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Métavers, utopie ultime ou transformation des plateformes

  METAVERSEL’annonce de Mark Zuckerberg en fin d’année dernière n’a pas véritablement surpris les spécialistes. En renommant son entreprise « Meta » et en transformant les différents services numériques en un ‘métavers’, le patron de Facebook ne fait que suivre une tendance que d’autres acteurs du numérique ont déjà anticipée, notamment dans le monde des jeux en ligne. Qu’est-ce donc que cet univers où tout un chacun pourraient s’adonner à ses activités (échanger, consommer, se distraire) sur un mode virtuel et sous la forme d’un avatar ?

A la faveur du confinement dû à la pandémie, un certain nombre d’activités et d’événements étaient passé sur la scène virtuelle et de nombreuses plateformes proposaient de transformer leurs services. Jusqu’à Jean-Luc Mélenchon qui s’est représenté par son hologramme dans un meeting, puis aujourd’hui avec des vidéos immersives et olfactives !

Outre les jeux en ligne (Fortnite d’Epic Games, Animal crossing, GTA), le télé-enseignement et le télétravail ouvraient des classes et des salles de réunion virtuelles, où parents et enfants se partageaient la bande passante !

Le métavers va-t-il renouer avec l’utopie humaniste des débuts de l’internet ou n’est-il qu’une transformation plus profonde des plateformes numériques en leur permettant de continuer leurs activités économiques habituelles sur un mode virtuel ?

Définitions et premières expériences du métavers

« Un métavers (de l’anglais metaverse, contraction de meta universe, c’est-à-dire méta-univers) est un monde virtuel fictif. Le terme est régulièrement utilisé pour décrire une future version d’Internet où des espaces virtuels, persistants et partagés sont accessibles via interaction 3D.

Une définition différente considère « le métavers » comme l’ensemble des mondes virtuels connectés à Internet, lesquels sont perçus en réalité augmentée. » (Wikipedia)

Le métavers est donc une sorte de copie du monde réel en immersion en trois dimensions qui devrait prendre la suite d’internet, où les utilisateurs évoluent dans des environnements fictifs sous forme de personnages numériques (avatars). Il est accessible par des moyens informatiques (ordinateur, smartphone, équipement de réalité visuelle). Il est persistant, c’est-à-dire qu’il existe de façon continue, comme le monde réel. Si un utilisateur se déconnecte, le métavers continue à ‘vivre’ et à se développer sans lui.

Ce concept se retrouve dans de nombreuses œuvres de science fiction, mais a surtout été développé par l’écrivain Neal Stephenson dans son roman « Le Samouraï virtuel » (Snow Crash) en 1992. Un informaticien hacker et livreur de pizzas qui vit misérablement dans l’Amérique de la ‘gig-economy, passe ses meilleurs moments dans le monde virtuel qu’il a contribué à créer. A cette époque, la technologie n’était pas encore mûre pour implémenter un tel univers virtuel, mais cet ouvrage a été considéré comme le ‘cahier des charge’ du métavers. De nombreux aspects de cet univers se retrouvent aujourd’hui dans les réalisations possibles des métavers : aspects économiques et financiers avec les investissements du monde réel dans le monde virtuel, le code informatique comme loi, le mode d’accès à l’aide de lunettes ou d’une interface bio-intégrée (les casques de réalité virtuelle) etc.

Premières expériences

En 1997, Canal + Multimedia et Cryo lancent le Deuxième monde : cette reconstitution de Paris en 3D permet aux membres de cette communauté de se rencontrer à travers des avatars. J’ai personnellement testé ce logiciel, mais je n’en ai pas gardé un souvenir inoubliable ! Mon avatar, plutôt ridicule, avait suscité des réflexions ironiques de la part d’autres membres … Cette expérience s’est arrêtée en 2001.

Second Life, créé par Linden Lab en 2003, est à la fois un jeu et un réseau social, il permet à ses utilisateurs d’incarner des personnages virtuels dans un monde créé par les résidents eux-mêmes. Les utilisateurs peuvent concevoir le contenu du jeu : vêtements, bâtiments, objets, animations et sons, etc., ainsi qu’acquérir des parcelles de terrain dont ils obtiennent la jouissance en utilisant une monnaie virtuelle. Ayant connu un pic d’utilisateurs entre 2007 et 2009 – tous les candidats à la présidentielle de 2007 y avaient ouverts des bureaux virtuels, plus de 88000 connexions en 2009 – la plateforme connaît un déclin à partir de 2012. La crise des subprimes de 2008 et la création de Facebook, plus facile à utiliser, pourraient expliquer cette désaffection. Malgré son acquisition par une autre compagnie, la plateforme n’a pas disparu et a connu une légère augmentation de connexions en 2020, pendant le confinement. Certains utilisateurs pensent même lui redonner une seconde jeunesse en misant sur les NFT, comme le signale Amandine Joniaux dans le Journal du Geek, citant le fondateur du jeu, Philip Rosendale. 1461016-facebook-workrooms-est-un-embryon-de-metavers-permettant-aux-salaries-d-une-entreprises-d-echanger-a-distance-de-facon-plus-naturelle

 

Les métavers aujourd’hui

Comme on l’a vu Mark Zuckerberg n’a pas inventé le concept de métavers et d’autres sociétés ont développé des plateformes logicielles qui se déploient aussi dans une dimension virtuelle.Comme le prédit Frédéric Charles dans ZDNet, « Finalement on commence à entrevoir une multitude de Métavers, et non un univers unifié par ses standards comme Internet s’est construit. On découvre chaque jour de nouveaux bourgeons sur cette branche de l’Internet, que certains appellent déjà le Web3. »

Les autres GAFAMs, bien sûr, Amazon avec le jeu vidéo New World depuis 2020, Apple a un projet pour 2022 avec un casque de réalité virtuelle. Microsoft, enfin, qui est en train de transformer son logiciel de communication professionnelle Team en Mesh, univers de télétravail et surtout qui a l’intention d’acquérir pour près de 70 milliards de dollars l’éditeur de jeux Activision Blizzard. Cette transaction servira de base à la création de Microsoft Gaming, une nouvelle division qui englobera l’ensemble des marques de jeux pour PC, consoles et smartphones du fabricant de Windows, ainsi qu’un autre projet très important, peut-être même plus important encore : son projet d’entrer dans le « metaverse », comme le souligne Michael Gariffo dans ZDNet.

D’autres acteurs venus des jeux en ligne multijoueurs, comme Roblox ou Epic Game (Fornite), misent aussi sur le développement des métavers. A la faveur du confinement, en avril 2020 le rappeur Travis Scott a réuni plusieurs millions de spectateurs pour une série de concert en ligne sur Fortnite et Décentraland prépare pour mars 2022 sa première semaine de mode avec des défilés de grands couturiers comme Gucci, Dolce & Gabbana ou Ralph Lorenz, annonce Anne-Lise Klein dans Cointribune.

Baidu, en Chine et Zepeto en Corée du Sud ont mis en œuvre chacune leur propre univers virtuel. Disponible uniquement en Chine depuis le 27 décembre 2021, XiRang, (Terre d’espoir) l’application de réalité virtuelle accessible sur téléphone portable, ordinateur ou casque de réalité virtuelle permet à ses utilisateurs sous la forme de de personnages numériques (avatars) d’interagir dans un monde en 3D. Ils peuvent se rendre dans une exposition (virtuelle) ou une reproduction du temple de Shaolin ou encore se baigner dans une piscine numérique … Toujours en Chine, d’autres géants du numérique comme ByteDance (TikTok), Tencent ou Alibaba réfléchissent aux diverses opportunités offertes par le métavers comme l’indique Le Monde.

 La plateforme Zepeto a été créée en 2018 et compte déjà 250 millions d’utilisateurs. Elle vient d’être valorisée à un milliard de dollars et est populaire aussi bien en Corée du Sud qu’en Chine, au Japon et en Indonésie. L’univers de Zepeto rappelle celui de Second Life « Un autre moi dans un autre univers » « retrouver des amis du monde entier à l’endroit où vous voulez ». Les avatars peuvent se croiser, se parler, mais aussi acheter des vêtements, construire des maisons, créer des cartes. Mais surtout, les utilisateurs sont surtout des utilisatrices : 70% sont des femmes, la plupart entre 13 et 24 ans. C’est souvent le premier réseau social qu’elles utilisent. Car en plus de maîtriser leur apparence, elles évitent la pression des autres réseaux sociaux. Comme l’évoque Aurore Gayte dans Numérama, « les utilisatrices expliquent pouvoir mieux échapper aux regards des autres sur Zepeto et aux mauvaises influences ». Toujours en Corée du Sud, le projet ‘Metaverse Seoul’ du gouvernement coréen devrait faire de la capitale du pays la première ville dans le métavers. Les résidents de la ville pourront se promener dans les rues, assister à des festivals, acheter des objets virtuels dans les commerces, faire des démarches administratives, etc.

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Le Metavers comme espace économique et financier

Si les métavers proviennent souvent du monde des jeux et se présentent comme des plateformes gratuites, la plupart des projets proposent des activités commerciales et financières et disposent souvent de leur propre monnaie, virtuelle mais convertible dans des devises bien réelles !

