ou des ouvriers de Germinal ». Malgré l’impression de liberté qu’elles suggèrent, la plupart des plateformes ont un fonctionnement ‘top-down’ très classique, où les règles sont entièrement décidées au sommet de la pyramide. De plus, le modèle économique de ces géants du numérique est fragile. Les plateformes ne sont pas toujours rentables malgré leur valorisation qui se chiffrent en dizaines de milliards de dollars. Les décisions de justice qui ont récemment donné gain de cause aux travailleurs indépendants (arrêt ‘Take it Easy’, contrat de travail pour chauffeur Uber), bousculent le modèle économique des plateformes qui repose sur un coût du travail le plus faible possible, et vont forcer les plus prédatrices à s’adapter.

reseauxLes « ouvriers du clic » : la main d’œuvre humaine derrière les algorithmes

En France, près de 260 000 ‘travailleurs du clic’ effectueraient des microtâches sur leur ordinateur payées quelques centimes d’euro d’après le Rapport sur le microtravail, publié par Antonio Casilli et Paola Tabaro.

« Identifier des objets sur une image, étiqueter des contenus, enregistrer sa voix, traduire des petits bouts de texte. Ces activités, faiblement rémunérées – de quelques centimes à quelques euros la tâche – ne supposent pas de qualifications particulières. Elles sont proposées par des plateformes spécialisées qui font d’office d’intermédiaire entre les microtravailleurs et les entreprises pour lesquelles ces opérations sont exécutées ».

« Deux centimes d’euro pour cliquer sur le Figaro, 18c pour installer un logiciel permettant de lire des fichiers PDF, 36 pour inscrire ses coordonnées dans une demande de devis pour ‘Speedy’ » Sarah, microtravailleuse, témoigne dans le Monde.

On distingue deux types de plateformes de microtravail

Le ‘machine learning’ n’est possible que si on fournit à la machine suffisamment de données qu’elle sait utiliser. Pour qu’un assistant vocal comme Alexa d’Amazon puisse comprendre les demandes qu’on lui adresse, il faut une grande masse de langage naturel humain, avec une pluralité d’accent dans toutes les langues où l’outil va être utilisé. Ces opérations facilitent l’apprentissage des intelligences artificielles qui seront nourries avec ces données nettoyées et annotées.

  • Les plateformes pour les sites marchands : Loonea, Moolineo ou Ba-Click pour répondre à des sondages, s’inscrire sur des sites marchands, remplir des demandes de devis. L’objectif des marques qui ont recours à ces services est de recruter de nouveaux clients, aussi bien des lecteurs, abonnés aux newsletters que des consommateurs pour leurs produits. Les plateformes rémunèrent les microtravailleurs pour grossir les rangs des clients sans que les marques soient conscientes du procédé. La plupart des ‘missions’ consistent moins à produire un bien ou un service, qu’à vendre ses données personnelles ! Souvent les microtravailleurs se retrouvent submergés de mails et d’appels des marques qui souhaitent les transformer en acheteurs … Ils doivent déployer des trésors de stratégie pour hésiter et refuser l’offre du démarcheur et ne doivent en aucun cas avouer être rémunéré !

Ces travailleurs sont en général des femmes de 25 à 45 ans, souvent mères de famille vivant en zone rurale. Souvent plus diplômées que la moyenne, ces femmes vivent dans une grande précarité et 22% sont en dessous du seuil de pauvreté. Les microtravailleurs ne connaissent en général pas l’entreprise pour laquelle ils effectuent ces tâches, ni le projet dans lequel elle s’inscrit. Les plateformes généralistes cèdent de plus en plus la place à des structures en couches encore plus opaques. « Une plateforme s’occupe de la contractualisation, une autre de la relation avec le client, une troisième gère le paiement, et c’est sur une autre encore que s’effectuent les tâches. D’où une dilution complète du lien de subordination. Le microtravail a la particularité d’être invisible, effectué à la maison, ce qui rend toute valorisation et toute organisation collective très difficile.

Le développement du microtravail est loin d’être temporaire car il est lié à l’intelligence artificielle et à l’automatisation, notamment avec la voiture autonome. « Derrière la voiture autonome se cache une armée de microtravailleurs qui fournissent à l’IA des décryptages d’images au pixel près ». Loin de supprimer des emplois peu qualifiés, l’automatisation a besoin bien sûr, d’ingénieurs et d’informaticiens, mais aussi de microtravailleurs.

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Les outils d’automatisation et d’intelligence artificielle permettent une surveillance accrue des activités des travailleurs. On a vu l’importance de la localisation chez les livreurs et les chauffeurs VTC : à tout moment la plateforme doit savoir exactement où se trouvent les prestataires. Impossible pour eux de désactiver le GPS.

On retrouve cette utilisation des outils ‘intelligents’ pour gérer le personnel chez Amazon, comme le relate Julie Bort dans Business Insider. Dans ses entrepôts, Amazon utilise un système qui permet, non seulement de tracer la productivité des employés, mais peut aussi générer automatiquement la documentation nécessaire à leur licenciement si après des avertissements, la personne n’a pas atteint ses objectifs ! Et ce, sans l’intervention d’un superviseur humain …

Nous n’avons examiné ici que l’impact négatif du numérique sur le travail et l’emploi à partir du filtre de l’économie des plateformes qui s’est étendu sur de larges pans du secteur des services. Il existe aussi d’autres expériences où les travailleurs arrivent à se réapproprier ces outils. Ces initiatives passent souvent par l’intermédiaire de structures collectives (coopératives, collectifs, co-working) où le numérique, loin d’asservir et d’aliéner, libère la créativité et la coopération entre les acteurs. Ces expériences feront l’objet d’un prochain post.

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Kristanadjaja, Gurvan. – Accidents, agressions … Livreurs laissés sur le bord de la route. – Libération, 03/06/19

Casilli, Antonio. – De la classe virtuelle aux ouvriers du clic : la servicialisation du travail à l’heure des plateformes numériques.Revue Esprit, mai 2019

Salwa Toko : « Souhaite-t-on créer une société à trois vitesses, constituée de salariés, d’indépendants et de travailleurs au statut hybride ? »/Conseil National du Numérique : Tribune. – Le Monde, 27/04/19

Cailloce, Laure. – Ces microtravailleurs de l’ombre. – CNRS Le Journal, 24/04/19

Le Micro-travail en France. Derrière l’automatisation de nouvelles précarités au travail ?. Rapport Final Projet DiPLab « Digital Platform Labor »/Antonio A. Casilli ; Paola Tabaro, Clément Le Ludec et al. – Paris, IRES, 2019

The future of work could bring more more inequality, social tensions. – Quartz, 25/04/19

Bort, Julie. – Amazon can automatically fire warehouse workers for ‘time off task’. – Business Insider, 25/04/19

Motet, Laura. – Sarah, « travailleuse du clic » : « la nuit, je remplis des demandes de devis qui me rapportent plusieurs euros d’un coup ». – Le Monde, 25/04/19

Celli, Alessandro. – La charte des travailleurs de plate-forme « place la France en leader de l’innovation sociale en Europe ». – Le Monde, 14/04/19

Palier, Bruno. – Les conséquences politiques des changements technologiques. – Cogito, 13/04/19

Amellal, Karim ; Collas, Aurélie. – « Les travailleurs ubérisés sont les prolétaires du 21e siècle ». – Le Monde, 07/04/19

The Future of Work: OECD Employment Outlouk 2019. – Paris, OCDE, 2019

Orientation des mobilités (procédure accélérée – suite) : discussion des articles. – Sénat, 26/03/19

Collas, Aurélie. – Profession : chargeur de trottinettes, dernier-né des petits boulots de l’ubérisation. – Le Monde, 09/03/19

Transformations numériques au travail : chiffres et tendances. – Laboratoire d’analyse et de décryptage du numérique, 06/03/19

Méda, Dominique. – « Heureux comme un chauffeur de VTC ? » - Le Monde, 15/02/19

Numérisation des emplois : « Il existe un lien fort avec le sentiment d’insécurité économique et les comportements politiques »/Collectif : Zhen Im, Nonna Meyer, Bruno Palier, Jan Rovny, Chercheurs Sciences Po. – Le Monde, 15/02/19

LOI n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel (1). – Légifrance, 05/09/18 (version en vigueur au 1er juin 2019)

Ray, Jean-Emmanuel. – Quelle protection pour les travailleurs des plates-formes ?- Le Monde, 05/12/18

Guillaud, Hubert. – « Fuck work … Et puis ? ». – Internet Actu, 02/05/18

Flichy, Patrice. – Les nouvelles frontières du travail à l’ère numérique. – Paris : Seuil, cop. 2017. – via Google Livres

 

Une loi contre les « fake news » : quelle efficacité ?

fake_news_facebookAnnoncée par le Président de la République lors des vœux à la presse en janvier 2018  la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information a été adoptée à l’Assemblée nationale le 7 juillet mais rejetée par le Sénat le 26 juillet. Ce projet de loi a pour objectif de lutter contre la diffusion de fausses informations, particulièrement lors des campagnes électorales. L’expérience de diffusion massives de ‘fake news’ qui ont pu influencer les électeurs lors de la campagne présidentielle américaine en 2016 et du referendum sur le Brexit en Grande-Bretagne, (voir le post de Prospectibles), a amené les démocraties à réfléchir aux mesures à prendre pour lutter contre la désinformation et la manipulation de l’information.

La Commission européenne recommande, après la publication d’une communication sur la désinformation en ligne, un code bonnes pratiques et le soutien à un réseau indépendant de vérificateurs de faits. En Allemagne, une loi récente contraint les réseaux sociaux à une modération réactive. Au Royaume-Uni, une commission d’enquête mise en place en 2017 a pour objectif de lutter contre la diffusion de fausses nouvelles en impliquant les GAFA.

En France, comme le constatait dans son avis du 19 avril le Conseil d’Etat, le droit français contient déjà plusieurs dispositions visant à lutter contre les fausses informations : la loi de 1881 sur la liberté de la presse permet de » réprimer des propos sciemment erronés, diffamatoires, injurieux ou provocants ». La Loi de 2004 pour la confiance de l’économie numérique les a rendus applicables aux services de communication publique en ligne. Le code électoral contient aussi des dispositions visant à garantir le bon déroulement des campagnes électorales en luttant aussi bien contre la diffusion des fausses nouvelles que contre la publicité commerciale à des fins de propagande électorale.

