MOOCs français : lancement officiel et premières impressions

Tout d’abord, je voudrais présenter mes meilleurs voeux pour 2014 à l’ensemble des lecteurs.

Attaqués par le « Collectif anti-Mooc » fin 2013 et par quelques autres auparavant (voir les références en bas de post), les cours en ligne français commencent en fanfare en ce début d’année, avec la Conférence de presse de la Ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche du 14 janvier 2014.
En annonçant un budget de 8 Millions d’€ d’investissement aux établissements (3 M pour des studios de tournage et 5M pour le développement des MOOCs de la formation professionnelle), la Ministre coupe court à toutes les critiques d’économie que les MOOCs occasionneraient aux infrastructures universitaires. Il ne s’agit pas de fermer des amphis, mais d’amorcer une « pédagogie de la réussite » en promouvant l’innovation..

Deux jours avant le lancement officiel des premiers cours sur la plate-forme FUN, les différents acteurs sont venus présenter leurs projets. Ceux-ci vont des cours existants des cursus universitaires (Espace mondial de Bertrand Badie) à des projets innovants s’adressant à des enfants du primaire ou à des « décrocheurs » (cours d’informatique pour apprendre à coder pour réaliser des jeux vidéos ; programme pour aider des jeunes décrocheurs à créer leurs propres cours).
88 000 personnes se sont inscrites pour la première session de ces cours se répartissant entre 15 000 (« Du manager au leader » du CNAM) à 50 pour certains cours : le « massif » n’est pas recherché à tout prix … France Université Numérique invite tous les acteurs (universitaires, parents, bénévoles) à créer des contenus pour changer la donne à l’université (et ailleurs) ! Geneviève Fioraso s’est déclarée ouverte à toute proposition. Les MOOCs ne sont pas réservés aux seules grandes écoles et universités prestigieuses, de petits établissements comme Albi pourront aussi en avoir. De même, la cible n’est pas représentée par les seuls étudiants, mais aussi des personnes en activité (cadres surtout), des chômeurs et des séniors. Geneviève Fioraso à insisté sur l’aspect « formation continue » des cours en ligne, qui pourraient représenter un moyen de plus contre le chômage … Quand à la gratuité, la Ministre a rappelé que l’enseignement est gratuit en France, le débat sur les cours payants se comprend aux États-Unis où l’accès à l’université est très onéreux. De toute façon, un modèle économique est encore à trouver et le MES est en contact avec un conseiller d’Obama du MIT pour échanger sur les ‘bonnes pratiques’ …
Le FUN a aussi organisé une rencontre, le « MOOC Camp » le 11 janvier à partir du motdièse #IdéedeMOOC sur Twitter. Ce projet, organisé avec le Centre de recherche Interdisciplinaire (CRI) à l’initiative d’un certain nombre de chercheurs en pédagogie comme François Taddei, avait pour objectif de trouver de nouvelles idées de cours en ligne et de les scénariser. François Taddei a confirmé que toute la méthodologie de ce projet est disponible en open source.

Dominique Boullier (Medialab, Sciences Po) a aussi souligné l’importance de l’open source dans le phénomène MOOC, ce qui représente une garantie d’évolution. Il a aussi précisé que Sciences Po mise sur la diversification en proposant deux cours bien différents, l’un en français, l’autre en anglais, le premier plutôt classique dans sa conception (B. Badie), le second plus innovant (B. Latour). L’objectif étant de permettre aux étudiants de s’approprier les connaissances grâce au « blended learning » (apprentissage hybride) et d’arriver à une collaboration avec eux à travers un collectif qui crée des échanges …