Déjà Second Life au pic de sa popularité avec des centaines de milliers de résidents déclarait un produit intérieur brut de 500 milliards de dollars, comme le souligne Andrew R. Chow dans Time. Pendant les dix ans qui ont suivi son lancement, les utilisateurs de Second Life ont dépensé 3,2 milliards de vrai argent dans différentes transactions !

Ce n’est pas pour rien que Facebook compte investir 50 milliards de dollars dans Meta et embaucher 10 000 ingénieurs en Europe !

Outre la vente d’objets virtuels dans les boutiques qui ouvrent dans les artères du monde virtuel, le métavers connaît une importante activité foncière. Tout un chacun veut acheter un terrain et faire construire près de la demeure d’une star. Un anonyme vient de payer 450 000 dollars une parcelle dans the Sandbox, tandis qu’en décembre, Republic Realms a acheté une propriété toujours dans le même métavers pour la somme de 4. 300 000 de dollars, comme l’indique Les Echos du 11 janvier.

Les différentes activités et secteurs économiques du metavers Le-metavers-saffirme-comme-lieu-dexperimentation-a-la-rencontre-des-consommateurs

Doublure du monde réel, le métavers compte de nombreuses activités qui impliquent des transactions économiques. Nous avons déjà évoqué l’importance du foncier et des commerces qui fleurissent dans l’univers virtuel. Souvent liés aux jeux en ligne, les achats servent à améliorer l’aspect et l’environnement des avatars.

Des événements comme les concerts ou les défilés de mode peuvent aussi présenter un aspect économique, avec la création de NFT comme les marques de luxe l’ont réalisé sur la plateforme MANA de Décentraland, voir larticle de Anne-Lise Klein sur Cointribune.

Les réunions de travail qui se sont multipliées grâce à Zoom ou Meet pourraient se développer avec des applications 3D comme le projet Mesh de Microsoft qui se propose de déployer son appli Teams.

L’enseignement à distance pourrait aussi avoir sa version metavers comme Winkyverse, une application ludo-éducative en 3D, développée par des ingénieurs et des chercheurs de l’école Polytechnique. Un projet qui a déjà récolté 20 millions d’euros.

Les métiers du métavers

Les utilisateurs de ce monde ne sont pas seulement des consommateurs, il existe plusieurs activités rémunérées qui permettent de gagner sa vie en travaillant dans le multivers comme :

  • créateur de mode pour avatars
  • architecte de maisons virtuelles
  • créateur de NFT (Non Fungible Token) illustration-du-metaverse-degrade-23-2149252227
  • créateur de jeux ou d’applications
  • formateur en ligne

Et bien sûr l’activité de banque et de cryptomonnaie qui permet de réaliser toutes ces transactions virtuelles et surtout de les transformer en revenus dans le monde réel…

« En novembre, la société de gestion d’actifs numériques Grayscale a estimé que le métaverse a le potentiel de devenir une source importante de revenus allant jusqu’à 1000 milliards de dollars »  indique Anne-Lise Klein dans Cointribune.

Les NFT et les cryptomonnaies

Les ‘jetons non fongibles’ (Non Fongible Tokens NFT) «  sont des titres de propriété rattachés à une œuvre. Ces jetons établissent un lien indéfectible entre un objet et une adresse sur une blockchain. Ils permettent de monétiser, d’échanger et de spéculer sur tous les actifs imaginables, aussi bien dans le monde réel que virtuel. Ce marché connaît un engouement spéculatif mondial depuis 2020. « les ventes de « jetons non fongibles » ou NFT sur la plateforme leader OpenSea dépassent déjà les 2 milliards de dollars cette année, contre 22 milliards sur l’ensemble de l’année 2021. » comme le note Nissim Ait-Kassimi dans les Echos.

Les cryptomonnaies : comme on l’a vu, les premiers métavers disposaient déjà de leur propre monnaie au début des années 2000, une opportunité pour les cryptomonnaies comme le bitcoin ou l’Etherum qui développe d’ailleurs sa propre plateforme.

 

Quelles technologies pour les métavers : infrastructures et équipements

 Dans-le-metavers-de-Facebook-la-publicite-sannonce-encore-plusAu dernier salon CES à Las Vegas, les objets du métavers tenaient le haut du pavé d’après l’article de Meta-Media: casques de réalité virtuelle, vêtements à sensation haptique (toucher), micros, cartouches olfactives, etc.

Mais ces équipements, bien qu’indispensable à une pratique virtuelle sont secondaires par rapport aux infrastructures des plateformes et surtout des relations entre elles comme l’interopérabilité.

« Pour rendre le monde virtuel crédible, il faudrait une puissance de calcul 1000 fois plus puissante que celle dont on bénéficie aujourd’hui » c’est le constat d’un cadre d’Intel, cité par Corentin Béchade de Numérama. Pour rendre les avatars convaicants, on doit disposer de capteurs détectant les objets en 3D dans le monde réel (les gestes, les sons), et ce multiplié par des centaines de millions d’utilisateurs simultanément. « Notre infrastructure de stockage et de mise en réseau actuel n’est tout simplement pas suffisante pour permettre cette vision » selon Roja Koduré d’Intel. Le temps de latence (temps de réaction) doit aussi être réduit pour ne pas ‘lagger’ (traîner) sur le métavers !

Aujourd’hui seuls les pays les plus riches peuvent se doter de l’infrastructure et de moyens économiques suffisants pour créer un monde virtuel.

Le coût écologique est aussi très important. Dans l’empreinte carbone du numérique, 70% concerne les terminaux (casques VR, objets connectés).

L’interopérabilité

Un des défaut des jeux vidéo est le manque d’interopérabilité entre les différentes applications et supports ; chacun est sensé rester sur la même plateforme ou la même console. Avec l’interopérabilité, on pourra acheter des vêtements sur Roblox et assister à un film sur Fortnite. a2f7e86d1662a65781848f9b27e6c29c

 

Les enjeux éthiques et politiques induits par les métavers

Les métavers semblent se constituer à partir de considérations essentiellement marchandes. Pourtant, les politiques devraient se soucier aussi de ce qui se passe dans ces mondes virtuels. Comme le souligne Matthias Hauser dans l‘article du portail-ie « Mais dans cette effervescence, il est nécessaire d’évoquer une question cruciale que peu de gens évoquent : celle du rapport de force qui opposera les Etats aux entreprises privées dans ce nouvel écosystème de républiques numériques. »

Alors que jusqu’en 2020 la frontière restait très claire entre le monde réel et le monde virtuel, essentiellement dédié aux jeux. Depuis la crise sanitaire et les confinements, les entreprises du monde réel y voient un moyen d’asseoir la puissance qu’ils ne peuvent plus exercer dans un monde sous confinement. Elles ont organisé des événements comme les concerts sur Fortnite ou les défilés de mode sur Decentraland. Des entreprises sont prêtes à débourser des centaines de milliers de dollars pour des encarts publicitaires virtuels, des terrains virtuels ou des objets virtuels.

L’addiction

Le passage du monde réel à un monde virtuel passe par la liberté apportée par l’utilisation des mondes virtuels, qui va parfois jusqu’à une désinhibition totale et même provoquer une addiction, concept compliqué qui ne peut se comprendre en restant au niveau du virtuel. Gregory Maubon se demande dans Augmented Reality « Serons-nous plus attiré par un Metaverse “idéal” si le monde réel devient plus angoissant, moins capable de nous satisfaire ? « Comme le dit le psychologue Michael Stora “Nous ne sommes pas tous égaux dans notre capacité à aimer le réel” et la génération Z semble avoir plus de désillusions. Est-ce un bon modèle économique de proposer du bonheur en ligne ? Cela peut-il nous amener à des conséquences dramatiques pour les utilisateurs ? ».

Le métavers n’est pas un monde meilleur, c’est toujours le monde capitaliste mondialisé, un univers marchand, coordonné et régi par les multinationales du numérique. Les innovations techniques ne sont pas destinées à développer la productivité, mais à assurer des rentes aux multinationales ! Comme l’analyse Romaric Godin dans Médiapart «  on n’est pas loin de l’idée d’enclosure qui a tant contribué à la constitution du capitalisme ». Le journaliste évoque La Société du spectacle de Guy Debord « Le ‘spectacle’ est précisément cette forme que prend le capital réduit à trouver de la valeur hors du monde réeL « La marchandisation se contemple elle-même dans le monde qu’elle a créé. C’est un ‘leurre qui produit une ‘fausse conscience du désir dans le seul intérêt de la marchandise ».

Matthias Hauser insiste aussi sur ce point « le pouvoir déjà acquis par les GAFAM dans la version actuelle du web leur donne un temps d’avance considérable dans la course au métaverse. » Ces entreprises « sont des quasi-Etats, elles en ont la puissance économique qui commence à s’étendre aux sphères politiques, financières et sociétales ». Avec le métavers, les GAFAM pourront prendre le contrôle sur nos données professionnelles, sociales, financières et de notre vie privée …

Données personnelles

 tendances-tech-2020Si le recueil de données personnelles est déjà important sur le web, il va devenir explosif sur le métavers. Grâce aux différents capteurs, le moindre mouvement de nos avatars sera examiné et suivi … Mouvements des yeux, expressions du visage, allure, etc. Selon Edward Back de Futura « Le Financial Times a passé en revue des centaines de demandes de brevets déposés par Meta aux États-Unis au cours de l’année écoulée, dont beaucoup ont été accordés, pour mieux comprendre la vision d’avenir de la firme. » Beaucoup de ces brevets portent sur des systèmes de capteurs qui ont pour objectif « de créer des copies 3D des personnes et objets tellement réalistes qu’ils sont impossibles à distinguer de l’original. Le système a été décrit comme « un programme de clonage humain ».