La proposition de loi

Le gouvernement explique la nécessité d’une nouvelle loi en raison du changement d’échelle de la diffusion des fake news permis par les outils numériques et les réseaux sociaux. Comme le souligne Françoise Nyssen, Ministre de la culture et de la communication « Les fausses informations ne sont pas nécessairement plus nombreuses qu’avant, mais elles sont relayées plus rapidement et plus massivement. Elles se propagent jusqu’à six fois plus vite que les informations vérifiées. Elles font donc plus de dégâts ».

Dans la proposition de loi « Toute allégation ou imputation d’un fait inexacte ou trompeuse constitue une fausse information ». Les opérateurs de plateformes en ligne sont tenus de fournir à l’utilisateur, outre une information sur l’identité des fournisseurs de contenus, « une information loyale, claire et transparente sur l’utilisation de ses données personnelles dans le cadre de la promotion d’un contenu d’information se rattachant à un débat d’intérêt général ».

Elle crée un nouveau référé, pendant les trois mois précédant une élection, pour faire cesser la diffusion artificielle et massive de fausses informations destinées à altérer la sincérité du scrutin. Il s’agit de lutter contre les contenus sponsorisés et les systèmes robotisés, les « fermes à clics », qui véhiculent ces fausses informations et qui le feraient sciemment, en sachant que l’information est fausse.

Mais surtout, le juge des référés peut, « à la demande du ministère public, de tout candidat, de tout parti ou groupement politique ou de toute personne ayant intérêt à agir, et sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire aux personnes physiques ou morales toutes mesures proportionnées et nécessaires pour faire cesser cette diffusion. » Comme le souligne le dossier d’actualité Vie publique « Un candidat ou un parti pourrait saisir le juge des référés pour faire cesser la diffusion de ces « fausses informations » quand il s’en estime victime. Le juge statuerait dans un délai de 48 heures. » Le CSA se voit confier de nouvelles compétences et devient le garant du devoir de coopération des plateformes. Outre son pouvoir de sanction à l’encontre des services de communication audiovisuelle (radio, télévision, vidéos à la demande publics et privés) en cas de non-respect de leurs engagements, le CSA pourra aussi « refuser le conventionnement ou résilier une convention d’une chaîne liée à un État étranger ou sous son influence. » Il peut aussi » suspendre la convention d’une chaîne pendant une période électorale ou pré-électorale si elle participe à une entreprise de déstabilisation en diffusant de façon délibérée des fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin. »

Enfin, le projet de loi comprend aussi des dispositions portant sur le renforcement de l’éducation aux médias et à l’information pour l’acquisition d’une citoyenneté numérique dans le cadre de l’enseignement moral et civique.

censorship-550x206Le débat

La proposition de loi a fait l’objet d’un débat houleux à l’assemblée avant son adoption, notamment en ce qui concerne la définition de fausse information qui s’est achevé par l’adoption d’un amendement remplaçant l’idée de « mauvaise foi » par celle d’intention « délibérée ». Les oppositions de droite et de gauche ont exprimé leurs réticences « Pour les élus de l’opposition, la proposition de loi serait synonyme de censure et de contrôle de l’information, voire d’une dérive autoritaire du pouvoir. Christian Jacob (député LR) craint une « police de la pensée », Marine Le Pen (FN) dénonce un texte « liberticide », Boris Vallaud (PS) une « loi de circonstances ». (Dossier Vie Publique). Pour Jean-Luc Mélenchon (LFI), le CSA, autorité administrative, n’est pas légitime pour juger si un média étranger outrepasse sa fonction …

Des juristes et des médias critiquent aussi ce texte, comme Christophe Bigot, avocat en droit de la presse, interviewé sur RT France, qui trouve ces méthodes archaïques ; ou Me Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris qui dans un interview sur RT France, s’interroge sur la notion de fausse information, qui renvoie plutôt à ‘bon ou mauvais journaliste’ : pour lui le gouvernement cible la chaîne RT France. En ouvrant au CSA la porte d’internet, on ignore ce qui risque de se passer après. Comment pourra-t-il réguler les plateformes ? Cette loi « inapplicable et dangereuse » ouvrirait la boite de Pandore. Sur son blog du Figaro, Alain Bensoussan, avocat à la Cour d’appel de Paris et expert en droit des technologies de l’information suggère « Plutôt que légiférer dans l’urgence, il faut repenser le texte en encadrant le rôle des plateformes et des robots logiciels dans la diffusion de fausses informations. »

De la propagande à l’architecture du faux : les différents canaux du ‘fake’

La prolifération des fausses nouvelles ne date pas d’hier : Patrick Chastenet, professeur de science politique à Bordeaux, le rappelle dans son article de The Conversation ; la propagande et la manipulation de l’information ont été utilisées par le tyran Pisistrate au Vie siècle avant J.C.  Comme le remarque un partisan du Brexit, les électeurs préfèrent que l’on s’adresse à leurs tripes plutôt qu’à leur raison … Aux Etats-Unis, les messages politiques mensongers n’ont pas commencé avec Trump. Déjà, en 2008, Sarah Palin, candidate à la vice-présidence, répandit l’idée que la réforme du système de santé prévoyait des ‘death panels’ où des comités gouvernementaux décideraient du sort des personnes âgées ou handicapées ! Près de 30% des américains ont cru que ces « panels » faisaient partie de la réforme … Le site Politifact révèle que 70% des déclarations de Trump « étaient principalement fausses, fausses ou de pure invention ».  A présent, comme l’indique l’article du Washington Post, c’est Donald Trump lui-même qui s’estime victime de ‘fake news’ de la part des médias et même du moteur de recherche Google qui ne remonterait sur lui que des informations négatives si bien qu’un de ses conseiller économique propose de ‘réguler’ ces recherches !

Les Américains sont-ils donc plus crédules que les autres ? Ils sont surtout plus connectés et plus nombreux à s’informer en ligne et principalement sur les réseaux sociaux. La nouveauté réside dans le caractère viral des informations, vraies ou fausses, relayées sur les réseaux sociaux et les forums de discussion. Contrairement aux théories généreuses des pionniers du web, les internautes ne bénéficient pas de « démocratie numérique » fondée sur un accès égal pour tous à la connaissance. Alors que la masse d’information n’a jamais été aussi vaste et rapidement disponible, l’information non filtrée par des algorithmes devient plus rare en raison de nos choix antérieurs. En effet, nos recherches antérieures et nos choix sur les réseaux sociaux (likes, RT, etc.) nous enferment dans des boucles de filtres qui produisent un cercle vicieux dont nous ne sommes souvent pas conscients … 1d162bf19fb6e1f83aa71ed060459d59d872aee3-thumb-500xauto-64860

Comme le souligne Olivier Ertzscheid dans son post, les plateformes constituent « une architecture toxique au service du faux […] Et cette architecture est celle, visible, de la promiscuité des profils dans Facebook, comme elle est aussi celle, invisible, de l’orchestration algorithmique de la viralité qui unit les GAFAM. ». Cette ‘promiscuité’ sur les plateformes implique qu’il est impossible de ne pas propager de fausses informations, comme il est impossible de ne pas y être confronté ou exposé …

Cette architecture du faux, qui se double aussi d’une architecture de l’invisibilisation – les ‘Shadow Profiles’ (utilisateurs malgré eux des réseaux sociaux) et les ‘Dark posts (publicités ciblées sur Facebook à partir des données personnelles). Seule une architecture technique autorisant d’autres usages, comme un index indépendant du web, en remettant les ressources documentaires au centre à la place des personnes. La disparition de Google Reader et la fin programmée des fils RSS n’est pas un hasard et est corrélée avec des logiques de désinformation.

Les biais cognitifs et la question de la confiance

51fmZrX204L._SX195_Olivier Ertzscheid pointe aussi une autre raison : nos biais cognitifs « Nous avons une appétence, une gourmandise presque « naturelle » pour le faux, la tromperie et l’illusion. Et c’est de cette appétence dont l’architecture technique se repaît ».

C’est aussi ce que souligne Katy Steinmetz dans un article de Time. Dans une expérience menée par le chercheur en psychologie de l’Université de Stanford Sam Wineburg, un professeur d’université devant évaluer une publication scientifique de l’American College of Pediatricians, est abusé par un site web qui comporte toutes caractéristiques d’un site officiel. Le « .org » à la fin de l’url, la liste de références scientifiques, le design sobre du site, tout l’amène à la crédibilité. Or le site en question représente un groupe qui a est le produit d’une scission conservatrice de l’organisation officielle : il a été accusé de promouvoir des politiques homophobes et est classé comme discriminatoire (hate group). L’équipe de Wineburg a trouvé que des Américains de tous âges, des adolescents ‘digital natives’ aux universitaires de haut niveau, ne se posent pas les questions importantes au sujet des contenus qu’ils trouvent sur le web, ajoutant encore à la crédulité numérique. C’est aussi ce qui amène les internautes à retweeter des liens sans les ouvrir et à se reposer sur les moteurs de recherche. Pour Wineburg, la consommation d’information sur internet « C’est comme si on conduisait des voitures sans avoir de permis ». Même si des lois et des services de renseignement pouvaient débusquer tous les mauvais acteurs du bout de leurs claviers, il serait imprudent de nettoyer l’internet de toutes ses affirmations trompeuses … Dénoncer une information comme ‘fake news’ peut même la rendre plus populaire, C’est ce que Facebook a constaté lorsque le réseau social a alerté ses utilisateurs que certains posts pouvaient être des ‘hoaxes’ (canulars) avant de réaliser que cette approche ‘immunisante’ pouvait être contre-productive …

On retrouve cet aspect contre-productif du ‘débunkage’ (démystification) des ‘hoaxes’ avec le service de fact-checking de l’AFP. Aurore Gayte relate dans son article du Monde comment ce service a réussi à démystifier une vidéo très partagée sur internet censée représenter la mise en scène de migrants en train de se noyer (on voit des personnes sur la plage filmant des hommes et des femmes voilées émergeant à peine de l’eau). Les journalistes de l’AFP ont pu retrouver, grâce à une analyse détaillée de la vidéo, l’origine de ce document : il s’agit d’un documentaire tourné en Crête par une réalisatrice grecque sur un événement en Turquie en 1922, quand les Grecs ont fui l’incendie d’Izmir. Et pourtant, « même en étant une référence mondiale, et même après avoir expliqué point par point le raisonnement derrière un fact-checking, ils sont nombreux à ne toujours pas vouloir croire ce que dit l’AFP. »

Olivier Ertzscheid désigne aussi une autre raison : les ‘régimes de vérité’ de chaque plateforme : « la popularité pour Google (est « présenté comme vrai » ce qui est populaire), la vérifiabilité sur Wikipédia, et sur Facebook ce que l’on nomme « l’engagement » ou le « reach » c’est à dire une forme singulière, perverse et paroxystique de popularité. Ainsi ce qui est faux sur Google ou sur YouTube peut être vrai dans Wikipédia ». Avec ces différents régimes, il est difficile de départager le vrai du faux et aussi dangereux de se servir de l’un, par exemple Wikipedia pour en démentir un autre, par exemple YouTube … Pour le chercheur « Le dé-référencement à la hussarde est aussi efficace qu’il est à manier avec une extrême précaution tant il renforce là encore un régime d’arbitraire limité à la seule décision de la plateforme ».