Pour tester ce nouveau type d’apprentissage, je me suis inscrite au MOOC Espace Mondial de Bertrand Badie.
Des le premier jour (16/01), un certain flottement s’est installé sur le début effectif du cours. Un mail annonçait que le MOOC était ouvert, mais que le cours commencerait le 20/01. Je suis allée sur la plate-forme, j’ai bien trouvé le plan du cours et les « outils transverses » (Biblio), mais point de vidéo … Tant pis, je reviendrai lundi … Le lundi 20, après avoir attendu en vain un mail m’annonçant que le cours avait débuté, je me suis connectée pour m’apercevoir que la première session avait bien commencé le 16 et que la deuxième allait être mise en ligne …;-(
En allant sur le forum, je me suis rendue compte que je n’étais pas la seule, et de loin à avoir manqué cette session, certains n’arrivaient même pas à trouver le 1er cours le 20/01… Mais l’équipe pédagogique était bien présente pour répondre à chacun en les rassurant.
Le cours, bien que XMOOC (cours magistral de 2e année ayant eu lieu fin 2013 et découpé en tranches de 10 à 15 mn) est passionnant et facilement assimilable grâce à la clarté et à l’enthousiasme communicatif de Bertand Badie ! Il est complété par un glossaire bien complet et un wiki encore balbutiant.
Sur le forum (« discussion »), les fils des différentes interventions des étudiants ne sont pas encore bien délimités (commentaires généraux et commentaires autour de la première ou de la deuxième session se mélangent). De plus, il reflète la grande hétérogénéité des participants : la plupart (moi comprise) retrouvent les réflexes des posts sur les réseaux sociaux avec quelques mots, souvent pour demander une précision, d’autres rédigent de très longs commentaires sur tel ou tel aspect du cours (PIB ou philosophie des relations internationales). D’autres ajoutent des liens vers des sites ou des documents en ligne. Une personne s’est demandé comment se procurer les ouvrages de la bibliographie en n’étant ni étudiant ni inscrit à Sciences Po …
Contrairement aux allégations de Pascal Engel dans son post Les MOOCS : Cours massifs ou armes de destruction massive ? , qui prédisait dans son article « Il est difficile d’imaginer qu’un enseignant de MOOC puisse répondre aux questions de 10 000 étudiants » et aussi « le droit pour tout étudiant à avoir accès au professeur », Bertrand Badie est très présent sur le forum et répond, non pas aux 8000 personnes qui suivent le cours, mais à plusieurs questions de fond posées par différents participants, laissant les questions techniques et les questions plus ‘légères’ à ses assistants.
Pour le moment nous ne sommes pas évalués, le premier Quizz n’interviendra qu’après la quatrième session (début février). Il n’y aura pas de certification, mais certains aimeraient au moins avoir un justificatif de suivi.
Le contenu du cours étant très enrichissant et les participants bien réactifs, je sens que je ne vais pas m’ennuyer pendant ces quatre mois … Et que j’aurai beaucoup appris !

Liens
De qui se MOOCS t’on ?Affordance.info, 16/055/13

Engel, Pascal. – Les MOOCS : Cours massifs ou armes de destruction massive ? Qualité de la science française, 24/05/13

Jouneau-Sion, Caroline (ENS-Lyon) ; Manceau, Chloé (ENS-Lyon). – Les Mooc, la ruine de l’Université ?Économie du Web, 22/10/13

Mooc, une étape vers la privatisation des cours/ Collectif anti-mooc, Solidaires étudiants, et al. – Libération, 26/12/13

Bedel, Cyril. – Quelques vérités à rétablir sur les MOOCs. – Libération, 06/01/14

Soulé, Véronique. – Cours gratuits et interactifs en ligne, la France ne se moque plus des MOOC. – Libération, 14/01/14

Rollot, Olivier. – 2014, la grande année des MOOCs. – Il y a une vie après le Bac. – Blog le Monde, 18/01/14

France Université Numérique : de nouvelles mesures pour développer les MOOCs en France . – Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche,

14/01/14 MOOCCAMP : 11 janvier 2014 : les ateliers de la scénarisation. – France Université Numérique

6 Responses to “MOOCs français : lancement officiel et premières impressions”

  1. pascal engel dit :

    Je maintiens qu’il est très difficile à un enseignant de MOOC, même avec des assistants, de répondre aux questions de 10000 participants. je n’ai jamais dit qu’il ne pouvait pas répondre à quelques unes.
    Il y a aussi une équivoque sur « présence »: par « présent » j’entendais un présence non pas virtuelle ( n effet en ce moment je suis présent sur votre blog!)mais , si je puis dire, une présence réelle.
    Les enseignants d’université ont des heures de bureau, où tout étudiant peut venir ( même s’ils ne le font pas tous, evidemment): est ce que l’heure de bureau va être remplacée par un mail ou des questions de forum ? si oui, mon point reste valide. Si non, bon courage à ceux qui administrent un MOOC.