C’est aussi ce que craint Régis Chatellier du LINC-Cnil : « Le – ou les – métavers restent néanmoins des dispositifs numériques où l’extension du domaine de la collecte des données pourrait s’avérer problématique si leur développement n’est pas maîtrisé. ». Dans cet ‘internet augmenté’, « une transformation des interfaces ne va pas sans la transformation des modalités de la collecte des données ». Même si Facebook a promis de réduire la quantité de données utilisées et de respecter la vie privée des utilisateurs en leur octroyant la transparence et le contrôle de leurs données, « d’un point de vue de la protection des données et des libertés, la véritable question à se poser réside dans les risques d’augmentation associée – et potentiellement exponentielle – de collecte des données, et d’un usage toujours plus massif de celles-ci. ». Car le métavers réduit la capacité individuelle d’échapper à la collecte de données, garantie aussi bien par le RGPD que le règlement ‘vie privée et communications électroniques’- e-Privacy. Les ‘conditions générales d’utilisation’ du système deviennent la loi. « Faudra-t-il redéfinir une ‘sphère privée virtuelle’ dans le métavers lui-meme et la protéger des intérêts commerciaux et régaliens ? »

Plus dramatiquement, c’est la souveraineté des États qui est remise en cause. Dans la situation ou tout ou partie de l’activité humaine se passait dans le métavers, « l’Etat se trouverait dépossédé de la plupart de ses prérogatives : police, justice, émission de la monnaie, taxes, etc. Il disparaîtrait presque totalement face à des entreprises privées ». En effet, que pourrait faire la puissance publique face à des citoyens qui convertissent les euros qu’ils gagnent dans le monde réel en cryptomonnaie pour les dépenser dans le métavers ? Si 30% de la population achète des vacances virtuelles ou des appartements virtuels en payant des taxes virtuelles ?

Les mondes virtuels où vivront nos enfants seront-ils encore sous le contrôle d’un État ? « Ou bien sous le contrôle de quelques entreprises qui émettront leur monnaie virtuelle, choisiront leurs taux d’intérêt virtuel et feront de leurs ‘Terms of Service’ le nouveau Code Civil, qui nommeront une police virtuelle pour exclure de ce monde (et du monde) les utilisateurs problématiques. »

A cet question Régis Chatellier essaie d’apporter un peu d’espoir dans son post sur LINC-CNIL « Ce nouvel internet immersif, s’il offre des perspectives alléchantes pour certains autant qu’inquiétantes pour les libertés pourrait aussi permettre le développement de modèles alternatifs et variés afin que le gagnant ne soit pas celui qui remporte l’ensemble du marché (Winners take all) ». Comme dans les forums de discussion des années 2000 où dans certaines communautés de Seconde Life, on pourrait « réguler ces espaces afin que les utilisateurs puissent naviguer et se mouvoir dans des univers interopérables respectueux et transparents ». 34cbff18785b037fb8c5bf4adaf5b0f6

 Pour aller plus loin

Charles, Frédéric. – Le métavers s’emballe déjà. – ZDNet, 22/01/2022

Facebook : le métavers pourrait revendre des données sur nos expressions faciales à des fins publicitaires. – 20 minutes, 20/01/2022

Gariffo, Michael. – Le paris géant de Microsoft sur Activision Blizzard ? Son billet pour le métaverse. - ZDNet, 20/01/2022

Fillioux, Frédéric. – Roblox, porte d’entrée des enfants vers le métavers. – L’Express, 19/01/2022

Moirand, Emmanuel. – Pourquoi aller dans le métaverse sans attendre ? - Journal du Net, 18/01/2022

Aït-Kacimi, Nessim. – Les NFT restent le segment le plus dynamique du marché des cryptos.Les Echos, 18/01/2022

Carriat, Julie. - Jean-Luc Mélenchon marque les esprits par son meeting immersif.Le Monde, 17/01/2022

Sample, Ian. – ‘Virtual reality is genuine reality’ so embrace it, says philosopher. - The Guardian, 17/01/2022

Fievet, Cyril. – Crypto, métaverse, intelligence artificielle, robotique : quelles sont les grandes tendances techno en 2022 ? Clubic, 16/01/2022

Jonniaux, Amandine. – 20 ans plus tard, Second Life veut devenir le premeir Métaverse.Journal du Geek, 16/01/2022

Bremme, Kati. - CES 2022 : la tech se rue sur le métavers. – Meta-Média, 15/01/2022

Dicharry, Elsa. – Métavers : l’immobilier virtuel fait des premiers pas retentissants. – Les Echos, 11/01/2022

Breton, Olivier. – Méta, métavers, la fin de nos libertés. - CBNews, 06/01/2022

Hauser, Mathias. – Le métaverse, enjeu de souveraineté (2/2). – Portail de l’IE, 07/01/2022

Hauser, Mathias. – Le métaverse, enjeu de souveraineté (1/2). - Portail de L’IE, 05/01/2022

Stocker-Walker, Chris. - The metaverse : What it is, will it work, and does anyone want it?New Scientist, 05/01/2022

Klein, Anne-Lise. – Métaverse : Decentraland (MANA) lance sa première semaine de mode. - Cointribune, 28/12/2021

Fagot, Vincent. - Le métavers, prochaine génération d’internet, pourrait rabattre les cartes du numérique. – Le Monde, maj 27/12/2021

Métavers : Baidu lance son application de monde parallèle virtuel.Le Monde, 27/12/2021

Gayte, Aurore. – Zepeto, un métaverse que vous ne connaissez pas et qui a des centaines de milliers d’utilisatrices. – Numérama, 24/12/2021

Béchade, Corentin. – Pour faire tourner le métaverse, il faudra changer l' »infrastructure entière de l’internet ». – Numérama, 17/12/2021

Godin, Romaric. – La marchandisation du virtuel : la fuite en avant du système économique. – Médiapart, 08/12/2021

Crète, David. – Le Métavers de Facebook, prison ou révolution ? - The Conversation, 30/11/2021

Chow, Andrew R. – 6 lessons on the future of Metaverse from the creator of Second Life. – Time, 26/11/2021

Josué, Frédéric. – Métavers, internet liquide, média organique ou comment prendre des décisions dans la complexité du métavers.Méta-média, 13/11/2021

Chatellier, Régis. – Métavers : Réalités virtuelles ou collectes augmentées. – LINC, 05/11/2021

Roach, John. – Mesh for Microsoft Teams aims to make collaboration in the metaverse personnal and fun. Microsoft - Innovation Stories, 02/11/2021

Maubon, Grégory. – Le métaverse sera-t-il un monde idéal ou un cauchemar agréable ? Discussion avec Michael Stora. - Augmented reality, 20/09/2021

Fievet, Cyril. – Métaverse : de la science-fiction au projet tangible, histoire d’une idée folle devenue incontournable.Clubic, 29/09/2021

Maillé, Pablo. – ‘Metavers’ : Quand Zuckerberg rêve d’un monde 100% FacebookUsbek & Rica, 30/07/2021

Stephenson, Neal ; Abadia, Guy (trad). – Le Samourai virtuel. – Livre de Poche, 2017 (collection imaginaire)

 

 

Qui a peur de la 5G ? Débats et controverses sur la dernière génération de téléphonie mobile

5g-antennes-vignette-dossierLe 1er octobre, le gouvernement a récolté 2,786 milliards d’euros suite aux enchères autorisant le déploiement sur le territoire français de la technologie de 5e génération de téléphonie mobile. Que représente cette technologie ? Est-elle réellement disruptive ? Que va-t-elle changer dans nos usages ? A voir s’enflammer les débats autour de son adoption, on croit assister à une véritable guerre des anciens contre les modernes …

A cela s’ajoutent des enjeux géopolitiques et géoéconomiques, la Chine dominant pour le moment le marché mondial de la 5G et les Etats-Unis n’ayant pas encore déployé cette technologie comme l’explique Evgeny Morosov dans le Monde Diplomatique. L’Europe a ainsi une opportunité de participer avec ses deux constructeurs Ericsson et Nokia … Comme le dit Philippe Escande dans son éditorial du Monde « Il est temps que s’ouvre enfin une réflexion apaisée et argumentée, aussi bien sur ses avantages que sur ses inconvénients ». Début septembre, 70 élus de gauche et écologistes demandaient un moratoire sur le déploiement de cette technologie, en accord avec les préconisations de la Convention citoyenne pour le climat. « Ces élus proposent une suspension du déploiement de la technologie « au moins jusqu’à l’été 2021 », ainsi que la « tenue d’un débat démocratique décentralisé sur la 5G et sur les usages numériques », la priorité serait pour eux plutôt la réduction de la ‘fracture numérique’ « à travers le développement de la fibre en zone rurale et en finalisant le déploiement de la 4G ». (Le Parisien). Les élus insistaient sur le fait que cette technologie augmenterait la consommation électrique et comporterait des risques en matière de santé.