L’éducation à l’information et aux médias semble être la principale solution à long terme. L’initiative de la journaliste Aude Favre avec sa chaîne YouTube « WTFake » contre la désinformation sur internet, signalée par Vincent Manilève dans Libération constitue une première réponse au niveau du grand public. Pour les étudiants, les ateliers comme celui des BU de Rennes sur l’évaluation de l’information et le problème des fake news en bibliothèque, rapporté par Damien Belveze (Doc@rennes) devrait pouvoir se multiplier. Comme l’a formulé Edward Snowden dans une interview citéé dans le Fil d’Actu « la réponse aux mauvais discours n’est pas la censure, mais plus de discours ».

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Pour l’avocat Christophe Bigot, « la loi sur les fakes news correspond à des méthodes archaïques. - RT France, 04/04/18

Parce que notre ligne éditoriale ne convient pas au pouvoir en place, serons-nous bientôt censurés ?RT France, 06/04/18

Ertzscheid, Olivier. - Fifty Shades of Fake. Le jour des fous et des mensonges. Et les 364 autres.Affordance.info, 22/04/18

Kodmani, Hala. – Russia Today, Sputnik … Un mois d’intox passé au crible. – Libération, 03/05/18

Deschamps Christophe. – Des faits alternatifs à la « Deep Fake Reality » ou comment on fabrique de la poudre aux yeux. – Outils froids, 04/05/18

Loi contre les fausses informations : l’avis du Conseil d’Etat. – Les Crises, 05/05/18

Belvèze, Damien. – Compte-rendu de l’atelier : comment aborder l’évaluation de l’information et le problème des fake news en bibliothèque ? (17/05/18). – Doc@Rennes, 23/05/18

Casilli, Antonio ; Devilliers, Sonia. – Comment se fabriquent les « fake news » ?France Inter, 08/06/18

Chastenet, Patrick. – Fake news, post-vérité … ou l’extension du domaine de la propagande. - The Conversation, 12/06/18

Fausses nouvelles, manipulation de l’information : comment lutter contre les fake news ? Dossier d’actualité - Vie publique, 20/06/18

Manilève, Vincent. – Aude WTFake pedago contre la désinformation sur Internet.Libération, 02/07/18

Proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information : texte adopté n° 151. – Assemblée Nationale, 03/07/18

Les enjeux de la loi contre la manipulation de l’information. – Ministère de la Culture, 04/07/18

Vallat, Thierry. – La loi anti-fake news, une loi « liberticide » : entretien. – RT France via YouTube, 04/07/18

Bensoussan, Alain. -Diffusion de fausses nouvelles par des robots logiciels, enjeu de la loi Fake news. – Droit des technologies avancées – Le Figaro, 20/07/18

Steinmetz, Katy. – How your brain tricks you into believing fake news. – Time, 09/08/18

Gayte, Aurore – Comment fonctionne le « fact-checking » à l’AFP ?Le Monde, 23/08/18

Romm, Tony. – Trump’s economic adviser : ‘We’re taking a look’ at wether Google searches should be regulated.The Washington Post, 23/08/18

 

Affaire Cambridge Analytica : qui a peur des réseaux sociaux ?

Relation-client-online-reseaux-sociaux-plus-performants-que-mail-FDepuis près de trois mois, le scandale Facebook Cambridge Analytica défraie la chronique : tous les médias, la ‘blogosphère’ et les réseaux sociaux résonnent de commentaires et d’analyses sur ce ‘cambriolage’ d’identités numériques 3.0 …

Facebook a reconnu le mois dernier que le réseau avait ‘partagé’ les données personnelles de 87 millions d’utilisateurs avec une entreprise britannique, Cambridge Analytica, qui, sous prétexte de recherche socio-linguistique, vendait ces informations aussi bien à des firmes publicitaires qu’à des groupes politiques. L’élection de Donald Trump aussi bien que le referendum sur le Brexit auraient bénéficié de ces manipulations numériques. Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook, est allé personnellement faire amende honorable devant le Congrès des Etats-Unis.

Que sont ces réseaux sociaux et comment ont-ils pris autant d’importance dans notre vie quotidienne ? Partis d’une idée de partage et d’échange de ‘pair à pair’, ils sont devenus en moins d’une quinzaine d’années les ‘géants du net’, des entreprises multinationales qui comptent des milliards d’usagers ! Or, comme l’explique dans son post Thierry Crouzet, « nous avons négligé une loi mécanique des réseaux décentralisés : le ‘winner-take-all’, (le gagnant rafle tout) autrement dit des nœuds deviennent plus gros que tous les autres, concentrant un nombre faramineux de connexions, et de fait ils recentralisent le réseau, donc limitent l’intelligence collective. » amour-amitie-solidarite-les-petits-miracles-des-reseaux-sociaux

Certains psychologues reprochent aux réseaux sociaux de s’éloigner d’une ‘sociabilité originaire’ (où l’on se retrouve pour des ‘rencontre en dur’) comme Jean Twenge, professeure de psychologie citée dans Slate : les jeunes adolescents ne sortent plus et passent leur vie penchés sur leurs smartphones : « La patinoire, le terrain de basket, le bassin de baignade de la ville, le spot de pêche du coin –ils ont tous été remplacés par des espaces virtuels accessibles par les applications et le web.».

Doit-on donc « effacer Facebook » et les autres médias sociaux de notre vie numérique, ou est-il encore possible d’en tirer des effets bénéfiques ou positifs ? Ces médias sont, d’autre part, devenus indispensables aux enseignants-chercheurs et aux professionnels de l’information et de la communication qui peuvent exploiter leur potentiel pour s’informer et échanger avec leurs pairs.

Transfert de donnesLes socionautes 

Kamel Lefafta, consultant en marketing digital dresse le portrait-robot du socionaute français en 2018. En France, 60% des femmes et 59% des hommes utilisent les réseaux sociaux ; les 12-39 forment la masse critique des usagers avec un taux d’utilisation de 87% mais l’écart générationnel se réduit et les plus de 60 s’y retrouvent de plus en plus. 65% des personnes habitant l’agglomération parisienne les utilisent contre 57% résidant dans une commune rurale ; 70% de cadres et presque autant d’employés (68%) et d’ouvriers (67%), mais seulement 29% de sans diplômes. Les socionautes passent en moyenne 82 minutes par jour sur les réseaux et utilisent essentiellement trois plateformes : Facebook, YouTube et Twitter. Contrairement aux Américains, qui, comme le souligne le site BBCNews, restent ‘loyaux’ à Facebook malgré le scandale Cambridge Analytica, les usagers français sont de plus en plus méfiants vis-à-vis des réseaux sociaux. Comme le résume Kamel Lefafta : « A la fois accro et méfiant, le socionaute français vit une relation paradoxale avec ses réseaux sociaux préférés. Il s’y rend principalement pour échanger, garder le lien avec ses proches, s’informer et se divertir. »

Il est évident que les activités diffèrent en fonction du type de réseaux employé : Facebook, WhatsAppp et Instagram pour les échanges avec la famille et les amis ; YouTube pour se divertir ; LinKedin pour les relations professionnelles, Twitter pour suivre l’actualité et la recherche, Meetic ou Tinder pour les rencontres. Mais il arrive aussi que la frontière se brouille entre le privé et le professionnel. C’est ce que souligne Mathilde Saliou dans son article de Numérama.  « Vous voyez bien que vos collègues likent ». C’est la réflexion d’une chef de service lors d’une réunion, s’étonnant que certains membres de l’équipe n’ont pas partagé ou ‘liké’ un post de l’entreprise sur Facebook … Une autre personne ne sait quoi répondre à un supérieur qui lui demande d’être ami sur Facebook … Pour pouvoir accéder à une association « Je n’aime pas du tout mélanger le professionnel et le personnel, donc ça m’a gênée ». Certain.e.s, dont le travail tournent autour de la communication, sont obligé.e.s de se créer un deuxième profil, complètement professionnel. De plus en plus, les entreprises se dotent d’une charte informatique pour définir et organiser les rapports numériques au sein des entreprises. D’après une juriste spécialisée « « Légalement, aucun employeur n’a de contrôle sur les éléments personnels de l’employé, sauf à ce que ceci ne fasse partie intégrante du contrat. Mais dans ce cas, ils n’ont de pouvoir que dans la limite de la transparence et de la proportionnalité. »

Les usages professionnels des réseaux sociaux

images_resocComme on l’a vu, les réseaux sociaux sont utilisés par les marques commerciales pour entretenir l’intérêt et toucher de nouveaux usagers. Les « Community managers »(CM) sont censé.e.s animer les pages de l’entreprise et aussi répondre aux questions des socionautes. Ces communicant.e.s sont beaucoup plus efficaces pour résoudre un problème que les services clients des organisations. En exposant un contentieux sur une page lue par un large public, on risque de ternir l’image de la firme : on vous propose tout de suite de passer en message privé pour traiter le problème ! Certaines entreprises ont quasiment remplacé leur service clients par un CM sur Facebook !