    Ceux intéressés sont invités cordialement au colloque du 24 janvier 14

    http://www.qsf.fr/2013/11/16/colloque-qsf-sur-les-moocs/

    • Dinah GALLIGO dit :

      Merci beaucoup pour votre précision. Mais il n’en demeure pas moins que, grâce au forum, le MOOC crée une sorte de communauté avec un certain nombre de participants (certainement pas les 10 000), où même les ‘vidéoteurs’ passifs sont impliqués. Peut-on appeler cela un amphi virtuel ? De toute façon, c’est une expérience très différente que de suivre une vidéo sur YouTube, mmême en faisant des commentaires …
      Il est évident que jamais les 10 000 inscrits ne se manifesteront, simultanément ou même successivement, mais je reconnais que les enseignants de cours en ligne vont devoir gérer une masse de remarques et de questions beaucoup plus importantes que dans un amphi …!
      Merci pour invitation au Colloque sur les MOOC, mais je n’ai pas eu le temps de m’y inscrire ;-(

      • pascal engel dit :

        Oui, c’est vrai que cela crée une sorte de communauté, et cela peut avoir toutes sorte d’avantage, dynamiser un public, eviter la passivité de ce que j’appelle les étudiants crocodiles que j’ai souvent eu dans les amphis et salles de cours ( ils restent passifs comme les crocos, et dès que vous faites une erreur ou dites un bêtise, ils mordent) , et que cela permet une interaction qui n’existe souvent pas entre prof et étudiants. Mais mon problème principal est : 1) peu on faire des validations de diplômes par « crowsourcing » (externalisation ouverte) 2) l’enseignement , du moins tels que je le conçois, est plus qu’une interaction sur forum sur la base de podcasts, de matériaux
        filmés et de divers autres dispositifs d’e-learning; il est un engagement physique, quasi théatral de l’enseignant, avec un public qui lui aussi peut réagir en temps réel On peut éventuellement faire cela sur
        internet de petits groupes, mais qund vous avez 2000 personnes ou plus, cela change du tout au tout.

        le colloque etait ouvert à tous sans inscription, la suite sur le site de QSF

        • Dinah GALLIGO dit :

          Je ne pense pas qu’aujourd’hui les MOOCs représentent une véritable alternative au cursus universitaire. Je les vois plutôt comme une opportunité de formation continue (« formation tout au long de la vie »). D’après la cartographie réalisée pour le MOOC « Espace mondial » et d’après les interventions sur le forum, je dirait que les participants sont des « vieux des pays du Nord » et des « jeunes des pays du Sud ». Toutes sortes de personnes qui ne pourraient pas s’inscrire comme « étudiant normal » à l’université et encore moins à Sciences Po … Mais les MOOC vont sûrement avoir un certain impact sur la structure et la pédagogie de l’enseignement supérieur, en France comme ailleurs … Pour le meilleur et, peut-être pour le pire …!

  2. Le premier avantage est bien évidemment que la mesure va permettre de faire des économies de grande ampleur sur les salaires. En effet, les MOOC permettent de réduire considérablement le nombre d’enseignants. Quand on sait que l’essentiel du budget de l’enseignement supérieur est consacré aux salaires, ce n’est pas à négliger. Tentons de chiffrer ce gain : il y a 57 000 enseignants-chercheurs et 14 000 enseignants du 2nd degré titulaires affectés dans l’enseignement supérieur. Cela correspond à un équivalent de 42 500 temps complets consacrés à l’enseignement supérieur. Admettons que l’on conserve seulement 10 % d’entre eux (pour assurer le travail sur les MOOC), cela fait un bénéfice de 38250 emplois. Avec un salaire annuel chargé médian de 37 000 euros, c’est environ 1.4 milliards d’euros qui seront économisés annuellement. Si on compte maintenant l’environnement (secrétariat, agents dans les locaux, etc …), on arrive certainement à 2 milliards. Sans compter (car je ne sais pas l’estimer) qu’avec les MOOC on n’a plus besoin de locaux, on peut aussi économiser de façon très conséquente sur les frais d’immobilier et de son entretien.

    • Dinah GALLIGO dit :

      Je ne vais pas discuter vos chiffres, mais, même si à long terme les cours en ligne devraient permettre une certaine réduction des cours en présentiel, cela concernera en priorité les cours magistraux et on aura besoin de plus d’enseignants « animateurs » que les 10% que vous concédez … De toute façon, il est illusoire de comparer les MOOCs avec les enseignements actuels du supérieur, car comment faire assoir plus de 10 000 personnes dans un amphi de la Rue Saint Guillaume, sans parler des 150 000 inscrits à un cours d’électronique du MIT … ! Et pourtant, mon expérience me montre tous les jours qu’il existe un débat peut-être plus intense entre (une partie) des apprenants aussi bien entre eux qu’avec les enseignants !

Leave a Reply

Staypressed theme by Themocracy