La technologie 5G

« En télécommunications, la 5G est la cinquième génération des standards pour la téléphonie mobile. Succédant à la quatrième génération, appelée 4G, elle prolonge l’exploitation technologique LTE (Long Term Evolution : norme de réseau de téléphonie mobile 4G)

La technologie 5G donnera accès à des débits dépassant de 2 ordres de grandeur la 4G, avec des temps de latence (délais de transmission dans les communications informatiques) très courts et une haute fiabilité, tout en augmentant le nombre de connexions simultanées par surface couverte. Elle vise à supporter jusqu’à un million de mobiles au kilomètre carré (dix fois plus que la 4G). Une fois déployée, elle doit permettre des débits de télécommunications mobiles de plusieurs gigabits de données par seconde, soit jusqu’à 1 000 fois plus que les réseaux mobiles employés en 2010 jusqu’à 100 fois plus rapides que la 4G initiale » (Wikipedia)

Les avantages de la 5G

  • ict-expert-luxembourg-visu-5g-applis-prometteusesAccélération de la transmission des données et temps de latence raccourcis : 10 à 100 fois plus rapide que la 4G. Mais comme le fait remarquer Xavier Lagrange dans l’article de The Conversation, « Il ne s’agit pas d’une rupture technologique majeure, mais plutôt d’améliorations […] la technologie repose sur les mêmes principes que la 4G, c’est la même forme d’onde qui sera utilisée, le même principe de transmission ».

« A-t-on besoin d’aller plus vite ? Pour certaines applications, dans certains champs professionnels, oui. Pour d’autres, … bien au contraire. » remarque Olivier Ertzschied dans son post d’Affordance.info

  • Baisse de la consommation d’énergie : « La 5G permet une meilleure gestion des faisceaux de communication avec deux avantages immédiats : une baisse de la consommation énergétique car la dispersion des ondes radio est limitée ; une amélioration de la qualité d’utilisation des ondes radio, puisque les interférences sont évitées » (Parti Pirate). Mais la baisse de la consommation énergétique peut mener à une augmentation des échanges de communications, donc à consommer plus … Comme le soutient Jean Soubiron, dans sa tribune sur Libération « Dans les faits, les technologies plus efficientes permettent à l’économie de produire davantage, entraînant inévitablement un accroissement des consommations de matières et d’énergie. » De plus, « L’utilisation de nouvelles fréquences ne peut, que conduire à la consommation électrique des opérateurs » (The Conversation).
  • Un réseau plus flexible : le réseau déployé sera configurable. A terme, il fera beaucoup plus appel à des technologies informatiques de virtualisation. « L’opérateur pourra faire démarrer des machines virtuelles pour, par exemple, s’adapter à une demande accrue d’utilisateurs dans certaines zones ou à certains moments et au contraire ; diminuer les capacités si peu de personnes sont présentes » (The Conversation).
  • Diminution des coûts : Plutôt pour les opérateurs que pour les consommateurs.
  • De nouvelles applications : Avec la 5G, on va connaître l’expansion de l’Internet des objets (IOT : Internet Of Things) avec la voiture autonome et la « ville connectée » (Smart city). Elle encouragera aussi le développement de la télé-médecine et l’automatisation de l’industrie « Pour les industriels, nous pouvons penser aux usines connectées et automatisées dans lesquelles un grand nombre de machines devront pouvoir communiquer entre elles et avec le réseau global ». Pour les consommateurs, l’augmentation de la vitesse du réseau permettra le téléchargement plus rapide de toutes sortes de fichiers (vidéos en direct ou en streaming, jeux vidéo, etc.).

Ces nouvelles fonctionnalités s’adressent en fait plus à l’industrie et aux services plus qu’au grand public. Là encore, Olivier Ertzschied, pose la question « Le déploiement de cet internet des objets est-il nécessaire et utile à la société et aux individus qui la composent ? » Si l’on considère par exemple le cas des voitures connectées, « si le risque est présent, ce n’est pas parce que les choses (programmes, algorithmes, capteurs) vont trop lentement, c’est justement parce qu’ils vont (déjà) trop vite dans leurs boucle de rétroaction […] un accident de la route impliquant une voiture autonome peut également advenir et n’être pas évitable ou évité, soit du fait de la vitesse de l’échange des informations et données nécessaires à la prise de décision, soit du fait de la décorrélation entre la vitesse  de prise de décision des véhicules ‘autonomes’ et celle des véhicules ‘non-autonomes ».

Les risques pour l’environnement et la santé images_ville

Depuis le début de l’année, des associations alertent les pouvoirs publics sur les risques de cette technologie pour la santé et l’environnement. Agir pour la santé et PRIARTEM ont déposé plusieurs recours devant le Conseil d’Etat visant à geler le déploiement de la 5G. Ces associations ont souligné les incertitudes qui accompagnent les émissions d’ondes et demandent l’application du principe de précaution. « On sait que ces ondes ont un impact sur notre cerveau, que des personnes manifestent des troubles d’électro-sensibilité » a déclaré Sophie Pelletier de PRIARTEM, cité par Pierre Manière dans La Tribune. A cela s’ajoutent des risques de cancérogénicité.

L’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) ne se prononce pas en raison du manque de données scientifiques sur les effets sur la santé de certaines fréquences d’ondes électromagnétiques utilisées pour la 5G. Cela concerne surtout la bande de fréquences de 3,5 GHz qui doit être attribuée aux opérateurs. L’ANSES a davantage de données sur les fréquences de 26 GHz, dites ‘millimétriques’ qui seront attribuées plus tard. C’est aussi ce que répondent les Décodeurs du Monde dans leur rubrique de questions sur la 5G. Aucun effet significatif des ondes sur la santé n’a été observé. Les antennes 5G, peu nombreuses au début, n’émettront leur signal que quand elles seront sollicitées par un terminal ; les antennes 4G le font en permanence …

Pour le spécialiste Olivier Merkel, il n’y a pas de « réponse tranchée » ; la source la plus préoccupante pour la santé est plutôt le téléphone portable en contact avec le corps. On n’a pas plus de résultats sur l’effet cancérigène : il n’y a pas de lien concret entre l’exposition aux ondes et un cancer. On constate un ADN endommagé sur certains animaux, mais on ne peut rien en déduire. Le rapport de l’ANSES sur la 5G est prévu pour début 2021.

Environnement et consommation numérique

 Comme on l’a vu plus haut, la 5G est beaucoup moins énergivore que la 4G, mais la facture énergétique dépendra beaucoup des usages qui ont tendance à se multiplier, c’est ce qu’on appelle l’’effet rebond’. « La hausse considérable de la demande de données pourrait contrebalancer les gains d’efficacité énergétique ».

La 5G va aussi entrainer un renouvellement des téléphones mobiles : déjà existante pour les précédentes technologies, l’’obsolescence programmée’ va encore s’imposer. Certains modèles vendus aujourd’hui sont déjà compatibles avec cette nouvelle norme !

Comme le constate le Parti Pirate dans son post « Le renouvellement du parc mobile nécessite effectivement une quantité importante de ressources, notamment de terres rares, et va nous contraindre à produire une certaine quantité de gaz à effet de serre. Ici encore, cela n’est pas inhérent à la 5G, mais plutôt aux choix politiques et économiques que nous faisons. ». Contre l’effet rebond qui permettra à l’utilisateur moyen, d’après Ericsson, de consommer 200 GO de données en 2025, contre 6,5 GO actuellement, Paul Camicas et Stephen Demange de La Tribune, prônent la ‘sobriété numérique’ « Le débat qui s’ouvre ne doit pas nous amener à repousser purement et simplement la 5G, mais plutôt à interroger notre rapport au numérique et à trouver les moyens d’optimiser la consommation de données, pour viser collectivement la sobriété numérique. ».

E-sécurité : espionnage et surveillance securite-informatique1

La 5G représente un saut vers l’hyperconnectivité et risque de poser un problème dans la récolte des données comme le fait remarquer Sébstien Soriano, Président de l’ARCEP. Il y a des risques d’espionnage par des entreprises étrangères, d’où les restrictions des opérateurs français vis-à-vis de Huawei. Bouygues Telecom a promis de démonter toutes les antennes du constructeur chinois installées dans les zones peuplées !

Mais, paradoxalement, les services secrets craignent que la 5G les empêchent d’espionner en toute sécurité ! Comme l’indique Emmanuel Paquette dans l’Express « Dans la plus grande discrétion, les agents secrets ont fait part de leurs craintes auprès de certains élus : ils redoutent en effet qu’elle rende inopérant un matériel de surveillance indispensable, appelé Imsi-catcher. ». Ils ne pourraient plus ainsi géolocaliser et capter les informations circulant sur le réseau …

Mais comme le fait remarquer Stéphane Bortzmeyer dans son post « beaucoup d’arguments entendus contre la 5G n’ont en fait rien de spécifique à la 5G : les risques pour la vie privée ne changent pas […] les caméras de surveillance existent déjà sans avoir besoin de la 5G, les objets connectés qui envoient massivement à leur fabricant des données personnelles sur les utilisateurs, existent également depuis un certain temps, la 5G ne va pas les multiplier. […] Mais peut-être un changement quantitatif (performances supérieures, même si elles ne le seront pas autant que ce que raconte le marketing) va-t-il déclencher un changement qualitatif en rendant trivial et/ou facile ce qui était difficile avant ? Peut-être. »

C’est aussi ce que craint Olivier Ertzschied « Littéralement autant que métaphoriquement la 5G est une « accélération propre » qui provoquera nécessairement des contraintes et des déformations non pas seulement sur des objets techniques mais sur l’ensemble du corps social et l’organisation politique de nos communautés. ».