Mais les médias sociaux peuvent être aussi des ressources précieuses pour les enseignants, les chercheurs et les professionnels de l’information. Comme l’explique Pierre Levy, professeur de communication à l’Université d’Ottawa « Dans mes cours, je demande à mes étudiants de participer à un groupe Facebook fermé, de s’enregistrer sur Twitter, d’ouvrir un blog s’ils n’en n’ont pas déjà un et d’utiliser une plateforme de curation collaborative de données comme Scoop.it, Diigo ou Pocket. » Les étudiants sont ainsi plongés dans le flux de ces outils de communication et comprennent mieux leur fonctionnement. Ils apprennent aussi l’importance de l’indexation avec les tags qui permettent de classer et de catégoriser les informations. Les plateformes de curation permettent d’organiser une veille collaborative, indispensable aux futurs chercheurs. La participation et le travail collaboratif sur les réseaux sociaux est d’ailleurs quasiment obligatoire dans les MOOCs.

Organiser et partager sa veille avec des collègues et des lecteurs est aussi un des objectifs des bibliothécaires sur les réseaux sociaux. Cela fait partie d’un programme plus vaste de médiation numérique qui aboutit à l’éditorialisation de contenus, à travers des blogs, par exemple. Comme l’explique les diapositives Les réseaux sociaux en bibliothèque : « La Bibliothèque dissémine ses contenus pour mieux les réintégrer dans ses propres dispositifs ». Mais comme les entreprises ou les collectivités locales, les bibliothèques doivent animer leurs communautés d’usagers sur les réseaux.

La structure des réseaux et la connectivité

Un réseau est « un ensemble d’individus reliés entre eux par des liens créés lors d’interactions sociales » Thomas Laigle, Le Réseau pensant. Cette définition semble induire que les individus ont librement décidé d’interagir socialement et que la communauté ainsi créée ne dépend que de leur seule volonté. Or, quand on analyse la participation des socionautes sur les réseaux, l’activité développée est plutôt réduite. La courbe de participation se traduit par la distribution 90/9/1 : 90% de simple lecteurs, 9% de contributeurs occasionnels et 1% de contributeurs actifs. On est loin de la l’utopie des pionniers d’internet qui voulaient édifier un réseau décentralisé où chacun collabore !

Thierry Crouzet rappelle cette espérance dans son post : « Lors de l’avènement d’Internet, nous avons été quelques utopistes à croire et à prédire que la complexité toujours croissante ainsi que les possibilités technologiques nous aideraient à créer des réseaux toujours plus décentralisés, avec ce rêve que les hiérarchies seraient toujours moins présentes, donc les étoiles toujours plus petites. »  Contrairement à Rezonance, réseau social citoyen limité à la Suisse romande, les réseaux sociaux sont tombés dans le trou noir du ‘winner-take-all’, « L’information circule alors à sens unique. Elle irrigue les hubs et elle assèche les nœuds périphériques. » On a choisi la facilité en allant tous au même endroit au même moment. Plutôt que de réguler l’internet en limitant les connexions, on a fait confiance aux mêmes distributeurs, les GAFAM … mentions-legales-réseaux-sociaux

Les plateformes et le capitalisme de surveillance

Sur l’internet recentralisé, les plateformes deviennent les intermédiaires obligées pour les transactions économiques (acheter, vendre). Elles ont gagné la bataille de la distribution et sont devenues plus performantes. La publicité sur Facebook est un des leviers incontournables pour les entreprises. Le modèle économique de Google et Facebook repose essentiellement sur la revente des données personnelles à des ‘data brokers’, comme le développe Benjamin Sontag dans l’émission de France Inter Comme un bruit qui court. Si Facebook se présente comme une plateforme communautaire (ce qu’il est), il ne faut pas oublier les 30 millions d’utilisateurs actifs en France métropolitaine ! « Un atout indéniable pour l’ensemble des secteurs industriels tous confondus qui pourront utiliser les nombreuses données récoltées et segmentées pour un ciblage Facebook efficient auprès des bonnes personnes. » comme le souligne Arnaud Verchère dans son article du Siècle digital.

La Quadrature du Net, qui mène en ce moment une action de groupe contre les GAFAM en application de la nouvelle loi européenne (RGPD) explique comment Facebook arrive à récolter des informations grâce à ses techniques de traçage, même pour des personnes qui n’ont pas de compte Facebook. En plus des contenus publics, message privés, liste d’amis, de pages, de groupes, likes, commentaires et réactions diverses, les informations sur l’appareil qu’on utilise et de la localisation GPS, le réseau social utilise des cookies, des pixels invisibles (images transparentes qui transmettent des informations de connexions) le login de Facebook que certains sites ou applications utilisent comme outil d’authentification des utilisateurs … Les personnes ciblées sont rarement informées et leur consentement n’est pas sollicité … On peut néanmoins les détecter en installant des traceurs sur le navigateur comme UBlock ou Privacy Badger. GDR

« De l’analyse de toutes ces données résulte un nouveau jeu d’informations, qui sont les plus importantes pour Facebook et au sujet desquelles l’entreprise ne nous laisse aucun contrôle : l’ensemble des caractéristiques sociales, économiques et comportementales que le réseau associe à chaque utilisateur afin de mieux le cibler. » A partir d’un test de personnalité et des seuls ‘j’aime’ d’un échantillon de 58 000 utilisateurs, l’université de Cambridge a réalisé une étude en 2013 qui lui a permis d’estimer « leur couleur de peau (avec 95 % de certitude), leurs orientations politique (85 %) et sexuelle (80 %), leur confession religieuse (82 %), s’ils fumaient (73 %), buvaient (70 %) ou consommaient de la drogue (65 %). » « Au bout de 100 clics, on peut connaître quelqu’un mieux que sa famille » (Benjamin Sontag). Et ce n’est même pas la puissance publique, l’Etat, ce ‘big brother’ qui nous espionne à tous les instants, ce sont des sociétés privées multinationales, ce que la Quadrature net appelle le ‘capitalisme de surveillance’. reseauxsociaux

Les manipulations cognitives des notifications : l’écologie de l’attention

Depuis quelques mois on a vu des cadres des GAFAM venir dénoncer les pratiques des géants du numérique. « Depuis Chamath Palihapitiya et Sean Parker (respectivement cadre et ancien président de Facebook) à Loren Brichter (ancien codeur de Twitter), en passant par Tristan Harris (ex salarié de Google auteur du virulent manifeste « Comment la technologie pirate l’esprit des gens »), tous ces repentis du digital pointent du doigt les manipulations cognitives que leur ex employeurs n’ont cessé d’utiliser et de perfectionner depuis des années, dans le but de captiver l’attention de leurs utilisateurs et de s’accaparer leur « temps de cerveau disponible ». Hervé Monier analyse dans son post, comment la captologie, cette nouvelle discipline théorisée par le psychologue américain Brian J. Foggs maintient « les niveaux d’attention et d’engagement des internautes au plus haut degré d’excitation possible » grâce à une combinaison « des enseignements de la psychologie et des neurosciences avec les dernières avancées de l’informatique ». Les plateformes utilisent cinq biais cognitifs pour capter notre attention. A commencer par les notifications, ces signaux auditifs ou visuels qui apparaissent sur nos écrans pour nous signaler la nécessité d’une mise a jour ou d’une mention sur nos réseaux sociaux favoris, puis les gratifications représentées par les ‘likes’ et les retweets qui déclenchent le ‘circuit de la récompense’ avec l’activation de la dopamine, le fameux  neurotransmetteur, sans oublier les interactions sociales dont notre cerveau est si friand !

Mais si les socionautes sont hantés par les ‘informations à ne pas manquer’ (FOMO : Fear of Missing Out), ils ne sont pas pour autant ‘accros’ aux écrans et aux applis … « Pour les addictologues Joël Billieux (professeur à l’université du Luxembourg) ou bien Michel Lejoyeux (chef du service de psychiatrie et d’addictologie à l’hôpital Bichat), l’addiction aux écrans et aux réseaux sociaux par exemple est en elle-même plutôt marginale. » Certains symptômes (manque ou habituation) ne s’appliquent pas vraiment, internet représente davantage un moyen supplémentaire de satisfaire une addiction existante (pornographie, jeu d’argent ou jeu vidéo). De même, aucune étude scientifique n’a vraiment constaté des dégâts cognitifs permanents chez les plus jeunes, liés à un usage excessif des réseaux ou des plateformes … De même, comme le souligne Antonio Casilli dans une émission de France Culture, la sociabilité ‘intermédiée’ qui fonde les réseaux sociaux n’est pas apparue avec les technologies de l’information, mais a toujours existé : on retrouve cette dimension symbolique autant dans les œuvres de fiction (romans, théâtre, poésie) que dans la presse écrite ou les récits oraux (rapsodes).

Plutôt que de prôner la déconnexion et l’abstinence dans l’usage des réseaux sociaux et services en ligne qui constituent malgré tout de formidables outils de socialisation et d’apprentissage, ces experts mettent en garde contre la perte de contrôle face à la technologie. Là encore, on retrouve le problème de la gouvernance de l’internet et de la régulation des plateformes.

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Données personnelles : gare aux GAFAM/Giv Anquetil, Antoine Chao, Charlotte Perry. – Comme un bruit qui court – France Inter, 12/05/18

Verchère, Arnaud. – Le ciblage Facebook, c’est bien plus que des centres d’intérêt. – Le Siècle digital, 11/05/18

Frenkel, Sheera. – Scholars Have Data on Millions of Facebook Users. Who’s Guarding It. – The New York Times, 06/05/18

Calimaq. – L’anti-protection sociale de Facebook et le « providentialisme de plateforme ». – S.I.Lex, 06/05/18

Monier, Hervé. – Réseaux sociaux et plateformes : après des années de manipulations cognitive, vers une écologie de l’attention. – Le blog des marques et du branding, 06/05/18

Facebook privacy: Survey suggest continuing US loyalty. – BBC New, 06/05/18

Casilli, Antonio ; Tisseron, Serge. - Splendeurs et misères des réseaux sociaux. – Matières à penser – France Culture, 27/04/18

Audureau, William. – Comment les réseaux sociaux accentuent l’enfermement dans ses idées. – Le Monde, 24/04/18

Ertzscheid, Olivier. – Pourquoi je ne quitte pas (encore) Facebook ?Libération, 24/04/18

Brunfaut, Simon. – Antoinette Rouvroy : « A mon sens,Zuckerberg est dépassé. – L’écho, 23/04/18

Pourquoi attaquer Facebook ?La Quadrature du Net, 19/04/18

Le premier réseau social a 20 ans. – Thierry Crouzet, 19/03/18

Saliou, Mathilde. – « Vous voyez bien que vos collègues likent » : les profils perso au service du boulot, une fatalité ?Numérama, 19/03/18

Alberti, Xavier. – Twitter, Facebook et les « braves gens ». – Xavier Alberti, 26/02/18

Levy, Pierre. - Comment j’utilise les médias sociaux dans mes cours à l’université. – Red.Hypothèse.org, 22/02/18

Réseaux sociaux : portrait robot du socionaute en 2018. – LK Conseil, 113/02/18

Gaudion, Anne-Gaëlle. – Réseaux sociaux en bibliothèque : support de la formation donnée les 7 et 8 septembre 2017. Bibliothèque départementale de la Mayenne. – Slideshare.net, 11/09/17

Audouart, Marie-Françoise ; Rimaut, Mathilde ; Wiart, Louis. - Des tweets et des likes en bibliothèques. – Paris ; Editions de la Bibliothèque publique d’information, 2017. – Coll. Etudes et recherche. – OpenEdition Books, 11/12/17

Panfill, Robin – Les smartphones ont-ils détruit la génération « iGen » ? – Slate.fr, 04/08/17

 

 

Big data, open data, protection des données personnelles : où en sont la science et l’utilisation des données ?

Cloud hackingLes données sont partout, aussi bien dans la vie quotidienne que dans la recherche. Une nouvelle discipline, la science des données, mobilise des experts en mathématique et informatique pour analyser et traiter ce ‘pétrole’ du 21e siècle à coup d’algorithmes et de logiciels d’intelligence artificielle. Tout au long de la journée, des ‘bots’ (petits logiciels d’IA) et des objets connectés les recueillent grâce à des capteurs. On y accède librement, grâce aux dispositifs d’open data, que ce soit dans la ville intelligente (smart city) ou au niveau de la ‘science ouverte’. Les GAFA et autres géants du net se disputent nos données personnelles en investissant des milliards pour les exploiter. Quel droit et quelles réglementations doit-on mettre en place pour protéger ces données tout en profitant de ces nouvelles ressources ?

La science des données

La science des données (en anglais data science) est une nouvelle discipline qui s’appuie sur des outils mathématiques, de statistiques, d’informatique (cette science est principalement une « science des données numériques »4) et de visualisation des données. Le premier objectif du « data scientist » est de produire des méthodes (automatisées, autant que possible) de tri et d’analyse de données de masse et de sources plus ou moins complexes ou disjointes de données, afin d’en extraire des informations utiles ou potentiellement utiles. Pour cela, le « scientifique des données » s’appuie sur la fouille de données, les statistiques, le traitement du signal, diverses méthodes de référencement, l’apprentissage automatique et la visualisation de données. Il s’intéresse donc à la classification, au nettoyage, à l’exploration, à l’analyse et à la protection de bases de données plus ou moins interopérables. (Wikipedia).

Comme l’énonce Stéphane Mallat, dans sa leçon inaugurale pour la création d’une chaire Science des données au Collège de France, « cette discipline s’inscrit au cœur de la problématique scientifique : extraire de la connaissance des données empiriques qui se trouvent à la base de toutes les sciences. On est dans une évolution extraordinairement rapide qui inclut toutes les sciences qui viennent avec leurs propres données. »

Les deux principaux traitements sont la modélisation et la prédiction. L’enjeu en est la généralisation. Dans ce domaine, l’informatique a une avance considérable sur les mathématiques. Elle permet à partir d’un exemple qu’on connaît, d’extrapoler pour les exemples qu’on ne connaît pas. Elle s’appuie sur un très grand nombre de variables (ex : millions de pixels dans une image). 800x-1

En ce qui concerne la gestion des données scientifiques, les professionnels de l’information, dans les bibliothèques de recherche par exemple, peuvent être de précieux collaborateurs pour les chercheurs. Comme le soulignent Ayoung Yoon et Theresa Schulz dans leur article du College & Research Libraries « les bibliothèques universitaires se sont activement impliquées dans les services des données de la recherche : des services qui portent sur l’ensemble du cycle de vie des données comprenant le plan de gestion, la curation numérique (sélection, conservation, maintenance et archivage), la création de métadonnées et la conversion. ». Un nouveau service, le TDM ‘Text and Data Mining’ (fouille automatique de texte et de données) a pu être récemment être ajouté grâce à une série d’amendements au droit d’auteur en France, mais aussi au Royaume Uni.

Les données numériques et la « ville intelligente »

Dans la ‘smart city’, le recueil et le traitement des données devraient permettre aux citoyens de bénéficier de services sur mesure. A Toronto, une filiale de Google est en train d’édifier une métropole futuriste dans un quartier défavorisé au bord du lac Ontario. Comme le rappelle Ian Austen dans le New York Times fin décembre « le Premier ministre canadien, Justin Trudeau a promis que ce projet créerait ‘des technologies qui nous aideraient à construire des communautés plus intelligentes, plus vertes et plus inclusives ». Mais pour certains résidents cet enthousiasme doit être tempéré surtout quand il s’agit d’une entreprise connue pour sa collecte et analyse des données. Le projet Quayside sera chargé de capteurs et de caméras de surveillance qui traqueront tous ceux qui habitent, travaillent ou simplement passent dans le quartier. La masse de données recueillie permettra de mieux organiser et définir les besoins de la future ville, que la société appelle d’ailleurs une ‘plateforme’. L’électricité sera fournie par des mini-réseaux de voisinage, basés sur des énergies renouvelables. D’immenses auvents protègeront de la pluie et du soleil d’été et des allées chauffées feront fondre la neige l’hiver ! 271607011737Bigdata

Mais les capteurs dans les bâtiments pourront mesurer le bruit dans les appartements tandis que les caméras et les capteurs extérieurs surveilleront aussi bien la pollution de l’air que le mouvement des personnes et des véhicules dans les carrefours … Comme le fait remarquer Pamela Robinson, professeur de planification urbaine à l’université Ryerson de Toronto « les données vont être recueillies par une entreprise privée et non par une collectivité administrative. Pour le moment rien n’a été annoncé sur qui en aura la propriété ni qui y aura accès. » De même, si Quayside promet des logements à tous les niveaux de revenus, pour le moment la seule entreprise qui a prévu de s’y installer est Google Canada, donc plutôt des jeunes cadres bien payés … D’après cette chercheuse, les données collectées pourraient être utilisées pour limiter ou décourager l’usage, par ailleurs légitime, des espaces publics par des sans-logis, des jeunes ou d’autres groupes …

Bernard Stiegler qui intervenait dans la Cité du Futur, conférence de Maddyness, déclarait « Pour faire des villes intelligentes, essayons d’être intelligent. La nouvelle urbanité, c’est la ville désautomatisée, car la ville automatisée détruit les relations de voisinage ». Citant l’expérience de Plaine Commune (Communauté de 9 communes de Seine Saint-Denis) où il est personnellement impliqué mais aussi des entreprises comme Vinci, Orange et la Caisse des Dépôts, le philosophe a expliqué que cela implique de savoir utiliser ces technologies innovantes avec la population de Seine Saint-Denis pour qu’elle y prenne part, notamment à travers un programme d’économie contributive.

images_villeC’est aussi le point de vue de Florence Durand-Tornare, fondatrice et déléguée générale de l’association Villes Internet dans l’article de Martine Courgnaud-Del Ry dans la Gazette des communes : « Plus de trente « Villes Internet » (hors métropoles) décrivent, parfois depuis longtemps, des dispositifs de mise à disposition de données informatives, techniques, juridiques ou statistiques. Ce qui me paraît significatif, c’est qu’elles ouvrent avant tout des données utiles au citoyen, et pas uniquement celles qui sont attendues par les grands opérateurs dans les zones hyper-urbaines — essentiellement relatives au transport ou à la gestion de l’énergie… Nous remarquons aussi que l’ouverture des données est l’occasion d’organiser des dispositifs participatifs avec les citoyens, qui contribuent parfois activement à choisir les applications utiles aux résidents que la donnée permet de produire. »

L’adoption du RGPD et la polémique sur la ‘patrimonialisation’ des données personnelles

L’Assemblée nationale examine en ce moment le projet de loi sur la protection des données personnelles « qui adapte notre droit au nouveau cadre juridique européen, composé d’une part, du règlement général de la protection des données (RGPD) et d’autre part de la directive sur les fichiers de police et de justice, qui entreront tous deux en vigueur en mai 2018. ». Ce règlement fixe de nouvelles obligations à toute entreprise exploitant des données : droit de portabilité d’un opérateur à l’autre, droit d’effacement et surtout, consentement explicite.

Une controverse vient de se développer dans la presse après une interview Gaspard Koenig dans Les Echos évoquant le Rapport du mouvement Génération libre vantant les mérites de la commercialisation des données personnelles. Pour G. Koenig « si la data est bien cet « or noir » du 21ème siècle, il n’y a pas de raison de ne pas payer les producteurs – nous – sans laisser aux raffineurs (les agrégateurs et les plates-formes) l’intégralité des revenus liés à l’exploitation des data. » Pour ce philosophe libéral, il y a trois options pour gérer l’accès aux données : mettre en place une « sorte d’agence nationale chargée de mettre des data encryptées à la disposition des entreprises », créer, comme la CNIL et la Commission européenne, des « droits pour les citoyens et des obligations pour les entreprises, avec le risque de judiciarisation excessive de l’économie digitale et d’étouffer l’innovation ». La troisième option qu’il privilégie et « qui peut s’articuler à la précédente, est la patrimonialité des données pour permettre aux entreprises de se les approprier après avoir justement rémunéré les citoyens. ». Cette transaction se ferait à travers « un système de ‘nanopaiements’ qui viendraient créditer ou débiter en continu un compte digital personnel ». Ceux qui refuseraient de céder leurs données seraient obligés de payer les services numériques. Cette idée a été reprise dans une tribune du Monde prônant la ‘monétisation de nos données’, signée par plusieurs personnalités (Bruno Bonnell, Laurence Parisot, Alexandre Jardin, Gaspard Koenig). claire-sambuc-juriste-tariq