Bortzmeyer souligne aussi une implication importante de la 5G, qui n’a pratiquement pas été soulevée dans le débat : « le ‘network slicing’ qui permet d’offrir plusieurs réseaux virtuels sur un accès physique. […] Ses conséquences peuvent être sérieuses, notamment parce qu’il peut faciliter des violations de la neutralité de l’Internet, avec une offre de base, vraiment minimale, et des offres « améliorées » mais plus chères. ». Donc, un internet à plusieurs vitesses …

La controverse sur le progrès : ‘Amish’ vs ‘Start-up nation’

Les enchères de la 5G ont provoqué une polémique où l’on a vu les tenants du ‘progrès’, avec à leur tête le Président de la République, s’opposer aux défenseurs de l’environnement et des libertés publiques !

Devons-nous soutenir toute nouvelle technologie, quel qu’en soit le prix comme le dénonce Bruno Latour dans sa tribune au Monde ? « Le train du progrès a-t-il des aiguillages ? Apparemment, pour notre président, il s’agit d’une voie unique. Si vous n’allez pas tout droit, vous ne pouvez que « revenir en arrière », ce qui veut dire « régresser », et, comme il l’a récemment affirmé, s’éclairer à « la lampe à huile » [il réagissait à la demande de moratoire sur le déploiement de la 5G de 70 élus de gauche et écologistes]. Que cet argument soit encore considéré comme imparable, au moment même où le monde brûle parce que le « train du progrès » nous a menés au désastre, a quelque chose de désespérant. ».

C’est aussi ce qu’exprime l’architecte Jean Soubiron dans Libération en dénonçant le ‘solutionnisme’ du gouvernement : « D’un côté, le gouvernement voit en cette «innovation» la promesse d’une gouvernance plus efficace de nos flux de matières quand, de l’autre, il n’a pas jugé utile de mesurer le risque que font peser ces nouvelles technologies sur nos ressources et nos écosystèmes ».

Alors que pour certains, « La 5G est la clé de l’industrie 4.0 » et permettra de sortir de la crise comme le préconise John Harris dans sa tribune de Forbes France « Aussi nombreux que variés, ils bénéficieront à un vaste éventail de secteurs. L’usine intelligente et la production constituent deux gagnants évidents de la nette amélioration de l’automation et des efficacités due à la connectivité de l’IoT. […] Tout laisse à penser que le déploiement de réseaux 5G à travers l’Europe présage de formidables opportunités pour le monde professionnel. ».

Mais les positions ne sont pas toutes aussi tranchées, à commencer par celle de Sébastien Soriano, président de l’ARCEP, qui précise dans son interview dans Reporterre « Mais une chose est sûre, et c’est une ambition que nous partageons avec beaucoup de critiques de la 5G, pour nous prémunir de tous les méfaits que la technologie peut convoquer, nous devons en reprendre le contrôle. Non pas à travers un retour de balancier qui rendrait aux États la supervision des communications. Mais par un contrôle citoyen ».

Ce contrôle citoyen passe aussi par un débat qui représente un des enjeux du moratoire réclamé par les élus de gauche et EELV. Comme le rappelle Philippe Escande dans le Monde  « Il est au contraire légitime de s’interroger sur l’impact économique, écologique et sécuritaire de la 5G. Dans un contexte de défiance grandissante des citoyens envers les institutions scientifiques et politiques, il est inimaginable de pouvoir faire l’impasse sur ce débat. Le degré d’acceptation de la technologie, le contrôle de ses applications et l’efficacité de son utilisation en dépendent. ».

Un débat, c’est ce réclame aussi le Parti Pirate, tout en avançant des propositions concrètes pour répondre aussi bien à l’obsolescence programmée qu’à la multiplication et à l’accélération des usages « Ce que nous devons craindre, c’est notre société qui nous pousse à consommer toujours plus, toujours plus d’objets connectés, toujours plus de gadgets à la mode, toujours plus de tout. […] Autrement dit, ces débats sont légitimes en tant que tels, et ce n’est qu’en les considérant en tant que tels que nous serons en mesure d’y répondre, plutôt qu’en nous opposant, par principe, à la 5G. ».

La conclusion d’Olivier Ertzschied va dans le même sens « Déployons la 5G si nous sommes capables d’organiser ce déploiement en contrepoint d’une réorganisation massive de notre rapport à la vitesse, à la latence, et à la connectivité. Déployons si nous sommes capables de ralentir quand il n’est pas nécessaire d’accélérer autrement que par la potentialité qui rend l’accélération possible. […] Déployons la 5G si nous sommes capables à tout moment d’en limiter à la fois l’échelle, le cadre et l’envie.

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Maurice, Stéphanie. – Martine Aubry contre la 5G : conviction politique ou « greenwashing » anti-Macron ? – Libération, 11/10/20

Landeau-Barreau, Pauline. – 5G : la mairie de Paris veut consulter les citoyens avant le déploiement. – CNews, 05/10/20 MAJ 11/10

Usul ; Lietchi, Rémi. – 5G : un débit en débat. – Médiapart, 05/10/20

Paquette, Emmanuel. – Les espions aussi s’inquiètent de la 5G. – L’Express, 04/10/20

Pétillon, Catherine. – 5G : des émissions pour comprendre ce qui fait débat. – France Culture, 04/10/20

Fagot, Vincent. – Enchères 5G en France : l’Etat récolte récolte près de 3 milliards d’euros. – Le Monde, 02/10/20

5G : définition, fonctionnement, usages et déploiement du réseau en France, tout ce qu’il faut savoir. – CNET France, 02/10/20

Morozov, Evgeny. – Bataille géopolitique autour de la 5G. – Le Monde diplomatique, Octobre 2020

Questions-réponses : Six questions sur le lancement de la 5G. – Vie publique, 01/10/20

La question de la 5G mérite-t-elle autant de passions ? - Blog Stéphane Bortzmeyer, 01/10/20

Millon, Louise. – La Chine dépasse les 100 millions d’abonnés 5G … et la technologie consomme beaucoup. – Presse-citron, 01/10/20

Escande, Philippe. – 5G : un débat qui reste à mener. – Le Monde, MAJ 30/09/20

Equy, Laure ; Belaïch, Charlotte. – Le progrès, casse-tête de la gauche. – Libération, 28/09/20

Foucart, Stéphane. – Débat sur la 5G : « Des Amish aux Shadoks ». – Le Monde, MAJ 27/09/20

Souviron, Jean. – 5G : Sortir d’un débat caricatural entre technophobes et technophiles. – Libération, 26/09/20

La 5G, qu’est-ce que c’est ? Comment ça marche ? – The Conversation, 25/09/20

Damgé, Mathilde. – Sur la 5G, ce qui est vrai, ce qui est faux et ce que l’on ne sait pas encore. – Le Monde, 24/09/20

Latour, Bruno. - « Si le déconfinement a eu un effet, c’est de nous déconfiner de cette idée d’une voie unique vers le progrès ». – Le Monde, 24/09/20

Tesquet, Olivier. – Avec la 5G, la France au bord de l’excès de vitesse. – Télérama, 22/09/20

Tableaux de bord des expérimentations 5G en France. – ARCEP, 22/09/20

Charles, Frédéric. – 5G en France : obstacle à mi-chemin. – ZDNet, 22/09/20

Ertzscheid, Olivier. – La 5 (re)G : nous sommes tous des enfants connectés. – Affordance.info, 21/09/20

5G : Elevons le débat. – Parti pirate, 21/09/20

Téléphonie mobile : 70 élus de gauche demandent un moratoire sur la 5G. – Le Parisien, 13/09/20

Camicas, Paul ; Demange, Stephen. – 5G, l’arbre qui cache la forêt. – La Tribune, 18/08/20

Popovski, Petar ; Björnson, Emil ; Boccardi, Federico. – Communication technology through the new decade. – IEEE ComSoc Young Professionals, 18/08/20

Soriano, Sébastien (Arcep). – « Favorables à la 5G, nous souhaitons tout de même un contrôle citoyen ». – Reporterre, 12/06/20

Harris, John. – La 5G sera-t-elle la clé de l’industrie 4.0 ? - Forbes France, 13/03/20

Fake news, désinformation, post-vérité : quel rôle pour les professionnels de l’information ?