Cette « fausse bonne idée » comme la définissent Serge Abiteboul et Gilles Dowek dans une tribune dans le Monde, a été immédiatement attaquée par un grand nombre de chercheurs et de juristes dans la presse et sur les réseaux sociaux. Pour ces deux chercheurs « Le cas des données numériques est cependant un peu plus complexe que celle de des champs d’orge ou de blé, car qui cultive les données ? Ceux qui les produisent (vous et moi, les géants du Web, les hôtels…), ou ceux qui les entassent et les analysent pour en tirer du profit (ni vous et moi) ? ». Et même une fois la propriété établie, comment les internautes seront-ils assurés que le contrat ne soit pas léonin (accès au service contre ‘open bar’ pour les géants du Net) ? De plus, il n’est pas sûr que ces entreprises soient vraiment intéressées par nos données personnelles, vu qu’à travers le ‘crowdsourcing’, un grand nombre d’internautes produisent déjà du travail sur les données pour une très faibles rémunération. Mais surtout les données personnelles sont avant tout sociales : elles résultent des interactions des internautes entre eux ou avec des entreprises ou  institutions (mails, commentaires, profils, etc.). Tristan Nitot dans son post sur Standblog, reprenant la comparaison avec la vente d’un rein, rappelle que déjà le CNNum estimait que « l’introduction d’un système patrimonial pour les données personnelles est une proposition dangereuse ». Comme il est interdit de faire commerce de ses organes (‘indisponibilité’ ou ‘non patrimonialité’ du corps humain), on ne peut séparer  l’individu de ses données personnelles, ça serait en faire un objet qu’on peut commercialiser « permettre la patrimonialisation c’est — métaphoriquement — permettre de revendre par appartements son moi numérique, c’est faire commerce de son corps numérique, en quelque sorte, ce qui est interdit en France pour son corps physique, au nom de la dignité humaine. ». De plus, il sera très difficile à un individu de se faire payer vu les difficultés qu’a le fisc à faire payer les GAFA … Le rapport de force ne sera pas du tout en sa faveur …

indexUne autre position est celle développée par l’essayiste Evgeni Morozov dans l’émission Soft Power citée par Calimaq dans son post fin octobre. Plutôt que la défense individuelle de la vie privée, Morozov propose de faire des données personnelles un ‘bien public’ et de les faire relever du ‘domaine public’. Il ne pense pas « qu’on puisse régler tous les problèmes que posent les géants du net en utilisant les outils traditionnels de régulation du marché, c’est-à-dire en leur faisant payer des taxes et en mettant en place des lois anti-trust ». Il préconise même d’accélérer le processus d’automatisation et d’analyse des données, car tout n’est pas négatif. Si les cancers pourront bientôt être dépistés grâce aux données, cela ne devrait pas se faire en donnant autant de pouvoir à des entreprises de la Silicon Valley ! Un système dans lequel les données appartiennent à la communauté permet à tout un chacun de se saisir de ces données pour en faire quelque chose, même au niveau local. E. Morozov préconise « un système hybride empruntant à la fois des éléments à la domanialité publique et à la propriété intellectuelle, tout en s’inspirant de certains mécanismes des licences libres ».

Cette hybridation entre protection personnelle et usage collectif se retrouve dans le point de vue du sociologue Antonio Casilli qui défend dans un article du Monde avec Paola Tubaro, l’idée que « la défense de nos informations personnelles ne doit pas exclure celle des travailleurs de la donnée ». Pour ces chercheurs « Nos informations ne sont plus ” chez nous “. Elles sont disséminées sur les profils Facebook de nos amis, dans les bases de données des commerçants qui tracent nos transactions, dans les boîtes noires algorithmiques qui captent le trafic Internet pour les services de renseignement. Il n’y a rien de plus collectif qu’une donnée personnelle. La question est donc moins de la protéger de l’action d’intrus qui cherchent à en pénétrer la profondeur que d’harmoniser une pluralité d’acteurs sociaux qui veulent y avoir accès. ». C’est pourquoi plutôt que la protection individuelle des données, Casilli et Tubaro défendent une négociation collective contre des services. Lionel Maurel et Laura Aufère développent cette approche dans un post très détaillé de S.I.Lex.  Ces chercheurs prônent une protection sociale au sens large du terme, car « si les données sont produites dans le cadre d’activités assimilables à de nouvelles formes de travail, alors ce sont des mécanismes de protection sociale enracinés dans le droit social qu’il convient de déployer pour garantir les droits des personnes. ». Ils préconisent de se doter de moyens adéquats pour engager ces négociations dont les termes restent encore dictés par le cadre imposé par les plateformes. Dans cet article, repris d’ailleurs par Libération, les chercheurs dessinent les contours de ce nouveau droit social du 21e s. Jusqu’à présent, la protection des données était restreinte au niveau individuel. Comme le soulignent la juriste Antoinette Rouvroy et Valérie Peugeot de l’association Vecam, que ce soit pour l’obligation de consentement que pour la portabilité des données, aussi bien la CNIL que le RGPD se concentrent trop sur le niveau individuel. D’où l’importance de « mobiliser un nouvel imaginaire pour construire un cadre de négociation collectives sur les données ». th-300x1000-rgpd.jpg

Rochfeld, Judith ; Farchy, Joëlle ; Forteza, Paula ; Peugeot, Valérie. - « Les internautes réclament un usage moins opaque et une maîtrise de leurs données personnelles ». Tribune. – Le Monde, 07/02/18

Loi données personnelles : dans l’apathie des débats, une envolée néo-libérale absurde ! - La Quadrature du Net, 07/02/18

Courgnaud-Del Ry, Martine. – Des services numériques communs émergent enfin sur tout le territoire. – Gazette des communes, 07/02/18

Guillaud, Hubert. – Pourquoi mes données personnelles ne peuvent pas être à vendre ! – Internet Actu, 06/02/18

Données personnelles : le projet de loi qui va mieux nous protéger. – La Dépêche, 06/02/18

Assemblée nationale. – Société : protection des données personnelles – Projet de loi déposé le 13 décembre 2017- discussion 06-08/02/18/Paula Forteza, Rapporteure.

Wiggleworth, Robert (FT). – Big data : les données numériques peuvent-elles révolutionner l’action politique ? – Nouvel Economiste, 06/02/18

Collectif. – Nos « données personnelles » nous appartiennent : monétisons-les ! - Le Monde, 05/02/18

Casilli, Antonio ; Jeanticou, Romain.  – La domination des géants du numérique est-elle un nouveau colonialisme ? Entretien. – Télérama, 05/02/18

Abiteboul, Serge ; Dowek, Gilles. – « La propriété des données est une fausse bonne idée ». – Le Monde, 05/02/18

Maurel, Lionel ; Aufrère, Laura. – Pour une protection sociale des données personnelles. – S.I.Lex, 05/02/18

Nitot, Tristan. – Données personnelles et droit de vendre des organes humains. – Standblog, 02/02/18

Lévêque, Rémy. – « Facebook nous prend en otage ». – Usbek & Rica, 02/02/18

Parapadapis, George. – RGPD, de l’incertitude aux solutions pratiques. – Informatique News, 31/01/18

Revendre ses données « personnelles », la fausse bonne idée. – Mais où va le web ?, 29/01/18

Ertzscheid, Olivier. – Faut pas prendre les usagers des GAFAM pour des datas sauvages. – Affordance.info, 28/01/18

Pour une patrimonialité des données : Rapport. – Mes data sont à moi/Collectif data. – Génération libre.eu, 25/01/18

Naughton, John. – Who’s doing Google and Facebook dirty work?- The Guardian, 24/01/18

Casilli, Antonio ; Tubaro, Paola. – La vie privée des travailleurs de la donnée (Le Monde, 22/01/18) – Antonio A. Casilli

Mallat, Stéphane. – Sciences des données : leçon inaugurale (vidéo). – Collège de France, 11/01/18

Schmitt, Fabienne ; Madelaine, Nicolas. – Gaspard Koenig : « Chaque citoyen doit pouvoir vendre ses données personnelles ». – Les Echos, 07/01/18

Rey, Olivier ; Rouvroy, Antoinette. – Données, savoir et pouvoir (Table ronde). – PhiloInfo, décembre 2017 (vidéo).

Austen, Ian. – City of the Future? Humans, not technology, are the challenge in Toronto. – The New York Times, 29/12/17

Calimaq (Lionel Maurel). – Evgeni Morozov et le « domaine public » des données personnelles. – S.I.Lex, 29/10/17

 

Surveillance : le tour de vis occidental

fingerprint with bar codeOn assiste, depuis quelques semaines, au renforcement de la surveillance de masse en Europe et dans les pays occidentaux. La vague d’attentats et le repli sécuritaire qui touche les démocraties pourraient expliquer ce phénomène.

En France, après le vote de la loi Renseignement en juillet 2015, nous avons eu début novembre l’annonce de la création du fichier TES qui devrait rassembler dans une seule base de données « les informations personnelles et biométriques de la quasi-totalité de la population » (Numérama).  Au Royaume Uni, le nouveau projet de loi sur le renseignement Investigatory Powers Act « qui marque un durcissement de la surveillance et légalise des pratiques déjà exercées en dehors de tout cadre juridique par les services de renseignement » (Le Monde). Avec cette loi, un certain nombre d’institutions et d’organismes britanniques – finances publiques, Agence de l’alimentation, Commission des paris, services de santé – en plus des services de police et de renseignement de tout le Royaume, pourra avoir accès à toutes les connections et enregistrements internet des citoyens et résidents en Grande-Bretagne (Independent).

Outre-Atlantique, la situation est aussi inquiétante : aux Etats-Unis, le FBI a passé un accord avec la société Dataminr pour accéder en temps réel aux 500 millions de publications quotidiennes de Twitter. Comme on le lit dans Les Echos, « Ce spécialiste du croisement des données (data mining) permet à ses clients (médias, banques, fonds d’investissements) d’obtenir des informations liées aux menaces terroristes, aux troubles sociaux et politiques etc.. ».  Après la victoire de Trump, la messagerie sécurisée Signal, a con a connu une augmentation de 400% de téléchargement comme le souligne Buzz Feed News. Le site Intercept a aussi interrogé les multinationales de l’internet pour savoir si elles étaient prêtes à collaborer pour mettre en place le « fichier des musulmans » préconisé par Trump : seul Twitter a refusé cette collaboration …

Et le Monde vient de révéler, suite aux derniers documents publiés par Snowden, que les smartphones des passagers d’Air France étaient espionnés en plein vol au profit de la NSA ou du GCHQ (services secrets britanniques) …

Au Québec, les services de police de la Ville de Montréal mettent sur écoute des journalistes comme Patrick Lagacé de la Presse, informe le blog Veille pour un(e) bibliothécaire engagé(e)Security camera

Néanmoins, un certain nombre d’institutions et d’organismes réagissent à ce tour de vis.

En France, le Conseil national du Numérique et la Cnil se montrent réservés vis-à-vis du Fichier TES. Le CNNum a carrément demandé la suspension de ce fichage généralisé de la totalité des Français …

Au niveau de l’Union européenne, une eurodéputée néerlandaise a attaqué devant le Conseil d’Etat la loi sur la surveillance internationale des communications électroniques, qui complète la loi sur le renseignement. « Sophie In’t Veld du groupe libéral ADLE a décidé de déposer 2 recours devant le Conseil d’Etat pour contester l’une de ces lois » écrit Julien Lausson dans Numérama.

Comment en est-on arrivé là ?

Nous avions évoqué les systèmes de surveillance massive dans des posts précédents, notamment l’intrusion de la NSA dans les communications électroniques, mais depuis la vague d’attentats en France et la mise en place de l’état d’urgence, un certain nombre de mesures de sécurité ont été renforcées.

La Loi Renseignement, votée en 2015, avait été partiellement retoquée par le Conseil Constitutionnel, notamment en ce qui concerne le volet surveillance internationale des communications électroniques. Ce texte, destiné à encadrer le renseignement à l’étranger, écarte explicitement les personnes résidant en France. Or deux députés socialistes, Patricia Adam et Philippe Nauche, ont déposé, à la demande du gouvernement en septembre 2015, une proposition de loi visant à combler « le seul trou laissé par le Conseil constitutionnel » comme  l’exprime Guillaume Champeau de Numérama. En facilitant l’interception massive des communications sur internet et les conversations téléphoniques, ce texte vise à « tranquilliser les agents de la DGSE qui agissent actuellement dans la plus grande illégalité, faute de loi encadrant leur surveillance ».  Le texte « aménage un régime spécial pour les services de renseignement qui souhaitent collecter et analyser massivement des communications électroniques depuis l’étranger ». Mais il concerne aussi les écoutes de communications émises « depuis l’étranger » ou si les personnes sont déjà « identifiées comme  présentant une menace au regard des intérêts fondamentaux de la Nation ». Donc, si des personnes résidant en France communiquent avec des personnes situées hors du territoire français, c’est le régime de cette proposition de loi qui s’appliquerait, comme le souligne Guillaume Champeau . Pour Sophie In’t Veld, cette loi malmènerait les droits dont bénéficie n’importe quel citoyen européen. Ses propres communications vers et depuis l’étranger – elle se rend souvent au Parlement européen à Strasbourg en tant qu’eurodéputée – « sont susceptibles d’avoir été interceptées ». En questionnant la légalité de ces mesures de surveillances, ces recours visent à obtenir la suppression des données personnelles collectées entre 2008 et 2015 (avant la loi sur la surveillance internationale) et ensuite démontrer qu’il existe une sorte de discrimination entre les Français et les autres citoyens de l’UE, ce qui va à l’encontre de la Charte des droits fondamentaux. postcard-surveillance-webversion1

Contenu et métadonnées : que surveille-t-on au juste ?

On a beaucoup évoqué le chiffrement des données pour échapper au piratage ou à la surveillance des communications électroniques. Mais le chiffrement porte généralement sur le contenu des communications et plus rarement sur les métadonnées, ces données techniques qui permettent le bon acheminement des communications (origine, destinataire, date, position géographique, etc.). Le Conseil national du numérique s’est penché sur le problème du chiffrement dans un article d’approfondissement, et plus précisément sur le chiffrement des métadonnées. S’il existe de manière de masquer certaines métadonnées, avec des réseaux de type Tor, la plupart des applications grand public, « assurent la confidentialité des contenus, mais ne peuvent pas garantir l’anonymat des utilisateurs ou des terminaux utilisés ».

Alors que traditionnellement les services de renseignement s’intéressaient au contenu des communications, on privilégie aujourd’hui de plus en plus le traitement automatisé des métadonnées. Ce passage du contenu au contenant, s’explique par plusieurs raisons. D’abord, l’analyse des métadonnées se prête mieux à une surveillance généralisée et automatisée : les métadonnées sont plus difficilement sécurisables et l’analyse des contenus implique un traitement individuel, donc plus coûteux. En plus, les contenus surveillés ne sont généralement pas explicites : les terroristes ne vont jamais dire « Rendez-vous à tel endroit pour placer la bombe » comme l’explique Rémi Récio délégué général à la Commission générale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), cité par le CNNum. « en revanche, il est plus important de reconstituer un réseau, donc des données techniques sont plus importantes que ce que vont dire les gens ».

Mais que faire avec ces quantités énormes de données ? Va-t-on analyser tous les renseignements collectés ? En fait, en prenant exemple sur la veille stratégique et l’intelligence économique, le système vise  « à débusquer les signaux faibles d’une activité criminelle ou terroriste par une surveillance généralisée des réseaux. Surveiller pour prévenir, mais aussi pour prédire ».

Une fois traitées par de puissants algorithmes, les données collectées en masse vont servir à l’établissement de ‘graphes sociaux’ (cartographie de réseaux de connexions et de relations entre individus en lien avec leur activité sur internet). Combinés à des outils statistiques, ces graphes sociaux vont aider à la constitution de patterns ou modèles de comportements, afin d’anticiper les risques d’une attaque terroriste. C’est ce que prévoit la Loi Renseignement de Juillet 2015, avec l’utilisation des fameuses ‘boites noires’ pour détecter les comportements ‘signants’.

arton15480-47b03Cette attitude est très dangereuse, car tout algorithme a une marge d’erreur et va donc identifier des personnes sans intention terroriste (des ‘faux positifs’). Si la marge d’erreur est de 1% (considérée comme faible), cela pourrait faire 600 000 personnes sur une population de 60 millions ! Alors que si le nombre de vrais terroristes est de 60, ils ne représentent que 0,01% …

Cela peut amener à des dérives, comme le fait de condamner à deux ans de prison ferme une personne ayant consulté de façon répétée des sites faisant l’apologie du terrorisme [quelle que soit la radicalisation effective du suspect, qui s’est révélée être assez importante]. Comme le souligne Olivier Ertzschied dans son post « De la confidentialité de l’acte de lecture », l’année où Mein Kampf entre dans le domaine public, « serait-il possible de condamner à deux ans de prison ferme un homme pour lecture régulière et répétée de Mein Kampf ? » Qu’y a-il de différent entre « la lecture répétée de brochure papier faisant l’apologie du terrorisme distribuées (et lues) en divers endroits de la planète et la lecture répétée de sites faisant l’apologie du terrorisme ? ». Pour le chercheur, « la confidentialité de l’acte de lecture est l’un des fondements essentiels de toute démocratie ». Encore une fois, c’est privilégier une idée de la sécurité au détriment des libertés fondamentales. « Pénaliser la lecture […] c’est condamner une intentionnalité supposée, c’est un ‘effet cigogne'[corrélation plutôt que causalité]». surveillance-electronique

Malheureusement, cette condamnation d’une intentionnalité de la lecture est en train de se concrétiser aux États-Unis, comme on le découvre dans le post de Thomas Fourmeux dans Biblio Numéricus « Bibliothécaires, agissez maintenant pour protéger vos utilisateurs (avant qu’il ne soit trop tard) ». Cette transcription d’un article de l’EFF (Electronic Frontier Foundation) appelle les bibliothécaires à protéger leurs usagers les plus fragiles (adolescents, sans-abris, chômeurs, migrants) contre les agents du gouvernement qui viendraient enquêter sur les livres empruntés ou consultés et les mots-clés recherchés en ligne. Comme après la mise en place du « Patriot Act », les bibliothécaires américains s’inquiètent de la future administration Trump. « Les bibliothèques pourraient recevoir de la part du gouvernement des demandes de renseignements sans précédent sur les usagers »…

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Loi 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement. – Légifrance, 27/07/15

Repenser l’impact de la surveillance après l’affaire Snowden : sécurité nationale, droits de l’homme, démocratie, subjectivité et obéissance/Zigmunt Bauman, Didier Bigo, Paulo Esteves, Elspeth Guild et al. – Cultures et conflits, 2015/2 via Cairn.info

Rees, Marc. - Renseignement : l’exécutif annonce une proposition de loi sur la surveillance internationale. – NextInpact, 02/09/16

Champeau, Guillaume. – Surveillance internationale : ce que prévoit la proposition de loi. – Numérama, 10/09/15

Chantrel, Flavien. – Tristan Nitot « Une société sous surveillance n’est plus une société libre ». – Blog du modérateur, 05/07/16

De la confidentialité de l’acte de lecture : les algorithmes en prison. – Affordance.info, 14/08/16

Nitot, Tristan. – Surveillance : // Les libertés au défi du numérique : comprendre et agir. – Paris : C&F éditions, Blogcollection, 2016

Rees, Marc. – Loi Renseignement : un an après, où en est la centralisation des données . – NextInpact, 10/10/16

Conseil National du Numérique. – Communiqué de presse : Fichier TES : le CNNum appelle le gouvernement à suspendre sa mise en oeuvre et s’autorise à examiner des alternatives techniques plus modernes et respctueuse des lois et des libertés. – Paris, 07/11/16

Rees, Marc. – Le CNNum demande la suspension du fichage 60 millions de Français. – NextInpact, 07/11/16

Lausson, Julien. - Le CNNum demande la suspension du fichage biométrique des Français. – Numérama, 07/11/16

Il faut renoncer à l’extension de la collecte des données biométriques /Un collectif. – Libération, 20/11/16

Grondin, Anaelle. - Plus aucun tweet n’échappera au FBI. – Les Echos, 17/11/16

Surveillance : ce que contient la nouvelle loi sur le renseignement britannique. – Le Monde, 21/11/16

Griffin, Andrew. – Everyone can now see your entire internet history. – The Independent,  24/11/16

Investigatory Powers Act - Parliament UK, 29/11/16 :

Untersinger, Martin ; Follerou, Jacques. – Espionnage des avions, d’Israël et de l’Autorité palestinienne : nouvelles révélations de Snowden. – Le Monde, 07/12/16

Fourmeux, Thomas. - Bibliothécaires, agissez maintenant pour protéger vos utilisateurs (avant qu’il ne soit trop tard). – Biblio Numericus, 08/12/16

 

 

Le « Meilleur des mondes » des GAFA : l’intelligence artificielle et les biotechnologies aux commandes des « Big companies » du Net

1cf44d7975e6c86cffa70cae95b5fbb2-2Les GAFA (Google Apple Facebook Amazon) – que l’on devrait désormais appeler AAFA, Google, le moteur de recherche historique n’étant plus qu’un département de l’entité Alphabet qui couvre plusieurs champs de recherche – misent de plus en plus sur l’intelligence artificielle et les sciences et technologies de la santé dans leur course à l’hégémonie sur la toile …

Si XLab, labo de recherche  de Google a déjà lancé la Google Car (voiture autonome) et les Google Glasses (lunettes de réalité augmentée), d’après 01Net « M », l’assistant personnel de Facebook nous promet de trouver le cadeau idéal pour nos ‘amis’ en utilisant les millions de données personnelles que le réseau social recueille (à leur insu souvent …) sur le web. Avec un milliard d’utilisateurs, c’est un jeu d’enfant !