truth-lies-wallpaper__yvt2-550x412La victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle aux Etats-Unis a fait émerger une nouvelle notion dans l’univers des actualités et de l’information : l’idée de ‘vérité alternative’. Dès son installation à la Maison Blanche, une polémique s’est développée autour du nombre de participants à la cérémonie d’investiture du Président : comme le rappelle l’article du Guardian, Kellyanne Conway conseillère à la Maison Blanche a défendu la version du porte-parole du Président Sean Spicer , « la plus importante cérémonie d’investiture en terme d’audience » en déclarant que celle-ci se basait sur des ‘faits alternatifs’ (alternative facts). Depuis, la ‘post-vérité’ triomphe aux Etats-Unis dans une atmosphère quasi-orwellienne où la « majorité des journalistes sont malhonnêtes » …

La fabrique des fake news et la contre-offensive des médias

L’utilisation des réseaux sociaux et de certains médias pour répandre ces faits alternatifs (« Le Pape François soutient D. Trump ») a été particulièrement importante lors de cette campagne électorale comme lors de la campagne pour le ‘Brexit’. On leur a surtout reproché l’usage de robots logiciels et d’intelligence artificielle (‘bots’) pour manipuler les électeurs. Mais comme le souligne le sociologue Antonio Casilli dans sa conférence sur Infobésité et fake News et algorithmes politiques (Numa, Paris) : aujourd’hui, les entreprises de désinformation sur le net sont loin d’utiliser uniquement des algorithmes et autres ‘chatbots’ pour influencer les internautes. Si Facebook a effectivement utilisé un effet de ‘bulle de filtre’ en faisant circuler un même type d’information à l’intérieur d’un cercle d’amis, (si quelqu’un est de droite, il ne va voir que des informations venant de la droite), la plupart des ‘Likes’ et retweets ont été effectués par des humains dans des ‘usines à click’ de pays émergents (Philippines, Mexique,etc.). Ce ‘digital labor’, comme le Mechanical Turk d’Amazone, est payé quelques centimes le click, un peu plus pour les femmes au foyer de l’Amérique profonde … !

A la veille de l’élection présidentielle en France, un certain nombre de médias et géants du Net se posent la question de vérification des informations. Plusieurs initiatives ont vu le jour depuis quelques semaines pour décrypter ces attaques, notamment le Décodex, outil mis au point par le Monde, mais aussi une alliance de plusieurs médias français avec Facebook et Google. Vreuz0Z4aYsXhAor0wG05Tl72eJkfbmt4t8yenImKBVvK0kTmF0xjctABnaLJIm9

Que valent ces outils et peut-on véritablement dénicher les fausses informations qui se multiplient sur la Toile ? Déjà un certain nombre de critiques sont portées à l’égard du Décodex. En cherchant à labelliser la crédibilité des médias en fonction de points de vue subjectifs (Valeurs actuelles a pignon sur rue, tandis que Fakir est une feuille militante), cet outil effectue un biais comme le souligne Vincent Glad dans son article dans Libération : « le Monde se donne le rôle de censeur et de vérificateur du web, de CSA de l’information en ligne ». C’est aussi le point de vue de SavoirCom1, cité par Blog Univesrdoc, blog de veille des chefs de projets à l’INTD-CNAM  « Le collectif SavoirComun1 (1) – un groupement de bibliothécaires engagé pour les libertés à l’ère numérique et la libre dissémination des savoirs – ne dénigre pas l’utilité de Décodex dans le contexte actuel, mais partage son inquiétude sur ce type d’application d’évaluation, qui gérée par des plate-formes privées, voire par l’Etat pourrait amener à des formes de censure. ». Le Monde par la voix de Samuel Laurent (Les Décodeurs) s’est engagé pour sa part à faire évoluer son outil, notamment en distinguant les informations factuelles des commentaires. Mais si certaines mesures ont été prises concernant les sites d’opinion (Les crises, Valeurs actuelles), apparemment cela n’a pas empêché la requalification d’un site comme Doctissimo auparavant classé en orange (site imprécis, ne citant pas ses sources), et passé en vert le 21 février … Serait-ce parce que le groupe Le Monde et Doctissimo lançaient ce jour-là le magazine Sens et Santé (voir Les Echos) comme le souligne Olivier Berruyer dans Les Crises ?

La désinformation dans l’histoire

L’IFLA, de son côté, nous rappelle que ce travail de vérification et de filtrage de l’information est le propre de professionnels de l’information avec son infographie, en collaboration avec Wikipedia, « How to spot fake news »  posté sur Facebook et twitter et explique sur son blog comment les bibliothèques peuvent aider leurs utilisateurs à trouver des faits qui ne sont pas alternatifs … L’exemple de Wikipedia avec ses millions d’utilisateurs qui vérifient les articles peut être une garantie de bonnes pratiques informationnelles tout comme les ‘peer reviews’ des revues scientifiques. Le rôle historique des bibliothécaires dans l’’information literacy’ (formation à l’information) est aussi rappelé dans l’article de Donald Barclay de Conversation « The Challenge facing libraries in the era of fake news ». La désinformation n’a pas commencé avec les réseaux sociaux. Barclay cite le cas de la campagne menée par l’industrie du tabac dans les années 1960 qui s’appuyant aussi bien sur la presse populaire que sur des pseudo-revues scientifiques, sans parler du soutien de Barry Goldwater qui assimilait la dénonciation des effets du tabac sur la santé à un complot communiste !

media_image3Antonio Casilli a aussi rappelé que la manipulation de l’information ne date pas d’hier : la propagande, largement utilisée au 20e siècle, a été créée par l’Eglise catholique au 15e siècle (De propaganda fidei : sur la propagation de la foi) ! Le reste des fausses nouvelles passaient par la littérature de colportage et les complots, souvent en lien avec des puissances surnaturelles, se retrouvaient dans les écrits apocryphes et les mystères ….

Depuis les années 1970, la complexification des sources et des supports de l’information (bases de données, microfilms, informatisation), a rendu crucial le rôle des bibliothécaires universitaires pour former l’esprit critique des étudiants. Cette formation ne se limite plus à localiser des ouvrages ou des documents sur des étagères, mais à » identifier, organiser et citer des informations ». Aujourd’hui avec le foisonnement de l’internet, il ne suffit plus aux étudiants de savoir distinguer une revue scientifique comme Nature d’un magazine grand public, ils doivent différencier les articles de périodiques véritablement scientifiques de ceux de revues ‘prédatrices’ ou pseudo-scientifiques … Sans parler des données et des résultats faussés par les chercheurs eux-mêmes !

Un défi pour les professionnels de l’information

Devant l’incertitude qui entoure la fiabilité des données et dans un environnement universitaire de plus en plus changeant, où les étudiants sont plus souvent créateurs de nouveaux savoirs que consommateurs d’information, l’ACRL (Association américaine de bibliothèques de recherche) a lancé son « Framework for Information Literacy in Higher Education », cette charte pour la formation à l’information dans l’enseignement supérieur reconnaît que l’évaluation de l’information n’est pas une chasse au trésor ou les ressources identifiées seraient ‘bonnes’ ou ‘mauvaises’. L’autorité est construite et contextuelle et fait appel aux enseignants et aux bibliothécaires pour une approche de l’autorité et de la crédibilité à partir du contexte de l’information et non pas dans l’absolu. Pour D. Barclay cette position est beaucoup plus stimulante pour les étudiants que d’accepter l’autorité d’une source sans discussion ou de réfuter toute autorité comme anachronique au nom de la post-vérité !

C’est une approche semblable qu’a pris le Collectif SavoirCom1 en considérant la question de l’information sous l’angle des ‘Communs de la connaissance’ : en prenant l’exemple de Wikipédia, il montre qu’»un espace de publication constitué comme un commun résiste mieux aux fausses informations ». Le collectif veut favoriser l’émergence d’une communauté de ‘vigilance informationnelle autour du Décodex » : elle permettrait que les outils de vérification soient eux-même vérifiables, que les règles de contribution et de régulation soient clairement énoncées, que les sites évalués puissent faire appel de leur évaluant en démontrant leur mode d’élaboration et de transmission de l’information et enfin que les acteurs de l’information (organes de presse ou prestataires de services informationnels) s’impliquent dans la formation aux médias et à l’information des citoyens. On retrouve ici l’importance de la co-construction de l’information et du contexte prôné par l’ACRL dans son Framework.

 

Framework for Information Literacy for Higher Education/Association  of College & Research Libraries. - Ala.org, 11/01/16

Swaine, Jon. – Donald Trump’s team defends ‘alternative facts’ after widespread protests. – The Guardian, 22/01/17

L’annuaire des sources du Décodex : mode d’emploi/Les Décodeurs.Le Monde, 23/01/17

Dorf, Michael C. ; Tarrow, Sidney. – Stings and scams: ‘Fake news’, the First Amendment and the New Activist Journalism. – Cornell Legal Studies Research Paper n°17602, 26/01/17

Alternative Facts and Fake News : Verifiability in the Information Society. - Library Policy and Advocacy Blog [IFLA Blog], 27/01/17

How to spot fake news ? IFLA in the post-truth society. – Ifla.org, 01/02/17

Delcambre, Alexis ; Leloup, Damien. - La traque ardue des « fake news ». – Le Monde, 02/02/17

Yeh, Alexandra.- Les citoyens n’ont jamais été aussi méfiants envers les médias.Méta-média, 03/02/17

Glad, Vincent. – Qui décodera les décodeurs ? De la difficulté de labelliser l’information de qualité. – Libération, 03/02/17

Barclay, Donald A. – The Challenge facing libraries in an era of fake news. – The Conversation, 05/02/17

Bounegru, Liliana. - Three ways in which digital researchers can shed light on the information politics of the post-truth era. – Impact of Social Sciences, 06/02/17

Ertzscheid, Olivier. – La vie en biais. – Affordance.info, 07/02/17

Controverses autour du Décodex, un outil contre la désinformation ?Docs pour Docs, 07/02/17

Seabright, Paul. – Les « fake news », « quelques gouttes d’eau dans une cascade de propagande ». – Le Monde, 08/02/17

Decodex : on s’engage dans une guerre contre les ‘fake news’. S. Laurent (Le Monde), F. Ruffin (Fakir), L. Merzeau (SavoirCom1) débattent. – Arrêt sur image, 10/02/17

Lacour, Sophie. - Image, ma belle image, montres-tu la vérité ? – Usbek & Rica, 10/02/17

Manach, Jean-Marc. - Il est trop tard pour s’alarmer d’une cyber-guerre électorale. - Slate, 14/02/17

« Fake news » : les profs américains ajoutent l’éducation à l’information dans leurs cours. – VousNousIls, 15/02/17

Décodex, la controverse. – Blog UniversDoc, 20/02/17

[Tellement prévisible] Décodex victime d’un conflit d’intérêts patents …Les-crises.fr, 21/02/17

 

 

 

Numérique : quelques prévisions pour 2016

mail-delivery-what-1900-french-artists-thought-the-year-200-would-be-likeRien de particulièrement révolutionnaire dans les différentes prédictions pour 2016. Les principales tendances amorcées ces dernières années se confirment : prépondérance des appareils mobiles, cloud et mégadonnées, automatisation et intelligence artificielle, notamment avec l’internet des objets et les villes connectées. On retrouve l’essentiel des prédictions tech/médias du rapport Deloitte pour 2015, cité par Barbara Chazelles dans Méta-média : abandon de la télévision par les jeunes au profit des vidéos sur mobiles et généralisation des paiements mobiles ; renouvellement des smartphones (phablettes) ; internet des objets, imprimantes 3D et drones (surtout pour les entreprises). En revanche, les e-books ne décollent toujours pas, le livre papier conservant la préférence des lecteurs !

objets-connectesLa sécurité des protocoles et des applications va devenir le grand défi dans le contexte des mégadonnées et de l’internet des objets comme le souligne Mike Martin, responsable de la société d’engineering internet Nfrastructure, dans l’interview accordée à ITBriefcase.

Au niveau de l’enseignement et de la formation, les Moocs et la formation en ligne et à distance investissent la formation professionnelle. L’intelligence artificielle pénètre aussi le champ de l’éducation avec la présence d’algorithmes qui vont intégrer l’école et l’Université pour évaluer la progression des apprenants tout en recueillant une quantité importante de données personnelles, comme l’évoque Audrey Watters dans The algorithmic future of education

1200px-france_in_xxi_century._school1Enfin, les représentations visuelles évoluent aussi, c’est ce que démontre la banque d’image Getty Image avec les tendances 2016 Creative in Focus, expliqué par Alice Pairo dans Méta-Média : 6 types d’images se profilent pour 2016 : l’outsider, le divin, l’homme augmenté, le disgracieux, la solitude et le surréalisme ….!

Bonnes fêtes et meilleurs voeux pour 2016 !

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Chazelle, Barbara. – 10 prédictions tech/médias pour 2015 (Deloitte). – Méta-média, 04/02/15

Watters, Audrey. – The Algorithmic Future of Education. – Hackeducation, 22/10/15

IT Briefcase Exclusive Interview : Top IOT Trends and Predictions for Organizations in 2016. – IT Briefcase, 02/12/15

Pairo, Alice. – Social media : 10 tendances pour 2016. – Méta-média, 06/12/15

Les villes intelligentes connecteront 1,6 milliards d’objets communicants en 2016. – L’embarqué, 08/12/15

Économie du numérique : Axway dévoile 10 prévision pour 2016. – Axway, 08/12/15

Noirfontaine, Elisabeth. – L’internet des objets, allié des ressources humaines ou outil de déshumanisation du travail ?Usine digitale, 22/12/15

Larcher, Stéphane. – Google travaille sur une messagerie instantanée dopée à l’IA et aux chatbots. – L’informaticien, 23/12/15

Cavazza, Frédéric. – Mes 10 prédictions pour 2016. – FredCavazza, 23/12/15

Pairo, Alice. – 6 tendances visuelles pour 2016. – Méta-média, 23/12/15

Ezratty, Olivier. – Méta-prédictions pour 2016. – Opinions libres, 27/12/15

Liberté ou sécurité … Sur le web, quelle alternative ?

bigdata_image2On a beaucoup évoqué la liberté d’expression ces derniers jours, de même que le besoin de sécurité et de surveillance du Net. Mais est-il possible de concilier ces deux piliers de la démocratie, dans un contexte de mondialisation accrue de l’information et d’obsession sécuritaire ?

Alors que la France se targue d’être le pays des droits de l’homme et de défendre à tout prix la liberté d’expression, depuis quelques années, ce droit subit un certain nombre de restrictions, et plus particulièrement sur l’internet …

Avant même les attentats de janvier, le gouvernement français avait pris des mesures accentuant la surveillance et les écoutes sur les communications électroniques. Avec la Loi de programmation militaire de 2013 d’abord, en étendant le périmètre des écoutes à de nombreux cas : l’Etat peut accéder directement aux données des opérateurs télécoms, FAI ou hébergeurs web sans nécessiter l’aval d’un juge « en prévention du terrorisme, de la criminalité ou de la délinquance organisées, ou de la reconstitution ou du maintien de groupement dissous » comme le souligne le Journal du Net. Et à présent, au lendemain des attentats, un décret prévoit de bloquer, sans contrôle judiciaire, une liste de sites établis par l’OCLCTIC (Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication). Même si Manuel Valls se défend de vouloir promulguer un « Patriot Act » à la française, ces mesures restreignent de façon significative les droits des citoyens en ligne. Alors que l’Union européenne tente depuis quelques années de protéger les données personnelles, notamment en empêchant les Etats-Unis à avoir accès aux fichiers des passagers européens (Passenger Name Record, PNR), le Ministre de l’intérieur explique dans Les Echos, que « les textes européens de lutte contre le terrorisme ne suffisent plus et qu’il faut adapter le système Schenguen lors des contrôles aux frontières ». Jean-Pierre Laborde, directeur du Comité contre le terrorisme de l’ONU, tout en étant en faveur d’un PNR européen, reconnaît dans une interview au Monde que la France dispose déjà d’un dispositif juridique suffisamment préventif et répressif sur la question et qu’une nouvelle loi sur le terrorisme n’apporterait rien de plus, avant d’avoir éprouvé la dernière loi qui vient d’être adoptée il y a à peine deux mois. De plus, « la France a des obligations en vertu des traités européens qu’elle a signés et qu’elle ne pourrait envisager une loi comme le Patriot Act sans entraîner des questionnements sur les règles de la libre circulation dans l’espace de l’Union européenne. » Enfin les lois antiterroristes doivent aussi prendre en compte « les obligations internationales concernant les droits de l’homme » … C’est aussi le point de vue d’Isabelle Falque-Pierrotin, Présidente de la CNIL, citée dans Numerama  « Parce que les libertés publiques sont consubstantielles à l’Etat de droit dont elles constituent le cœur, aucun impératif de sécurité ne peut conduire à leur remise en cause profonde » .donnees-persos-111705

D’autre part, en France, on comprend moins que nos valeurs universelles héritées des Lumières (liberté de mouvement et d’expression, notamment vis-à-vis des croyances religieuses, laïcité) soient moins partagées par les peuples du monde entier. Or, une publication quasi confidentielle comme Charlie Hebdo, est propulsée grâce au web au niveau de l’ensemble de la planète … Et comme une image en dit plus qu’un millier de mots … ! Et surtout, les populations qui sont aussi attachées à la liberté d’expression comme les anglo-saxons ne comprennent pas les limites que la France met à ce droit fondamental : incitation à la haine, racisme, xénophobie, etc… Comme le fait remarquer le philosophe américain Steve Fuller dans un article de Al Rasub, les Etats ne seraient plus en mesure de protéger l’ensemble des populations si tout le monde se comportaient effectivement en « Charlie » … Et la défense de la liberté d’expression risquerait de se transformer en apologie de l’autodéfense et du port d’armes, en raison de l’insuffisance des forces de sécurité publique pour protéger les citoyens !