Mais, qu’il s’agisse de mégadonnées (big data) ou d’intelligence artificielle, on reste encore dans l’informatique, or les Géants du net ont voulu se diversifier dans un domaine qui va prendre de plus en plus d’importance au 21e siècle : la santé et les biotechnologies. C’est Bill Gates, l’ancien patron de Microsoft qui s’est lancé le premier avec sa fondation contre le paludisme.

Comme l’explique Olivier Ertzscheid dans Rue 89, Le Web 4.0 sera celui du génome : on est passé du web 1.0 qui a permis d’indexer des documents et de les rechercher (moteurs de recherche) au web 2.0, le web social qui recense les profils sur les réseaux sociaux ; avec le web 3.0 on passe aux objets connectés et au World Wide Wear « où le corps devient une interface comme les autres ». Après cela, après les plateformes de l’’économie du partage’ qui concurrencent de plus en plus de secteurs traditionnels, que reste-il à indexer ? L’ADN. C’est ce champ que les big companies vont investir pour créer le « web généticiel ». Olivier Ertzschied cite une étude du MIT l’Internet de l’ADN « dont l’objectif est de documenter chaque variation de chaque gène humain et de déterminer quelles sont les conséquences de ces différences ». Il évoque ainsi la possibilité « de structurer une économie de ‘servicialisation’ du vivant ». Dans cette bio-économie, Google est, bien sûr, très présent. Mais pour le moment, en dehors des délires transhumanistes du gourou Ray Kurtzweil, fondateur de la Singularity University, dont le modeste objectif est de « vaincre la mort », la société de biotech Calico du groupe Alphabet, pose ses jalons. Elle vient de s’allier avec les laboratoires français SANOFI pour travailler sur le traitement du diabète ; la société de biotechnologie avait déjà réalisé un partenariat avec la firme de santé Dexcom sur des minuscules capteurs permettant de mesurer le taux de glucose dans le sang et Google X avec Novartis pour des lentilles de contact connectées pour le même objectif, mais là à partir des larmes … !090422165949

Les autres grands acteurs du net s’investissent aussi dans d’autres secteurs comme les plateformes de services ou les objets connectés. « Amazon Home Services » connecte l’internaute à des professionnels de services à domicile, du plombier au professeur de yoga comme l’indique Charlotte Volta dans un post de l’Atelier, tandis que le Pentagone s’allie à Apple pour créer des objets connectés militaires (article du Monde Informatique).
Google se retrouve évidemment dans ce genre de plateformes, la société prévoit même de lancer sa propre place de marché permettant de connecter les internautes avec les fournisseurs de services directement, à partir de la page de résultats ! Quant aux TICE et à l’éducation en ligne, Google a déjà sa plateforme, cf post de Frédéric Lardinois sur Techcrunch, et propose son école en ligne devançant toutes les réformes des éducations nationales ! Toujours au niveau de l’éducation, Amazon fournit désormais les manuels scolaires aux écoles de New York pour une période de trois ans. Mais, comme le souligne l’article d’Actualitté, les e-books comportent des DRM qui les rendent impossibles à utiliser pour les malvoyants …

Mais les géants du Net ne sont pas tous américains … Alibaba, la star montante chinoise investit aussi dans l’intelligence artificielle pour traiter les big data. C’est ce qu’explique Guillaume Périssat dans l’Informaticien : la société « vient d’ouvrir une plateforme cloud dédiée à l’analyse de grands volumes de données, mêlant deep learning, machine learning et analyse prédictive avec une puissance de calcul inégalée et une ergonomie à toute épreuve ».000010180_imageArticlePrincipaleLarge

Devant toutes ces initiatives, notamment dans les secteurs de la santé et de l’éducation, on peut se poser la question : quid des États et des institutions internationales ? Or, comme le souligne le chirurgien Laurent Alexandre, cité par Hervé le Crosnier, invité des Matins d’été sur France Culture « Google et les autres géants du net sont plus puissants que les Etats. Quel Etat peut investir un milliard de dollars dans la recherche ? Pourtant, il est de la responsabilité du politique d’investir dans les nouvelles technologies ». Or comme rappelle Hervé le Crosnier, « un milliard c’est ce que Google doit au fisc français … ». Ces activités donnent un pouvoir énorme à ces entreprises : les algorithmes mis en œuvre permettent de comprendre beaucoup de choses à partir des données personnelles et à agir. Grâce à l’intelligence artificielle et au ‘deep learning’, ils peuvent non seulement classifier et interpréter les données recueillies, mais aussi analyser les émotions (ex : reconnaissance faciale des photos dans Facebook) et ainsi définir les « besoins » des utilisateurs. Des chercheurs de Cambridge assurent dans une étude pouvoir déduire l’âge, le genre, la religion et l’opinion politique des utilisateurs à partir des seuls « like » du réseau social … !

D’autre part, lorsque l’ont fait une recherche sur Google, le ‘Page rank’, l’algorithme du moteur de recherche, va sélectionner sur l’ensemble des résultats ceux qui correspondent le plus à l’utilisateur : à partir des recherches précédentes mais aussi de la géolocalisation (programmes du cinéma d’à côté, par ex.). Cet algorithme représente le modèle que Google se fait de ce que nous sommes. On arrive ici à la limite de la personnalisation.

Comme l’exprime Henri Verdier dans son blog, « C’est le réel lui-même qui est retranscrit en données, qui est analysé à un nouveau niveau de granularité ». Le ‘quantified self’, ce ‘moi quantifié’ peut traduire, à travers les mesures des objets connectés de bien-être (bracelets, vêtements), soit « un désir de maitrise de son propre destin, de connaissance de soi, soit une menace sur la vie privée […] la pénétration de l’empire du management dans la sphère la plus intime du corps ».

Comme le rappelle Sophie Coisne, rédactrice en chef de La Recherche, la médecine personnalisée, si elle peut apporter des réponses appropriées dans des cas très précis, peut aussi représenter un grand danger, par exemple dans le cas des médicaments adaptés à chacun, car on n’a plus aucun contrôle sur les données … Cela implique des protocoles de recherche qui coûtent des millions, un pur fantasme !

Il faut réfléchir à la question : « Qui fixe les buts ? La machine ou les humains ? » « Deviendrons-nous les ‘entrepreneurs’ de nos données, ou serons-nous progressivement enserrés dans des étaux, asservis voire ‘marchandisés’ » (Henri Verdier) ?

Il existe néanmoins des projets institutionnels dans ces technologies de pointe. L’Union européenne, à travers son programme H2020 présente 17 projets de robotique (robots industriels, bras articulés, humanoïdes de compagnie) impliquant de l’intelligence artificielle et des éléments de cognitique.

Il en est de même en France dans le cadre du Commissariat général à la Stratégie et à la Prospective qui a produit l’étude « La dynamique d’internet : Prospective 2030 ».

A la différence de ceux des Gafa, ces projets prennent en compte les contraintes juridiques liées aux données personnelles, du moins on peut l’espérer …

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France ; Premier Ministre ; Commissariat général à la stratégie et à la prospective. – La dynamique d’internet : Prospective 2030. – Études n°1, 2013. via Slideshare.

L’intelligence artificielle, le nouveau dada de Google. – ITespresso, 24/10/14

Bazin, Amélie ; Pacary, Jade ; Jean, Camille. – La lovotique : vers des machines reconnaissant les émotions ?Culturenum, 03/12/14 (U. de Caen – notes de synthèses par les étudiant(e)s).

Regalado, Antonio. – Internet of DNA. – MIT Technology Review, 2015.

European Commission ; CORDIS. – Robotics gets celebrated with 17 new projects under H2020.Cordis.europa, 27/01/15

Intelligence artificielle : jusqu’où iront les réseaux sociaux ?La Recherche, avril 2015

Voltat, Charlotte. – Quand les géants du Net s’attaquent à l’industrie du service.L’Atelier, 30/04/15

Ertzscheid, Olivier. – Le web 4.0 sera celui du génome, et il y a de quoi flipper. – Rue 89-L’Obs, 07/03/15

Belfort, Guillaume. – Google signe avec Novartis pour des lentilles de contact connectées. – Clubic, 15/07/15

Intelligence artificielle, transhumanisme : quel futur les GAFA nous préparent-ils ? – Avec Sophie Coisne et Hervé Le Crosnier. – Les matins d’été – France Culture, 19/08/15

Lardinois, Frédéric. – Google classroom gets an update ahead of new school year. – Techcrunch, 24/08/15

Périssat, Guillaume. – Alibaba lance une offre de service en intelligence artificielle destinée au Big Data. – L’informaticien, 25/08/15

Gary, Nicolas. – New-York signe avec Amazon, aveugle aux problème de lecture ? - Actualitté, 27/08/15

Facebook annonce « M », un assistant personnel intégré à la messagerie.01Net, 28/08/15

Filippone, Dominique. – Le Pentagone s’allie avec Apple pour créer des objets connectés militaires.Le Monde informatique, 28/08/15

Le Quantified self, pivot de la révolution des données. – Henri Verdier Blog, 30/08/15

Dove, Jackie. – Google Life Sciences teams up withe Sanofi to,take down diabetes. – The Next Web, 01/09/15

Fredouelle, Aude. – Quels sont les projets connus de Google X ?Journal du Net, 02/09/15


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