Cette double incompréhension risque de multiplier les dérapages, aussi bien en France qu’à l’étranger, notamment en ce qui concerne la censure et la répression sur l’internet…

sécurité

Internet-signalement.gouv.fr.
Portail officiel de signalement des contenus illicites de l’internet

LOI n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale. – Journal Officiel, version consolidée au 29/01/15

Champeau, Guillaume. – La CNIL dit « oui mais » à la surveillance accrue sur internet. – Numerama, 26/01/15

Fuller, Steve William. – Charlie Hebdo : a bonanza for gun owners in the making? – Al-Rasub, 20/01/15

« Un système d’échange de données serait plus efficace et protecteur de la liberté des citoyens »/ Entretien Jean-Paul Laborde, propos recueillis par Jacques Follerou. – Le Monde, 14/01/15

Fredouelle, Aude. – A quoi pourrait ressembler un « Patriot Act » à la française » ? Journal du Net, 14/01/15

Cazeneuve « Il nous faut adapter le système Schenguen ». – Les Echos, 11/01/15

#CharlieHebdo : Non à l’instrumentalisation sécuritaire. – Quadrature du Net, 09/01/15

Champeau, Guillaume. – Sites terroristes : le gouvernement notifie son projet de blocage à Bruxelles. – Numerama, 09/01/15

Rees, Marc. – Les écoutes légales des conversations sous Skype bientôt possibles. – NextINpact, 06/01/15

Lefebvre, Arnaud. – Big Brother en France : en 2015 le gouvernement aura accès à toutes les données des internautes. – Express.be, 02/01/15

Madden, Mary. – Public perception of privacy and security in the post-Snowden era. – Pew Research Center, 12/11/14

Le web a 25 ans … Survivra-t-il à toutes ses déviances ?

Internet1Le 12 mars 1989, il y a exactement 25 ans, l’informaticien britannique Tim Berners-Lee publiait un document qui décrivait le fonctionnement du World Wide Web. Élaboré dans un laboratoire du CERN à Genève, cet outil de communication devait surtout servir aux chercheurs du nucléaire …
Mais c’est grâce à ce navigateur que l’internet a été popularisé auprès du grand public. C’est lui qui, aujourd’hui, permet à 2,7 milliards d’internautes de se connecter sur la Toile et surtout d’interagir sur les réseaux sociaux ! Malheureusement, comme toute grande invention, le Web a aussi ses côtés négatifs, et ces dernières années ont été marquées du signe de la défiance, surtout depuis les révélations d’Edward Snowden sur les pratiques d’espionnage massif de la NSA et de détournements de données personnelles des internautes…

Sir Berners-Lee a d’ailleurs appelé ces jours-ci à un sursaut de civisme et d’éthique sur les réseaux par l’institution du d’une « Magna Carta » du Web.
En effet, le web était au départ porteur de valeurs de partage, d’échange et d’égalité, venues essentiellement des pionniers de la contre-culture américaine, comme le montre bien l’article d’Hubert Guillaud dans InternetActu, qui visaient une gestion collective et non commerciale de la circulation des informations et du savoir …
Aujourd’hui, l’essentiel du web est aux mains de multinationales de l’information, les « Géants du Web », les fameux GAFA (Google Apple Facebook Amazon et autre Microsoft …) et les internautes (enfin, ceux qui en sont conscients …) se méfient de plus en plus de moteurs qui pillent sans états d’âme les données personnelles pour les vendre aux publicitaires ou les donner (??) aux services secrets … La vie privée, est en effet devenue une « anomalie » aujourd’hui, comme l’a déclaré Vint Cerf, Chef évangéliste chez Google, ou tout au plus une illusion pour Mark Zuckerberg, le patron de Facebook … !

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Dans une étude récente le Pew Internet Project présente « 15 thèses sur l’avenir du numérique ». Malgré l’enthousiasme des chercheurs sur les progrès techniques, notamment en matière de santé, d’enseignement, d’évolution des relations internationales (« printemps arabe ») et de sécurité, 5 de ces thèses se présentent de façon beaucoup moins optimistes, « Less hopeful theses ».
Elles soulignent, d’abord l’élargissement du fossé numérique entre nantis et démunis (have & have not) qui reflète l’inégalité croissante des sociétés actuelles, amplifiée par l’écho des réseaux sociaux … !! De nombreux conflits risquent de se développer à l’instar des révolutions arabes.
Les abus et la criminalité se multiplient sur la toile, et évidemment le cyber-terrorisme. Outre la disparition de la vie privée et de la confidentialité, les « maladies numériques » (physiques, mentales et sociales) affectent de plus en plus les individus, familles et communautés.
Mais un des impacts majeurs se trouve au niveau géopolitique : Internet représente en effet un phénomène de mondialisation achevé qui ne reconnait plus la souveraineté des États ; les lois des différents pays ont du mal à s’appliquer à cet acteur transnational.
D’autre part, les gouvernements vont de plus en plus utiliser internet comme un instrument de contrôle politique et social : en répondant par la censure et la fermeture aux velléités d’ouverture et de liberté d’expression de leurs concitoyens …
De plus, en raison de la montée de la cyber-criminalité, la e-sécurité est en train de devenir le principal soucis des consommateurs et des internautes en général … bigdata_image2

Olivier Ertzscheid a une vision encore plus noire de l'avenir du Net. Pour ce spécialiste de l'information, l'internet va se diviser en deux entités : OuterWeb et InfraNet. Le web va se dissoudre et se diffuser dans une multiplicité d'objets connectés (l '»internet des objets ») tout autour de nous : écrans, murs, voiture, lunettes, montres, etc. Il deviendra le « World Wide Wear », un accessoire que l'on 'porte sur nous' … En devenant invisible, il sera d'autant plus dangereux !!

Les acteurs du web seront d'ailleurs de moins en moins humains. Les robots représentent déjà la majorité du trafic sur la Toile : certains pour nous rendre service (moteurs de recherche), d'autres pour des pratiques beaucoup moins avouables (cookies, surveillance, indexation des métadonnées des internautes à des fin commerciales, policières ou malveillantes). Ces informations vont servir à développer l'industrie du « Big data » qui devrait pouvoir prédire le comportement d'un grand nombre de consommateurs-citoyens par le traitement de masse de milliards de données et de métadonnées glanées sur les moteurs de recherche, les messageries et les réseaux sociaux.
Dans ces nouveaux réseaux, « l'essentiel des interactions s'effectuera en deçà de notre seuil de perception » !
Le premier web s'était construit autour du document et de l'écrit (clavier, souris), les nouveaux internets, mobiles désormais, s'élaborent autour des gestes et de la voix. L'image prend aussi une part prépondérante avec la multiplication des écrans : téléphone, tablettes, ordinateur portable viennent compléter l'usage de la télévision (connectée ou pas). Voir l'étude de Médiamétrie sur la consommation de vidéo.
On assiste aussi à une certaine privatisation des réseaux à travers les applications mobiles qui remettent en cause la gratuité et la neutralité du Net. Demain, il faudra peut-être payer pour avoir accès à un internet « nettoyé » des pilleurs de données personnelles, grâce un « opt-out » !

Aurélie Barbaux, dans l’Usine digitale s’inquiète d’une probable « mort d’internet ». Son article part aussi des révélations de Snowden qui risquent de donner le coup fatal. Les géants du Net vont passer « une année d’enfer » pour regagner la confiance des internautes et des gouvernements. Ces derniers ont d’ailleurs des tentations protectionnistes qui peuvent s’avérer « interneticides » … !
Aussi bien Jean-Marc Ayrault pour la France, qu’Angela Merkel pour l’Europe proposent des infrastructures « sûres » pour de nouveaux internets … ! Ces internets « privés », entourés de frontières, vont à l’encontre de l’idée du Réseau des réseaux et surtout sont en contradiction avec l’espace mondial où il se situe !
A. Barbaux cite l’ouvrage de Boris Beaude, chercheur à l’EPFL (Polytechnique de Lausanne), « Les fins d’Internet ». Celui-ci reprend « les mises à mal quasi définitives des valeurs qui ont porté la création du réseau mondial : liberté d’expression, résilience, abolition de l’espace, intelligence collective et partagée, gratuité et décentralisation. » Pour sauver l’internet, le chercheur appelle à forger une nouvelle valeur, « porter l’émergence du monde comme horizon politique pertinent pour l’humanité, comme espace d’identification et de projection autour d’intérêts communs »
On retrouve ici les enjeux éthiques, politiques et géopolitiques exprimés aussi bien par les thèses du Pew Internet Center que par Tim Berners Lee.

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Crochet-Damais, Antoine. – Le World Wide Web fête ses 25 ans. – Journal du Net, 10/003/14

Kiss, Jemima. – An online Magna Carta: Berners-Lee calls for bill of rights for web. – The Guardian, 12/03/14

Berners-Lee, Tim. – Statement from Sir Tim Berners-Lee on the 25th Anniversary of the Web. – PewResearch Internet Project, 11/03/14

Anderson, Janna ; Rainie, Lee. – 15 Theses About the Digital Future. – PewResearch Internet Project, 11/03/14

Ertzscheid, Olivier. – Outerweb et infranet : rendez-vous en 2063. – Affordance.Info, 02/02/14

Barbaux, Aurélie. – Internet peut-il mourir ?. – L’Usine digitale, 27/02/14

Guillaud, Hubert. – Ce que l’internet n’a pas réussi (1/4) : des rêves de pionniers à un monde post-Snowden. – InternetActu, 04/02/14

Anizon, Emmanuelle ; Tesquet, Olivier. – Que reste-t-il de notre vie privée sur Internet ?. – Télérama, 15/02/14

Things the NSA doesn’t want you to know. And why you should know about it :). – La Quadrature du Net, 2014

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